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22/08/2012

Les photos-pensées

Jamais autant de photos n'ont été prises. Le numérique a fait basculer la photographie dans la démocratisation absolue, puisque photographier ne coûte plus rien une fois l'appareil acquis, et les téléphones portables ont achevé de mettre dans les mains de tout un chacun un appareil photo. Jamais autant de prises de vue et donc de traces, de témoignages, d'images. Quel impact auront ces photos sur les enfants qui pourront, s'ils ne s'en lassent pas, revoir les dizaines de photos de leur première semaine et les milliers de photos de leur première année, pour ne rien dire des autres. Quelle différence entre ces enfants et ceux qui ont revu leur jeunesse à travers une poignée de photos surinterprétées qui comptent moins que les souvenirs ? quel rôle joueront ces prises de vue répétées dans la (re)construction du souvenir ? que dira ce taureau de camargue à son cavalier ?

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Dans son très beau livre "La fille aux neuf doigts", Laia Fabregas nous enseigne la méthode, inculquée par des parents autonomistes catalans qui affrontaient le régime franquiste, pour réaliser des photos-pensées. Dans les moments de forte émotion, pour conserver ce ressenti en vous, il est possible de prendre une photo-pensée. Vous commencez par délimiter un cadre, puis vous observez tous ce qui entre dans le cadre et vous le détaillez. Lorsque tout est fixé, vous développez la photo en fermant les yeux et en recomposant minutieusement le cadre et ce qu'il entoure. Ensuite vous pouvez archiver la photo-pensée dans votre mémoire et la reconvoquer à loisir. Le mérite de la photo-pensée est qu'elle vous oblige à observer, ce qui n'est pas vrai par nature avec l'appareil photo. Peut être le taureau et le cavalier auraient-ils mérité une photo-pensée, mais est-il vraiment exclu qu'elle ait été prise ? et qui dit qu'elle ne sera pas transmise avec la photo du téléphone portable ? car le propre des photos-pensées, c'est de vous raconter des histoires.

21/08/2012

Mais où est le mélangeur ?

Cette année, les Rencontres photographiques d'Arles invitent...les étudiants, ou anciens étudiants de l'Ecole Nationale Supérieure de Photographie (ENSP), installée à Arles. Pour fêter les 30 ans de sa création, l'Ecole a pris quelques nouvelles des 640 étudiants qu'elle a diplômé. Et présente les travaux de quelques uns d'entre eux. Les commentaires accompagnant les photos sont assortis d'une petite fiche biographique. L'occasion de jeter un coup d'oeil sur les parcours des diplômés de l'ENSP. Majoritairement des jeunes gens qui ont fait des études artistiques (Beaux-Arts, sociologie de l'art, sciences de l'art, écoles de cinéma, d'arts plastiques, etc.) ou des sciences humaines (histoire, socio, lettres, philo,...) et il faut chercher longtemps pour trouver une ingénieure et un infirmier. Dorothée Smith, pour sa part, a fait des études de philosophie à la Sorbonne avant d'intégrer l'ENSP.

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Dorothée Smith

Je pense justement aux étudiants du Master Développement des Ressources Humaines de la Sorbonne, dont les CV sont posés sur mon bureau. Je regarde également leur parcours : droit, gestion, gestion, droit. Et Ressources Humaines au final. Pas un juriste à l'ENSP, pas un historien, philologue ou sociologue de l'art en Ressources Humaines. Pas de doute, les cloisons sont bien montées et ceux qui ont fait le boulot ont en plus planqué le mélangeur. Il serait pourtant urgent de le retrouver et que ceux qui sont chargés de recruter tous ces jeunes gens osent s'en servir.

arles,ensp,photo,photographie,recrutement,formation,éducation,filières,orientation

20/08/2012

L'éventail des possibles

La rentrée c'est maintenant paraît-il. La chaleur continue pourtant à mollement étirer ses tendres bras pour mieux enlacer votre envie de prendre le temps, d'aller au rythme du pas qui va, de glisser entre les arbres et les ombres, de se nourrir de visions passantes et de regards légers ; car l'air chaud allège tout. Il faut ne pas connaître le Sud pour penser que la chaleur écrase. C'est tout l'inverse, elle libère. Ce qui vous rappelle que la rentrée ce peut être l'occasion de prendre de nouveaux trains, de nouveaux chemins, d'avoir la surprise de découvrir ce qui se trouve au bout du quai, lequel est toujours un point de départ, jamais d'arrivée.

