Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

04/10/2010

Quand le juge dérape

Soucieux sans doute de conforter la dernière chronique de ce blog (un peu de mégalonie le lundi matin est vite pardonné) qui mettait en évidence le peu de professionnalisme du juge sur les questions de formation, la Cour de cassation s'illustre dans un arrêt relatif au plan de formation. Dans un jugement daté du 12 septembre 2010, la Cour suprême pose en principe qu'un salarié inscrit au plan de formation subit un préjudice s'il ne peut finalement suivre l'action prévue. L'affaire était la suivante : une salariée est licenciée pour faute grave. Elle conteste son licenciement, obtient gain de cause et fait également juger que ce licenciement lui ouvre droit à des dommages intérêts supplémentaires pour n'avoir pu suivre deux formations prévues au plan de formation. La Cour d'appel et la Cour de cassation valident ce point. Si l'indemnisation servie est modeste, 300 euros, le principe pose question et constitue une sortie de route juridique des tribunaux.

Sortiederoute.jpg

Alain Garrigue - Sortie de route - 2008

Pourquoi l'arrêt est-il problématique ? parce que s'il accorde des dommages et intérêts à un salarié du fait qu'une formation inscrite au plan de formation n'est pas suivie, c'est qu'il assimile le plan de formation de l'entreprise à un engagement qui confère un droit au salarié. Or, telle n'est pas la nature du plan de formation. Le plan est certes une décision unilatérale comme l'engagement mais surtout il a, comme son nom l'indique, une dimension prévisionnelle : il s'agit d'une programmation et non d'une prescription définitive. Le plan n'est qu'indicatif, il fixe des objectifs et des moyens, mais il ne peut constituer un engagement. Si tel était le cas, il faudrait lui appliquer le régime juridique des engagements unilatéraux et exiger qu'il soit dénoncé après consultation des représentants du personnel et information individuelle des salariés concernés. Par ailleurs, les engagements, comme les usages, n'ont de sens que dans une dimension collective : or le plan de formation comporte à la fois des formations collectives et individuelles. En juridicisant à ce point le plan de formation, le juge conforte les réticences des employeurs qui ne diffusent pas de plan nominatif de peur de créer du droit : voilà un argument supplémentaire pour perpétuer cette pratique de la non-transparence. Si la volonté du juge était de montrer que la formation a une valeur et que la perte d'une possibilité de se former cause un préjudice au salarié, sans doute existait-il de meilleure voie que celle de transformer en un outil juridique rigidifié ce qui devrait rester une pratique de gestion non créatrice de droit. Que le droit ait réponse à tout ne signifie pas qu'il doive se mêler de tout.

24/09/2010

Citation du jour

Ma maison ce n'est pas les murs,

Ce n'est pas le toit,

Ce n'est pas le sol,

C'est le vide entre les choses parce que c'est là que j'habite

DSCF5471.JPG

Xiao-Min FENG - Sans titre - 2008

09/09/2010

Cycle permanent

Ce n'est pas de l'éternel retour de Nietszche dont il est question, mais du cycle de la performance. J'ai beau feuilleter les bonnes revues de management, et faire l'effort d'y inclure celles de langue anglaise, point de repos dans les cycles de performance. Ah les beaux schémas de consultant qui conduisent inévitablement au succès :

performance cycle3.jpg

La performance selon l'Université de Berkeley

Ayant quelques réflexes sportifs, j'ai toujours conçu la performance comme des cycles comportant nécessairement des hauts et des bas, dans lesquels les phases d'entrainement sont valorisées par les phases de repos sans lesquelles ils ne produisent que de l'épuisement et donc amoindrissent la performance. J'ai remarqué que les managers sportifs étaient fort usités dans les conférences pour managers (Constantini, l'inévitable Herrero, Jacquet qui eut son temps, Bernard Laporte passé de mode ou Villepreux indémodable). Et j'ai remarqué également qu'aucune (?) entreprise n'en tire la conséquence qu'il faut prévoir des performances non linéaires et des temps de récupération pour optimiser le résultat. Mais voici que l'on me souffle une possible explication : l'homme est avec le cochon le seul animal à faire l'amour en toute saison. Peut être est-ce pour cela que le cycle de la performance n'intègre pas le repos. Mais chut, on pourrait croire que le rapport au travail a un lien avec la libido. Vite une image pieuse avant de dormir. Raté ! La tentation de Saint-Antoine aussi est permanente.

