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11/11/2015

Multidimensionnel

Avec l'art contemporain, on a parfois l'impression de redécouvrir l'évidence, mais comme ce qui est évident est souvent ce qui est perdu de vue, ce n'est pas plus mal. A l'entrée de la Biennale de Venise, un panneau expose le récit d'une expérimentation réalisée avec la Clinique de San Diego (Etats-Unis comme son nom l'indique). Des adolescents ont été initiés, lors d'un camp d'été, à la chirurgie robotisée. A la fin du camp, la plupart étaient capables de piloter une hystérectomie, une cystostomie ou de réparer une valve artérielle. Deux sont parvenus à pratiquer une revascularisation cardiaque. 

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Voici donc des robots, construits après de longues années d'études, qui mettent à disposition d'enfants des gestes professionnels normalement acquis après de longues années d'études. On en conclura une certaine déprofessionnalisation des chirurgiens,  non pas "sèche" comme disent les sociologues mais s'accompagnant d'un déplacement de la professionnalité : maîtrise de nouveaux outils, participation à l'invention de ces nouveaux outils, imagination de nouvelles applications, etc. Bref, la redécouverte que depuis que l'homme s'est saisi d'un caillou pour en faire un marteau, il interagit avec la technique pour aller vers de nouvelles inventions. Sauf, comme disait Marcuse dans l'homme unidimensionnel, s'il est totalement soumis à la technique, dominé par elle et dans l'incapacité de toute interaction. Surgit dans ce cas l'homme dissocié replongé dans la caverne de Platon. 

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On pourrait transposer le constat à la différence entre la capacité à faire (maîtrise de la duplication) et la compétence (capacité à comprendre ce que l'on fait, à le mettre à oeuvre, à le corriger éventuellement, à le faire évoluer). Bref toute la différence entre être dominé par la technique ou la dominer. A ceux qui seraient surpris par ce langage guerrier, soulignons qu'il n'est pas le fruit du hasard : c'est bien d'un combat qu'il s'agit. Et comme nous voici armés par la réflexion, on peut se mettre en route vers le futur. 

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08/08/2014

Venice, California

Le sable est plus blanc qu'au Lido, la mer est moins verte, les cabanes des Baywatchers n'ont pas d'équivalents, et on a jamais vu de carabinieris soulever des monceaux de sable avec leurs voitures vertes, alors que les police cars zigzaguent entre les plagistes toutes sirènes hurlantes. Bref, Venice c'est pas Venise. 

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Ici, la couleur est plus présente. L'Espagne aussi, sur cette côte Ouest où les noms sont plus souvent hispaniques qu'américains, à moins qu'américain puisse se traduire par : de toute origine, ce qui paraît effectivement être le cas. 

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Aux Etats-Unis, comme on le sait, tout est possible. Il n'est donc pas étonnant, dans la ville des anges, de courir "on air", à défaut de marcher sur l'eau. 

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L.A ville des anges et du rêve, comme celui de cette mère et sa fille qui attendent le sunset pour compléter le book de la lolita qui a déjà cessé de jouer au modèle pour entrer dans le business. 

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Qui sait si dans quelques années la même sera encore sur cette plage pour faire d'autres photos, elle sera alors pleinement entrée dans la carrière. 

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Le principal, c'est d'être vu. Pas de risque, il y a toujours un regard, des yeux, une caméra. Cinéma pour tous. 

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Pourtant, pas si difficile que ça d'échapper au lieu et de ne pas être tributaire de son environnement. Juste une question de feeling. 

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09/11/2013

Selon où se porte le regard...

Si vous regardez devant vous, les cases colorées saturent l'espace. Vous ne verrez rien d'autre que ces maisons aux couleurs vives qui attirent les photographes comme le bas clergé la vérole (le haut clergé est précautionneux).

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Si vous tournez la tête sur le côté, vous verrez encore ces façades éclatantes, censées guider les pêcheurs par jour de brume, à moins que ce ne soit pas jour embrumé.

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Mais si vous regardez derrière vous, vous découvrirez la lagune touchant le ciel et vous pourrez vous demander lequel réfléchit l'autre.Gris et bleus composent une même étendue immobile, immuable, silencieuse, comme un grand monochrome.