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C'est alors que s'ouvre l'éventail des possibles qui, comme tout éventail, ne vise pas à rafraîchir mais à créer des courants d'air dans lesquels vous disposerez au choix des gestes, des mots, des regards, des silences ou des invitations que l'éventail délivrera à votre entourage.C'est la rentrée et Eve entaille les possibles, elle les mord, Eve en taille de guèpe, que guapa, et le vent taille la route des possibles.

19/08/2012

Appropriation

Contrairement à l'idée reçue selon laquelle le travail serait une valeur, il sera ici soutenu que le travail n'est ni une valeur, ni un bien, ni un mal. Il sera également soutenu qu'il y a des sots métiers, des métiers aliénants et dépersonnalisant ; et qu'évidemment le travail peut être source de tous les plaisirs. A condition toutefois de se l'approprier et de le personnaliser. A chacun de trouver la bonne manière d'y parvenir.

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14/08/2012

Classique

Entendu lors d'une visite à l'exposition consacrée à Eva Besnyo, au Jeu de Paume :

Elle : C'est très beau...

Lui : C'est classique

Elle : En 1930, ce n'était pas classique mais novateur...

Lui : C'est pour cela qu'aujourd'hui c'est classique.

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Eva Besnyo - Nu - 1932

Certes, le terme "classique" renvoie à de multiples définitions qui désignent soit des époques (au choix l'Antiquité ou le 18ème), soit le conventionnel, soit  une esthétique alliant qualité technique, rationnalité et harmonie, soit  l'habituel ou encore ce qui relève de la tradition.

Si vous partagez son point de vue à lui,  vous resituez l'oeuvre d'Eva Besnyo dans l'histoire de la photo, des photos vous en avez beaucoup vues et dans votre tête ces courbes, ces ombres, ces lignes, vous renvoient à tant d'oeuvres que tout cela vous paraît bien classique. Si vous partagez son point de vue à elle, l'histoire de la photo n'est pas venue importuner votre regard, vous êtes pris par l'instant que l'on vous offre, vous l'appréciez comme une prune sauvage dérobée à la nature et vous en goûtez malicieusement la beauté. Dans le premier cas, vous êtes classique, dans le second plus inclassable. Et comme souvent, le jugement porté en apprend davantage sur son auteur que sur l'oeuvre elle-même.

Les superbes photos d'Eva Besnyo sont visibles au Jeu de Paume jusqu'au 23 septembre.

11/08/2012

Willy Ronis

Pour le week-end ensoleillé, et avant les Rencontres photographiques d'Arles, petit clin d'oeil à Willy Ronis.

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01/08/2012

Back to Paris

Pas un jour sans qu'il ne se trouve un chicagolais pour poser la question : "Vous venez d'où ?" et lorsque l'on annonce "Paris, France" immanquablement, et quel que soit l'interlocuteur, la réaction a toujours été :"Mais en ayant la chance d'habiter à Paris, qu'est-ce que vous venez faire à Chicago ?".

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Se plonger dans la ville, en faire le tour, la mettre à distance, puis s'y replonger. S'étonner que dans la troisième plus grande ville des Etats-Unis la campagne soit si proche, la nature si présente et que l'atmosphère soit si provinciale avec ses quartiers si différents.

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Chicago où la forte ségrégation raciale n'a pas géographiquement disparue. Au nord, les quartiers bourgeois et les villas cossues.

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La classe bourgeoise blanche qui le week-end équipe de sonos les bateaux pour transformer la marina en gigantesque discothèque upper-class mais pas vraiment upper-goût.

