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06/07/2011

Une proposition

Peut-on suggérer à un salarié de démissionner ? est-ce du chantage, ou une proposition, que de lui recommander de démissionner avant que ne soit engagée à son encontre une procédure de licenciement pour faute grave ?

Lorsque la Cour de cassation veut apprécier la validité d'une volonté, nécessaire ici à la validité de la démission, elle utilise deux critères : le délai de réflexion et la capacité de la personne à prendre la mesure de la situation. Dans une décision datée du 25 mai 2011, la Cour de cassation estime qu'un délai de 5 jours, après avoir reçu la proposition écrite de la part de l'employeur de démissionner, et le fait que le salarié était cadre et avait pu s'informer librement sur les conséquences de la démission, permettait de valider l'expression d'une libre volonté. Le repentir tardif, cinq semaines après avoir démissionné, n'est donc pas valable. La suggestion de l'employeur était  bien une proposition et non du chantage.

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Watteau - La proposition embarassante - 1716

On peut trouver dans cette décision une consécration heureuse : celle qui consiste à penser que la subordination juridique existant dans le contrat de travail ne fait pas du salarié un incapable dépourvu de faculté de jugement, d'autonomie et de responsabilité, tout soumis qu'il serait à l'autorité de l'employeur. Cette consécration du salarié comme personne adulte et responsable, tout en posant des conditions à la validité du consentement, constitue une reconnaissance de la personne du salarié en tant qu'individu et non comme simple sujet.

Mais si tel est le cas, alors on comprend mal pourquoi la Cour de cassation estime que dès lors qu'il y a risque de licenciement, le recours à la rupture conventionnelle doit être écarté du fait d'un contexte litigieux. Que les parties veuillent sortir d'un litige annoncé par un accord plutôt que de se livrer au simulacre du licenciement avec transaction ou au  contentieux pourrait au contraire être considéré comme une manière intelligente de traiter l'affaire. Et les conditions de la protection du salarié sont remplies : délai de réflexion, délai d'homologation et contrôle de la DIRECCTE, possibilité de se faire assiter et recours éventuel en cas de dol. Si les juges étaient logiques, ils n'interdiraient pas à un salarié susceptible de démissionner valablement la possibiltié de conclure un accord de rupture plus respectueux de ses droits.

Cass. soc. 25 mai 2011 - Démission suggérée.pdf

30/06/2011

Fin de partie

La pièce est à épisode et celui qui se clôt n'est pas le dernier. La réforme de la formation professionnelle, qui en réalité est surtout une réforme des OPCA, débutée en juillet 2008 va connaître son premier épilogue dans les prochains jours. Les dernières négociations sont en cours pour finaliser la recomposition des OPCA et définir leurs nouvelles modalités de fonctionnement. Le processus a été long, initié par la lettre de Christine Lagarde aux partenaires sociaux en juillet 2008, le nombre d'intervenants dans le débat a été pléthorique (Rapports du Sénat, de l'IGAS, de la Cour des comptes, du groupe quadripartite présidé par Pierre Ferracci...), les partenaires sociaux ont conclu un ANI le 7 janvier 2009, le législateur a voté la loi du 24 novembre 2009.

Restait la mise en oeuvre pour terminer la première partie, la mise en ordre de marche, avant de pouvoir juger de l'efficacité du nouveau système. Et c'est peu de dire que cette fin de partie tourne au fiasco.

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Dorothéa Tanning - Endgame - 1944

Chargée de piloter le dossier, la DGEFP a commis deux erreurs majeures. La première sur le fond : considérer que dans un système qui associe de multiples acteurs, qui repose depuis l'origine sur l'articulation entre le législateur et la négociation collective, il était possible de faire prévaloir une vision autoritaire, monolithique, administrative et unilatérale des textes adoptés, parfois même sans en respecter ni la lettre ni l'esprit. La deuxième erreur est de méthode : en faisant paraître en toute fin du processus de négociation, des positions qui prennent à rebours l'histoire et le droit, la DGEFP soit méconnait la dynamique de la négociation collective, soit se donne pour objet de mettre à mal, ou plus exactement sous tutelle, la gestion paritaire.

Les partenaires sociaux ont décidé de ne pas s'en laisser compter, et pour la plupart de maintenir leur position dans les accords qui seront conclus. Conclusion : soit la DGEFP fait évoluer sa manière de considérer les OPCA et la négociation collective, prenant notamment la mesure de la loi Larcher, soit il reviendra au juge de jouer les arbitres.

La 12ème chronique consacrée à la Fabrique des OPCA, écrite avec Jean-Marie Luttringer pour l'AEF, revient sur ce fiasco et identifie les questions qui pourraient faire l'objet de contentieux, ainsi que celles qui demeurent pendantes faute d'avoir eu la volonté de les traiter par le dialogue.

