Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

20/03/2012

En situation

En exergue de ce blog figure la définition la plus courte et la plus juste de la compétence, imaginée par Pierre Villepreux. La compétence définie en deux mots : intelligence situationnelle. Ces deux mots renvoient à deux dimensions. La première, l'intelligence de la situation. Etre compétent c'est d'abord poser le diagnostic juste sur la situation pour en déduire l'action à conduire. Rapidité et fiabilité du jugement sont les piliers de la compétence qui permettront l'acte juste, dont il sera nécessaire de maîtriser la technicité, sans laquelle il n'y a guère de liberté d'agir. Et quant à l'action, Pierre Villepreux a toujours été persuadé que le beau jeu était également le plus efficace (ceux qui ne goûtent pas le rugby en auront l'illustration avec Lionel Messi et l'équipe de Barcelone). L'intelligence de la situation c'est donc la compréhension de la manière dont on doit utiliser les moyens dont on dispose pour agir efficacement, ce qui conduira souvent à la beauté du geste professionnel maîtrisé.

PierreVillepreux.jpg

La deuxième dimension de l'intelligence situationnelle, c'est de se savoir en situation. De ne pas être dominé par le rôle que l'on joue, de ne pas en être dupe, mais de le jouer professionnellement. Et donc d'avoir le recul nécessaire à la réalisation impliquée et distanciée de l'action, car l'engagement ce n'est pas nécessairement de mettre ses tripes sur la table, mais au contraire de savoir en toute lucidité ce que l'on fait et pourquoi on le fait. L'engagement est une volonté qui se sait volonté. C'est en cela que Villepreux est profondément Sartrien : les joueurs sont libres et exercent cette liberté par leurs choix qui sont nécessaires, ils agissent et font les choix en situation, ils sont ce que sont leurs actes car le faire est révélateur de l'être. Et comme Sartre, Villepreux pense que l'homme est à inventer chaque jour.

09/09/2010

Cycle permanent

Ce n'est pas de l'éternel retour de Nietszche dont il est question, mais du cycle de la performance. J'ai beau feuilleter les bonnes revues de management, et faire l'effort d'y inclure celles de langue anglaise, point de repos dans les cycles de performance. Ah les beaux schémas de consultant qui conduisent inévitablement au succès :

performance cycle3.jpg

La performance selon l'Université de Berkeley

Ayant quelques réflexes sportifs, j'ai toujours conçu la performance comme des cycles comportant nécessairement des hauts et des bas, dans lesquels les phases d'entrainement sont valorisées par les phases de repos sans lesquelles ils ne produisent que de l'épuisement et donc amoindrissent la performance. J'ai remarqué que les managers sportifs étaient fort usités dans les conférences pour managers (Constantini, l'inévitable Herrero, Jacquet qui eut son temps, Bernard Laporte passé de mode ou Villepreux indémodable). Et j'ai remarqué également qu'aucune (?) entreprise n'en tire la conséquence qu'il faut prévoir des performances non linéaires et des temps de récupération pour optimiser le résultat. Mais voici que l'on me souffle une possible explication : l'homme est avec le cochon le seul animal à faire l'amour en toute saison. Peut être est-ce pour cela que le cycle de la performance n'intègre pas le repos. Mais chut, on pourrait croire que le rapport au travail a un lien avec la libido. Vite une image pieuse avant de dormir. Raté ! La tentation de Saint-Antoine aussi est permanente.

felicien_rops_tentation_saint_antoine.jpg

Félicien Rops - La tentation de Saint-Antoine

08/02/2010

Improvisation organisée

La chronique de vendredi dénonçait l'improvisation à laquelle donne lieu la mise en oeuvre de la réforme de la formation professionnelle annoncée et préparée pourtant de longue date. A l'occasion de la première journée du Tournoi des six nations, ce blog placé sous le signe de la culture rugby et de Pierre Villepreux, revient sur un sujet récurrent qui ne fait pas débat : l'identité des français, pour le monde du rugby, c'est le French Flair (informons Besson que le débat est clos et que s'il devait être réouvert ce serait sur les identités et non l'identité). Oui d'accord, mais qu'est-ce que le French Flair : historiquement, l'expression est due au journaliste anglais Pat Marshall qui l'utilisa en 1963 pour caractériser l'inspiration des attaquants (qui sont à l'arrière, contrairement au football, car l'attaque est une intention et une volonté qui vient de loin) français. Le French Flair serait donc l'art de l'improvisation. Oui mais alors au sens de l'improvisation organisée du Jazz.