felicien_rops_tentation_saint_antoine.jpg

Félicien Rops - La tentation de Saint-Antoine

07/09/2010

Force tranquille

Basquiat encore. Dans le cadre de l'exposition à Bale est présenté un film où l'on voit Basquiat peindre. Surprise : les gestes ne sont pas frénétiques, le bras est sûr, la main n'hésite pas, elle prend son temps. Les mouvements les plus rapides sont exécutés lentement, dans une apparente décontraction, avec la facilité de celui qui n'a pas besoin du plan de ville pour trouver son chemin. Comme Picasso, Basquiat ne cherche pas, il trouve, à son rythme. Tout ceci avait lieu au début des années 80 à New-York. On ne peut s'empêcher de penser qu'au même moment la force tranquille en France était incarnée par Mitterrand dans un paysage de terroir, de clocher, de province, de notable et d'enracinement un peu étriqué. Mais cela avait rassuré, c'était fait pour. Près de trente ans plus tard, avec Sarkozy, rien n'a changé : la seule forme de modernité dans la référence est que le paysage ressemble à un  fonds d'écran windows. C'est peu.

mittsark.gif

Pourtant, la véritable force tranquille, elle n'est pas dans ces paysages datés et passéistes. Elle s'incarne dans un mouvement multiculturel, polyphonique et polyglotte. Elle s'incarne dans New-York. Comme disait Michel Serres, contrairement à ce qu'ils pensent, nos gouvernants ont toujours un temps de retard sur le peuple.

NewYork2jpg.jpg

06/09/2010

De la créativité

La Fondation Beyeler, à Bale, proposait jusqu'au 5 septembre une rétrospective consacrée à Jean-Michel Basquiat, mort en 1987 à 28 ans, dont le premier article qui lui fut consacré dans une revue d'art s'intitulait : "L'enfant radieux". En quelques années, Basquiat a produit plus d'un millier de toiles et un nombre plus important encore de dessins, collages ou graffitis. Dans chacune de ses oeuvres, la quantité d'énergie est inouïe. C'est ce qui frappe au premier abord. Et puis on peut entrer dans le détail. Des couleurs, des mots qui structurent les toiles, des figures, des supports, des techniques. Et l'on s'aperçoit que Basquiat peint à la fois l'Afrique, les caraïbes, la culture occidentale, l'Asie émergente (on est en 1981), les hispanos, les latinos, les negros et les WASP. Il associe la BD, le graffiti, le cinéma, la peinture, la publicité, la politique, le sport, les intellectuels de la vieille europe, la pensée à l'état sauvage. Prodigieuse synthèse d'un jeune homme au doux sourire qui dessine les mains en regardant sa main.

skull-basquait-1981.jpg

Basquiat - Skull - 1981


Les historiens le rappellent souvent : pour qu'une époque ou un territoire soit dynamique, il est nécessaire que les foyers d'innovation soient multiples, que les échanges entre eux soient intenses et que ces lieux soient ouverts aux apports extérieurs. Multiplicité, vitesse, curiosité, a priori favorable pour l'étranger, souci de transformation permanente, production continue. Quelques règles de base de l'innovation auxquelles nous continuons, sous prétexte du TGV, de l'Airbus et des centrales nucléaires, et en prenant soin d'oublier le France, le Concorde, le Rafale ou le char Leclerc, de préférer le modèle élitiste cenralisé et descendant. Basquiat, il était plutôt ascendant.

NB: L'exposition Basquiat sera présentée à Paris à partir du 20 octobre.

18/08/2010

Transmission

Antiochus se meurt d'amour pour sa marâtre Stratonice. Le médecin a compris la nature du mal qui l'habite. Stratonice également qu'Ingres présente avec une modernité stupéfiante, dans une pose que Picasso, entre autres, étudiera longuement. Au milieu d'une pièce encombrée d'histoire et d'un lourd passé figuré par les colonnes, les statues ou encore les peintures, elle rayonne telle une apparition qui tranche avec la romantique et un peu mièvre scène de la maladie d'Antochius. Elle sait déjà que son mari, Seleucus, l'offrira à son fils pour qu'il guérisse et que perdure la dynastie. C'est moins l'amour qui triomphe que le poids de l'histoire et du destin. Dans cette pesante et pénible histoire d'hommes, Ingres, par la représentation de Stratonice, nous fait comprendre en un instant pourquoi la compagnie des femmes doit systématiquement être préférée aux communautés masculines.

