07/01/2011
Trop tard ? trop tôt !
« Tout est dit, et l’on vient trop tard depuis 7 000 ans qu’il y a des hommes». La formule de La Bruyère pourrait nous convaincre que l’homme ne fait que ressasser et que, au moins pour ce qui concerne les questions fondamentales, l’essentiel est accompli et rare la nouveauté.
Le juge partage ce diagnostic. Le Conseil des Prud’hommes de Nanterre a condamné le fait pour une entreprise d’évaluer ses salariés sur le critère d’innovation au motif que l’on ne créé pas tant que cela de choses nouvelles. Dit par ceux qui sont confrontés tous les jours à la prolifération de textes nouveaux, l’argument pourrait être de poids. Il rejoint le sentiment courant du « rien de nouveau sous le soleil », ou de « rien de neuf, que du vieux » ou encore avec un peu plus de sophistication le « rien ne se perd, rien ne se créé, tout se transforme ». Et pourtant, la conviction n'est pas plus emportée que par le médiocre et un peu ranci "si jeunesse savait, si vieillesse pouvait".
Anne Brérot - Bientôt - 2006
Dans ses Poésies, parues en 1870, Isidore Ducasse, autrement dit le Comte de Lautréamont, inverse la proposition : « Rien n’a été dit. L’on vient trop tôt depuis sept mille ans qu’il y a des hommes ».
Pour éclairer la phrase, sollicitons Descartes le raisonneur : «Il n y a pas lieu de s'incliner devant les Anciens à cause de leur antiquité, c'est nous plutôt qui devons être appelés les Anciens. Le monde est plus vieux maintenant qu'autrefois et nous avons une plus grande expérience des choses". Voilà percé le mystère, rien n’a été dit car ces Anciens étaient un peu jeunes, comme nous le confirme Pascal avec la fulgurance qui le caractèrise : «Ceux que nous appelons Anciens étaient véritablement nouveaux en toutes choses... ».
Il serait bon de s’en souvenir à l’heure où l’on veut faire de tout senior un tuteur et/ou un formateur potentiel.
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03/01/2011
2011, première !
2011 est un nombre premier. Le prochain sera 2017. Six ans, c’est long. Alors 2011 année des premières ?
Que ferez-vous pour la première fois en 2011 ? contrairement aux bonnes résolutions, pas nécessaire, et pas souhaitable, d’en dresser la liste a priori. Il suffit juste de se rappeler que c’est en faisant ce que l’on a jamais fait que l’on apprend et que la volonté n’est ni suffisante ni toujours nécessaire, en tous les cas moins que de rester disponible pour les heureux hasards.
Fragonard - Les hasards heureux de l'escarpolette - 1767
Que l'année 2011 soit donc riche pour vous en premières fois et en heureux hasards.
Bonne année à toutes et à tous.
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31/12/2010
Engagez-vous !
Selon Sartre, on a jamais été aussi libre que pendant la guerre. Paradoxe ? non, tout dépend de la définition que l’on donne de la liberté. Pour Sartre, la liberté correspond à la capacité de l’homme à faire des choix, à s’engager. Quel meilleur moment pour s’engager que celui où il est nécessaire de choisir son camp : la collaboration, la passivité, la résistance. L'importance du choix fait éprouver de manière fondamentale la sphère de liberté.
En des périodes, heureusement, moins troublées, la liberté ne disparaît pas mais les choix s'exercent peut être de manière moins radicale. Que cela ne nous fasse pas oublier que si choisir c'est renoncer, c'est également affirmer et s'affirmer.
Raphaël - Spozalizio (L'engagement de la Vierge Marie) - 1504
Alors que se profilent les (bonnes) résolutions de début d'année, voici l'occasion de leur donner un peu de poids : en 2011, quels sont les engagements autour desquels se construira votre liberté ?
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29/12/2010
Faire c'est imaginer
Les sportifs ont souvent recours à la visualisation positive, c'est-à-dire à la projection mentale de leur image réalisant l'épreuve à laquelle ils se préparent. Cette visualisation a le double avantage de constituer une répétition des gestes, et donc un entraînement, et de conforter l'idée que l'acte est réalisable puisque l'on parvient à imaginer de quelle manière il doit être réalisé. Cet exercice n'est pas propre aux sportifs. Hélène Grimaud procède de la même manière pour travailler un morceau de piano et ce travail intérieur prend toute sa place à côté des exercices au piano.
Toute action est une invention et renvoie donc à notre capacité d'imagination. Comme le dit JF Billeter : "Les sciences humaines nous font croire que nous trouverons des réponses en accumulant des connaissances positives. La philosophie nous a habitué à penser que toute réponse à une question est du ressort de l'intellect. Les religions proposent des réponses en forme de révélation. Dans leur ensemble, ni les formes de pensée dont nous avons hérité, ni celles que nous avons développées ne nous préparent à saisir le rôle premier de l'imagination".