jazz001.jpg
Alain Garrigue - Dessin extrait de Jazz'errance - 2007

Mais donnons la parole à Rob Andrew, qui joua au Stade Toulousain, aujourd'hui directeur technique de la Fédération anglaise : "La force du French Flair, c'est qu'en vérité tout est pensé, analysé. En particulier l'art de la contre-attaque et l'utilisation des avants pour dégager le terrain. Tout à coup, on s'aperçoit que les arrières ont du champ pour percer et tout le monde dit ça c'est le French Flair ! ". Pour Pierre Villepreux, l'approche est plus Jazzy : "C'est le jeu juste. Face à une situation donnée, le porteur du ballon choisit de faire autre chose que ce qui est prévu. Et tous ses coéquipiers se placent à sa remorque pour que le mouvement continue". Autrement dit, il s'agit de trouver la meilleur solution collective à partir d'une initiative individuelle inattendue. Managers, rangez vos recettes de management, allez voir un match de rugby, écoutez du jazz et ayez le courage de l'improvisation organisée.

 

12/02/2009

Paroles d'un fauteur de troubles

"Croix de ses supérieurs et fauteur de troubles", c'est ainsi que le supérieur général des jésuites qualifia Baltasar Gracian pour avoir publié ses livres sans l'aval de sa hiérarchie. Il en fut d'ailleurs sanctionné. Que trouvait-on dans ses livres ? cette phrase par exemple qui pourrait concourir avec la définition de la compétence par Pierre Villepreux placée en exergue de ce blog : "Quelque grand que soit le poste, celui qui le tient doit se montrer encore plus grand".

N'est-ce pas à celà que l'on reconnaît la compétence : la capacité à dominer son poste et non à être dominé par lui. L'exact inverse du principe de Peter en quelque sorte.

270px-Baltasar_Gracián_(retrato_de_Graus2).jpg
Baltasar Gracian - Retable de l'Eglise de Graus (Aragon)

C'est également ce qu'un jury de VAE doit rechercher : non pas si le candidat réalise correctement son travail ou non, mais s'il le domine suffisamment pour le réaliser dans un autre contexte. Cette phrase de Gracian, écrite au 17ème siècle, nous rappelle également que le poste n'existe pas indépendamment de l'individu qui l'occupe, et qu'il faut donc se méfier de la gestion "adéquationniste" des compétences qui voudrait que le salarié entre dans le cadre préétabli du poste, l'entreprise n'ayant qu'à mesurer l'écart entre les compétences requises et les compétences possédées pour faire de la gestion des compétences. Cette approche perd toute la dynamique entre l'individu et le poste, entre une personne et une situation de travail contextualisée.

Et s'il fallait vous persuader qu'il est important d'entendre Baltasar Gracian précisément en cette période de crise, cette seconde citation : "N'attendez rien d'un visage triste". En voici un qui avait déjà compris que le bonheur est un fabuleux facteur de performance. Oh oui !

le_oui_heureux_s_vallet_1.png
Le Oui heureux - Collage de Stephane Vallet


15/07/2008

Les hommes ou le système...ou les deux

Notre actuel Ministre des Sports, pourtant originaire du Sud-Ouest, n’aime pas la culture rugbystique toulousaine  basée sur un système mis au point par Robert Bru, puis développé par Villepreux, Skrela puis Novès. Son reproche : le système lui-même. Le rugby doit être une affaire d’hommes, une aventure collective faite d’aventures individuelles, de communions, d’affectif, d’analyse à l’emporte pièce autour de tables de bistrots, remises en cause par d’autres analyses le lendemain (forcément puisqu’ont été servis d’autres verres), tout cela n’ayant pas beaucoup d’importance car ce qui compte c’est avant tout les liens entre les hommes et la volonté d’agir ensemble. Et l’on comprend mieux qu’avec de telles convictions il ne soit pas à son poste par hasard.

