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06/09/2014

Juste une histoire

Une chenille hilare et un rien hystérique, beuglant à pleins poumons un de ces tubes que toute oreille sensée n’aurait pas osé concevoir, ce qui confirme au passage que la raison et les affaires ont à peu près le même rapport que les groseilles et la mousse au chocolat,  la chenille ondulante donc composée d’un assemblage hétéroclite quoi que remarquablement homogène d’adultes consentants, passait pour la cinquante-huitième fois devant Antoine qui n’y prêtait plus aucune attention, préoccupé qu’il était des auréoles blanches qui venaient d’apparaître simultanément au niveau des aisselles, des plis ventraux et des biceps de sa chemise noire. Antoine aurait pu, s’il avait eu les quelques secondes nécessaires, se demander s’il fallait se résigner à ne plus taper dans les piles de « slim » et opter pour des formats plus amples lors des achats groupés de liquettes tous les trois ans, ou s’il était plus judicieux de reprendre cette hygiène de vie qui réduisait assez vite la masse graisseuse et permettait de gagner du temps avant que la transpiration n’imbibe le coton. S’il avait disposé de ces quelques secondes, et d’une poignée d’autres en bonus, il aurait également pu se persuader qu’il ne fallait jamais oublier d’enfiler  un maillot de corps, même avec une chemise noire. Mais toutes ces remarques judicieuses et totalement opérationnelles ne trouvèrent jamais le chemin des pensées d’Antoine, car un des anneaux de la chenille, monté sur talons de dix-huit mètres avec un chapeau sur la tête venait de lui éclater un tympan en lui hurlant sous les cheveux :

« Antoine avec nous, Antoine avec nous…. »

Dans un réflexe tellement animalier qu’il en tira quelque fierté lorsqu’il repensa plus tard à la scène, Antoine porta ses mains à ses oreilles ce qui évita au second tympan d’exploser comme une vulgaire centrale de Fukushima lorsque la chenille entière reprit :

« Antoine avec nous, Antoine avec nous… ».

Nous étions au mois de septembre, et Antoine en était à son cent soixante deuxième service en soirée depuis la nouvelle année, le quatrième consécutif cette semaine, et il n’avait qu’une idée en tête : est-ce que son pantalon tiendrait jusqu’à la fin de la semaine ou est-ce qu’il allait falloir en repasser un autre.

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Mais cette question là non plus ne serait pas tranchée ce soir puisqu’avant qu’elle soit totalement formulée par des synapses qui se faisaient un plan vintage et s’efforçaient de ressembler à du bubblegum mode yankee, à savoir de la pâte élastique malaxée par de puissantes et viriles machoîres totalement concentrées sur leur fonction destructrices, un éméché à la cravate oblique et au reste qui ne l’était pas moins, fonça sur lui et s’adressant à son nez, point le plus proche de la bouche carnivore qui dévorait les mots qu’elle tentait d’expulser de son gosier dans un paradoxe qu’Antoine n’eût guère le temps d’apprécier, lança comme on boit cul sec :

« Antoine, décoince ! viens avec nous,  faut jamais perdre une occasion de s’éclater… »

L’attention d’Antoine resta concentrée sur ce dernier mot : éclaté.

La bouche pleine de dents qu’Antoine pouvait maintenant détailler vociférait toujours :

« Antoine, tu fais un métier formidable, tu peux faire la fête avec tes clients, te prives pas, soit pas con Antoine… »

Antoine eût le flash soudain d’une petite main grassouillette s’emparant de la dernière part d’omelette norvégienne et prenant soin de racler au passage les restes de glace fondue et de chantilly qui maculaient les bords d’un plat qu’Antoine agrippa comme s’il s’agissait de la dernière bouée du Titanic, mais qui n’était plus banalement qu’un commode alibi pour filer en cuisine. Il serait bien temps ensuite de savoir comment en ressortir.

Juste une histoire. 

04/09/2014

Allez les bleues !

C'est un principe de base lorsque l'on veut faire du droit : ne jamais oublier que l'on ne fait du bon droit qu'avec des définitions précises. Si vous consultez le Littré pour avoir la définition du travail, vous constaterez qu'il est défini par un assujettissement. Notion que retient le droit du travail qui pose comme critère du travail non pas le travail lui même (au sens de réalisation d'une activité) mais la soumission à une autorité, en l'occurrence celle de l'employeur. On peut donc parfaitement travailler en ne faisant rien, ce que nombre de veilleurs de nuit éprouvent tous les jours, toutes les nuits plutôt, eux qui exercent un travail pénible. C'est sur cette base que la Chambre criminelle de la Cour de cassation vient de condamner une société de travail à domicile pour travail dissimulé parce qu'elle refusait de payer comme temps de travail le trajet des salariés entre deux clients (Cass. Soc., 2 septembre 2014, voir ci-dessous). La question se pose de la même manière, avec la même solution, pour des formateurs qui animeraient le matin chez un client et l'après-midi chez un autre (un prof de langues par exemple qui se déplace pour donner des cours individuels chez plusieurs clients). 