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Plus on va vers le Sud, plus la population est noire. Et les barbecues dans les parks remplacent les partys sur les bateaux.

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En déambulant sur les bords du lac Michigan, la lumière peut vous donnner l'illusion l'espace d'un instant, un court instant, d'avoir les yeux de Saul Leiter pour prendre quelques photos.

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Il faut dire que Chicago est une ville d'art, où même les buildings font écho aux tableaux de Magritte, très présents à l'Institute of Art.

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Etrange impression, comme souvent aux Etats-Unis, d'être à la fois dans un lieu d'histoire mais également dans un lieu où seul importe le présent. La nostalgie est une marque de la vieille europe. N'oublions pas qu'aux JO, les deux nations trustant les médailles sont la Chine et les Etats-Unis.

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Fin de l'intervalle chicagolais donc et retour au duomicile, dans un lapsus publicitaire qui n'aurait pas déplu à Lacan, preuve que rien n'est vraiment inconciliable.

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25/07/2012

Double regard

Il est toujours possible de voir une ville à la manière dont Yann Arthus-Bertrand voit le monde : de haut, en couleur, avec effet spectacultaire garanti et en guise de commentaire quelques statistiques qui achèvent de faire disparaître l'humain du paysage. Ici par exemple, vous êtes monté en 40 secondes au 94ème étage et vous pouvez apercevoir l'ancienne plus haute tour du monde, avant que la Chine et le Moyen-Orient n'entrent dans la compétition, sachant que vous êtes vous même au sommet de la plus haute tour du monde d'appartements.

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Une fois redescendu, le spectacle est un peu différent. Vous pourrez par exemple constater qu'en 2012 il y a toujours des noirs avec des chapeaux coloniaux qui chargent les valises des blancs et ferment pour eux la portière.

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Vous pouvez également être frappé par le nombre d'obèses dans les rues, de tous âges y compris très jeunes. Dans ce temple de la consommation qu'est Chicago, et plus globalement les Etats-Unis, l'obésité est un symbole facile mais bien réel de ce trop plein de tout qui finit par vous déposséder de vous même et devient un handicap.

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Dans le dernier film de Leos Carax, Holy Motors, Michel Piccoli prononce cette phrase : "On dit que la beauté est dans l'oeil de celui qui regarde" à laquelle Denis Lavant répond : "Mais alors s'il n'y a plus personne pour voir ?".

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Rashid Johnson, exposé au Musée d'Art Contemporain de Chicago, y voit. Double. Parce que l'on se voit aussi à travers le regard des autres. Je vous fais face, mais mon côté droit est le gauche pour vous. Lequel est le vrai ? Le plus troublant est que ses doubles portraits sont parfois ceux d'une même personne, parfois pas. Une autre manière d'exprimer le Je est un autre de Rimbaud et de créer un lien entre un jeune français de province du 19ème siècle et un citadin noir américain. Comme quoi la singularité n'est pas fondamentalement incompatible avec la mondialisation. Il s'agit juste de savoir depuis où et sous quel angle on souhaite aller y voir.

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27/06/2012

Vision globale

Les juges de la Cour d'appel avaient pourtant pris soin d'argumenter sur chacun des documents fournis par la salariée et sur chacune des contestations des décisions prises par l'employeur. Un travail analytique méthodique, pas à pas, de fourmi besogneuse et consciencieuse. Et cette analyse rigoureuse les a conduit à considérer qu'aucun des éléments fournis par la salariée ne permettait de caractériser un harcèlement moral. Déboutée donc. A tort selon la Cour de cassation qui invalide la méthode et le jugement. Un harcèlement global ne doit pas s'apprécier en évaluant la valeur probante de chaque pièce fournie par le demandeur mais par une analyse globale prenant en compte de manière simultanée l'ensemble des éléments produits. Exit l'approche analytique, vive l'art de la synthèse. Foin des loupes pour la vision rapprochée détaillée, vive la vision panoramique.