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Il faut marcher encore un peu pour découvrir que la couleur peut se mêler aux gris, surgissement inattendu pour rappeler que l'art de la synthèse est celui de marier les contraires, un des meilleurs moyens de faire surgir la beauté.

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08/11/2013

Un ange passe

Lorsque la lumière décline peu à peu, que le vert d'eau de la lagune se confond avec les suaves nuages qui enveloppent le ciel, que les passants passent sans que leurs pas ne marquent le temps, que les canaux font silence au défilé des barques, dans ce temps retrouvé d'on ne sait quand, un ange passe.

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Un proverbe québecois dit que lorsqu'on rêve d'un ange, on voit ses ailes. Au détour d'un pont, les anges modernes de la réclame, messagers de la 4G, valident la proposition.

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Mais il en va des anges comme des hommes, innombrables et tous différents. Laissons à leur commerce ces anges modernes et retournons aux anges anciens, messagers de l'amour et de la révélation.

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Diable, que voilà un langage direct, décidément, à qui se fier. A Melville peut être : "Si tu gouvernes le requin en toi, tu seras un ange ; car les anges ce n'est rien de plus que des requins bien gouvernés". Amis anges et requins, bonne fin de semaine.

07/11/2013

Semblable, dissemblable

C'est une évidence qu'il est parfois nécessaire de rappeler : tous semblables, tous dissemblables. Ce n'est pas parce que tous les individus se ressemblent qu'il faut oublier leur singularité. Des ressemblances de façade peuvent masquer des différences profondes. 

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Ce n'est pas parce que les organisations patronales et syndicales poursuivent, globalement, les mêmes objectifs, qu'elles ont les mêmes positions. Ce qui donne parfois des configurations particulières dans les négociations ou des organisations qui ne siègent pas du même côté de la table vont se retrouver, pour des raisons certes différentes, à défendre les mêmes positions. C'est aujourd'hui la configuration de la négociation sur la formation professionnelle puisque aucune des deux parties n'a de position commune.

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Et si au final on aboutit à un accord, que certains nommeront consensus et d'autre compromis, il ne faudra pas en conclure qu'il y a uniformité, comme au Palais Grassi, recouvert de tapis en toutes ses parties.

Pour mieux comprendre ce qui rassemble et divise les participants à la négociation notamment sur la question du financement de la formation, une chronique réalisée pour l'AEF portant sur les enjeux de la mutualisation.

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06/11/2013

L'eau, le feu

Connaissez-vous, Perdita, demanda soudain Stelio, connaissez-vous au monde un autre lieu qui, autant que Venise, possède, à certaines heures, la vertu de stimuler l’énergie de la vie humaine par l’exaltation de tous les désirs jusqu’à la fièvre ? Connaissez-vous une plus redoutable tentatrice?

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Celle qu’il appelait Perdita, le visage penché comme pour se recueillir, ne fit aucune réponse ; mais elle sentit passer dans tous ses nerfs l’indéfinissable frisson que lui donnait la voix de son jeune ami, quand cette voix devenait révélatrice d’une âme véhémente et passionnée vers qui elle était attirée par un amour et une terreur sans limites.

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— La paix, l’oubli ! Est-ce que vous les retrouvez là-bas, au fond de votre canal désert, lorsque vous rentrez épuisée et brûlante pour avoir respiré l’haleine des foules qu’un de vos gestes rend frénétiques ? Moi, lorsque je vogue sur cette eau morte, je sens ma vie se multiplier avec une rapidité vertigineuse ; et, à certaines heures, il me semble que mes pensées s’enflamment comme à l’approche du délire.

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— La force et la flamme sont en vous, Stelio ! — dit la Foscarina, presque humblement, sans relever les yeux.

Gabriele d'Annunzio - Le Feu - 1900

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05/11/2013

Comme d'habitude

Pendant que les anciens annoncent avec gravité que le monde est en train de sombrer, la jeunesse consulte sa messagerie pour vérifier si les copains sont au rendez-vous. Rien de nouveau sous le soleil depuis quelques siècles, il faudrait en informer Finkielkrault. Ah, pas le temps, je crois que j'ai un SMS.