Mike Worrall - Architecture d'un rêve
La connaissance n’est que le matériau dont se saisit parfois l’imagination pour inventer. Par des assemblages nouveaux nous créons des actes qui sont des synthèses nouvelles et singulières. Faire, c'est l'imagination en acte.
Apprendre à faire c’est donc développer sa capacité à imaginer, ce qui suppose de ne pas s'habituer à un comportement de consommateur (réception passive d’informations) mais au contraire à l’observation, à regarder, voir, distinguer, différencier, et à l’appropriation qui permet de dépasser la reproduction stéréotypée et créé les conditions de l’implication personnelle.
On peut également écouter les conseils de Josette Rispal :
« Je préfère avec du rien faire du beau…j’ai besoin de transcender de rien…j’ai donné le change avec du rien…j’ai pris le réflexe de me débrouiller…je suis incapable de dire comment je fais…je ne sais rien faire…mais je peux tout faire…je le fais par nécessité en réalité ».
Josette Rispal - Chiffonnette
C'est parce qu'ils reconnaissent le rôle de l'imagination que les pédagogues considèrent parfois l'ennui comme nécessaire. En réalité ce n'est pas temps l'ennui mais la disponibilité de l'esprit pour l'errance et le vagabondage. C'est à dire l'exact inverse de l'ennui, mais une autre forme d'activité à laquelle les vacances sont tout à fait propices.
00:38 Publié dans PEDAGOGIES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : josette rispal, peinture, chiffonnette, imagination, pédagogie, éducation, hélène grimaud, sport, mike worrall
25/12/2010
Le Noël des toulousaines
Les Toulousaines Clémence Isaure et la Belle Paule
se joignent à moi pour vous souhaiter un
Joyeux Noël
Raymond Moretti - Clémence Isaure et la Belle Paule
Raymond Moretti qui disait :
"Je ne suis pas un peintre, je suis un homme qui peint"
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23/12/2010
Un mal pour un bien
Maillol était peintre. Né à Banyuls, il pouvait difficilement résister à la lumière du Roussillon, à la douceur du soleil sur les vignes des collines qui ont constitué son premier terrain de jeu. Comme Céline ne vint à la littérature que passé 40 ans, Maillol attendit le même âge pour devenir sculpteur. Le fait déclenchant fut une maladie de l'oeil. La lumière n'irradiait plus de la même manière et la peinture devenait une entreprise difficile, même si Monet ou Matisse sont des contre-exemple. Mais à quoi bon les contre-exemples, c'est soi-même qui est en cause dans ces affaires et non les autres. Grâce à la maladie, si l'on peut dire, il est donc possible d'admirer aujourd'hui les trois graces.
Les trois grâces photographiées par une catalane
Peut être l'article 84 de la loi de financement de la sécurité sociale nous vaudra-t-il dans l'avenir quelques chefs d'oeuvre inattendus. Pourquoi ? parce que cet article modifie l'article L. 323-3-1 du Code de la sécurité sociale qui permet désormais, avec l'avis favorable du médecin traitant et du médecin conseil de la CPAM, de suivre des actions de formation, d'évaluation, d'accompagnement, d'information ou de bilan de compétences pendant un arrêt maladie et le tout sans perdre les indemnités journalières. Au passage, pour ceux qui considéraient que le DIF pendant un arrêt maladie n'était pas possible, voici une procédure tout à fait légale qui permet son exercice.
Quoi de plus normal ? la maladie n'est pas nécessairement invalidante et si elle empêche le travail elle n'empêche pas toujours la formation et lorsqu'elle est invalidante, il ne s'agit que d'une raison de plus pour anticiper un reclassement.Et il n'est pas exclu que pour nombre de cas, la possibilité de suivre une formation ait également une vocation thérapeutique.
Si la maladie n'est jamais souhaitable, et rarement souhaitée, voici qu'elle pourrait désormais receler des opportunités pour peu que l'on se saisisse de ce texte. Et qui sait, sur le chemin de la formation peut être verra-t-on surgir de manière improbable un clin d'oeil au malade de Maillol.
00:37 Publié dans ACTUALITE DES RESSOURCES HUMAINES, DROIT DU TRAVAIL | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : arrêt maladie, trois graces, dif, formation, lfss, maillol, matisse, sculpture, peinture, monet, banyuls, ressources humaines, droit du travail
20/12/2010
Rupture conventionnelle et transaction : halte au bluff !