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La Cour de Cassation, dans sa décision du 6 juin 2012 énonce que les juges doivent considérer si l'ensemble des pièces fournies par un salarié, pris dans leur globalité, ne font pas présumer un harcèlement, en conséquence de quoi l'employeur doit prouver la légitimité des décisions qu'il a prises et que son comportement est étranger à tout harcèlement. C'est donc l'employeur qui doit s'expliquer pas à pas et non le salarié.

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Ce n'est pas la première fois que la Cour suprême considère que la charge de la preuve pèse sur les deux parties mais pas de manière idtentique. Au salarié de fournir suffisamment d'éléments pour que l'on puisse présumer un comportement fautif et à l'employeur de s'expliquer sur ce comportement.

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Ce rappel n'aurait pas du être nécessaire pour les juges du fond qui auraient pu se souvenir que l'opération juridique de base, la qualification des faits, suppose d'avoir une approche globale d'une situation pour déterminer s'il est possible ou non de la faire entrer dans une des catégories prévues par le droit. Que la méthode juridique constitue une sorte de mise en boîte de la réalité et que cette opération se réalise par une vision globale est un des charmes de la matière, pour qui a le goût des paradoxes.

22/06/2012

En vacances, lâchez-vous !

Vous avez fait des folies pendant vos vacances, de manière tout à fait inconsidérée, et n'avez su évitez l'accident, sans dire que vous l'avez provoqué.  Conséquence : un beau plâtre vous fera un souvenir à présenter à vos amis. Vous pourrez peut être également le faire dédicacer par votre employeur à qui vous allez annoncer qu'ayant eu une semaine d'incapacité de travail pendant vos congés (ne riez pas), il vous doit encore une semaine de congés payés. Devant son regard incrédule, expliquez lui que c'est la Cour de Justice de l'Union Européenne (CJUE) qui vient d'en décider ainsi. Vous n'êtes pas obligé d'ajouter un commentaire du style : "Et après on dira que l'Europe n'est que libérale et pas sociale". Vous pourrez juste le penser très fort.

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Romain Slocombe - Medical Art

La décision de la CJUE datée du 21 juin 2012, remet en  cause une règle de gestion traditionnelle de l'articulation entre congés payés et congé maladie. Conformément à un principe juridique solidement établi, les tribunaux français ont toujours considéré que le régime d'une absence était déterminé par la première absence, quoi qu'il arrive ensuite. Un salarié en congé maladie ne pouvait donc être en congés payés, même si la maladie se poursuivait pendant la période prévue de congés payés. Il fallait reporter les congés. Par contre, un salarié parti en congés payés qui tombait malade n'avait pas de droit à récupération de ses congés. Il avait pourtant droit aux indemnités journalières de sécurité sociale (qu'il cumulait avec son indemnité de congés payés). C'est cette inégalité de situation que la CJUE vient de dénoncer : le statut du salarié par rapport au droit à congés payés ne doit pas dépendre de la date à laquelle survient l'incapacité de travail. Dès lors, un salarié qui tombe malade pendant ses congés doit pouvoir rattraper les jours de CP perdus, s'il lui a été établi un arrêt de travail. Reste à trouver les médecins qui feront des arrêts de travail pendant les congés payés, mais gageons que cela ne sera pas insoluble. En avant ensuite pour la dernière  étape : annoncer à votre boss lors du retour dans l'entreprise qu'il vous reste des jours de congés à prendre. Bonnes vacances et bon retour !

CJUE - 21 Juin - CP et Maladie.pdf

04/06/2012

Photo de campagne

Elle n'était pas dévoilée officiellement qu'elle était déjà détournée. Il faut s'y faire, l'information est désormais toujours en avance sur elle même. Pour ceux qui douteraient que l'on a changé de monde et que ce ne sont plus les pratiques anciennes qui peuvent servir de référence, voici encore un bel exemple. Dans ce florilège de détournements, j'ai bien sur préféré celui qui met un peu de peinture sur la photo. Voici Manet et ses amis qui s'invitent au déjeuner sur l'herbe. La garden party de l'Elysée, supprimée pour cause d'ambiance dépressive, ressurgit dans l'ombre fraîche des chênes et peupliers du grand jardin. 

