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30/01/2013

Corseté

Le responsable de la gestion des compétences est enthousiaste, et cela fait plaisir à voir. Il me présente le résultat de plus d'un an de travail. Des fiches dans lesquelles, pour tous les métiers d'opérateurs, les activités, les process, les principales difficultés, les solutions à apporter, sont recensés. Un véritable guide de tous les modes opératoires du système de production. Si jamais je n'étais pas convaincu, il en rajoute un peu : "Vous vous rendez compte, pour tous les opérateurs, il y a là les manières de faire, les bonnes pratiques, les standards, tout est formalisé et à la disposition de tous. Tout le monde va s'en trouver sécurisé et on va réduire le stress". Je me force à acquieser, mais la conviction n'y est pas, un petit quelque chose qui me chiffonne, quoi ? un sentiment d'enfermement et de contrainte, comme du corsetage.

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Frida Kahlo - La colonne brisée - 1944

Un peu plus tard, je retrouverai, par hasard bien sur, ce texte :

"Le gestionnaire assume la tâche de compiler toutes les connaissances et le savoir-faire traditionnel, lesquels, dans le passé, appartenaient aux travailleurs ; de classer, d'indexer et de réduire ces connaissances à un ensemble de règles, de lois et de formules qui constitueront un apport immense pour les travailleurs dans l'exécution quotidienne de leur tâche". Ces mots ne sont pas ceux d'un manager, d'un ingénieur qualité ou d'un  développeur des compétences. Mais de quelqu'un qui fut le précurseur de tout cela, Frederick W. Taylor qui l'écrivit en 1911, soit il y a un siècle. Réduire la compétence à des modes opératoires normalisés, le rêve de tout ingénieur de production, c'est à la fois sécuriser l'opérateur, car il dispose d'une référence explicite pour agir, et le déposséder de sa compétence et de son métier. Tout comme le corset sécurise la colonne brisée et entrave le moindre de vos gestes et en vous maintenant en vie, vous fait souffrir. Voilà sans doute ce qui m'empêche toujours de partager l'enthousiasme de mon interlocuteur de bonne volonté.

29/01/2013

PERSONNEL ET CONFIDENTIEL

Ceci est un message personnel et confidentiel. Toute personne autre que sa destinataire qui en prendrait connaissance ne pourrait en faire aucun usage, d'aucune sorte et en aucune manière. Toute transgression fera l'objet d'une information immédiate de la CNIL qui, dans son approximative et arbitraire conception du droit, ne manquera pas de déclencher toutes sortes de menaces imprécises et éventuelles, espérant ainsi créer chez le fautif un sentiment de terreur que l'on désignait autrefois sous le nom de culpabilité. Si la crainte de ces sanctions n'était pas suffisante, et si vous persistez malgré tout à vouloir prendre connaissance de ce message PERSONNEL ET CONFIDENTIEL, alors vous vous exposeriez au pire : découvrir qu'il ne vous est pas destiné.

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En souvenir de Cervantes

d'Alfonse XIII et de tous les autres

les nombreux autres

En souvenir de l'avenir

 A la Gitane, à la Flamande

Feliz Cumpleano

Libertad, comida y s--o


podcast

17/01/2013

L'amour du métier (II), et un peu de pédagogie aussi

Pour cette seconde chronique consacrée à l'amour du métier, il est toujours question d'Alain Garrigue et d'Alechinsky, mais je laisse la parole au premier :

"Je songe un instant à cet atelier des Beaux Arts en 1984 où Alechinsky regarde mes premiers barbouillages, tous les mercredis après-midi. Je ne perds pas un mot de ce qu’il me dit. Je me fous des profs comme de l’an 10, mais là je suis très ému de parler avec quelqu’un dont la vie de travail et de création ancre en moi un très fort sentiment de respect et de motivation. Cher Pierre Alechinsky, je me souviens d’un jour précis, d’un matin, où je suis dans mon atelier voisin du vôtre, certainement présent de si bonne heure après avoir passé une nuit blanche à traîner dans Paris, et où je me mets alors à tendre mon kraft contre mon mur. Je n’ai plus de craie pastel noire pour tracer mon dessin. Je regarde autour. Je pique un horrible vieux pinceau déplumé à mon pote Thierry, et je commence à dessiner, du coup, quasiment avec le manche que je trempe dans l’encre de chine, en raclant le papier. Soudain j’entends une voix derrière moi : « Jeune homme ! … Je vous écoute peindre plutôt que je ne vous regarde !!!… » Je me retourne : Alechinsky !... En pardingue mastic, mains aux poches, le sourcil froncé."