Il se trouvera bien quelques avocats pour dire : "On vous l'avait bien dit !" et proclamer qu'il faut éviter la rupture conventionnelle et préférer la bonne transaction qui règle toutes vos affaires. Pourquoi ? parce que la Cour de cassation vient de juger le 15 décembre dernier qu'une rupture conventionnelle ne peut interdire au salarié d'intenter une action en justice contre son employeur. Ce dernier avait pourtant pris la précaution d'indiquer dans la convention que le salarié "renonce à toute contestation des conditions et de la rupture de son contrat de travail". Sur cette base, la Cour d'appel avait débouté le salarié de sa demande de rappel de salaires. A tort dit la Cour de cassation, la phrase n'est que bluff et ne peut priver le salarié du droit d'aller en justice.
Fragonard - Blind man's bluff (colin-maillard) - 1751
Le problème est que le bluff est identique lorsqu'une telle phrase figure dans une transaction. De manière régulière, les juges acceptent des demandes de salariés qui ont conclu des transactions comportant une clause qui précise que "revêtue de l'autorité de la chose jugée, la présente transaction interdit au salarié de saisir les tribunaux pour tout différend né ou à naître relatif à l'exécution ou à la rupture du contrat de travail". Comme dirait Jacques Chirac, ces clauses juridiquement tournées n'engagent que ceux qui y croient. Bluff ou droit psychologique, au choix, et dans tous les cas ignorance, on y croit pas trop, ou mauvaise foi du rédacteur. En effet, la Cour de cassation juge de manière constante que la transaction et ses effets sont limités au règlement des litiges qu'ils listent. De ce fait, un salarié peut saisir le juge pour faire valoir ses droits relatifs à des souscriptions d'action même s'il a signé une transaction comportant la mention "les parties renoncent de la manière la plus expresse à formuler toute réclamation que ce soit pour quelque cause que ce soit" (Cass. soc., 8 décembre 2009). Raté. Ou encore, la Cour suprême a permis à un salarié ayant transigé sur la rupture de son contrat en reconnaissant dans la transaction n'avoir plus aucun litige d'aucune nature lié à l'exécution ou à la rupture du contrat de travail, de réclamer un complément d'indemnité conventionnelle de licenciement (Cass. soc., 2 décembre 2009). Encore raté. Et l'on pourrait multiplier les exemples.
Le principe est pourtant simple : il n'existe pas de clause valide qui sécurise totalement l'entreprise contre un recours du salarié. Après une rupture conventionnelle, le salarié peut saisir le juge pour des heures supplémentaires ou du harcèlement, mais il peut également le faire après une transaction indemnisant la rupture du contrat de travail. Le désistement total d'instance est trop chose trop grave pour qu'on l'accepte sans modération, et puis manifestement les juges n'aiment pas le bluff. Peut être, par contre, aimeraient-ils jouer à colin-maillard chez Fragonard, et en l'espèce ils le méritent bien.
23:42 Publié dans ACTUALITE DES RESSOURCES HUMAINES, DROIT DU TRAVAIL | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : colin-maillard, bluff, fragonard, peinture, rupture conventionnelle, transaction, droit du travail, jurisprudence, autorité de la chose jugée
19/12/2010
Exception culturelle
La France est le pays de Descartes, donc celui de la raison. Cette affirmation se vérifie devant les tribunaux chez qui la colère a mauvaise presse et l'insulte plus encore. Lorsqu'un salarié insulte son responsable ou un collègue, le juge considère systématiquement que le licenciement est justifié. Pas la peine d'argumenter que ce type d'insulte est courant dans le milieu, que l'on est en France et qu'un peu de gauloiserie n'est pas grave, ni même d'invoquer Nougaro ("on se traite de con à peine qu'on se traite..."), l'insulte est un comportement grave qui doit être sanctionné comme tel. L'insulte est d'ailleurs un comportement qui, si elle est répétée, constitue un fait de harcèlement. Rappelons nous que devant Salomon, ce n'est pas la mère qui crie sa colère à qui l'on donne raison mais celle qui garde son calme et propose de donner l'enfant pour qu'il soit sauvé. La colère est mauvaise conseillère, on connaît le proverbe ou, comme le dit Montaigne : "Il n'est passion qui ébranle tant la sincérité des jugements comme la colère".
Nicolas Poussin - Le jugement de Salomon - 1649
Et puisqu'il est question de Montaigne, remarquons que 50 ans avant le "Vérité en deça des Pyrénées, erreur au-delà" de Pascal, il avait déjà fait le constat que les lois s'accordaient aux moeurs et aux lieux : "Quelle vérité est-ce que ces montagnes bordent, mensonge au monde qui se tient au-delà ?". Le tribunal supérieur de Madrid, après celui de Catalogne en 2009 qui avait pris une position similaire, considère qu'en ce contexte de crise et de tension sur l'emploi, le fait de traiter son chef de "Hijo de puta" est certes répréhensible, mais pas au point de justifier un licenciement. De même, le tribunal supérieur d'Andalousie n'a pas validé le licenciement d'un salarié qui bouscule son patron car il craignait d'être licencié. Comportement à replacer dans le contexte économique dont les excès pourraient en justifier d'autres ? exception culturelle dans un pays latin où les relations humaines peuvent aussi rapidement monter en température qu'elles redeviendront cordiales par la suite ?