Antiochus_and_Stratonice.jpg
Ingres - Antiochus et Stratonice - 1840
L'histoire de Seleucus pourrait être rappelée aux dirigeants qui n'ont de cesse de n'être oublié après leur départ : voici un souverain qui s'efface au profit de son successeur et qui fait prévaloir la dynastie sur son bonheur. Plutôt que de consacrer beaucoup de temps à être un dirigeant inoubliable, quitte d'ailleurs à pratiquer la politique de la terre brûlée pour aviver les regrets, peut être conviendrait-il d'en consacrer un peu à organiser la suite.

16/08/2010

Tout va bien !

En ce jour qui, pour beaucoup, est jour de rentrée, pluie de bonnes nouvelles qui permettent de l'affirmer sans modération : TOUT VA BIEN ! vous en doutez ? heureusement que les vacances, propices au scepticisme, sont terminées et que tout va rentrer dans l'ordre. Jugez-en : Christine Lagarde l'a annoncé, la croissance a repris et l'emploi aussi.

DSC00220.JPG
Après le fiasco du football, il y eut l'embellie de l'athlétisme mais mieux encore le triomphe de nos nageurs, dont vous remarquerez qu'ils sont bien blancs : ils ne prennent pas de vacances eux, ils travaillent.
DSC00304.JPG

Et toujours plus de performance, en moins de quinze jours les expulsions, disons les mises à la rue ou à la route, sont en avance sur les quotas ministériels.

DSCF0041.JPG

Et en plus il fait un grand soleil partout en France et le week-end du 15 août a été un des plus beaux depuis longtemps. Décidément, TOUT VA BIEN. A moins que ce ne soit le sourire de ma blonde qui me fasse voir la vie en rose.

miro001.jpg
Joan Miro - Le sourire de ma blonde - 1924

13/08/2010

Fin du travail

Elle a été annoncée par Jérémy Rifkin, qui ne pensait pas pour autant à la généralisation du chômage. Mais cette chronique n'ayant aucune ambition macro-économique, il s'agit simplement de se demander quand un travail est-il terminé. Comment s'y prend le peintre pour savoir que le tableau est achevé et qu'il ne faut plus que la brosse dépose encore de la peinture sur les couleurs qu'il a unies. Dans le documentaire qu'il a consacré à Picasso, Clouzot lui pose cette question et l'on peut voir le peintre modifier voire repeindre des chefs d'oeuvre jusqu'à parvenir à une oeuvre qu'il considère comme "finie" (Clouzot "Le mystère Picasso", disponible en DVD). Mais Picasso n'apporte pas vraiment de réponse. On comprend que le tableau est fini lorsqu'il "tient", lorsque son équilibre apparaît, ou lorsqu'il est conforme au projet initial du peintre, si tant est qu'il y en eût un. Pourquoi Julieth Mars Toussaint a-t-il suspendu son travail après avoir écrit sur le tableau "mauvais jour pour la peinture" ?

JuliethMars001.jpg
Julieth Mars Toussaint - Sans titre - 2009
Pour nombre de métiers, et notamment ceux des ressources humaines, le travail pourrait être considéré comme jamais fini tant il y a à faire. Mais dire cela est se réduire à une approche quantitative. Pour savoir quand un travail est fini, il est nécessaire d'avoir une esthétique du travail qui permette de pouvoir le considérer en un état d'équilibre satisfaisant. Sinon on pourrait s'arracher les cheveux devant le puit sans fond du volume à traiter. Ainsi je décide que cette chronique est finie.

04/08/2010

Connaissance plurielle

Dans le palais de Sintra, le premier tableau qui accueille le visiteur est une toile de Joseph Ribera, commencée en 1630 (année de la création de Don Juan par Tirso de Molina) et achevée en 1633 (procès et condamnation de Galilée :"e per, si muove"). Intitulée Le philosophe, elle nous présente un homme plutôt jeune, la sagesse n'est donc pas le produit de l'âge, qui certes maîtrise d'une main le temps qu'il a très certainement dompté en bon philosophe, mais surtout nous présente un document empli de figures géométriques. Que le philosophe s'intéresse à la géométrie et aux mathématiques on le sait depuis l'antiquité mais on a ici la preuve que la pluridisciplinarité pouvait s'afficher. Etre savant  c'est être pluriel : la véritable connaissance n'est ni disciplinaire, ni disciplinée.