La Fabrique des OPCA 12.pdf

 

20/06/2011

Un peu d'histoire

Il faut éclairer l'histoire par les lois et les lois par l'histoire. Ainsi s'exprimait Montesquieu. Le juriste toulousain Hauriou estimait, pour sa part, que si un peu de sociologie éloigne du droit, beaucoup de sociologie y ramène. Bref, si l'on perd de vue les conditions de production de la règle, il y a de fortes chances que l'on en perde le sens. C'est ce qui arrive à la DGEFP, dont les positions deviennent ubuesques, lorsqu'elle explique à des OPCA qu'ils ne peuvent déléguer à des structures paritaires territoriales ou sectorielles, en s'appuyant sur un texte dont l'histoire démontre qu'il signifie exactement le contraire de que l'on voudrait lui faire dire. Mais qui veut tuer son chien...

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Félix Labisse - Lucrezia - 1972 - Série "Les faiseuses d'histoire"

Le droit c'est de la technique, dans l'art de le manier, et de la politique, dans l'usage que l'on en fait. En prétendant que toute délégation de gestion doit être faite à un organisme patronal, la DGEFP commet une double erreur. La première est technique, les OPCA sont des organismes paritaires et le principe de paritarisme, légal, prévaut sur une exception fixée par décret. La seconde est politique. En utilisant, avec au choix incompétence ou mauvaise foi, un argument aussi faible pour remettre en cause le paritarisme, l'administration tente de faire prévaloir une vision autoritaire des relations sociales que l'on croyait dépassée au moins depuis l'adoption en 2004 du nouvel article premier du Code du travail. Et sur ce plan également, une approche historique du paritarisme et des dynamiques de la négociation collective aurait du conduire sur d'autres voies. En ces périodes de baccalauréat, il en est qui ont sérieusement besoin de réviser.

UN OPCA PEUT-IL AVOIR DES DELEGATIONS PARITAIRES.pdf

14/06/2011

L'énigme des pierres d'achoppement

Entre un peu de travail le week-end pour absorber ce qui peut l'être du travail en retard et les jours fériés qui n'en sont pas mais que l'on ne travaille pas, on s'y perd un peu. Alors pourquoi pas une chronique de week-end en semaine, avant de reprendre le cours de la réforme des OPCA et du débat sur la négociation et la loi, si l'AEF veut bien publier l'interview qu'elle a réalisée de Jacques Barthélémy sur ce sujet.

Petit intermède donc avec un retour sur les pierres d'achoppement. Les quoi ? les pierres d'achoppement qui font référence au Facteur Cheval. C'est en butant sur une pierre lors d'une tournée à travers champ, que le Facteur Cheval, intrigué par la forme de la pierre, commença le travail qui le conduisit à bâtir son palais à Hauterive. Chacun a ainsi ses pierres d'achoppement qui jalonnent son parcours. Moments où se cristallisent en un jaillissement faussement hasardeux quelques unes des clés de notre existence. En voici une livrée ici.

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Magritte - Les valeurs personnelles

Adolescent, je n'accordai pas un intérêt particulier à la peinture. Les sujets naturalistes m'ennuyaient et la peinture onirique me paraissait peu crédible. Je n'entendais rien à la peinture abstraite. Et puis j'ai découvert, dans une revue pour enfants, cette peinture de Magritte. Dans laquelle j'ai buté. Le thème de la chambre fait certes écho à l'adolescent, mais il y avait autre chose. Le fait que l'on pouvait à la fois peindre de manière réaliste et réaliser une peinture onirique. Que les deux ne s'opposaient pas. Qu'au contraire, c'est dans l'union des contraires que se trouve la voie de l'innovation et du merveilleux. Que la capacité à produire des synthèses à partir d'éléments disparates est une voie de connaissance. Cette révélation demeure. Les pierres d'achoppement font d'excellentes pierres de taille.

13/06/2011

Pour en finir (en partie) avec la formation

La lassitude peut avoir ses charmes. Après l'intensité de l'effort, sentir le corps s'abandonner au repos est un plaisir total. Il faut avoir beaucoup donné pour aspirer au temps suspendu. Qui a cavalé goutera plus intensément l'immobilité. Irrésistiblement, les contraires se nourrissent et s'attisent. La dialectique de nos passions contraires est une infinie source de plaisir. Mais cela suppose de concilier ce qui s'oppose et de dépasser chaque synthèse par une synthèse nouvelle. La notion de formation a longtemps été une synthèse suffisamment structurante et active pour promouvoir le développement des individus. Tel n'est plus le cas aujourd'hui. Telle les ménades épuisées de Sir Lawrence Alma-Tadema, la formation est un concept qui en vient à produire des effets négatifs et qui est incapable de générer des dynamiques nouvelles.

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Sir Lawrence Alma-Tadema - Ménades épuisées après la danse - 1874

La notion de besoin de formation a longtemps été utilisée pour promouvoir la formation dans l'entreprise. Elle conduit aujourd'hui à une triple impasse. En premier lieu, la formation étant un moyen, parler de besoin de formation (et non de besoin de compétences) c'est privilégier le moyen sur la fin et surtout considérer que seule la formation permet de développer les compétences, en oubliant tous les autres moyens. En second lieu, rendre synonyme besoin de formation et besoin de compétences, laisse penser que la formation ne peut avoir pour objet que le développement des compétences, ce qui occulte toutes les autres finalités possibles : reconnaissance, communication, changement culturel, innovation,...Enfin, parler de besoin de formation, ou même de besoin de compétences, ne nous dit rien sur la finalité de l'action : de la formation ou des compétences pour quoi faire ?