Ayons dans tous les cas une pensée pour le difficile métier de juger qui consiste à tracer des frontières stables entre les situations, ce qui ne peut qu'aboutir au final à une perception d'injustice. L'insulté pourra s'étonner de devoir continuer à travailler avec l'insulteur, le licencié pourra s'offusquer que l'on mette sur le même plan un emploi et un revenu et un échauffement sans lendemain et compréhensible. Notre perception serait-elle la même suivant que nous serions l'un ou l'autre, juge en deçà des Pyrénées ou juge au-delà ?
18:31 Publié dans ACTUALITE DES RESSOURCES HUMAINES, DROIT DU TRAVAIL | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : espagne, licenciement, hijo de puta, poussin, peinture, ressources humaines, droit du travail, insulte, faute grave
18/12/2010
Un oubli qui rend stupide
Classé dans les meilleures ventes de la rentrée des livres (n'allons pas jusqu'à parler de littérature) consacrés au management, "La pensée powerpoint : enquête sur un logiciel qui vous rend stupide" de Franck Frommer, respecte tous les ingrédients du genre : un thème qui parle à un large public, un titre provocateur et quelques révélations à sensations pour optimiser le lancement, du style si la navette Columbia a explosé, si la guerre en Irak a été possible c'est à cause de Powerpoint. Diable ! Sont mis en cause sans beaucoup de précautions méthodologiques : la novlangue, la réduction de la pensée, l'hypnotisation du spectateur, la primauté de la forme sur le fond, l'injonction n'admettant guère la contradiction, bref une véritable arme de destruction massive.
Jean Despujols - La pensée - 1929
Franck Frommer n'oublie pas que Powerpoint n'est qu'un outil, au contraire sa thèse repose sur l'idée que l'outil induit l'usage que l'on en fait, aliénant l'utilisateur de manière inéluctable. Vous n'avez pas le choix, si vous utilisez Powerpoint vous DEVIENDREZ stupides.
Ce qu'oublie, par contre, Franck Frommer, c'est que Powerpoint n'est pas un outil qui est fait pour penser mais pour réaliser des présentations. Et que le risque de stupidité n'est encouru que si l'on s'en sert pour penser. Ce n'est qu'à ce moment là que la forme prendrait le pas sur le fond. Est-ce que le tableau blanc ou le tableau noir rendent stupide l'enseignant ou les élèves ?
Il est certain que si je me sers du mixer pour me coiffer, le risque d'afficher ma stupidité est maximal. Etait-il nécessaire de rappeler qu'il faut penser avant de se ruer sur Powerpoint pour formaliser les résultats de ses investigations ? pourquoi pas. Plutôt que de dépenser quelques euros pour arriver à cette conclusion, on suggèrera au lecteur d'en ajouter quelques autres et de se rendre à La Piscine, à Roubaix, magnifique lieu d'exposition où il pourra, enfin, contempler en face La Pensée, constater qu'il n'y a pas de rapport avec Powerpoint et pousser la provocation jusqu'à inclure le tableau dans une présentation future.
Roubaix - La Piscine
16:00 Publié dans HISTOIRES DE CONSULTANT, PEDAGOGIES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : franck frommer, powerpoint, pensée powerpoint, roubaix, la piscine, management, despujols, peinture, logiciel
01/12/2010
Des dialogues vertueux
Ecrire c'est d'abord lire, peindre c'est d'abord regarder. Comme les écrivains empruntent à ceux qu'ils ont aimé lire, les peintres dialoguent dans leur peinture avec leurs prédécesseurs. Et, précision que je sens nécessaire bien qu'elle ne devrait pas l'être, il n'y a strictement aucune antinomie entre ces emprunts et la réalisation d'une oeuvre toute personnelle. Car l'oeuvre va dire la manière de voir, de traduire et de comprendre, au sens le plus global. En ce sens, tout dialogue est singulier.
Martial Raysse - J.D.A Ingres
On peut considérer que le dialogue social est vertueux et que la confrontation est un aiguillon de la créativité, même si chacun ne se situe pas sur le même terrain, comme le peintre et le photographe.
Tom Hunter - Vermeer
La négociation d'entreprise sur la formation professionnelle s'est peu développée depuis 40 ans. Les causes en sont multiples : faiblesse globale de la négociation collective dans les entreprises françaises (moins de 20 % des entreprises de plus de dix salariés signent un accord collectif chaque année), défiance des négociateurs de branche, compétence des négociateurs d'entreprise, intérêt pour le sujet, etc. La chronique réalisée avec Jean-Marie Luttringer pour l'AEF explore les conditions d'une relance de la négociation d'entreprise sur la formation professionnelle. Elle expose notamment le parallèle entre le DIF, moyen négocié d'accès à la formation, et la négociation collective et la place qu'occupe la formation dans les négociations obligatoires. Et pourquoi l'on peut espérer un dialogue un peu plus fourni et fructueux dans les années à venir.