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On conseillera aux maires de France de préférer cette photo bucolique à l'officielle. Car si manifestement l'intention était de ne pas faire trop officiel, alors il faut aller jusqu'au bout et redonner aux pelouses leur véritable fonction qui n'est pas d'être foulées mais de tenir lieu de table  romaine  : c'est allongé qu'il faut manger et discuter, les philosophes grecs l'avaient découvert et les romains l'ont préservé. Et puis sans les amis et la convivialité, on est seul, et seul avec le pouvoir il vaut mieux éviter.

17/04/2012

J'y pense et puis j'oublie

Je me souviens d'une conférence d'Yves Navarre, cet homme-enfant qui ne sortit de l'enfance qu'à ses dépens, au cours de laquelle il expliqua qu'il ne prenait jamais de notes. Lui l'auteur de dizaines d'ouvrages, qui écrivait à souffle perdu, ne notait pas. Vous ne pouviez le voir assis à une table de café sortant le carnet de moleskine pour griffoner la matière du livre à venir. Au café, il partageait ses lectures mais surtout ses regards. Plutôt la vie. L'explication fût brutale : "Je ne note pas car ce que l'on note est mort". Cette phrase m'a profondément impressionné. J'y pense constamment lorsque je prends des notes que jamais je ne relis. On peut relire l'écriture, pas les notes. J'y pense lorsque je vois les participants aux formations que j'anime noircir des feuilles à l'improbable destin. Toutes ces notes pour quoi faire ?

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Arthur Tress - Mask

Parfois je tente un "pas la peine de noter, tout est dans le support", je n'ose pas le "arrêtez de noter, les notes c'est mort, laissez vivre votre pensée". On ne réfléchit pas en notant, au contraire on pose devant la pensée les barrières des mots figés alors qu'il aurait fallu préserver le mouvement. Mais je vois souvent cette fébrilité qui guide l'écriture : la peur d'oublier. Comme si l'on ne pouvait faire confiance à la sélectivité de la mémoire, comme si l'on avait oublié cette phrase d'Yves Navarre : "L'oubli est parfois aussi important que la mémoire". Arrêtez de noter vous vous souviendrez mieux de ce qu'il est important de ne pas oublier.

11/04/2012

Temps nouveaux

Parfois, question de moments ou de lieux, le temps n'est plus tout à fait le temps. La continuité linéaire et horlogère qui rythme notre vie a des hoquets. Le temps ne passe plus, ou plus de la même manière, ou alors il vous projette dans un temps que vous avez l'impression d'avoir toujours connu, un temps permanent qui n'est pas l'éternité mais beaucoup mieux que cela. Ou alors au contraire vous est offert un temps inconnu, dans lequel vous vous installez spontanément. Et que vous voudriez voire durer longtemps. Un temps du Sud. Un autre temps.

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Ce temps qui n'appartient à rien de connu, il arrive aux magistrats aussi de le rencontrer. Dans une affaire jugée le 22 mars dernier, une salariée s'était vue proposer avant le début de son contrat de travail une formation de deux semaines lui permettant de se familiariser avec les méthodes de l'entreprise. Son contrat ayant été prématurément rompu, elle demanda la requalification de cette période de formation en période de salariat. Refus des juges, ce temps de formation ne s'est pas traduit par la production d'un temps travaillé pour l'employeur, il ne pouvait donc recevoir la qualification de temps de travail. Le seul fait d'être dans une formation payée par votre futur  employeur ne fait pas de vous un salarié par anticipation.

Au-delà du cas d'espèce, cet arrêt est une contribution des juges à un processus qui semble s'accélérer : le découplement du temps de travail et du temps de formation et la création d'un temps de formation constituant une qualification à part entière et dont le régime serait distinct de celui du travail. Le chemin entamé avec le développement des multiples possibilités de se former en dehors du temps de travail s'ouvre donc à de nouveaux horizons, ceux des temps nouveaux.