La notion de besoin de formation est aujourd'hui épuisée, il est temps de la mettre au repos. C'est sans doute également vrai pour la notion de plan de formation et cela ne tardera pas à l'être pour les services formation. Cette focalisation sur un moyen exclusif de développement professionnel a fait son temps. La danse fût belle, mais voici venu le temps du repos.

Par quoi remplacer besoin de formation, plan de formation et service formation ? par professionnalisation ou développement professionnel serait une première étape qui permettrait de tenter une synthèse entre le moyen et l'objectif. Synthèse élargie, elle permettrait sans doute de faire émerger de nouvelles dynamiques. Jusqu'à l'étape suivante. Bon lundi et bonne semaine à tous.

27/05/2011

Bonheur des autres

Mais non nous ne vivons pas dans un monde de brutes. Il y a des milliers de biens intentionnés qui ne pensent qu'au bonheur...des autres. Par exemple, le Responsable formation qui va dépenser une énergie considérable pour que les salariés puissent partir en formation,  utiliser leur DIF et s'intéresser à leurs compétences. Ou alors le Responsable ressources humaines qui va rendre service au manager en lui mettant à disposition une information complète sur la formation et un guide très détaillé à propos du DIF. Mais aussi les OPCA qui inondent les entreprises d'information sur les dispositisf de formation pour qu'elles soient mieux informées. Est-ce que le salarié a le désir de formation ? est-ce que le manager est disponible pour partager la technicité du responsable formation ? est-ce que l'entreprise a vraiment besoin de ces dispositifs que l'OPCA voudrait lui faire découvrir ? pas la peine de poser la question, la réponse est présupposée et la parole des intéressés, qui ne savent pas ce qui est bon pour eux, superflue. Et après, vous vous étonnez que les salariés, les managers et les entreprises vous envoient paître en vous demandant de les laisser vivre !

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Matisse - Le bonheur de vivre

Voilà des enquêtes qui vous disent que le DIF est un échec parce que 10 % seulement des salariés l'utilisent. Comme si 100 % était un objectif réaliste. Voilà des responsables ressources humaines qui se plaignent du peu d'intérêt des managers pour les ressources humaines. Et de leur propre intérêt pour le travail des managers, ils en sont satisfaits ?

On connait la formule : "Gardez moi de mes amis, mes ennemis je m'en charge". Et si certains veulent faire le bonheur d'autrui, on leur conseille humblement de commencer par demander à ces autruis où ils mettent leur bonheur.

DIF ENTREPRISES ET CARRIERES.pdf

22/05/2011

Chronique de week-end : l'énigme des correspondances

Vous ne croyez pas au hasard, ou plutôt uniquement au hasard objectif : "la manifestation extérieure d'une nécessité intérieure". Les coincidences vous émeuvent au point que, tel Champollion devant la pierre de rosette, votre obsession est de parvenir à en trouver la clé. Les clés justement. Vous percevez le monde comme un ensemble de clés et de serrures que vous faites jouer à loisir. Toutes les portes vous intriguent, et vous ne rêvez que de les pousser. De l'autre côté du miroir, vous savez qu'Alice vous attend. Chaque virage vous invite à poursuivre votre chemin pour voir "ce qu'il y a après", l'horizon est une promesse de nouveauté. 

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Yves Tanguy - Il faisait ce qu'il voulait - 1927

Vous regardez le tableau de Tanguy et vous souriez. L'oeuvre est un piège parfait pour égarer la compréhension de l'observateur. Il faut résister  à la tentation des grands fonds, de la mer originelle et de l'univers des mères, s'écarter du liquide amniotique et de la matrice primordiale. Tout ceci est pesant et laborieux. Mieux vaut suivre les fils épars qui s'élancent de toute part, mieux vaut s'enthousiasmer du Minotaure qui apparaît à l'horizon, mieux vaut jouer aux dés avec les lettres offertes à toutes les significations, mieux vaut se réjouir de la rencontre de l'homme qui avance vers vous. Si ce tableau a pu être peint, cela signifie que le sensible et l'invisible sont à portée de conscience et  que des ondes colorées, telles des cycles lunaires, bousculent de leurs rythmes nos allures habituelles. A l'invitation de Rimbaud, Yves Tanguy s'est fait voyant. Le dérèglement raisonné de tous ses sens lui a donné la liberté dont la peinture à pu jaillir, traçant des lignes et créant des correspondances. Celles dont vous êtes friands et qui feront de ce tableau un de vos talismans.

16/05/2011

Corps intermédiaires

« Il n'est permis à personne d'inspirer aux citoyens un intérêt intermédiaire, de les séparer de la chose publique par un esprit de coopération ». Ainsi débute la loi Le Chapelier du 14 juin 1791. Ainsi débute l’inversion des valeurs qui conduit à rendre illégale la corporation et péjoratif le corporatisme. Elle vient de loin la méfiance des jacobins de tout poil contre les corps intermédiaires. De la défiance envers l’Eglise et son curé qui s’interpose entre Dieu et les fidèles. De l’utopie du peuple souverain qui n’admettrait d’autres intermédiaires que ses mandants. De la réduction de la démocratie à sa version politique. Certes la loi Le Chapelier fut abrogée en 1864. Mais les idées qui la soutenaient n’ont pas disparu.