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Outil de travail du formateur entre deux clients,

plus connu sous l'appellation "une bleue"

Car si le Code du travail prévoit que le trajet entre le domicile et le lieu de travail habituel n'est pas du temps de travail effectif, il n'en va pas de même du trajet entre deux lieux de travail, que la Cour de cassation considère de longue date comme du temps de travail effectif. C'est cependant, à ma connaissance, la première fois qu'une entreprise est condamnée sur cette question au plan pénal, le refus de retenir la qualification de temps de travail aboutissant à la caractérisation du délit de travail dissimulé. Le prix à payer pour avoir oublié que l'on ne travaille pas lorsqu'on travaille effectivement mais lorsque l'on est sous l'autorité de l'employeur, ce qui est nécessairement le cas lorsqu'on prend sa "bleue" pour aller d'un client à l'autre. Allez les bleues !

Cass. Soc. Temps de trajet.pdf

12/12/2012

Merci à vous

Il arrive que mes clients me remercient pour mon travail. Pour une note technique, pour une idée nouvelle, pour une information précieuse, pour une analyse pertinente, pour une recherche aboutie, pour une solution pratique à un situation délicate. Il peut également arriver que le client ne remercie pas et s'en tienne à l'échange contractuel : le paiement vaut merci. Il peut se trouver également qu'il n'ait pas envie de remercier. Tout ceci est assez récurrent. Mais cette année aura été marquée par une particularité. Des remerciements, à plusieurs reprises, pour un motif qui en 25 ans n'avait jamais été formulé ainsi. Des remerciements pour avoir apporté de la sérénité.

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Shen Zou - Paysage de Chine

A plusieurs reprises, et à mon étonnement renouvelé, les remerciements n'ont pas porté sur le contenu de mon intervention, sur ce qu'elle a permis, mais sur la sérénité retrouvée qu'elle a pu susciter. Ce peut être exprimé de différentes manières : faire retomber la pression, rassurer, permettre la prise de recul, désangoisser, déstresser, calmer, remettre les choses à leur place, mais au final les mots qui reviennent le plus souvent c'est bien d'avoir apporté de la sérénité. La peur aurait elle gagné du terrain ? l'affolement serait-il si présent ? les situations, et les personnes, si vulnérables qu'elles se sentiraient fragilisées à la moindre difficulté ? je n'ai guère d'explications sur la raison de ces remerciements d'une nature nouvelle. Par contre, je sais que l'on ne donne jamais que ce que l'on a, d'une manière ou d'une autre, reçu. Merci à vous.

21/07/2008

Salariés clients ?

La commercialisation des rapports de travail ne pouvait ignorer la fonction RH. Le Graal serait désormais pour cette dernière de considérer le salarié comme un client à satisfaire. Ecoutons plutôt :

"Le marketing RH doit considérer les salariés - actuels, passés mais aussi futurs - comme les clients finaux d'une DRH qui doit leur 'vendre' des prestations (formations, employabilité, plan de rétention, possibilités d'investir dans l'entreprise via des plan d'actions salariés, etc)." D'où ces recommandations : "segmenter sa population RH; définir son offre RH; fixer le prix d'une prestation RH; diffuser son offre RH; séduire, faire acheter ... et le faire savoir!" (citations extraites de l'ouvrage "Enjeux et outils du marketing RH" écrit par Serge Panczuk, vice-président des RH de Edwards Lifesciences Europe, et Sébastien Point, professeur à l'IAE de Besançon, paru aux éditions d'Organisation).

En route vers la RH caféteria qui doit satisfaire sa clientèle ! 

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Olivier Morlat - Café parisien
 
Et si l'objectif était exactement inverse.  Non pas vendre un service mais rendre service. La notion de salarié client est porteuse de deux dérives majeures : la première est celle du client roi, qu'il ne faudrait que satisfaire en analysant ses désirs au risque de perdre de vue la finalité, la seconde est celle de la vente de services à tout prix par la RH (vous n'arrivez pas à persuader les salariés que la formation c'est bon pour eux et ils ne vous achètent rien ? on supprime la formation).
 
Peut être pourrait-on se demander à l'inverse comment rendre service aux salariés pour leur permettre d'exercer au mieux leurs activités. L'éclatement de l'entreprise en clients-fournisseurs internes n'est sans doute pas la voie la plus directe vers le développement d'une coopération efficace en vue d'atteindre les objectifs de l'organisation. Que cela n'empêche pas les DRH et RRH de faire quelques tours en salle pour connaître vraiment non par leurs clients mais leurs partenaires.