00:59 Publié dans ACTUALITE DE LA FORMATION, DROIT DE LA FORMATION | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : formation, negociation, martial raysse, ingres, peinture, dialogue social, vermeer
18/11/2010
Les gitanes et l'alternance
Lorsque Goya peint la Maja nue, à la fin du XVIIIème siècle, il honore une commande. Il ne peint ni une allégorie, ni une image mythique et certainement pas LA femme. Il peint une femme, corporellement présente, dont la brosse rend tous les détails de la peau en lui ajoutant, puisque telle est la vocation de la peinture, de la lumière. La gitane est bien réelle et pourtant elle ne pèse guère sur le canapé qui la reçoit : elle est un rai lumineux incarné.
Goya - La Maja nue - 1800
Lorsque Goya, toujours à l'initiative du même commanditaire, peint la Maja vêtue, il n'habille pas la Maja nue, il peint autrement sa nudité, qui n'est pas moins provocatrice pour ne plus l'être si directement. Les deux toiles étaient commandées pour aller ensemble. La Maja vêtue cachait la Maja nue avant que de s'exposer à ses côtés. On peut préférer l'une ou l'autre, il n'y a nulle hiérarchie entre elles, chaque tableau mettant en valeur l'autre et les deux s'en trouvant rehaussés.
Goya - La Maja vêtue - 1802
Le Président de la République et le nouveau Ministre du Travail souhaitent développer la formation par alternance. On ne peut que se féliciter de l'initiative. L'alternance offre des situations pédagogiques diversifiées qui permettent de mieux assurer le développement de compétences. Le passage du milieu éducatif au milieu du travail ouvre de plus larges espaces d'apprentissage qu'un milieu endogène. Encore faut-il ne pas établir de hiérarchie. On s'inquiète un peu lorsque Xavier Bertrand déclare que l'alternance permet de mieux apprendre un métier ou qu'elle est le moyen prioritaire de lutte contre le chômage. Elle est avant tout un dialogue entre l'apprentissage en milieu éducatif et l'apprentissage au travail. Sans rapport de hiérarchie entre les deux. Il serait temps de mettre fin à la duplicité de certains qui ne voient pour les uns que temps perdu à se couper des réalités dans les enseignements scolaires et pour les autres que vil travail normé et abrutisssant dans l'entreprise. L'alternance, c'est le moyen de permettre à deux mondes qui vivent dans le confort de leur ignorance réciproque de dialoguer , à l'instar des Maja de Goya, pour le plus grand profit de ceux à qui elle est destinée.
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01/11/2010
La main dans le sac
La réforme des retraites est donc votée et entrera progressivement en oeuvre. Conseiller social du Président Sarkozy, Raymond Soubie fut un des artisans de cette réforme qu'il tenta, sans grand succès, de vendre aux partenaires sociaux. Le vote intervenu, Raymond Soubie annonce qu'il cesse ses fonctions de conseiller et déclare sur Europe 1 qu'il va redevenir ce qu'il a toujours été : un entrepreneur. Il oublie de souligner qu'il a donné un dernier conseil au Président avant de se retirer : celui de le nommer au Conseil Economique et Social en tant que personnalité qualifiée. Il serait démagogique de souligner que les 3 700 euros d'indemnités viendront utilement compléter le niveau de la retraite de celui qui trouve juste et équitable que ceux qui sont entrés les premiers sur le marché du travail cotisent plus longtemps sans pour autant avoir de droits supplémentaires. Et surtout ce serait faire injure à un entrepreneur aux affaires prospères de considérer qu'il a besoin de cette source de revenu complémentaire.
Alain Garrigue - La main dans le sac - 1998
En l'occurence, ce qui peut choquer et exaspérer en cette affaire, ce n'est évidemment pas le niveau de revenus de Mr Soubie. C'est la désinvolture persistante de nos dirigeants à ne voir jamais en aucun lieu et en aucune manière de conflits d'intérêts dans les cumuls organisés d'avantages considérés comme des dus. Cette candeur dans l'absence de morale est tellement inscrite dans la culture même de la classe dirigeante qu'elle est étonnée que la question lui soit posée. On ne saurait mieux justifier que chacun n'agisse qu'en fonction de ses intérêts propres, sans souci d'exemplarité ni de cohérence. Le souci de l'intérêt général résiste peu à l'épreuve des faits. La main est dans le sac, et elle compte bien y rester.