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«  Montrez- moi votre outil !… » Il était venu dès l’ouverture de l’Ecole et, faute d’élève dans son atelier, avait passé la petite porte de communication entre nos deux ateliers, et était tombé sur un crétin qui s’évertuait à dessiner avec un manche de bois. Surpris, je lui tends la saloperie dont Thierry se servait pour mélanger ses pots de Ripolin. Je le revois encore prendre une feuille et commencer à dessiner, avec un pinceau bien plus approprié, des courbes, des arabesques, quelques pleins et déliés, des petits personnages têtus, en m’expliquant bien patiemment l’importance de chaque trait, la puissance de chaque intention, l’adéquation entre l’outil et le geste, la liberté que donne la maîtrise de son pinceau… lorsque pinceau il y a,bien sur !!!… En temps normal je l’aurais écouté révérencieusement, mais à ce moment, en regardant dessiner un des artistes que, du haut de mes 21 ans, j’admirais le plus, je me rends compte d’une chose, d’une seule et unique chose : il m’emmerde !…

Je l’écoute parler ! Je suis tout ouïe ! De plus, je suis complètement d’accord avec la moindre de ses paroles. Je suis presque ému jusqu’aux larmes de constater que ce type qui ne passait pas pour un tendre avec tous les potaches des Beaux Arts, me parle si gentiment, si patiemment, et qui dans le même temps… m’emmerde !…

Picasso venant corriger un de mes dessins, Matisse, Uccello, Michel-Ange soudain m’emmerderaient tout autant !…Je suis en train de peindre ! Voilà ce qui me traverse soudain la tête ! Oui Mesdames ! Je suis en train de peindre et je  ne supporte pas que l’on me dérange !!!… Voilà ce que je dois à ce mec-là. Ce que je ne pourrais jamais lui dire. Avoir cristallisé ce matin-là en moi cette évidence : je préfère peindre plus que tout au monde !…Je l’ai vérifié ce jour-là, cher Pierre Alechinsky, …et je ne vous saurais jamais assez gré du plus grand des conseils que puisse donner un artiste à un autre : PEINS !!! »

10/01/2013

Expérimentateur expérimenté

Il était question, cette semaine, de Simone de Beauvoir. Ecoutons la encore, en 1970, dans la Cérémonie des adieux : "Le prestige de la vieillesse a beaucoup diminué du fait que la notion d’expérience est discréditée. La société technocratique d’aujourd’hui n’estime pas qu’avec les années le savoir s’accumule, mais qu’il se périme. L’âge entraîne une disqualification. Ce sont les valeurs liées à la jeunesse qui sont appréciées.". Plus de 40 ans après, on ne peut pas dire que le constat ait vieilli, bien au contraire. L'expérience se périme encore plus vite qu'au début des années 70 et pourtant elle est nécessaire. Nécessaire ? oui, mais en la maintenant vivante. Comme l'ont fait les surréalistes.

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Georges Hugnet - La vie amoureuse des spumiphères

On aurait du mal à faire la liste des expérimentations que l'on doit aux surréalistes (les vrais et pas le pantin que l'on voit sur les affiches du métro et que Beaubourg a la mauvaise idée d'exposer, j'ai nommé le pathétique Dali), dans tous les domaines : écriture automatique, collages, frottages, fumages, rayogrammes, décalcomanies, etc. Les expériences étaient souvent collectives, elles nourrissaient les individus, et elles appellaient sans cesse de nouvelles expérimentations. Car l'expérience dont parle Simone de Beauvoir, c'est celle dans laquelle on reste figé. Mais l'expérience renouvelée, l'expérience qui ouvre sur de nouvelles expérimentations, l'expérience sur laquelle on s'appuie sans en rester prisonnier, c'est tout l'inverse de la vieillesse. Vous souhaitez acquérir de l'expérience ? ne vous contentez pas d'être expérimenté, restez  expérimentateur !

06/01/2013

Affinités électives

Des couleurs et de la lumière, telle est l'équation que les peintres doivent résoudre à chaque toile. Du dessin certes, de l'énergie à profusion, de la technique, des sujets aussi, mais surtout des couleurs et de la lumière. Et pour les couleurs, tout peintre sait qu'elles dépendent de celles qui les entourent. Sur une toile, la couleur ne s'exprime jamais seule, même les monochromes qui deviennent totalement dépendants du cadre et de l'environnement dans lesquels on les présente. Les grands peintres sont souvent en premier lieu de grands coloristes. L'exposition consacrée à Gauguin au Musée Thyssen-Bornemisza à Madrid est l'occasion de le constater.