 La communauté n’a pas bonne presse qui dérive en communautarisme, nom donné au nouveau corporatisme ; le pouvoir n’accepte guère de contradiction en laquelle il voit une remise en  cause de sa légitimité ; le droit formel, identique pour tous et non appliqué, est préféré aux droits autoproduits et régulateurs au nom de sa supposé universalité, opposée au particularisme des droits négociés. Ainsi se paie au prix le plus fort la recherche frénétique d’une égalité absolue qui reste de façade et favorise les inégalités les plus absurdes pour ne pas avoir à en reconnaître de moins grandes au motif qu'elles seraient officielles.

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Rembrandt - La Guilde des Drapiers

Faut-il en vouloir à Le Chapelier. Oui et Non. Non s’il s’agissait d’en faire l’unique fossoyeur des corps intermédiaires. Oui pour ne pas avoir vu qu’en les supprimant il perpétuait au sein de la République l’absolutisme monarchique qui n’en demandait pas tant, créant ainsi les bases de ce que l’on appelle aujourd’hui la dérive monarchique de nos institutions.

14/05/2011

Chronique de week-end : l'énigme de la rue des songes

Il y a plus de 6 000 ans. Vous descendez le Nil. La couleur des corps s’éclaircit au fil de votre voyage. Les princesses nubiennes s’évanouissent et prennent, sous l’habile main des scribes, les traits de Cléopâtre, puis ceux d’une statue grecque, d’une patricienne romaine et d’une reine de France. Le vertige vous saisit, comme la main turque qui vous traîne vers l’empire Ottoman déployant ses fastes masculins devant vos yeux qui ne peuvent se défaire de l’ambigüité du spectacle. Cette vision vous dérange.

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Eddy Saint-Martin - La rue des songes

Vous partez en Afrique sous le grand soleil noir. Les tambours vous enivrent. Vous êtes poussé dans un bateau, le voyage est sans fin. Vous croisez des animaux marins d’un autre temps, votre esprit ne désire qu’une chose : fuir, que tout cela s’arrête, le sommeil ou mieux encore la mort. Mais non, bien au contraire, la vie vous porte, la vie vous tient. Vous êtes esclave aux Antilles. Votre seul secours ce sont les esprits nègres, vous invoquez le grand masque, vous y croyez tellement, avec une telle énergie, que le grand masque apparaît et vous libère. Vous courez. L’Amérique est à vous, tout à faire, tout à conquérir, New-York vous attend. Tout est possible. Les rues s'offrent à votre désir. La liberté, le sexe, l’amour, le grand jaillissement de la vie. Vous n’en revenez pas, votre plaisir est à son comble, vous poussez un cri, qui vous réveille. Vous venez d'emprunter la rue des songes.

07/05/2011

Chronique de week-end : l'énigme de l'illusion des profondeurs

Vous écartez d'emblée tous les clichés : le grand bleu, la marenostrum, la mère originelle, le liquide amniotique, tout le fatras habituel de la symbolique de surface. Car il s'agit de se plonger dans les profondeurs. D'aller voir un peu au-delà. Il ne s'agit pas de descendre, mais de monter dans cette profondeur qui nous est offerte par Alain Garrigue. La graine a rugi et laissé place à cette grande tige qui nous livre ses petites échelles, de ci de là, pour nous faciliter l'entrée dans le tableau. A hauteur d'homme. De manière un peu exceptionnelle car dans les toiles d'Alain Garrigue on trouve toujours un trait d'humour, un léger déni de réalité, un décalage, un clin d'oeil qui vous dit "du calme, tout ça n'est pas vraiment sérieux, profite, apprécie, mais pas la peine de se pousser du col". Ici ce trait n'est pas présent. La toile recèle une gravité qu'il était nécessaire de noyer dans le bleu pour qu'elle ne soit pas pesante. Par ce ton et par ce bleu, rapportés à sa peinture habituelle, cette toile est d'exception.

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Alain Garrigue - L'illusion des profondeurs - 2010

Vous vous laissez happer par la toile et entrez dans son espace. Vous vous demandez quelle est la matière qui vous accueille : pas la mer, pas la terre, pas l'air. Si c'est une matière, elle est inconnue dans notre monde. Et là vous réalisez que l'espace dans lequel vous projette cette toile, c'est le temps. L'oeil de Proust, en haut, au centre, vous en persuade. Le maître du temps est là et veille à son ordonnancement. Vous êtes dans la Cathédrale du temps, le lieu de toutes les incantations, de toutes les convocations. Vous lisez à gauche sur la toile : "ICIOULA" et c'est Rimbaud qui apparaît :"Arrivée de toujours, qui t'en iras partout". Vous découvrez à droite ces touches de couleur ocre, brune, sienne, terre, chair et surgit De Stael, autre grande carcasse qui se plie et se détend devant la toile. Vous voyez quelques bateaux de Charon, des pas perdus pas perdus, la présence permanente de l'enfance, quelques ombres que vous habillerez vous même de vos craintes ou de vos désirs. Et là le mouvement se met en marche, le couvercle saute, la mécanique s'enclenche, le manège tourne, e per si muove, tout prend vie, l'illusion est profonde. Qui vit avec cette toile ne pourra plus s'en séparer.