DSCF3631.JPG
Joseph Ribera - Le philosophe -1630-1633
Les résidents du Palace national de Sintra, en l'occurence les différents rois du Portugal, étaient eux aussi pluriels si l'on s'en tient à la diversité des influences, maures notamment, dans l'architecture et la décoration du palais. Mais ce pluriel s'exprimait également au niveau des plaisirs et notamment ceux de la table puisque le palais était doté d'une luxueuse cuisine dont les deux immenses cheminées surplombent toujours le Palais, telles deux jarres emplies de riches boissons et nourritures.
DSCF3989.JPG
Les cheminées des cuisines du Palais
Et pour être bien persuadé que tous les plaisirs étaient à la fête, il suffit de détailler la superbe tapisserie qui orne le bureau du roi. Quelle époque de feu !
DSCF3627.JPG

07/07/2010

Manger

Il est souvent question d'appétence pour la formation ou d'appétit de formation. Autrement dit de désir dont le rapport à la nourriture est souvent une traduction manifeste. Mais la formation elle-même est-elle susceptible de susciter le désir ? de donner de l'appétit ? sur ce champ nourricier, osons une analogie. Il est des formations qui livrent des recettes et d'autres qui apprennent à cuisiner. Les premières sont souvent très appréciées et ont des résultats immédiats mais une péremption rapide. Les secondes sont plus frustrantes sur l'instant mais à effets durables. Détails.

Poussin_Bacchus_Peinture.jpg
Nicolas Poussin - La nourriture de Bacchus
La formation recette est celle qui apprend à sélectionner les ingrédients, livre les secrets de la préparation, fournit les temps de cuisson, donne les variantes possibles et enseigne la reproduction. Elle séduit par l'immédiateté de son résultat. Elle est montrable et valorise celui qui apprend. Toutefois, à la troisième invitation, le convive peut se lasser et le cuisinier aussi. Il faut d'autres recettes. La formation, à terme, créé donc la dépendance et non l'autonomie. Vite, que le cuisinier me montre autre chose.
La formation qui apprend la cuisine prend son temps. Elle parle des mets : légumes, condiments, viandes, poissons, coquillages, agrumes, arômes, piments, épices, herbes...Elle parle des méthodes : cuissons, macérations, émulsions, saisies, marinades...Elle parle de mélanges : assortiments, goûts, saveurs, correspondances, oppositions, mariages. Elle vous livre les conditions de la production, vous ouvre les voies et chemins, vous outille pour l'aventure mais ne vous tient pas la main et refuse de vous inviter à reproduire. Elle a, comme le cuisinier, l'exigence de la création. Le goût de l'autonomie et de la liberté. Elle ne garantit pas la satisfaction immédiate de l'invité mais créé les conditions de la surprise.
Mais foin d'oppositions : pour libérer tous les désirs, la formation prendra soin d'apprendre la cuisine tout en suggérant quelques recettes. Bon appétit !

09/06/2010

Silence et parole verbale

Je me souviens que l'on donnait à l'Université, l'exemple des questions posées au concours d'entrée à l'ENA : "Combien pèse une traverse de chemin de fer ?". Et que l'on attendait du candidat non pas qu'il donne un poids, mais qu'il produise un raisonnement démontrant qu'il était capable de répondre de manière ordonnée, logique, cohérente et avec culture, à n'importe quelle question. Le raisonnement pouvait porter sur la nature de la poutrelle, sur le nombre d'hommes nécessaires pour la porter, sur la longueur raisonnable d'une unité de voie de chemin de fer, tout cela importait peu, l'important était de répondre. S'il est bien une chose que le jury ne supporte pas d'entendre, c'est le silence. Conseillons aux jurys des grandes écoles de contempler les toiles d'Olivier Debré qui, lui, sait peindre le silence.

Olivier Debré Sans titre.jpg
Olivier Debré - Sans titre

Si les grandes écoles vivaient dans le mythe de l'encyclopédisme et de l'homme pluridisciplinaire qui associe des connaissances multiples pour produire du nouveau, on applaudirait. Mais il ne s'agit que de la vérification de la capacité à produire un discours sur tout sujet, une réthorique qui diffusel l'illusion qu'il est possible d'avoir un avis sur tout chose, que la nécessité d'avoir réfléchi à une question n'est rien au regard de la capacité à en dire quelque chose. Nos sondeurs reproduisent le paradigme en considérant que tout avis se vaut et s'additionne quel que soit le degré de maturation de la question posée. Remercions ici ceux qui déclinent de répondre à des questions auxquelles ils n'ont pas réfléchi, qui refusent de colporter du prêt à penser (ah cet ouvrage sur l'art contemporain feuilleté récemment qui se propose de vous initier à l'art avec des rubriques du style : ce que l'on peut voir, ce que l'on peut en penser, ce que l'on peut en dire...) et qui osent le "je ne sais pas" sans culpabilité et avec naturel. Comme l'on dit dans le Sud-Ouest, la compétence passe parfois par moins de parole verbale et un peu plus de silence.