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04/11/2013

Encyclopédique

C'est le visage de cire  d'André Breton qui vous accueille à l'entrée du Pavillon central de la Biennale de Venise placée cette année sous le thème du Palais Encyclopédique. Les yeux fermés car pour Breton le rêve, l'onirisme, constituent des chemins d'accès à la connaissance que ne fréquente guère la conscience.

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Ce qui frappe dans les oeuvres présentées lors de la biennale, c'est l'omniprésence de trois thèmes : l'accumulation, l'enfermement et l'éros. L'accumulation car le savoir, la connaissance est un empilement, une profusion, une curiosité incessante qui avait conduit Cendrars à regretter qu'une vie entière de lecture ne suffirait pas à épuiser la plus grande des bibliothèques.

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Mais cette accumulation débridée de savoir peut finir par perdre son sens, à saturer l'espace et à provoquer l'étouffement par l'encombrement, tout comme le cancer conduit à la mort par excès de vie et prolifération des cellules. 

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C'est pourquoi le souci de classer, d'ordonner, de hiérarchiser, de compiler méthodiquement le savoir a toujours existé. Ce souci d'ordonnancement est d'ailleurs le propre de l'Encyclopédie qui permet de remettre de manière intelligible la connaissance à disposition. Mais en choisissant une manière de structurer le savoir, on l'enferme dans un cadre d'analyse, on le réduit à un projet particulier, on l'oriente idéologiquement et finalement on enferme également l'individu dans ce quadrillage de la connaissance.

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C'est ici qu'intervient l'éros, car l'éros c'est la vie comme le proclamait Marcel Duchamp, alias Rrose Sélavy. Il n'aura échappé à personne, depuis Adam et Eve, que la soif de connaissance est une curiosité qui relève de l'érotique et que la pulsion de vie ne saurait se réduire aux pulsions sexuelles. Qui en doute pourra consulter longuement les innombrables cahiers du bien nommé Othake qui associent photos, couleurs, passions, érotisme, politique, science, arts, passé, présent et tout ceci à la manière d'un enfant coloriant les livres comme il peint le monde aux couleurs nouvelles de sa singularité.

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Au sortir de ce tourbillon d'images, de créations, de collections, de déferlements anarchiques, on peut se demander comment sortir de ce dilemme : l'appétit sans limite de tout et la folie qui inévitablement en résultera. Une solution possible est de s'en remettre aux muses qui allègeront l'envie, satisferont l'éros et éloigneront les prisons. Comme il se doit, celles qui se présentent pour ce faire sont japonaises.

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27/06/2012

Vision globale

Les juges de la Cour d'appel avaient pourtant pris soin d'argumenter sur chacun des documents fournis par la salariée et sur chacune des contestations des décisions prises par l'employeur. Un travail analytique méthodique, pas à pas, de fourmi besogneuse et consciencieuse. Et cette analyse rigoureuse les a conduit à considérer qu'aucun des éléments fournis par la salariée ne permettait de caractériser un harcèlement moral. Déboutée donc. A tort selon la Cour de cassation qui invalide la méthode et le jugement. Un harcèlement global ne doit pas s'apprécier en évaluant la valeur probante de chaque pièce fournie par le demandeur mais par une analyse globale prenant en compte de manière simultanée l'ensemble des éléments produits. Exit l'approche analytique, vive l'art de la synthèse. Foin des loupes pour la vision rapprochée détaillée, vive la vision panoramique.

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La Cour de Cassation, dans sa décision du 6 juin 2012 énonce que les juges doivent considérer si l'ensemble des pièces fournies par un salarié, pris dans leur globalité, ne font pas présumer un harcèlement, en conséquence de quoi l'employeur doit prouver la légitimité des décisions qu'il a prises et que son comportement est étranger à tout harcèlement. C'est donc l'employeur qui doit s'expliquer pas à pas et non le salarié.

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Ce n'est pas la première fois que la Cour suprême considère que la charge de la preuve pèse sur les deux parties mais pas de manière idtentique. Au salarié de fournir suffisamment d'éléments pour que l'on puisse présumer un comportement fautif et à l'employeur de s'expliquer sur ce comportement.