Cour de cassation - 22 mars 2012.pdf

25/03/2012

Correspondances

Avant que le canular ne soit démasqué, la presse et les internautes avaient largement diffusé l'information : selon une chaîne de TV syrienne, les joueurs du FC Barcelone se feraient des passes faisant dessiner au ballon le tracé des routes à emprunter pour pouvoir livrer des armes aux opposants de Bachar El-Assad. L'annonce paraissait à la fois délirante et en phase avec la paranoïa que l'on imagine être celle des dirigeants syriens. Canular donc mais qui nous ramène à ces correspondances dont les surréalistes faisaient leur miel. Dans le jeu de la constellation par exemple. La règle en est simple : vous choisissez une constellation, vous la tracez sur un calque et vous reportez ce calque sur le plan d'une ville. La constellation vous fournit alors un trajet que vous parcourez à pied en prenant le temps de la découverte. A vous ensuite de comprendre l'histoire que vous raconte ce trajet.

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Il ne s'agit pas d'être attentif aux coincidences, mais de rechercher les correspondances. D'établir des liens qui nous parlent, de découvrir des rapprochements signifiants, de tenir le monde qui nous entoure non pas pour une énigme à déchiffrer mais comme une boîte à merveilles que l'on aurait de cesse d'ouvrir, comme une boîte à musique dont on ne se lasserait jamais. Ces correspondances ne se laissent pas toujours percevoir, et comme la lettre volée d'Edgar Poe elles sont parfois d'autant plus invisibles qu'offertes à tous les regards. Qui ce matin s'est retourné sur ce scooter Yamaha TMax garé sur la petite place du 19 mars 1962 ? provocation ? message codé ? hasard ? puissance de l'inconscient ? en matière de correspondances il faut se souvenir qu'elles vous en apprennent plus sur vous que vous n'en saurez jamais sur elles.

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21/03/2012

Situation (II)

Dans le cadre d'une hypothétique, et néanmoins certaine, réforme de la formation professionnelle, il sera sans doute question de mieux articuler formation initiale et continue. Cet objectif fait partie des 4 qui ont été assigné à la mission conduite par Gérard Larcher pour préparer la dite réforme. Cette idée nouvelle, qui s'inscrit pourtant noblement dans la filiation de Condorcet souhaitant l'instruction à tous les âges de la vie, risque toutefois de s'enferrer dans une impasse. En réalité, l'objectif à poursuivre serait exactement l'inverse  : renforcer la césure entre la formation initiale et la formation continue. Parce que si elles constituent l'envers et l'endroit d'un même continuum, ce n'est ni avec les mêmes personnes, ni avec les mêmes moyens. Et ce serait un erreur de vouloir que l'envers soit l'endroit, ce qui est souvent impossible, notamment chez Romain Laurent.

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Romain Laurent - Human Clock

La formation initiale s'adresse à des jeunes qui ne sont pas en situation de travail. Elle doit leur apporter de la connaissance certes mais également des méthodes, de la capacité à apprendre, de la réflexion. La formation continue s'adresse à des adultes qui sont en situation d'activité ou ont vocation à l'être. Elle doit prendre appui sur les acquis, s'articuler avec les activités et s'insérer dans des moyens diversifiés d'apprentissage. Que certains adultes souhaitent retrouver le système de formation initiale, bien sur. Mais que l'on s'emploie à construire une formation indifférenciée qui ne tienne plus compte de ceux à qui elle s'adresse et ne se préoccupe que d'elle-même et non des situations dans lesquelles se trouvent ceux au service desquels elle se place, constituerait une régression. Publics différents, temps différents, objectifs différents et méthodes différentes : il est plus urgent de conforter les formations initiale et continue dans leur spécificité que de rechercher leur calamiteux rapprochement.

17/03/2012

Rame !