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Gauguin - Mata Mua (il était une fois) - 1892

Ce qui est vrai pour la couleur, n'est pas être pas faux pour le vivant, à commencer par l'humain. Notre environnement, nos relations, nos amis, nos proches, contribuent à ce que nous sommes et devenons. Comme les couleurs alentours contribuent à éclairer ou assombrir la teinte qu'elles entourent, nos fréquentations nous colorent. Plutôt que de lire votre horoscope de l'année 2013, vous pouvez ainsi vous demander quelles couleurs vous donnent ceux que vous côtoyez, vous en saurez peut être davantage sur la manière dont se peint votre avenir.

31/12/2012

Avant de partir

Dernier jour de l'année. Comme en musique, une pause. Celle qui permet aux notes d'avant, et d'après, de s'assembler. Si en peinture une couleur n'est-elle même qu'en fonction des couleurs qui l'entourent, en musique les notes sonnent au sein des espaces de silence dans lesquels elles s'insèrent. Temps de pause donc, la tête sourit au corps qui goûte au repos des muscles et prend plaisir au relâchement. Retour de la pleine conscience, signe que bientôt, il faudra partir.

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Tu es plus belle que le ciel et la mer


Quand tu aimes il faut partir
Quitte ta femme quitte ton enfant
Quitte ton ami quitte ton amie
Quitte ton amante quitte ton amant
Quand tu aimes il faut partir

Le monde est plein de nègres et de négresses
Des femmes des hommes des hommes des femmes
Regarde les beaux magasins
Ce fiacre cet homme cette femme ce fiacre
Et toutes les belles marchandises

II y a l’air il y a le vent
Les montagnes l’eau le ciel la terre
Les enfants les animaux
Les plantes et le charbon de terre

Apprends à vendre à acheter à revendre
Donne prends donne prends

Quand tu aimes il faut savoir
Chanter courir manger boire
Siffler
Et apprendre à travailler

Quand tu aimes il faut partir
Ne larmoie pas en souriant
Ne te niche pas entre deux seins
Respire marche pars va-t’en

Je prends mon bain et je regarde
Je vois la bouche que je connais
La main la jambe l’œil
Je prends mon bain et je regarde

Le monde entier est toujours là
La vie pleine de choses surprenantes
Je sors de la pharmacie
Je descends juste de la bascule
Je pèse mes 80 kilos
Je t’aime

Blaise Cendrars, Feuilles de route, 1924

26/12/2012

Mejores no hay !

Le 26 décembre 1891, il y a 121 ans, naissait Henry Miller qui comme Picasso savait que le plus difficile est de retrouver l'instantanéité de l'enfant lorsque l'on peint.

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Henry Miller - Sans titre - 1944

En 1953, Miller traverse l'Espagne Franquiste avec un couple d'amis et la photographe Denise Bellon. Un livre récemment paru témoigne de ce voyage. Il porte le titre "Mejores, no hay !", autrement dit : "Y a pas mieux !". L'incroyable avec Miller, c'est qu'il n'y a jamais mieux que ce qu'il est en train de faire. Qu'il soit en Grèce, à Big Sur, à Paris, en Espagne ou dans les rues de New-York, qu'il soit à l'aise ou sans un sou, qu'il soit en train d'écrire, de peindre, de manger ou de lire dans les lieux d'aisance : "Y a pas mieux !". Miller aimait la vie, et la rue : "Les journaux peuvent bien mentir, les magazines affabuler et les politiciens truquer la réalité, la rue, elle, est hurlante de vérité.". Il est toujours temps d'aller vérifier.

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24/12/2012

JOYEUX NOEL !

Venu d'Afrique, présent au Brésil, trouvé ici dans les Caraïbes, Babalu-Aye a construit sa connaissance en parcourant le monde. Il se joint à moi pour vous souhaiter un joyeux Noël !

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12/12/2012

Merci à vous

Il arrive que mes clients me remercient pour mon travail. Pour une note technique, pour une idée nouvelle, pour une information précieuse, pour une analyse pertinente, pour une recherche aboutie, pour une solution pratique à un situation délicate. Il peut également arriver que le client ne remercie pas et s'en tienne à l'échange contractuel : le paiement vaut merci. Il peut se trouver également qu'il n'ait pas envie de remercier. Tout ceci est assez récurrent. Mais cette année aura été marquée par une particularité. Des remerciements, à plusieurs reprises, pour un motif qui en 25 ans n'avait jamais été formulé ainsi. Des remerciements pour avoir apporté de la sérénité.