Delaunay-L'equipedeCardiff.jpg
Robert Delaunay - L'équipe de Cardiff  - 1912 

 
Du côté de l’école toulousaine, le point de départ est bien différent : d’abord un projet de jeu, un principe fort. Celui que le jeu en mouvement est plus efficace que l’affrontement systématique, que l’intelligence dans l’utilisation de la balle est supérieure à la force brute même si elle peut s’y allier, que chacun doit mettre son talent au service du collectif, que la prise de décision et la responsabilité constituent la base du jeu.

Pour mettre en place ce plan de jeu, un credo : le joueur doit être intelligent. D’où les premières sports études de rugby au lycée jolimont de Toulouse, d’où l’exigence de poursuite d’études ou de penser sa reconversion dès son début de carrière, d’où l’ouverture des joueurs vers d’autres activités que le rugby, tout ceci au profit du développement de capacités d’adaptation, d’anticipation, d’intelligence et de prise de responsabilités. Le système prime, mais il ne tue pas les individualités. Il permet simplement que l’aventure ne s’arrête pas lorsque passent les hommes mais qu’elle puisse perdurer à travers une culture dont il était extraordinaire lors de la dernière finale du Top 14 de voir qu’elle peut être partagée par des Toulousains, des argentins, des néo-zélandais, des africains et tonguiens.

Toute organisation doit s’interroger pour savoir qu’elle est la part dans sa performance de la culture qu’elle a su générer et des individus qui la composent.

22/04/2008

Former avec Villepreux

 Une leçon pédagogique de Pierre Villepreux, à propos de l'entraînement des joueurs de rugby (toulousains, mais c'est un plénonasme) :

 Le but, c’est de s’adapter aux contraintes et exigences de la situation en recherchant le résultat le plus efficace possible puisque la réussite dépend, pour le joueur, de ses ressources disponibles et de leurs qualités mais aussi de sa capacité à les mobiliser au moment voulu.

 

 La différence est claire ici entre les ressources, ou capital compétences, et la capacité à les mobiliser, ou encore le passage à l'acte.

L’adaptation pour être efficace doit être active. La lecture du jeu n’est pas une banale prise d’information passive mais bien un moyen pour donner du sens à son action grâce à l’acquisition de repères et indices toujours plus nombreux et précis, conduisant à un référentiel commun à tous. Il s’agit bien donc de former les joueurs à lire le jeu en les plaçant dans des situations problèmes qui soient à la mesure de leur niveau de jeu.

 

 Deux idées ici : la première est que l'équipe parvient à la compétence collective en acquérant des repères communs, une culture commune et la capacité à combiner ensemble. Lorsqu'il y a 14 partenaires et 15 adversaires, et l'arbitre !, les probabilités de placement sur le terrain sont infinies ou presque. Or, la prise de décision ne doit durer que quelques centièmes de seconde, faute de recevoir quelques paquets de muscles comme récompense à l'indécision. Et pour que la prise de décision soit efficace, il faut que les partenaires aient anticipé sur ce que cette décision allait être. D'où les repères communs.


674050914.jpg

La deuxième idée en langage pédagogique s'appellerait : zone proximale d'apprentissage ou de développement. Il s'agit en partant du niveau de compétence actuel, d'identifier le prochain niveau de compétence atteignable. Car si qui ne progresse pas stagne, qui veut progresser trop rapidement régresse. Tout le travail des pédagogues est d'identifier le bon niveau sur lequel faire travailler.

Le joueur doit être mis en situation d’incertitude ,on peut dire d’instabilité qui doit l’amener à fonctionner par prédiction et anticipation donc, à connaître et comprendre de plus en plus finement les mécanismes de jeu dans les situations successives et évolutives.

La formation, ce n'est pas que du plaisir. C'est aussi être placé en situation d'instabilité : on apprend pas uniquement par la reproduction, mais au contraire en étant confronté à des situations jamais rencontrées. Le risque et l'échec font partie de l'apprentissage.