C'est une histoire que les consultants se racontent parfois lorsqu'ils se croisent, à défaut d'avoir l'imagination des marquises pour se raconter des histoires de marquises. Il s'agit d'un consultant convoqué par une prestigieuse institution éducative parce que son  bateau a perdu la course d'aviron annuelle des grandes écoles. Le consultant doit trouver la clé du succès. Il scrute le bateau, teste la voix des barreurs et observe les rameurs : il constate qu'à la fin de la course ceux-ci sont essouflés, épuisés. Il conseille donc de corser leur entraînement.

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L'histoire est cruelle pour le consultant, incapable de voir l'évidence et de remettre en cause le fait qu'il y ait trois barreurs pour deux rameurs. Incapable de sortir chacun de son rôle préétabli. Il en va ainsi de l'audit et des auditeurs : entre le manque d'imagination et le refus, ou l'impossibilité, de sortir de schémas préétablis, sous couvert de changements on perpétue ce que l'on affecte de modifier. Allez les rameurs, encore dix longueurs !

07/02/2012

Pas touche les congés !

La Cour de Justice des Communautés Européennes poursuit son travail d'harmonisation des droits des salariés au niveau européen. N'en déplaise à ceux qui ne voient dans l'Europe qu'une machine bureaucratique dont la boussole est constituée par la concurrence, le libre-échange et les marchés financiers, il se trouve quelques juges à  Luxembourg pour rappeler que l'Europe ce sont aussi des règles et garanties en matière sociale qui doivent bénéficier à tous les européens. Dans une affaire jugée le 24 janvier dernier (CJUE, aff. 282/10, Dominguez), la Cour rappelle que tout salarié doit bénéficier de 4 semaines de congés payés par an, et que ce droit n'est pas conditionné, dans les textes européens, par le fait d'avoir travaillé. Impossible donc de proratiser les congés payés d'un salarié qui, pendant la période de référence, a eu un congé maladie. Vous rentrez de congé ? prenez vos congés !

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Robert Doisneau - Congés payés

C'est déjà la CJUE qui avait rappelé que les congés maladie ne pouvaient faire perdre des jours de congés payés acquis et qu'il fallait les reporter au-delà de la période de maladie. Voici une nouvelle étape : les congés payés ne sont pas la contrepartie du travail mais un droit inaliénable auquel doit avoir accès tout salarié, quand bien même n'aurait-il pas travaillé. Il va donc falloir reparamétrer les logiciels de gestion de la paie et arrêter de proratiser les congés payés des salariés malades. Au passage, ceux qui persistent à proratiser les jours de RTT des salariés en forfait jour lorsqu'ils sont malades et que la Cour de cassation avait déjà rappelé à l'ordre, trouveront ici l'illustration que le droit a repos peut être indépendant du travail. Ce n'était pas ainsi que l'on raisonnait jusque-là, il va falloir s'y habituer.

08/01/2012

Temps morts

C'est la fin de l'année. Les résultats sont corrects, mais le syndrôme des périodes heureuses aidant, ils génèrent tout de même de la frustration, surtout chez les dirigeants car les managers eux, estiment qu'ils ont plutôt tenu la barre par vents contraires. Le séminaire de fin d'année est important pour le COMEX car 2012 s'annonce délicate, au moins au premier semestre. Alors on a pas lésiné : cadre superbe, réception parfaite, nourriture et vins fins, attention constante du personnel de réception. Sur le programme non plus on a pas lésiné. Deux journées saturées d'interventions, des animateurs qui se relaient avec enthousiasme, des powerpoints flamboyants qui défilent à un rythme déconseillé aux épileptiques, des temps forts à tous les instants, des messages clés dans tous les messages et au final du très dense et peu de danse. Dans la salle, les participants se transforment peu à peu en présents puis en absents. Les iPhones et Blackberrys sont de moins en moins discrets, les appartés se multiplient, les comportements potaches saisissent une bonne partie des Top managers sans que l'ordonnancement méticuleusement prévu ne dévie d'un iota car tout a été planifié de 8h à 23h sans temps mort.