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Ce rappel n'aurait pas du être nécessaire pour les juges du fond qui auraient pu se souvenir que l'opération juridique de base, la qualification des faits, suppose d'avoir une approche globale d'une situation pour déterminer s'il est possible ou non de la faire entrer dans une des catégories prévues par le droit. Que la méthode juridique constitue une sorte de mise en boîte de la réalité et que cette opération se réalise par une vision globale est un des charmes de la matière, pour qui a le goût des paradoxes.

07/11/2011

Du temps au travail (2)

La vidéo est installée dans une petite pièce du  Palazzo Grassi. Si vous prenez le film en route, vous voyez des mouettes, des jeunes gens, des maisons blanches, le ciel gris très lumineux, le soleil blanc, du grillage, des sourires, des mouettes encore, une cour dans laquelle des jeunes hommes jouent au ballon, et puis des mouettes. La vidéo présente des images successives du lieu, de la scène. Passé le temps de la découverte des images,  on s'aperçoit que toutes les photos assemblées dans la vidéo ont été prises à la même seconde. Plusieurs milliers d'images d'une même scène, une partie de football interrompue par un des joueurs qui donne à manger à une mouette, vue sous des angles différents composent la vidéo de 37 minutes.

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On ne peut qu'être fasciné par ces vues qui adoptent le point de vue des enfants, des adultes, des mouettes, du ciel, du terrain, des maisons ou même des murs, chacun ayant à cette seconde une existence totalement réelle, incarnée, éclatante, qui démontre l'intensité de ce qui peut advenir en une seconde. Là est le vertige de l'oeuvre : s'il y a tant de choses à voir, à découvrir, à apprécier dans une seconde, comment vivre sans être en permanence aux aguets, tels des chercheurs d'or du temps en ayant pleine conscience qu'il faudrait photographier des milliers de fois chaque seconde pour en avoir la quintessence.

Et il nous faut plus de trente minutes pour découvrir la beauté de cette scène capturée en un instant.

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La vidéo de David Claerbout nous emporte au coeur du temps qu'il étire à l'infini en le disséquant. Si nous prenions le temps, peut être pourrions nous identifier dans tout situation, à chaque moment, des moments qui ne passent pas et qui nous marquent profondément.

Est-il possible de vivre en permanence avec autant d'intensité ? à vous de voir, ou plutôt de faire, faute de passer  à côté des belles secondes, comme celles que l'on peut partager avec Rimbaud :

Elle est retrouvée ! - Quoi ? - L'Eternité. C'est la mer Allée avec le soleil

Ou encore

Des humains suffrages, des communs élans, là tu te dégages et voles selon.

06/11/2011

Du temps au travail (1)

En cette période où les jours fériés viennent briser le rythme du temps reproductible que le passage à l’heure d’hiver avait déjà malmené, les repères temporels s’estompent dans les brumes d’un automne attentif à demeurer une saison de transition. Les chroniques de la semaine seront donc consacrées au temps, qui est tellement lové au cœur du travail que toute réponse sur votre rapport au temps vous apprendra autant sur votre rapport au travail.

 Prenons comme point de départ le Lion d’Or de la biennale de Venise attribué à Christian Marclay pour son film « The Clock ». Composé de plus de 3000 extraits de films, The Clock dure 24 heures égrénées minute par minute. Vous pouvez régler votre montre sur toutes celles qui défilent dans le film ainsi que les horloges, réveils, minuteurs, pendules qui tous marquent une minute différente…d’un jour fait de 1440 minutes.


Ce film ne raconte pas d’histoire, il enchaîne des séquences où les regards se portent sur l’heure, dans l’attente le plus souvent d’un évènement qui serait sur le point d’advenir et dont le surgissement a été programmé par le calcul, le hasard, la manipulation ou le destin. Le spectateur est tenu dans la main du réalisateur et ne peut s’arracher à cette fuite en avant dans laquelle chaque minute est une histoire à l’intérieur de l’histoire faite de toutes les minutes de la journée.