24/04/2011

Chronique de week-end : l'énigme verticale de Van Dongen

On pourrait penser que dans les plats pays du Nord, balayés par des vents froids et persistants, il importe de n'être pas trop grand. D'avoir un centre de gravité plutôt bas. D'échapper aux rafales et bourrasques. Il n'est nul besoin de se hisser sur une haute taille pour voir loin. Et pourtant, c'est au Sud que l'on trouve les trapus et au Nord les grands gaillards. Van Dongen était un grand gaillard. Descendant à Paris, il se lie d'amitié avec Picasso qui arrive de Barcelone. Nord-Sud. Et Van Dongen descend à la verticale. Les couleurs de l'Espagne envahissent ses toiles, plutôt sombres jusque-là.

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Van Dongen - Le doigt sur la joue - 1910

Venu d'un pays sans horizon, Kees Van Dongen s'en est donné un avec les femmes. Qu'il peint comme un fauve, un expressioniste, un amoureux à l'énergie fiévreuse, un peintre. Les femmes du Sud le fascinent, elles ne lui font pas peur, il aime leur liberté, leur indépendance, leur intelligence. Ce qui en fait une exception parmi les hommes, et nous livre une réponse à la question de savoir pourquoi les femmes de Van Dongen nous fascinent.

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En la plaza, femmes à la balustrade - 1911

Le Sud, le géant du Nord y reviendra à plusieurs reprises. Voilà à quoi sert la grande taille : voir les femmes aux balustrades et toiser le soleil. Lorsque Van Dongen s'éloignera de cette boussole, sa vie perdra de sa verticalité et sa peinture également. Mais il aura eu le temps, avant cela, d'approcher le mystère de la Gitane.

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Van Dongen - Gitanes - 1917/1918

La verticalité de Van Dongen, cet axe Nord-Sud, le lien évident entre les Pays-Bas et l'Espagne, n'eurent qu'un temps. Vint ensuite celui des déshonneurs divers, qui ne pourront toutefois effacer qu'à une époque, dressé dans sa superbe verticalité, Van Dongen a trouvé les clés de la plus troublante des énigmes, non pas celle de la femme, mais des femmes.

18/04/2011

De l'objectivité

Roland Penrose avait acquis auprès de Picasso ces portraits de Lee Miller, son épouse. Lorsque, pour la première fois, il les installa chez lui, leur fils Anthony, qui avait alors 5 ans, s'écria  plein de joie en voyant les tableaux : "Maman, Maman !".

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Picasso - Portraits de Lee Miller - 1937

 Avec deux peintures empruntant au génie de l'enfance, qui reconnaît les siens sans coup férir, Picasso met à bas plusieurs siècles d'effort du rationnalisme cartésien pour atteindre la vérité des choses par leur approche objective. Considérer les choses objectivement,  les établir telles qu'elles sont, rendre compte, saisir dans son immanente présence, sans filtre, sans interprétation ce que nous voyons. Sans rien y mettre de soi. Autant dire en  vidant de tout son sens le sujet observé, dans une tentative désespérée de négation de soi-même. Seule la subjectivité la plus engagée, la dimension personnelle la plus assumée et la plus revendiquée permet de révéler, car c'est de cela qu'il s'agit, les éléments de vérité qui habitent ce qui à notre regard s'offre. Ne pas oublier que l'on a un corps, et que cette incarnation doit être présente à l'acte d'analyse n'est pas se fourvoyer sur les terrains de la subjectivité. Seul le totalement personnel a quelque chance d'être universel.

11/04/2011

L'oeuvre ou l'auteur ?

Faut-il absolument faire dépendre de la qualité de l'auteur, la qualité de l'oeuvre ? n'existe-t-elle pas par elle-même ? ne peut-on l'apprécier pour ce qu'elle offre sans poser la question du qui ? que nous apporte de savoir qui est la Joconde, la Dame à l'hermine ou le Belle ferronière, le somptueux trio dont nous gratifie Léonard.

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Et nous pourrions faire un détour par l'atelier. Quelle est la part du maître et celle de ses élèves, qui a préparé le fonds, qui a écrasé les pigments, qui a défloré la toile avant que les brosses de Léonard ne viennent s'associer à ce travail péparatoire ? Le travail en atelier est une des figures de la peinture précédant la période moderne et son individualisme que l'art contemporain ne fera qu'aggraver.

L'oeuvre existe, elle est là, devant nous elle nous parle. Regardez-vous ces femmes parce que Léonard les a peintes ou parce qu'elles vous troublent et mettent à rude épreuve votre sensibilité, vos sentiments, votre manière de corporer, d'aimer et d'être au monde.

Reprocherait-on à Ingres, David, Michel-Ange et bien d'autres d'avoir sous-traité leurs chefs d'oeuvre en laissant la main des assistants s'associer au travail ?

Si non, alors pourquoi voir dans la délégation, la sous-traitance, la commande passée des modalités d'action non légitimes. N'importe-t-il pas, en ce domaine comme dans d'autres, de juger davantage le résultat que la modalité ?