02/06/2010

Refusez les audioguides !

Leur succès est, hélas, grandissant. Prothèses de portables, les audioguides permettent aux humains de conserver collée à leur oreille une voix rassurante. Voilà ce qu'il faut voir, comprendre, penser d'un tableau. Mais l'audioguide est éducatif nous dira-t-on. Il permet de mieux comprendre l'oeuvre, d'identifier ses détails, de faire le lien avec la volonté de l'artiste. Belle supercherie d'ailleurs que la formule "Ce qu'a voulu dire l'artiste" ": ce qu'il a voulu dire il l'a exprimé sous la forme de l'oeuvre. Le reste appartient à chacun de nous. L'audioguide est une prothèse donc mais qui créé le handicap plus qu'elle ne le répare. Il est impossible d'écouter et de voir, d'être enseigné et de penser. Vous êtes devant une oeuvre ? vous avez cinq sens, faites leur confiance et à vous aussi.

HansMakart1872-1879Toucher,Entendre,Voir,Sentir,Goûter.jpg
Hans Makart - Les cinq sens : Toucher, Entendre, Voir, Sentir, Goûter - 1772-1779

Vous pouvez approcher l'oeuvre par trois chemins, tous sens au vent : le premier est le chemin corporel. Celui de la sensation, de l'émotion, du frisson, ou pas, de ce que votre corps vous renvoie de ce que vous voyez. Le second chemin est intellectuel. Il vous conduit à donner du sens à l'oeuvre, à la lier à l'artiste et à l'époque, à lui faire raconter son histoire. Bien sur ce second chemin nécessite de la connaissance. Mais il n'est pire moment que lorsque vous êtes devant l'oeuvre pour l'acquérir. Elle vous fait défaut ? vous lirez le catalogue plus tard si cela vous intéresse vraiment. Le troisième chemin est fantasmatique. L'oeuvre vous fait rêver, elle vous ouvre des portes, elle dévoile, elle vous emporte et vous cheminez avec elle vers le quatrième chemin qui n'est autre que vous même. Conservateurs de musées, commissaires d'expositions, supprimez les audioguides ! Ami(e) lecteur(trice), tu es un être singulier, ne renonce pas à l'être corporellement, intellectuellement et fantasmatiquement.

27/05/2010

Quand le DIF balance

La balance est ambivalente. Etre une balance n'est guère flatteur. Pourtant la balançoire est légère et le mouvement de balancier plutôt doux. La balance opère la pesée, la juste mesure. Mais balancer c'est aussi ne pas savoir choisir, s'arrêter au milieu du gué au risque de n'aller nulle part sinon à sa perte. Si comme Barbara j'me balance on concluera que j'men balance. Que nous dit la femme portant balance de Johannes Vermeer ? son regard est doux et bienveillant. Devant elle des perles et de l'or. Mais dans la balance rien. Derrière elle le jugement dernier. Pesée des âmes ? ou peser de l'âme à venir qui gonfle le ventre de la dame ? comme tous les tableaux de Vermeer, le raffinement le dispute au mystère et l'on balance devant le sens à donner au tableau.

Vermeer, Woman Holding a Balance 1662.jpg
Johannes Vermeer - Femme portant balance - 1662

Devant le DIF les partenaires sociaux balancent : faut-il en faire un droit de créance, opposable aux OPCA avant de l'être aux entreprises dans le cadre d'un futur compte épargne, ou bien faut-il l'ancrer dans la négociation et en faire un support de la modification des relations individuelles de travail ? le choix à ce jour n'est pas fait. Avant de plus longs développements sur ce sujet qui feront l'objet d'une chronique pour l'AEF, un avant goût avec l'interview réalisée par Valérie Grasset-Morel pour Débat Formation, la revue de l'AFPA.