Qui s’installe devant le film devient la victime volontaire du piège de l’attente de la minute d’après. Savoir qu’elle aboutira à  la minute suivante avant que son énigme ne soit résolue ne décourage personne. Nul ne veut descendre de la grande roue du temps qui jamais n’aura tourné de manière aussi visible.

Il n’est pas exclu que le temps restitué par Marclay soit celui de l’enfance, celui où chaque seconde est vécue comme un temps autonome et long. Ceux qui ont su préserver ce temps, même sous couvert de sérieux comme Joyce dans Ulysse par exemple, auront un rapport au temps mêlant le jeu, l’exigence, la curiosité, le désir et l’envie. On leur souhaite d'avoir le même rapport au travail.

NB : Il est conseillé de visionner la vidéo à 12h04

03/11/2011

Du collectif et de l'individuel

Le plus souvent, les expositions d'arts plastiques ressemblent à des assemblages un peu patchworks : les oeuvres que l'on a pu rassembler sont présentées suivant leur chronologie, parfois leurs thématiques. Au final, plusieurs dizaines d'oeuvres font une exposition. Au Palazzo Fortuny, à Venise, se tient une exposition intitulée TRA, comme à travers, et sous-titrée Edge of becoming, soit quelque chose comme "Au bord du commencement" ou "A la lisière du devenir". Dans le décor baroque du palais qu'habita Mariano Fortuny et qui abrite encore certaines de ses oeuvres, sont installées les créations de près de 300 artistes, comme dans un cabinet de curiosités.

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L'exposition s'étend sur quatre niveaux, chaque entrée dans une pièce procurant un sentiment de dépaysement nouveau, dans une grande familiarité qui vous conduit à penser : "C'est ici, et ainsi, qu'il faut vivre". Les portes sont très présentes et  vous ouvrent plutôt qu'elles ne s'ouvrent.

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Mais le plus étonnant, le plus rare, est la manière dont toutes les oeuvres rassemblées se subliment les unes les autres sans que leur singularité ne s'en trouve diminuée. L'exposition est une oeuvre dans son ensemble, dont chaque partie est une oeuvre magnifiée. Ainsi cette robe aux plumes de paon éclaire l'atelier de Fortuny tout en étant mise en valeur par les peintures murales qui l'entourent.

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L'exposition TRA fournit à qui en douterait, la preuve définitive que le collectif et l'individuel ne s'opposent pas, bien au contraire. D'une manière stupéfiante, l'on peut constater que des oeuvres d'une très grande diversité, depuis un torse de bouddha en passant par de l'art minimaliste ou conceptuel, des peintures religieuses du grand siècle ou des expérimentations visuelles et sensorielles contemporaines, peuvent non seulement dialoguer mais produire une oeuvre plus grande encore tout en prenant chacune une nouvelle dimension. Comme quoi l'individuel et le collectif peuvent être chacun au service de l'autre pour le profit de tous et notre plus grand plaisir. Et l'on se dit que l'on enverrait bien quelques dirigeants et managers faire un tour chez Fortuny, qui sait, peut être que l'esprit des lieux...

23/11/2009

Champs magnétiques

En physique, le champ magnétique est  une force caractérisée par une intensité et une direction. Cette force magnétique peut être observée à l'occasion de l'exposition "Titien, Tintoret, Véronèse : rivalités à Venise", présentée au Louvre jusqu'au 4 janvier 2010. Elle est à l'oeuvre dans les regards de quatre personnages qui traduisent avec une intensité stupéfiante leur destinée. Les tableaux sont de Véronèse. Le premier représente La Comtesse Livia da Porto Thiene et sa fille Porzia.

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Véronèse - La comtesse Livia da Porto - 1551
Le regard de la mère est tourné vers l'extérieur. Elle même est extérieure à la scène. Elle n'habite pas les vêtements qu'elle porte. Elle s'évade et s'échappe du théâtre social de la représentation. Sa vraie vie est ailleurs, son rôle est d'être Comtesse. La petite fille n'a pas encore atteint ce point de dissociation. Elle aime la vie et le jeu. Poser demeure un amusement. Elle regarde le peintre. Elle n'exprime pas totalement sa joie car elle perçoit le trouble de sa mère. Pour autant, l'attrait de la nouveauté et de l'expérience l'emporte.