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Manule Alvarez Bravo - Conversation à côté d'une statue - 1933

Curieuse appellation d'ailleurs que ces "temps morts". Car dès que s'ouvre une fenêtre de liberté, une pause, un repas, une fin de soirée, ceux qui traitaient leurs mails persos, qui luttaient contre la somnolence, qui vagabondaient sur le net, tous ceux-là s'animent et entrent en conversation. Pour parler de quoi ? quasi-exclusivement de travail. De leurs activités, de leurs difficultés, de leurs réussites, ils se lancent à la recherche d'informations, d'avis, de conseils, d'approbations, de partages d'expérience, bref ils profitent du cadre de liberté pour traiter véritablement les questions qui les intéressent. C'est dans ces moments, plus que dans les injonctions communicantes, que se font, ou pas, les communautés de travail, d'intérêts et de fonctionnement. Et lorsque l'animateur fait le tour des couloirs et jardins dans lesquels se sont constitués les groupes de discussion en lançant : "Allez on reprend, au travail !", il ne semble pas percevoir que le vrai travail il vient d'y mettre fin.

07/01/2012

Envie d'été

C'est là, maintenant. Lorsque la grande descente dans le tunnel de la nuit s'est achevée et que les jours commencent à rallonger. Quand est retombée l'excitation/agitation des fêtes de fin d'année qui s'entremêlent à d'autres souvenirs. Lorsqu'elles ne sont plus d'actualités. On sait que le froid est encore à venir, on le souhaite même, pour être certain que l'hiver est bien en train de passer. Mais ce dont on a envie c'est l'été.

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Portée par le début d'année, par ce commencement qui impulse le mouvement qui aboutira à ce temps immobile et enfin déployé qu'est l'été, l'envie d'été est comme une germination précoce. Comme le goût du vin que l'on approche de ses lèvres, comme le plaisir de faire le marché avant de cuisiner. L'envie d'été est la cristallisation de toutes les envies. Elle a des couleurs de Garonne, des odeurs de table, des plaisirs alanguis. C'est l'envie d'été qui nous fait encore plus apprécier le froid de l'hiver et ses week-ends pluvieux. L'envie d'été ne se suscite pas, elle ne se quémande ni ne se demande, il suffit de la laisser venir.

11/12/2011

Projet ? disponibilité !

La crise est venue rappeler aux entreprises qui avaient mis en place des plans de gestion prévisionnelle des compétences, que la prévision est décidément ardue et la planification une chimère. Plutôt que de disperser son énergie à prévoir puis à réviser, il paraît aujourd'hui plus pertinent de réfléchir à se mettre en  situation de réactivité. Travailler sur les conditions qui permettront de s'adapter à toute situation, même les plus imprévisibles, prépare mieux l'avenir que la focalisation sur un projet qui demain, peut être, ne sera plus d'actualité. Mais ce raisonnement qui vaut pour les entreprises ne semble guère être envisageable pour les individus qui sont assignés à un projet.

Votre manager vous reçoit ? il vous demande quels sont vos projets. Vous souhaitez faire une formation ? on vous demande pour quel projet. Vous rechercher un financement ? Le projet, le projet, le projet. Et si possible bouclé, validé, ficelé, empaqueté. Et vous êtes prié d'y mettre de la conviction.

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Il n'est donc pas entendable d'avoir comme projet celui de se mettre en situation de saisir les opportunités que l'on se crééra ou qui se présenteront et d'expliquer que le chemin envisagé n'a d'autre objet que de favoriser cet état de disponibilité sans lequel les opportunités ne se présentent jamais, tout simplement parce que nous ne sommes pas en situation de les saisir.

On sait que l'avenir de l'enfant ne passe pas par le projet mais par le regard porté sur le monde. Par l'attention à l'environnement, la capacité à le saisir et l'envie de faire son miel de tout. Il ne s'agit évidemment pas d'opposer la disponibilité au projet, il est parfois nécessaire et structurant, mais simplement de constater que la manière dont on appréhende l'avenir et les moyens que l'on se donne pour le construire contribuent à le faire advenir. Bonne semaine.