01:38 Publié dans ACTUALITE DES RESSOURCES HUMAINES, DES IDEES COMME CA | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : soubie, conseil economique et social, sarkozy, politique, retraite, garrigue, peinture, europe 1
27/10/2010
Savoir d'expérience
« Moi je sais de quoi je parle, j’ai l’expérience ». Les sources de la légitimité personnelle sont nombreuses : dans notre pays la légitimité par le diplôme, ou plus encore par l’école fréquentée, est un peu envahissante. Il n’en reste pas moins qu’elle ne cède pas totalement à la légitimité par l’expérience. Bien plus ancienne, elle possède son icône : Saint-Thomas qui y met les doigts pour constater que le Christ mort est bien ressuscité.
Le Caravage - L'incrédulité de Saint-Thomas - 1602
Ainsi, seule la vérification « de visu » (« de manu » en l’occurrence pour Saint-Thomas), permettrait d’établir la vérité. L’expérience directe comme seule source valide du savoir. Cette légitimité admise est pourtant discutable car elle fait fi de la transmission et des limites de l’expérience directe, sans parler des autres manières d’accéder au savoir.
De la transmission il convient d’ailleurs de se moquer : n’est-il pas ridicule l’homme qui a vu l’homme, qui a vu l’homme, qui a vu l’ours, et qui n’a pas eu peur. Coupé de l’expérience sensible immédiate, le savoir s’étiole. L’idée de l’ours n’est pas plus l’ours que la représentation de la pipe par Magritte ne se fume.
Magritte - La trahison des images - 1929
Pourtant, la transmission loin d’être une déperdition du savoir peut contribuer à son enrichissement dès lors que l’enseignant n’abreuve pas l’enseigné mais construit un dialogue avec lui. Et à partir de ce cadre, il est possible de s’ouvrir à d’autres formes de savoir (la lecture, l’enquête, la recherche, l’échange, la réflexion, la méditation y compris la méditation poétique qui sont autant de sources de connaissance). C’est pour cette raison que les rugbymen font du tableau noir et des séances vidéos : parce que l’expérience du match est insuffisante à elle seule pour parfaire leur savoir. Merci à eux de nous apprendre que l'expérience est indispensable mais insuffisante. Et qu'un grand entraîneur n'a pas forcément été un grand joueur.
Matta - O tableau noir - 1991
La seconde limite est dans le credo de nos sens. Ce que nous voyons, ce que nous percevons, ce que nous entendons, ce que nous touchons, ce que nous goutons passe à l’inévitable tamis de notre personnalité : tel palais éduqué au goût n’aura pas la même sensation que celui qui ne prend guère le temps d’apprécier les aliments rapidement engloutis. Et l’on comprend que l’expérience directe condamne au relativisme à l’infini et qu’il faut dépasser la perception individuelle pour parvenir à une quelconque vérité. En d’autres termes, la vérité de chacun est le meilleur ennemi non seulement de l’établissement de quelques certitudes mais également de la production du savoir. La connaissance, en effet, ne peut croître et se développer que si chacun accepte d’amener son expérience personnelle dans le débat pour mieux apprendre à la dépasser. Jésus l’avait d’ailleurs compris qui répondit à Saint-Thomas l’incrédule : “Parce que tu m’as vu, tu as cru. Heureux ceux qui n’ont pas vu, et qui ont cru !” ».
00:40 Publié dans PEDAGOGIES, TABLEAU NOIR | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : matta, savoir, expérience, éducation, pédagogie, formation, caravage, peinture, art, magritte, jésus
26/10/2010
Un monde inhabité
La Foire international d'art contemporain (FIAC) de Paris s'est tenue pendant quatre jours au Grand-Palais et divers autres lieux parisiens. Il y avait cette année six foires off, dont ChicArtFair qui se tenait dans les superbes locaux de la cité du design et de la mode, en bords de Seine. L'occasion de belles découvertes, dont celle de José Manuel Ballester, artiste madrilène qui vide les toiles de maître de ses habitants.
Sandro Botticelli - Histoire de Nastagio degli Onesti - 1487
José Manuel Ballester - Bosquet italien III - 2008
La scène pourrait préfigurer la chanson de Charlélie Couture : "Y'avait une fête ici". Elle fait apparaître en personnage principal le paysage qui n'était qu'un décor dans le tableau original. Elle montre peut être aussi le travail du peintre qui, comme Ingres, peignait le fonds ou le faisait réaliser par ses élèves avant de poser délicatement chaque personnage à sa place.
Fra Angelico - Annonciation - 1430 - Ballester - Lieu pour une annonciation - 2007
Difficile de dire que la toile est inhabitée. Le lieu pour une annonciation préfigure la scène qui s'y déroulera. Ainsi est on bien persuadé qu'il est des lieux dans lesquels la magie ne peut qu'opérer. Qui s'installe sous ces arches sera nécessairement touché par la grâce.