Interview-RevueAFPA.pdf

28/04/2010

Vérité du choix

Je n'ai jamais su recruter. Cela ne fait heureusement pas partie de mes activités, sauf pour les candidats à des Masters dans les métiers des ressources humaines. Pour ces derniers, j'oriente l'entretien autour d'un axe essentiel : quels sont les moments où l'individu à eu à faire des choix, comment s'y est-il pris pour décider et comment a-t-il justifié son choix ?  traduction de l'idée qu'une des manières d'approcher la vérité d'une personne n'est ni de la réduire à des schémas psychologiques préétablis (comme le fait l'énéagramme par exemple), ni de traquer ses moindres goûts et comportements pour le définir exhaustivement (questionnaire aux 400 propositions à cocher en moins d'une heure pour que le candidat n'ait pas le loisir de réfléchir), ni de procéder à une psychanalyse plus ou moins masquée (test de Rorschach) et encore moins de procéder à des enquêtes auprès des anciens employeurs ou professeurs pour les étudiants, comme si l'ex était le mieux placé pour parler du sujet ! En réalité, le choix des tests nous en apprend davantage sur le recruteur que sur le recruté. Pourquoi privilégier les choix ? parce qu'il est des moments où toutes les questions se résolvent en une seule : faire ou ne pas faire, prendre le chemin de droite ou celui de gauche, dire oui ou non, accepter ou refuser, etc. L'idée également que quelques moments clés sont plus signifiants que mille situations qui peuvent ne l'être pas. Tout ne fait pas sens chez l'humain. Et pour terminer l'entretien, deux questions complémentaires : dans quel tableau vivriez-vous  (qui devient parfois quelle image ou quel film si le tableau n'est pas dans l'univers du candidat) ? et face à quelle tableau, vivez-vous ?

La tempete.jpg
Giorgione - La tempête - 1510

Le Bain Turc d'Ingres était une réponse tentante à la première question. Mais j'attendrai d'avoir l'âge du peintre lorsqu'il le commis pour faire cette réponse. La tempête s'impose. Découverte pour la première fois à Venise en 1985, elle relève du collage, tant les personnages sont absents l'un à l'autre, elle se refuse aux interprétations, elle vibre d'un érotisme que l'orage exacerbe, elle s'inscrit dans un paysage atemporel et elle ouvre la porte à mille possibles. S'établir dans un tel tableau, c'est la promesse d'avoir trois vies : corporelle, tant le panthéisme est incarné, esthétique par l'ordonnancement du hasard, Giorgione aimait l'improvisation,  et fantasmatique tant par la sensualité que par le fantastique qui se dégage de la scène.
2004(07) Affirmation caniculaire (40x40,130x130,33x24,5).jpg
Alain Garrigue - Affirmation Caniculaire - 2004

Pour la seconde question, il suffit de lever la tête au-dessus de l'ordinateur sur lequel est écrit cette chronique pour s'immerger dans l'affirmation caniculaire. La première découverte du tableau m'avait à la fois fascinée et rebutée : la saturation de la toile racontait trop d'histoires à la fois, trop de choses à dire, trop plein, lits et barreaux carcéraux, scène fermée et au final une sourde angoisse et une représentation de la vie d'une grande dureté. Mais je n'ai jamais oublié ce tableau, pour finir par l'acquérir récemment. Et aujourd'hui il m'offre une scène de théâtre, un je qui n'est qu'un jeu, un décor sans angoisse, un clou qui tient bon et une patte immémoriale qui poursuit sa marche en avant.
Au terme de cette chronique, deux conclusions : la première est qu'il est heureux que mon activité de consultant me convienne car avec de tels arguments ma recherche d'emploi serait sans doute délicate, la seconde est que je ne sais vraiment pas recruter. Mais au fait, vous vivriez dans quel tableau (image) ? et vous vivez en face de quel tableau (image) ?

26/03/2010

Jardins à la française

Le représentant de l'Etat a l'image qui porte : "Notre intention ce n'est pas le jardin à la française dans sa version caricaturale où tout est au carré et identique. Regardez bien les jardins de Versailles, de grandes allées pour voir et comprendre, et des bosquets qui sont tous différents. Il peut y avoir organisation d'ensemble et diversité dans le détail". Ainsi présenté, l'affaire est séduisante : des principes structurants, les allées, et des différences qui s'épanouissent dans les bosquets. Les jardins à la française ne m'ont jamais séduit mais peut être étais-je bloqué sur leur caricature. Allons y voir donc.