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Shen Zou - Paysage de Chine

A plusieurs reprises, et à mon étonnement renouvelé, les remerciements n'ont pas porté sur le contenu de mon intervention, sur ce qu'elle a permis, mais sur la sérénité retrouvée qu'elle a pu susciter. Ce peut être exprimé de différentes manières : faire retomber la pression, rassurer, permettre la prise de recul, désangoisser, déstresser, calmer, remettre les choses à leur place, mais au final les mots qui reviennent le plus souvent c'est bien d'avoir apporté de la sérénité. La peur aurait elle gagné du terrain ? l'affolement serait-il si présent ? les situations, et les personnes, si vulnérables qu'elles se sentiraient fragilisées à la moindre difficulté ? je n'ai guère d'explications sur la raison de ces remerciements d'une nature nouvelle. Par contre, je sais que l'on ne donne jamais que ce que l'on a, d'une manière ou d'une autre, reçu. Merci à vous.

09/12/2012

Transmission versus acquisition

En 1907, Picasso a 26 ans, il a déjà peint un des tableaux les plus importants de l'art moderne et de toute sa production, qui sera encore longue. En 1862, Ingres a 82 ans, il peint  5 ans avant sa mort un chef d'oeuvre qui est une synthèse de tout son art et dont la modernité est époustouflante. Si les deux hommes s'étaient rencontrés, qui aurait été le tuteur de l'autre ? aucun bien évidemment, mais ils auraient échangé ou plus surement encore, ils se seraient montré leurs productions et auraient bu des coups ensemble. Peut être auraient-ils commentés cette phrase de Picasso : "A dix ans, je peignais comme Raphaël, mais cela m'a pris toute ma vie de dessiner comme un enfant".

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Picasso - Les demoiselles d'Avignon - 1907

Les partenaires sociaux ont signé le 19 octobre 2012 un accord sur les contrats de génération. Dans ce texte, est abordée la question de la transmission des compétences. La modernité est ici présente dans le refus de la figure traditionnelle de l'ancien qui initie le plus jeune. Le texte invite à mettre en place des actions organisant la transmission des compétences, qui concerne sans hiérarchie préétablie les deux acteurs principaux du dispositif. Encore mieux, le texte invite à créer des situations de travail qualifiantes, car c'est bien là que se situe la véritable question : plutôt que de transmission linéaire, il s'agit de créer les conditions de nouvelles acquisitions, le plus souvent partagées. Apprendre ensemble plutôt qu'apprendre de l'autre. Faciliter l'acquisition sans transmission, c'est sans doute la condition d'une véritable qualification de tous. Pour en savoir plus, vous pouvez lire ci-dessous la chronique écrite avec Jean-Marie Luttringer pour l'AEF qui commente plus en détail l'ANI du 19 octobre 2012. Mais n'oubliez pas auparavant de passer par le bain turc. Bon lundi à tous.

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Le Bain Turc - Ingres - 1862

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07/12/2012

L'énigme de la dernière toile

La neige déforme les paysages et le temps. Voici donc avec un peu d'avance la chronique de week-end, en réponse à l'invitation d'Esteban de commenter "Les comédiens", dernière toile de Hopper peinte un an avant sa mort. Pour autant, quelle lecture avoir de cette toile saturée de symboles : le blanc, le théâtre, le rideau de scène, les costumes, les gestes. L’explication traditionnelle, de la dernière toile d’Hopper, le dernier salut ou l’artiste tirant sa révérence, est un peu courte. L’essentiel de la scène est tout de même la présentation de la dame blanche qui s’est toujours effacée derrière l’artiste, alors que lui n’a cessé de la mettre au devant de la scène dans ses peintures.