Bosch - Le jardin des délices - 1490 - Ballester - Le jardin inhabité 2008
Le jardin inhabité est plus inquiétant. La nature de Bosch privée de ses habitants ne comporte plus guère de délices. On dirait une machine qui tourne à vide et qui ne produit que peu de plaisirs. Elle ressemble à ce monde déshumanisé que certains n'envisagent que comme un grand lego économique dans lequel l'homme n'a sa place qu'en tant que producteur/consommateur. Le jardin des délices ce n'est pas l'après-fête, c'est l'après fermeture d'activité, c'est la friche industrielle qui restera en l'état de longues années. En supprimant les habitants du paradisiaque jardin, Ballester prend le contrepied de Sartre, l'enfer ce n'est pas les autres, c'est quand les autres ne sont plus là, parce qu'il y a de fortes chances pour que l'on n'y soit pas non plus.
10:10 Publié dans TABLEAUX PARLANT | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : fiac, chicartfair, bosch, botticelli, fra angelico, peinture, art, ballester, jardin, économie, politique
25/10/2010
Triste triomphe
Depuis environ une vingtaine d'années, la Cour de cassation a entrepris de redonner toute sa place au contrat de travail. Pour ce faire, elle n'a eu de cesse de consacrer la volonté du salarié face à celle de l'employeur, en élargissant le champ du contrat de travail et en restreignant celui des conditions de travail, selon la distinction posée en 1996 pour marquer les limites du pouvoir de direction.
Mais la Cour de cassation a également opposé le contrat individuel au contrat collectif en multipliant les possibilités pour le salarié de refuser l'application d'un accord collectif dès lors que celui-ci touchait à son contrat de travail. Il n'est pas illogique que la volonté collective ne puisse systématiquement contraindre la volonté individuelle et que le contrat qui confère la qualité de salarié soit garanti dans son contenu. Mais jusqu'à présent les juges considéraient que certains éléments, dont l'organisation du travail, relevaient par principe de régimes collectifs et non individuels. Par une surprenante décision en date du 28 septembre 2010, la Cour de cassation affirme que l'instauration d'une modulation du temps de travail constitue une modification du contrat qui nécessite l'accord exprès du salarié. Voici donc l'individu royalement couronné qui ne peut se voir contraint par le contrat collectif, même régulièrement négocié et même dans un domaine par nature collectif.
Caravage - Bacchus - 1593
Cette promotion de l'individu n'est pas lubie des juges. Elle s'inscrit dans le mouvement plus large d'individualisation des relations de travail et de dilution du collectif. A ce titre, elle peut rappeler comment au 15ème siècle les peintres flamands ont introduit l'individu réel, et non plus l'individu symbole d'idées le dépassant, dans la peinture (sur ce thème, voir le très beau livre de Tzvetan Todorov "Eloge de l'individu"). Ce mouvement se poursuivra à la Renaissance, trouvant sans doute son apogée avec Le Caravage dont les dieux ont figure humaine. Et pourtant, cette chair incarnée est bien triste. L'individu saisi dans toute sa réalité physique et sa banalité quotidienne se trouve bien seul, coupé du collectif. Cette opposition est présente dans le tableau du Caravage où le corps très académique tranche avec le visage plus elliptique. Quatre siècles plus tard, le débat n'est toujours pas clos. La jurisprudence de la Cour de cassation, qui rend extrêment complexe et délicate désormais la négociation et l'application d'un accord d'annualisation du temps de travail, semble imposer la prééminence du contrat individuel sur le contrat collectif. Aussi paradoxal que cela paraisse, cette affirmation de la volonté individuelle porte en elle-même un affaiblissement du salarié en le conduisant malgré lui vers une contractualisation individuelle de l'ensemble de sa situation de travail qui le laisse en position isolée de négociation face à l'employeur. Quant à ce dernier, il se trouve contraint de conduire des dizaines de négociations individuelles pour pouvoir mettre en oeuvre une négociation collective. Au final, cet émiettement du champ du négociable ne satisfera personne. Triste triomphe pour le contrat.
07:30 Publié dans ACTUALITE DES RESSOURCES HUMAINES, DROIT DU TRAVAIL, TABLEAUX PARLANT | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : modulation, annualisation, temps de travail, jurisprudence, cour de cassation, caravage, peinture, bacchus, todorov, droit
22/10/2010
Anarchie républicaine
La loi du 20 août 2008 est une météorite dont la chute va, comme celle de sa lointaine consoeur, provoquer la disparition des dinosaures, on veut parler des organisations syndicales qui ont vécu pendant des années à l'abri d'une représentativité de droit qu'elles n'avaient pas à justifier sur le terrain. Voulue par certaines organisations elles-mêmes, qui aspirent sans doute à devenir oiseau selon la noble évolution des derniers dinosaures, cette loi permet, entre autres, à toute organisation syndicale respectant les valeurs républicaines et existant depuis au moins deux ans de présenter des candidats aux élections dans toutes les entreprises relevant de son champ géographique et professionnel. Portes largement ouvertes donc aux organisations syndicales pour leur entrée dans l'entreprise à l'injustifiable exception des entreprises de moins de 11 salariés, et pour tenter d'obtenir lors des élections les 10 % des voix qui leur assureront la représentativité, désormais gagnée sur le terrain et non plus régaliennement octroyée.