jardin-a-la-francaise.jpg
Jardins de Versailles

Hum ! les dessins sont différents mais la taille est sévère, homogène et l'on sent le plan d'ensemble décliné jusque dans les moindres détails. La diversité est présente certes, mais là où on a souhaité qu'elle se trouve et dans le cadre d'une harmonie générale préétablie. Nous restons dans le schéma conception-exécution et la rupture avec l'Etat Jacobin (tout le jardin est organisé par rapport à son centre), rationaliste (chaque forme se déduit de la précédente) et unilatéral (tout est décidé et il n'est pas une arbre qui ne pousse à l'imprévu) ne paraît pas évidente. Passons notre chemin pour d'autres jardins plus attractifs. Et en premier lieu, bien évidemment, le jardin des délices.
Jardindesdélices.jpg
Hyeronymus Bosch - Le jardin des Délices

Olà ! quel foutoir ! le bazar absolu et pas que des choses très catholiques. Etes-vous certains que l'on peut laisser autant de liberté ? plutôt que de répondre à la place des joyeux occupants du jardin, posez leur la question. Et ce Hyeronymus, drôle de nom ça ? et oui, encore un européen. Vous voulez un jardin français ? alors oubliez Versailles et promenez vous chez Fragonard, vous comprendrez pourquoi il vaut mieux prendre le risque du chemin encombré, de l'arbre qui a poussé où bon lui semble, des feuilles qui masquent la vue et ménagent la surprise ou encore du foisonnement mystérieux de la végétation.
080812_fragonard-La surprise.jpg
Jean-Honoré Fragonard - La surprise

Entre l'appollonien et le dyonisien, l'ordre a priori et la liberté, la composition ordonnée et l'imprévisible improvisation, le prescrit et le spontané, la sécurité et le risque, la vie me paraît être dans les seconds plutôt que les premiers. Sans doute n'est-on pas obligé d'être aussi tranché, binaire et dans l'opposition de ces notions. Bien sur. Mais il est toujours un moment où il faut choisir. Vous ne me rencontrerez pas dans les jardins de Versailles. Et vous, si vous étiez un jardin ?

03/03/2010

Nuages

DSC05271.JPG

Le ciel est sauvage,
La clef du  ciel est aveugle,
Les baisers cherchent le secret de la vie...

Francis Picabia

04/02/2010

Mobilité

Un peu de matière posée sur une toile. Des lignes de couleurs qui s'entrecroisent. Des tâches, des superpositions, des coulées, des traces, l'empreinte d'une brosse large ou fine, du relief, du grattage, la toile nue, la toile recouverte, deux, dix, quinze vingt couches, l'invisible sous le visible. Au final, le mouvement du peintre, la résonnance de la peinture, l'harmonie des couleurs, l'équilibre de l'ensemble. La peinture abstraite brouille nos repères et critères. Qu'est-ce qui distingue le chef d'oeuvre de la croûte ? Pourquoi cet assemblage ci nous paraît-il miraculeux et fait vibrer nos sens alors que tel autre n'est au mieux qu'une louable initiative personnelle qui ne créé aucun écho au-delà de son créateur ? Pourquoi l'essentiel d'un côté et le purement formel de l'autre ? Trop simple de renvoyer au goût personnel, tous les goûts ne se valent pas et le relativisme, ici comme ailleurs, trouve sa limite. Il y a bien une hiérarchie des valeurs.

De kooning.jpg
Willem De Kooning

En matière de ressources humaines, on rappellera cette règle relative aux valeurs : "Entre le management et la manipulation ce ne sont pas les techniques et les procédures qui diffèrent, mais les finalités poursuivies". Et la cohérence entre les moyens et les finalités. Dans l'actualité, on constatera qu'après avoir vilipendé France Télécom et son programme de mobilité contrainte, et sommé le nouveau dirigeant d'y mettre fin, l'Etat proclame la nécessité de la mobilité obligatoire pour les fonctionnaires, se drapant dans les vertus du service public qui impose des obligations particulières. Au-delà de l'inaltérable "Faîtes ce que je dis, pas ce que je fais", on verra une fois de plus la marque d'une incapacité chronique à créer par le dialogue un mouvement vertueux pour ne retenir que le mouvement contraint, dont chaque peintre sait qu'il est le plus court chemin pour produire une croûte, c'est-à-dire une oeuvre sans valeur.

04/11/2009

Invariant dynamique

Le correcteur d’orthographe refuse avec obstination le terme d’adéquationisme. Il accepte pourtant l’aquabonisme de Gainsbourg et Birkin, preuve qu’il a du goût. Persévérons tout de même. Qu’est-ce que l’adéquationisme : la résolution d’un problème, ou sa mesure, sous forme d’instantané et sans dimension temporelle.