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Hopper - Deux comédiens - 1966

L’énigme de cette dernière peinture est de trop ressembler à une dernière peinture, dans  cet univers fantomatique qu’est celui d’Hopper. Si, lors de la scène finale est venu le temps du dévoilement, alors peut être que ce sont de véritables fantômes qui nous sont présentés. Ceux qui viennent vous saluer en cette année 2012 ne sont plus là depuis longtemps. Et c’est en pensant à ce futur que n’habiteront pas ceux qui vont se retirer du monde qu’Hopper a peint sa toile. Pas de public en face de cette improbable scène au rideau de verdure. Ce n’est pas un adieu au monde et à la peinture, c’est au contraire l’affirmation de sa permanence, au-delà de l’artiste. Le rire est celui du clown blanc : tragique, parce que la fin est là, et farceur, parce que ce n’est vraiment pas une raison d’en faire tout un plat. Voici la pirouette finale d’un peintre qui ne manquait pas d’humour : « Hé oui, ces personnages rigides qui hantent mes toiles et semblent faire partie du décor étaient bien vivants. Comme vous qui avez parfois la même rigidité qu’eux. Et nous, qui ne sommes plus là, sommes toujours bien vivants, par votre regard, sur la toile. Nous nous présentons grimés mais c’est tout le tableau qui est ainsi grimé. Sous couvert de blanc, de transparence, de déploiements de symboles trop évidents, nous ne dévoilons que nos masques de sourire. Vous pensez que nous vous saluons, mais nos mains se répondent et ne saluent que nous-mêmes. »

Tout cela, au fond, n’est qu’une histoire de couple. L’artiste est heureux de la présence éternelle de la peinture et surtout de sa dame blanche. Alors on se dit que ce tableau, et peut être quelques autres, n’a pas été peint pour nous, mais pour elle.

19/11/2012

En avant, route !

Il y a deux ans, à 16h11,  tu surgissai tel un furet,  petit homme à qui l’on souhaita l’an dernier de voler selon. Dans ce vol au long cours lors de ta deuxième année, tu rencontras les mots. Quelle aventure ! les mots qui permettent tous les voyages, comme ceux que racontent les peintures d’Henry Miller.

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Henry Miller - Hawaiian Serenade

Tout bateau est un départ et le bateau de Miller voisine avec ceux de Staël autour de ton lit. Faire le tour des bateaux est le jeu du soir, pour choisir la destination de tes rêves.

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En cette deuxième année, ton doigt se leva tous les jours pour désigner objets, lieux, peintures, photos, personnes  et demander de les nommer : « Et ça ? ». Jeu de la quête des mots. Que la curiosité te fût donnée, c’est qu’une fée sur toi a du se pencher.

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Les mots, ces passants mystérieux de l’âme comme les appelait Victor Hugo, t’amusent. Restons en à l’amusement, on verra plus tard pourquoi lorsque les mots perdent leur sens, les gens perdent leur liberté (Confucius). Pour l’heure, que te souhaiter pour l’année qui vient ? De poursuivre le voyage des mots et tous les autres : En avant, route ! Bon anniversaire ioannes.DSCF9191.JPG

09/11/2012

Un parcours à étapes

Certes rien ne presse, vous avez jusqu'au 17 mars, mais ne manquez surtout pas l'exposition consacrée à Van Gogh et Hiroshige à la Pinacothèque. Les peintures de Van Gogh sont, comme toujours, flamboyantes et inspirées, mais en l'occurence elles constituent une excellente mise en bouche avant d'admirer les estampes d'Hiroshige. Peintre du voyage, Hiroshige a notamment peint les 50 étapes du parcours qui relie Tokyo (Edo à l'époque) à Kyoto. Le parcours comme un carnet de voyage, une carte routière, une oeuvre d'art, un temps de contemplation où le chemin est plus important que l'arrivée. Car un voyage a une unité, sa vérité propre, inscrite dans le temps de sa réalisation. Et celui qui parvient au terme du voyage n'est jamais exactement celui qui fit le premier pas.

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Dans les estampes d'Hiroshige, chaque étape ne prend sens qu'en ce qu'elle est un moment du parcours. Et c'est en embrassant l'ensemble de la marche que l'on peut prendre conscience des transformations que le cheminement opère sur le marcheur.

Si les partenaires sociaux et les pouvoirs publics souhaitent que les parcours professionnels, et leur sécurisation, ne restent pas que des mots, alors il devient urgent de donner au parcours une réalité tangible, d'en reconnaître l'unité et de ne pas se contenter d'en gérer les étapes. C'est dans son ensemble que le parcours doit pouvoir être appréhendé, géré, financé, accompagné. Tel est le sens de la chronique réalisée avec Jean-Marie Luttringer pour l'AEF qui invite les partenaires sociaux à franchir le Rubicon à l'occasion des négociations en cours sur la sécurisation de l'emploi. Parce que là, il y a urgence.