A vous d'en juger en ce qui concerne les OPCA, avec la septième chronique de la Fabrique des OPCA, écrite avec Jean-Marie Luttringer pour l'AEF.

LA FABRIQUE DES OPCA 7 - OPCA et délégation.pdf

09/04/2011

Chronique de week-end : l'énigme du passeur chinois

Pour cette chronique de week-end, détours par la Chine et New-York. Xiao-Se est un peintre chinois né en 1970 à Pékin. Il est une des figures de l'art contemporain  chinois et ses oeuvres sont présentées en Occident essentiellement par la Galerie Eli Klein à New-York. Xiao-Se est un passeur. Aux jeunes générations chinoises il peut témoigner du chemin de la Chine vers l'ouverture, entamée au moment de sa naissance. Aux peintres, il offre une synthèse entre l'art traditionnel chinois, la contemporéanité et la peinture occidentale classique et moderne. Réaliser une telle synthèse est prendre le risque de l'artificiel, de l'effet patchwork, du plus petit dénominateur commun. Xiao-Se échappe à ces facilités en prenant appui sur l'humour qui, et ce n'est pas paradoxal, permet de gagner en profondeur tout en allégeant le propos. Exemple.

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Xiao-Se - Sans titre - 2010

Voici qui pourrait illustrer la Grande Marche et les Cent Fleurs. La technologie s'envole, mais la Chine suit son chemin. Les contrastes sont prononcés : des fleurs en milieu aride, une pièce aux allures de geôle grisâtre et triste mais au ciel ouvert, des enfants et un vieillard bienveillant, tout ceci nous rappelle étrangement la peinture de Ghirlandaïo. Dans ce ciel immobile et cette pièce sans âge, tout est pourtant mouvement : l'avion, l'enfant, les fleurs et la vie à travers l'envie de ces enfants pressés de voir le monde qui s'offre à eux. La Chine vous fait peur, comme le titrait un hebdomadaire récemment ? c'est possible si les contradictions vous terrifient, si la marche vous insupporte et si le mouvement vosu perturbe. Ou si vous pensez inconciliables mouvement et immobilité, éternité et instant présent, méditation et jubilation, ascèse et luxuriance. Ou si vous croyez à la fable du choc des civilisations. Mais si tout cela vous parait naturel, évident, disponible, offert, présent, alors le détour par les tableaux de Xiao-Se sera un chemin de sourire, de plaisir et de connaissance.

05/04/2011

Parité, égalité...rivalité

La gestion paritaire a connu ses heures de gloire après la seconde guerre mondiale. Portée par l'euphorie de la victoire, la réconciliation nationale souhaitée et le programme du Conseil National de la Résistance, le paritarisme, qui n'est pas une tradition française, se déploie dans l'espace social : assurance maladie, assurance vieillesse, assurance chomage, retraites complémentaires, assurance formation, les garanties sociales des salariés sont confiées à des institutions paritaires qui exercent une gouvernance aussi apaisée que les relations sociales en entreprise sont conflictuelles. L'Etat a-t-il pris ombrage de ces succès ? la démocratie politique se défie-t-elle de la démocratie sociale ? nul en tout cas ne peut nier cette rivalité entre les deux grandes dames.

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Julio Romero de Torres - Rivalidad

Il faut dire que la démocratie politique nous répète inlassablement que pour pouvoir gouverner il faut une majorité claire, et si possible chaussée de godillots. Que la cohabitation est un régime paralysé et qu'il est impossible de bien gouverner si l'on doit partager le pouvoir. La gestion paritaire nous démontre exactement l'inverse depuis soixante ans. Certes, elle n'est ni parfaite ni toujours exemplaire, mais à devoir prendre des décisions sans qu'une volonté prédomine, elle se condamne à être plus intelligente que les gouvernants majoritaires qui peuvent se laisser porter par leur arbitraire et ne sont pas condamnés à l'effort de synthèse ni de dialogue.

Pour analyser plus finement les mécanismes de la gestion paritaire dans le domaine de l'assurance formation, voici la 6ème chronique de la Fabrique des OPCA, consacrée au régime de la gestion paritaire des OPCA.

La fabrique des OPCA 6.pdf

02/04/2011

Chronique de week-end : l'énigme de l'extase

Pour cette chronique de week-end, retour sur une exposition tenue en début d'année dans la chapelle du Musée d'Art et d'Histoire de Saint-Denis. Ernest Pignon-Ernest y présentait "Extases" ou le mystère des mystiques. Elles se nomment Hildegarde de Bingen, Marie-Madeleine, Angèle de Foligno, Catherine de Sienne, Marie de l'Incarnation, Thérèse d'Avila et Mme Guyon. Elles meurent de ne pas mourir.

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On les dit mystiques et tentant par l'extase d'échapper à leur corps, qui du coup peut s'exposer sans choquer en la Chapelle, puisqu'il s'agit de sortir de ce corps, de se désincarner pour s'incarner en Dieu. C'est du moins ce qu'on leur fait dire. Il vaudrait mieux les écouter. Hildegarde par exemple, qui dit exactement l'inverse : "O homme, tu as en toi le Ciel et la Terre, fais de ce monde un Ciel sur la Terre".

