07/10/2012
Ambivalence
Y aurait-il un art américain de l'ambivalence ? nous avions déjà eu l'occasion de relever l'ambiguïté d'un tableau de Burt Silvermann représentant une femme assise (voir ici). L'exposition consacrée à Edward Hooper au Grand Palais illustre de nouveau cette Amérique fascinante par ses contradictions et paradoxes. On peut, par exemple, prendre une autre femme assise de Hooper et entrer un peu dans le tableau. Comme souvent chez Hooper, les personnages lisent. Pied de nez à l'Europe littéraire et à cette Amérique réputée sans tradition ? désir d'évasion ? puissance de l'imagination dans un pays qui s'est auto-engendré ? il faudrait aller y voir de plus près, et notamment s'interroger sur ce que lisent ces figures solitaires. Ici, l'on sait par les notes d'Hooper qu'il s'agit d'un indicateur des chemins de fer.
Edward Hooper - Chambre d'hôtel - 1934
Les valises au pied du mur, la chambre d'hôtel, tout nous signale le transitoire. Cette femme est de passage. Le dos voûté, le corps sans tonicité semblent souligner une fatigue que la nuit ne réparera pas. La consultation des horaires de chemin de fer, et surtout le fait de voyager avec un tel ouvrage, laisse penser que le voyage est une errance. Le tableau pourrait illustrer cette chanson des gardes suisses que Céline plaça en exergue du Voyage au bout de la nuit :
Notre vie est un voyage
Dans l'hiver et dans la nuit
Nous cherchons notre passage
Dans le ciel où rien ne luit
Hooper serait-il le peintre du désenchantement ? le contrepoint du rêve américain et le rappel à la réalité, souvent moins glorieuse que l'épopée des pionniers, des self-made men et de la terre de tous les possibles ? oui mais pas seulement. Car tout voyage est un nouveau départ, tout départ est une volonté, et la solitude est une manière de se rencontrer soi-même qui peut être un préalable à la rencontre d'autrui. Cette femme, manifestement, n'est pas une voyageuse, ses chaussures n'y résisteraient pas. Et pourtant elle a entrepris ce voyage, ses valises sont ordonnées, et elle s'apprête à choisir sa nouvelle destination. Derrière l'apparence de la désespérance, surgissent les marques d'une volonté. Les marques de notre ambivalence.
12:19 Publié dans CHRONIQUE DE WEEK-END, TABLEAUX PARLANT | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : hooper, grand palais, art, peinture, tableau, céline, voyage, week-end
Commentaires
Toujours le même plaisir à te lire ! Mais d'où te vient cette prose et ce "regard si affiné" ? Pourrais-tu nous commenter "two comedians" de Hopper.
Écrit par : Esteban | 04/12/2012
Le commentaire est prêt. Il sera en ligne samedi. Amicalement. JP
Écrit par : jpw | 05/12/2012
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