À LA RECHERCHE DU PARCOURS.pdf

06/11/2012

Des experts

En peinture, il y a l'expert par la culture. Il a vu tous les tableaux, il connaît tous les styles, il a étudié tous les détails, il a lu les peintres, il s'est penché pendant des heures sur les traces laissées par les pinceaux. Par cette masse phénomènale d'observation, de réflexion, de travail, il est capable de produire une expertise. En peinture il y a aussi l'expert scientifique. Il scanne, il lasérise, il radiographie, il nettoie, il soulève les poussières et retrouve la lumière originale, il traque les repentis, il analyse les pigments, il fait parler les toiles et les chassis. La science est son arme de détection massive de l'histoire du tableau et de sa facture. Par sa technique, il est capable de produire une expertise. En peinture il y a également l'expert par goût. Il n'est pas inculte, la technique l'intéresse, mais ce n'est pas ce qui lui permet d'aller directement au coeur de la toile pour en percer infailliblement les mystères. L'expert de goût est celui dont le savoir est le moins explicite et le plus sûr.

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Expert de goût s'essayant à la technique

Lorsque le comité d'entreprise rémunère un expert avec son budget de fonctionnement, il peut librement désigner cet expert. Tout le monde peut ainsi être expert. Lorsque le Gouvernement désigne un expert, il le choisit également librement. Et voici que se multiplient les experts. Louis Gallois était donc expert pour traiter de la compétitivité des entreprises. Au final, il rend un rapport qu'aurait pu écrire le FMI, mais il est vrai que l'institution ne comprend que des experts. On peut aussi constater qu'un homme qui a dirigé de grandes entreprises à fait un rapport sur l'entreprise et que les dirigeants d'entreprise ont exprimé leur satisfaction sur ce rapport. Tous experts !

Rapport-Gallois-PACTE-POUR-LA-COMPETITIVITE-DE-L’INDUSTRI...

27/10/2012

PUB !

Les vacances de la Toussaint sont originellement les "vacances patates", celles que l'on prenait pour ramasser les pommes de terre. Mais savez-vous que la pomme de terre fut ramenée des Andes, où elle était cultivée par les Incas, et introduite en Europe comme un légume exotique qui suscita de prime abord la méfiance. Assimilée aux herbes des sorcières, la pomme de terre fut réhabilitée par Parmentier à qui elle avait sauvé la vie pendant sa captivité en Prusse.

Mais pourquoi s'étendre sur les patates ? ne peut-on s'étendre sur matière plus agréable, comme les participants à ce goûteux déjeuner sur l'herbe ?

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Ju Duoqi - Le musée du légume - 20

Si ce blog fait une place aux cucurbitacées, c'est pour célébrer la sortie du dernier livre d'Hélène Mugnier "Quand la nature inspire les peintres". Hélène Mugnier a consacré un précédent ouvrage à l'Art et le Management. Elle anime des formations manageriales dans lesquelles elle fait travailler les participants à partir d'oeuvres d'art. Et elle vous offre à présent un superbe travail sur la représentation de la nature et de ses fruits par les peintres à travers les siècles.  Vous cherchez déjà un cadeau pour Noêl ? vous voulez faire plaisir à un gourmand gourmet ? vous souhaitez mieux connaître la jacinthe, l'oeillet, l'asperge, le peuplier ou encore la figue, la cerise, le chardon, le citron ou le mimosa ? plongez vous dans le magnifique ouvrage illustré de plus de 200 tableaux. Pour 35 euros vous ferez mieux qu'un repas, un festin. Et les toulousains (re)découvriront que la violette associe le bleu céleste et aérien (le bleu pastel de Toulouse) et le rouge terrestre et sanguin (celui de la terre argileuse, de la révolte et du vin). Et en plus, Hélène, elle est charmante. Vous hésitez encore ?

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13/10/2012

Enigme du week-end : le bacchus moderne

En ce week-end automnal, voici une scène printanière. Mais que  fait donc ce Bacchus sur son banc entouré de jeunes filles ? et quel est cet enfant qui se cache dans la vigne et que l'on distingue difficilement ? allons y voir de plus près.

La grande détrempe fait de la toile un palimpseste. Les couleurs des temps anciens ont été lavées, épongées, noyées sous les flots déversés sur la peinture. Leur trace colorée s'est effacée mais leur souvenir demeure qui habite les personnages tirés de ce naufrage. Que faire après le déluge ? quelle attitude adopter ? l'enfant, comme à l'accoutumée, ne se pose guère de questions. Déjà, il a bondi dans la vigne qui le soustrait au regard et à la scène. Curieux de tout, il poursuit l'observation et ce faisant persiste en son état d'embryon attentif. L'oeil est vif, le geste assuré, la prise ferme. Le rouge aux joues est amour de la vie et plaisir de la contempler.