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Mais alors les corps ne seraient pas l'idée, ils seraient bien là, présents, et la chair extatique incarnerait la jouissance du corps en  ces instants d'abandon où le plaisir et la douleur peuvent s'assembler pour porter le corps non pas hors de lui-même mais au plus profond de lui-même. Ne vous y trompez pas, toutes ces femmes regardent vers l'intérieur et ne deviennent universelles qu'en allant au  bout de leur passionnelle singularité.

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Parole de Thérèse : "Ce qui importe avant tout, c'est d'entrer en nous même pour y rester seul avec Dieu". Dieu est un ami, et même plus. Marie de l'incarnation, dans ses prières, appelle Jésus "mon bien aimé".

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Peut-on faire plus incarné que Catherine de Sienne qui affirme : "Tu es ce qui n'est pas. Je suis ce que je suis". Ces femmes là n'ont pas le mysticisme étéré que l'on voudrait leur prêter. Elles sont charnellement et spirituellement présentes à la sensation que leur corps ne fait pas qu'exprimer mais vit pleinement. Ces femmes ont toute connaissance et le revendiquent. Angèle de Foligno : "le premier pas est la connaissance du péché ; par elle, l'âme craint fort d'être damnée en enfer. En ce pas, l'âme pleure amèrement". Corps et âmes donc, bien sur, mais en pleine conscience de l'abandon et du plaisir de la sensation physique de l'amour comme forme ultime de la connaissance.

23/03/2011

Beauté du travail-travail

Le conseil venait d'Ingres, il fut entendu par Degas : "Il faut produire des lignes, et encore des lignes, si vous voulez devenir un bon artiste". Degas produisit des lignes, dont celles-ci. La cuisse puissante, la hanche creusée, le ventre plat, le bras juvénile, la pudeur et l'abandon de l'attitude, le mouvement d'ensemble du dessin, comme une ligne de fuite bien présente. Pas de doute, Degas a du en tracer des lignes pour parvenir à celles-ci.

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Degas - Femme nue étendue

Joan Miro, dont on peut actuellement admirer les sculptures au Musée Maillol, déclarait que dans son travail il y avait le travail-travail, avec sa dimension artisanale, et puis la dimension fantasmatique qui lui donnait tout son sens. Le rêve habitant le travail.

Voilà un chemin possible pour la compétence et pour l'innovation. Du travail-travail, de la répétition, du rythme maintenu, du geste renouvelé, surgiront des lignes nouvelles, et ce d'autant plus que le rêve et le fantasme viendront, à leur heure, sans qu'ils ne soient forcés, dans la fluidité de l'acte répété, nourrir le travail. Beauté du quotidien répété, plaisir de la découverte des éclosions de la banalité. Ce qu'exprimait à sa manière Degas déclarant : "Je voudrai être illustre et inconnu".

Ce n'est pas un conseil, juste un message personnel, un soir de déplacement.

22/03/2011

Comme il n'est plus compétent, mon banquier c'est moi

L'alternative entre l'investissement dans les machines et l'investissement dans les personnes ne s'est pas arrêtée avec la bascule dans la société de l'information. Certaines organisations font toujours le choix de salariés moins compétents (traduisez : moins chers, moins difficiles à trouver, dont on est moins dépendant), au profit d'un système mécanique qui présente, en outre, l'avantage d'une plus grande stabilité émotionnelle que cet humain que l'on se tue à gérer.

Compte tenu de la place occupée par les mathématiques dans la sélection des élites et de la culture de l'ingénieur dans la culture manageriale française, il n'est pas étonnant que chaque fois que la rationnalité mécanique peut être substitué à l'irrationnalité humaine, le choix soit assez rapidement fait. Dernier exemple, la banque.

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Marinus Van Remeyrsmaele - XVIème siècle

 Cela a commencé par l'arrêt du recrutement de personnels qualifiés dans les métiers bancaires pour revenir à des profils commerciaux. C'est qu'il ne s'agissait plus de conseiller les clients mais de vendre des produits. Pour la gestion financière et le reste, l'outil informatique s'en charge très bien. Et puis est venu la dernière étape. L'outil est autonome, le besoin de compétence disparaît et l'on peut passer à la dernière étape : confier les clés du camion à un incompétent, c'est à dire vous, ou moi. Et l'affubler du titre de banquier (j'attends ma carte de visite, mais cela ne saurait tarder : jpw, banquier de lui-même, toujours près du client, toujours disponible). Lorsque les véhicules feront eux-mêmes leur diagnostic nous pourront devenir les mécaniciens de nos véhicules, lorsque les cafétérias seront d'immenses percolateurs nous seront les serveurs de nous même. Quant à devenir pompiste de nous même et caissier de nous même, c'est déjà fait. Et n'oublions pas que l'industrie pharmaceutique nous a transformé en médecins de nous même, la France ayant le pompon de l'auto-precription médicinale. La formation c'est conduire à l'autonomie ? ringard. Grace à la machine, nous courons vers l'autonomie, sans formation, sans compétence...et sans salaire. Fort non ?

19/03/2011

Chronique de week-end : l'énigme de la tempête

Peu d'oeuvres ont suscité autant d'interrogations, de recherches, de commentaires, d'hyphothèses, d'approximation. Et peu d'oeuvres ont montré une telle résistance aux assauts de l'interprétation. La tempête de Giorgione n'est pas prête de livrer ses secrets, ni même de nous annoncer qu'elle n'en recèle guère.