Face à ce tableau, se trouve celui du Comte Da  Porto et de son fils.
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Véronèse - Iseppo Da Porto et son fils adriano - 1551
Ici, les regards sont inversés. Les champs magnétiques s'exercent en sens contraire. Le père est sûr et fier de son statut. Il l'affirme par son regard direct vers le peintre. Il  est établi et parfaitement installé dans sa situation qu'il domine et maîtrise. Le fils lui et encore à l'âge où le statut ne pèse guère. Il regarde ailleurs, et aspire au jeu en dehors des conventions. Le temps viendra où il prendra la place de son père, mais pour l'instant, la liberté l'occupe et elle se passe en dehors du théâtre social qui l'attend.
Pour les hommes et les femmes, les champs magnétiques sont ici les champs maléfiques de la destinée à laquelle on ne saurait échapper. Mais heureusement, tout ceci se passe en 1551 et n'a plus de rapport avec notre époque qui laisse à chacun le soin de créer son propre chant magnifique, de construire son alléchante destinée. Pas vrai ?

19/10/2009

L'air du temps

La biennale de Venise offre un panorama international de l'art contemporain. Le lieu est splendide : les pavillons des jardins de Venise ou les ateliers de l'Arsenal constituent un cadre unique. Tous les continents sont représentés parmi les artistes. Hélas pourrait-on dire car les productions se ressemblent (trop) souvent. La sempiternelle dénonciation de tous les méfaits de notre société (consommation, violence, sexualité ramenée à la pornographie, inquisition, massification,....) conduit à un grand système dépressif dont toute joie est absente. Le pavillon français, représenté par Claude Levêque (sic) est emblématique : un univers caréral composé de cages qui enferment le visiteur et ouvrent sur des espaces sombres dans lesquels un drapeau noir isolé claque au vent. Le titre "Le grand soir" laisse à penser que ce dernier ne viendra guère où qu'il y a beaucoup de chaînes à briser pour que sa simple possibilité puisse s'établir.

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Claude Levêque - Le grand soir (partie) - Photo jp willems

L'atmosphère n'est pas différente, et l'on pourrait porter crédit de ce témoignage aux artistes si l'on ne jugeait un peu court ce seul apport, de celle que l'on peut trouver dans le monde de l'entreprise : licenciements, chômage, restructurations, suicides, souffrance au travail, stress, individualisme, cynisme, etc. Dans cet univers noir pourtant, des couleurs apparaissent. Si l'on veut bien porter son regard sur la foule des visiteurs, et non sur les oeuvres, on s'aperçoit qu'elle est plutôt joyeuse, qu'elle joue avec les oeuvres, qu'elle les réinvente en les photographiant, en posant autour, en s'amusant avec lorsqu'il est possible de toucher. Là où les artistes n'ont guère mis de sourire et de jeu, les visiteurs en apportent. Dès lors, Venise peut prendre d'autres couleurs.
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Nikola Uzunovski - My sunshine - photo jp willems

L'invitation étant faite de porter son regard au-delà, il est possible de découvrir, après être sorti de la biennale, que la ville dispose de couleurs mystérieuses et volatiles qui jouent au creux de l'eau.
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Instants colorés vénitiens - Photo jp willems

Au début du siècle, après avoir connu la première guerre mondiale, les artistes recherchaient des modes d'expression nouveaux ouvrant sur le rêve, la poésie, l'onirisme, les capacités inconnues, les correspondances magnétiques, le hasard objectif. Manifestement, empêtrés dans leur nombril et la dénonciation grave et parfois lourdement pédagogique, les artistes de ce début de siècle manquent à la fois de légèreté, d'Umour à la Jarry et de vision à partager. Croire que seul le grave est sérieux est non seulement mortifère mais une erreur. Comme le dit Pierre Peuchmaurd  à propos de Cioran : "Il ne suffit pas d'être un ronchon insomniaque pour avoir raison. Celui qui s'endort dans les fleurs n'a pas tort non plus".  Aucun rapport avec les ressources humaines ? cherchez bien, nous ne sommes que lundi.