Bacchus, après le déluge, embrasse les siècles et s'amuse de celui qui s'offre à lui. Aux temps modernes, le corps est souple et disponible. C'est appréciable et apprécié. Le temps qui défile brouille le regard du Dieu lascif : en toutes époques il y a place pour la lassitude. Eve lui est familière. Jeune fille aux jambes fermes et légères, elle offre la coupe divine que Bacchus boira. Le paradis est loin, le plaisir à saisir, le temps n'est plus un ennemi : il n'est pas question de résister à l'invitation qui va être lancée. Bacchus songe en apercevant Eve qu'il faudra bien un jour écrire un Traité de la cheville, consacré à l'art de poser le pied à terre. Plus efficace que la psychanalyse.

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Martial Raysse - Heureux rivages - 2007

Accourues des collines, voici les belles cavales. Succubes en devenir, comme les Dieux elles veulent du sang. Mais elles ne feront rien pour qu'il coule. Le défi qu'elles lancent à la scène se suffit : elles n'interviendront pas, mais leur présence dit le scandale que constitue le véritable plaisir d'abandon en ce siècle. Mais d'ailleurs ces jeunes filles  sont-elles vraiment présentes ? êtes-vous certain que vos démons sont réels ? elles connaissent la puissance des jeunes filles en fleurs, matinées ici de feu et de fer, et l'affichent en toute crudité.

Bacchus est un Dieu que la modernité réduit au chômage. L'oisiveté et la solitude sont devenues des compagnes faciles. La troupe des pisseuses l'est un peu moins. Bacchus n'en a cure. Eve va bientôt lui tendre la coupe. Il boira le vin et s'établira dans la scène qui perdra peu à peu ses mauvaises spectatrices. Eve, la seule qui reste, aura droit au chapitre. Dans la vigne, un sourire éclaire le visage de l'enfant.

11/10/2012

Le monde à l'envers

Les pratiques d'évaluation mises en place par les entreprises n'ont pas toujours bonne presse chez les salariés et encore moins chez leurs représentants. Il n'est pas rare qu'une organisation syndicale appelle à ne pas participer activement aux entretiens annuels (ne pas s'exprimer, ne pas signer) voire carrément à les refuser. Il n'est pas non plus toujours bien vu que le manager demande régulièrement des comptes à ses équipes et suive de près leur activité : contrôle, flicage ou harcèlement sont rapidement dégainés. Plus largement, tout l'arsenal managerial déployé par l'entreprise souffre d'une suspicion de principe, d'une contestation des pratiques et au final d'un manque de crédibilité. Mais si l'on tourne son regard vers le juge et que l'on se demande comment il perçoit tout ceci, surprise : pour les tribunaux, l'évaluation et le fait d'être managé sont des droits du salarié. Le monde à l'envers.

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Georg Baselitz - The Gleaner - 1978

La Cour de cassation a souvent reproché à l'entreprise de n'avoir pas fait bénéficier le salarié d'un entretien annuel, ou de n'avoir pas tenu compte des propos du salarié ou de ses propres conclusions lors de cet entretien. Erigé en droit du salarié, l'entretien annuel devient dans les prétoires l'obligation pour l'entreprise d'avoir de la transparence sur l'appéciation qu'elle porte du travail du salarié, les attentes qu'elle manifeste à son endroit et la manière dont elle envisage l'avenir. Il en est de même pour toute activité manageriale : ne pas s'occuper d'un salarié et ne pas faire d'actes manageriaux  c'est ouvrir la porte de l'illicite placard dans lequel on voudrait faire entrer le salarié. Pour les juges, l'employeur ne peut renoncer à jouer son rôle d'employeur et le salarié peut revendiquer que cette fonction soit assumée. Le monde à l'envers c'est donc tout simplement pour le juge une remise à l'endroit.