Quel sens donner à cette peinture  : Tableau alchimique présentant l'eau, l'air, la terre et le feu ? allégorie de la condition humaine après l'expulsion du paradis d'Adam et Eve ? représentation archétypique de l'homme et de la femme, du guerrier et de la mère, de la puissance et de la charité ? panthéisme forcené dans lesquels les sujets ne sont que l'expression de forces qui les dépassent ? scène de genre à laquelle on prête trop et qui ne fait que rendre l'atmosphère sereine et le potentiel orageux de la passion amoureuse ? accumulation de symboles phalliques (la lance, les colonnes, le caleçon bombé, le jaillissement de l'éclair...) mis en regard d'éléments plus féminins (la source d'eau, la maternité, le sein,...) dans une de ces oppositions duales dont l'Occident a le goût ? simple exercice de style ? amusement du peintre qui se réjouit déjà des siècles d'interrogation qu'il va susciter ? synthèse absolue de l'histoire de la peinture jusque là ?

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Giorgione - La Tempête - 1507

Le propre du tableau énigmatique et que plus vous le cotoyez, plus il vous est familier, plus la compréhension que vous en avez agit sur vous, et plus il apparaît évident que la seule résolution qui soit est de nature poétique. Ce qui signifie que le sens du tableau est autant dans le bleu des tempêtueux nuages que dans la pose nonchalante du jeune homme ou le regard inquiet et serein de la jeune femme. Ce regard paradoxal tourné vers celui qui regarde le tableau en est sans doute la clé. Le tableau est un collage, divinement assemblé. Toutes les contradictions de la vie y sont présentes et cessent de s'opposer. Elles composent une unité dont l'harmonie nous charme sans relâche. De la poésie pure, c'est-à-dire de la vérité : "La poésie est le réel absolu, plus il y a de poésie, plus il y a de vérité" (Novalis). Giorgione a donc peint en 1507 ce que Novalis écrira près de trois siècles plus tard. Rien d'étonnant donc à ce que la Tempête appartienne au genre des "poesie", genre créé par Giorgione lui-même. Il n'y a donc qu'un moyen de percer l'énigme : placez la Tempête en face de votre lit et laissez vous porter par le rêve en souriant.

12/03/2011

Chronique de week-end : l'énigme, ou le rêve, de Vénus

Chronique du week-end consacré à un tableau audacieux du XVIème siècle dans lequel explicite et inconscient, onirisme et réalisme, explicite et suggestif se mêlent en géniaux entrelacs.

L'oeuvre a donné lieu à de nombreux commentaires, trop souvent très classiques, comme celui de Panofski qui voit dans la Vénus du Titien l'image  de la tendresse et de la douceur matrimoniale. Allant un peu plus loin, Daniel Arasse voit que le tableau n'est pas une scène se déroulant dans un palais vénitien mais une présentation sur fond noir, pour la mise en valeur de la nudité, d'une fière Vénus se manuélisant, selon le terme charmant de l'époque, tandis que les servantes s'affairent, comme il convient. Plus érotique que Panofski, Arasse souligne bien la hardiesse de la représentation mais surtout la force du tableau et de Vénus, qui s'expose et regarde à la fois. L'interprétation d'Arasse ne satisfait toutefois pas totalement (voir extrait et résumé de deux analyses du tableau ci-dessous). Que peut-on voir dans la Vénus d'Urbino ?

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Titien - La Vénus d'Urbino - 1538

Une jeune femme qui se clitorise comme l'on dit alors (lorsque Titien peint le tableau Montaigne a cinq ans et n'a pas encore introduit dans la langue française le vocable "masturbation"), est-ce véritablement un scandale au XVIème siècle ? Oui pour l'Eglise même si elle n'est pas le pêché majeur. Selon Arasse, elle est même recommandée pour avoir des enfants ce qui renforcerait l'hypothèse d'une scène située dans un contexte de mariage. Toutefois, l'interdit religieux n'est pas douteux. Dès lors, le tableau peut prendre une autre signification. La scène du second plan n'est pas du même ordre que la présence de la Vénus à l'avant du tableau, l'improbable "rideau" noir en atteste comme Arasse l'explique. Mais il ne s'agit pas que d'un effet pictural et l'explication d'Arasse à ce sujet paraît faible. Il semble plus évident que le noir du rideau renvoie à la plongée nocturne dans le sommeil et que la scène au second plan est le rêve de Vénus. Le rêve qu'en mettant les mains en des lieux interdits elle transgresse avec plaisir et volupté les règles sociales. Et ce ne sont pas deux servantes qui s'affairent mais une petite fille qui plonge ses mains avec l'avide curiosité de l'enfance dans le coffre des merveilles. La servante debout, dont la jupe rouge figure l'ordre et la loi, remonte sa manche pour administrer la  correction méritée au regard de la morale. Vénus a été surprise en son enfance et punie pour sa curiosité. Quelle revanche de s'offrir librement au plaisir en notre présence et pour le notre.

Arasse - Venus - Titien.pdf

Arasse-La Venus du Titien.pdf