En matière de recrutement, il s’agira par exemple de rechercher le meilleur candidat par rapport à un profil de poste préétabli. En matière de formation il s’agira de rechercher l’écart entre les compétences requises pour un emploi et les compétences du titulaire de la fonction. En matière de GPEC il s’agira de rechercher un scénario pour l’avenir et d’organiser ses actions pour anticiper sur cette prévision. Dans tous les cas, on fige ou tente de figer le point à atteindre pour tracer un chemin ou stabiliser un objectif. C’est oublier un peu vite que la vie est mouvement et que tout ce que nous figeons devient donc immédiatement une abstraction. Et en matière d'abstraction, seule la peinture est dynamique.

dekooning_untitledV_1977.jpg
Willem De Kooning - Untitled V - 1977

Introduire du dynamisme dans le diagnostic n'est sans doute pas aisé, mais pourtant essentiel : le scénario dessiné est plus certainement improbable que probable, les compétences requises demain seront autres, cet emploi à pouvoir ne restera pas dans sa configuration initiale, la personne recrutée aura envie de nouveaux horizons,... L’horizon justement n’est pas une frontière établie mais une limite qui n’a de cesse de reculer lorsque l’on avance. Un invariant dynamique en somme. N’oublions pas que tels sont les emplois et les organisations….et les femmes et les hommes. Cher invariant dynamique, bonne journée.

28/10/2009

Une étrange sensation

Le tableau se trouve dans un coin d'une salle du Musée international d'art naïf de Nice. Au milieu de peintures naïves représentant des scènes du quotidien il attire pourtant l'attention. Tout paraît en ordre, mais une sensation étrange nous indique qu'il n'en est rien. Que regardent le boucher et ses clients ? quel est ce mystérieux personnage qui rentre, sac à dos, dans une maison occupée au premier étage par un personnage en feu et au second par le soleil et les étoiles ? que guette l'enfant au coins de la rue ? son cerceau improbablement arrêté de l'autre côté du mur ? quel signe nous adresse le tournesol à la lucarne de la maison du boucher et pourquoi un visage immobile à la fenêtre du premier étage ? la clé en forme d'enseigne ne nous dit guère quelle est la clé de tout ceci.

RImbertAuboncoin001.jpg
René Imbert - Allégorique allusion à la diversité des demeures - 1945

Le titre ajoute à l'étrangeté mais ne la créé pas. Tout au plus peut-il orienter notre rêverie poétique devant la toile. Combien de fois avez-vous ressenti ce sentiment d'étrangeté ? cette impression que dans une situation apparemment banale "quelque chose ne colle pas". Ce sentiment non raisonné "qu'il se passe quelque chose", comme dans cette nouvelle de Buzzatti, figurant dans le "K" où une femme ne peut dormir, angoissée et scrute la forêt dans laquelle il ne se passe rien...hormis les mille et uns drames de la vie animale nocturne.
Pour agir il faut comprendre, pas d'action sans diagnostic. Pour comprendre il faut observer, évidemment, analyser également, mais il faut aussi ressentir et s'abandonner à ce sentiment d'étrangeté qui nous submerge parfois. Le quotidien comme une énigme fantastique qui s'offre à nous, pour notre plus grand plaisir.

25/08/2009

Le myope voyant

Lucien Clergue présente à Arles, à l’Abbaye de Montmajour dans le cadre des Rencontres de la Photographie, qu’il a fondées il y a 40 ans, des photos de corrida et de nus superposées à des peintures, souvent religieuses. La double exposition du film n’aboutit pas à la fusion des images, comme le ferait l’informatique, mais à une image unique porteuse de ses propres émotions, références et lumières. Une photo est-elle autre chose que de la lumière projetée et le regard du photographe une manière personnelle d’éclairer le monde ?

lucienclergue701Lachutedel'ange.jpg
Lucien Clergue - La chute des anges

Lucien Clergue est myope. Très myope. Il porte de lourdes et peu esthétiques lunettes. Il y voit donc mal. Voilà pourquoi il nous aide à voir et nous dévoile.

Jocaste ensorcelée - Passion de St Martin.jpg
Jocaste ensorcelée                        La passion de Saint-Martin

L’invitation de Lucien Clergue, au-delà de la promenade esthétique, corporelle et fantasmatique à laquelle il nous convie avec ses photos en devient plus profonde : utiliser nos limites pour bousculer nos limites, faire de nos handicaps des atouts ou encore refuser de subir pour mieux s’approprier. Le plaisir, avec Lucien Clergue, est aussi pédagogique.