07/10/2012

Ambivalence

Y aurait-il un art américain de l'ambivalence ? nous avions déjà eu l'occasion de relever l'ambiguïté d'un tableau de Burt Silvermann représentant une femme assise (voir ici). L'exposition consacrée à Edward Hooper au Grand Palais illustre de nouveau cette Amérique fascinante par ses contradictions et paradoxes. On peut, par exemple, prendre une autre femme assise de Hooper et entrer un peu dans le tableau. Comme souvent chez Hooper, les personnages lisent. Pied de nez à l'Europe littéraire et à cette Amérique réputée sans tradition ? désir d'évasion ? puissance de l'imagination dans un pays qui s'est auto-engendré ? il faudrait aller y voir de plus près, et notamment s'interroger sur ce que lisent ces figures solitaires. Ici, l'on sait par les notes d'Hooper qu'il s'agit d'un indicateur des chemins de fer.

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Edward Hooper - Chambre d'hôtel - 1934

Les valises au pied du mur, la chambre d'hôtel, tout nous signale le transitoire. Cette femme est de passage. Le dos voûté, le corps sans tonicité semblent souligner une fatigue que la nuit ne réparera pas. La consultation des horaires de chemin de fer, et surtout le fait de voyager avec un tel ouvrage, laisse penser que le voyage est une errance. Le tableau pourrait illustrer cette chanson des gardes suisses que Céline plaça en exergue du Voyage au bout de la nuit :

Notre vie est un voyage

Dans l'hiver et dans la nuit

Nous cherchons notre passage

Dans le ciel où rien ne luit

Hooper serait-il le peintre du désenchantement ? le contrepoint du rêve américain et le rappel à la réalité, souvent moins glorieuse que l'épopée des pionniers, des self-made men et de la terre de tous les possibles ? oui mais pas seulement. Car tout voyage est un nouveau départ, tout départ est une volonté, et la solitude est une manière de se rencontrer soi-même qui peut être un préalable à la rencontre d'autrui. Cette femme, manifestement, n'est pas une voyageuse, ses chaussures n'y résisteraient pas. Et pourtant elle a entrepris ce voyage, ses valises sont ordonnées, et elle s'apprête à choisir sa nouvelle destination. Derrière l'apparence de la désespérance, surgissent les marques d'une volonté. Les marques de notre ambivalence.

01/10/2012

Bisounours dans la vraie vie

La période estivale, et les vacances qui vont avec, sont propices à changer non seulement d'horizon mais également de milieu, de féquentations et d'habitudes. Autres lieux, autres temps, autres repères. Le retour dans l'environnement professionnel après une telle césure rend plus visible les petits travers du quotidien auxquels on finit par ne plus prêter attention lorsqu'on les côtoie trop fréquemment. Ainsi des tics de langage. J'ai donc réentendu depuis le début du mois des expressions que j'avais déjà oubliées : "T'en as dans le pipe (prononcez païpe) en ce moment ?", élégante manière de demander si en cette rentrée morose l'activité est régulièrement alimentée, ou encore "Je lui ai fait comprendre qu'on était pas chez les bisounours", censé rappeler que l'entreprise est invariablement une jungle dans laquelle tout bon sentiment constitue une tare irrémédiable. Et puis il y a l'inévitable : "Dans la vraie vie". Ah, la vraie vie brandie comme un argument ultime qui vous dénie le droit de vous inscrire en faux. D'abord parce que vous seriez inévitablement dans la "fausse vie" ou, plaisir de l'allitération, dans la "vie virtuelle",  et ensuite parce que l'expression "dans la vraie vie" est toujours suivie de l'exposition d'un exemple, d'une pratique ou d'une anecdote censé vous démontrer que "c'est comme cela que ça se passe et puis c'est tout". Dans ce cas, plutôt que de penser que le premier bisounours s'appellait droguer (avant de devenir Grognours) et qu'il portait une feuille de cannabis sur son petit ventre replet, je me souviens de la phrase de Picasso : "Tout ce que nous pouvons imaginer est réel".

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Picasso - Le rêve - 1932

Pour qui est un adepte de l'expression "Dans la vraie vie", la phrase de Picasso est sans doute incompréhensible ou fausse, ce qui revient au même. Pour qui ne l'utilise jamais, ne voyant pas très bien quelle vie ou partie de vie est plus "vraie" que d'autres, elle paraîtra plus évidente. D'autant plus évidente que, comme à son habitude, Picasso va directement à l'essentiel : à trop se placer "dans la vraie vie" on ne fait jamais que révéler son manque d'imagination.

Bisounours, la vraie vie, picasso, imagination, art, peinture, cannabis

13/08/2012

Victor Hugo (2)

N'imitez rien, ni personne.

Un lion qui copie un lion devient un singe

Victor Hugo

 

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Le lion amoureux - Jean Barral