Yves Tanguy - Extinction des lumières inutiles
La loi du 20 août a évidemment donné lieu à moulte contentieux, dont certains opposent des organisations concurrentes, car on a beau récuser la concurrence et la compétition force est de constater qu'il y a segmentation du marché syndical, construction d'offres et propagande, qui n'est jamais que la version politique de la publicité. Mais dans les deux affaires qui nous occupent, ce sont des directions qui s'opposaient à la désignation d'un Représentant de section syndicale (RSS) par Sud et par la CNT.
A Sud, il était reproché son socialisme autogestionnaire qui serait contraire à la liberté d'entreprendre et au droit de propriété. Le TGI a refusé de se replonger dans le 19ème siècle et de reprendre le débat avec Proud'hon et n'a pas estimé que Sud menaçait l'entreprise (TGI de longjumeau, SFR, 1er février 2010).
La seconde décision concerne la CNT, organisation syndicale anarchiste. Selon l'employeur les statuts de la CNT s'opposent aux valeurs républicaines car ils pronent l'abolition de l'Etat et le recours à l'action directe. Pas de raison de s'emballer pour la Cour de cassation, si c'est au pied du mur que l'on juge le maçon, c'est en haut du mur que l'on apprécie sa compétence. En l'absence d'actes traduisant ces vigoureuses déclarations, il n'y a pas matière à censure (Cass. soc., 13 octobre 2010). Le paradoxe est que les deux organisations syndicales se réjouiront de décisions qui constatent pour l'une que sa philosophie s'accorde à la liberté d'entreprise et au droit de propriété et pour l'autre qu'elle n'est anarchiste que dans les textes. Humour judiciaire involontaire ?
01:27 Publié dans ACTUALITE DES RESSOURCES HUMAINES, DROIT DU TRAVAIL | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : cnt, sud, loi 20 août 2008, représentativité, syndicats, anarchie, peinture, reiser, valeurs, république
20/10/2010
La rémunération doit-elle être juste ?
Rassurez-vous, la rentrée n'a pas déjà dissipé tous les effets bénéfiques de l'été et il ne s'agit pas ni de savoir si le salaire doit être conforme aux règles ni la paie correctement effectuée. Il s'agit de savoir si le système de rémunération d'une entreprise et la justice ont à faire ensemble. En d'autres termes, les salariés attendent-ils d'un système de rémunération qu'il soit juste ? et un système juste a-t-il plus d'effets sur la motivation, l'efficacité, l'implication, la fidélité qu'un système qui le serait moins ? à toutes ces questions il ne pourra être répondu dans cette courte chronique qui prétend tout de même livrer quelques éléments de réflexion.
Le cabinet Mercer a publié le 4 octobre dernier son enquête de rémunération France 2010 (voir Entreprise et Carrières n° 1019). On y apprend, notamment, que la part accordée aux augmentations individuelles -dont le taux median varie entre 1,5 % et 2 %- est désormais supérieure à celle des augmentations générales -taux médian entre 1,3 % et 1,5 %. Selon Bruno Rocquemont, responsable des enquêtes et rémunérations chez Mercer, cette primauté des augmentations individuelles s'inscrit dans la logique d'une gestion des talents et permet d'éviter les effets de saupoudrage. Sur ce dernier point, il faudrait élargir le regard : sous couvert d'individualisation, on connaît les managers qui "font tourner" et récompensent individuellement sur quelques années...l'intégralité ou quasiment de leur équipe faisant échec aux systèmes individualisés. Mais notre sujet était la justice.
Salvador Dali - Lame de Tarot - La justice
Transportons nous dans le monde judiciaire : vous êtes juré d'assise, le procès touche à sa fin, aucune preuve matérielle n'a été apportée de la culpabilité et vous n'avez face à vous que quelques éléments troublants mais pas de certitude. Est-ce que vous condamnez ou est-ce que vous acquittez ? en d'autres termes, pensez-vous qu'il vaut mieux prendre le risque d'un innocent en prison ou d'un coupable libre ? Si vous penchez pour la première hypothèse, l'étude de Mercer vous confortera : il vaut mieux ne pas augmenter tous les salariés selon leur travail mais uniquement quelques uns (l'individualisation supposant que certains ne soient pas augmentés), alors que si vous penchez pour la seconde hypothèse, vous préfèrerez augmenter plus largement pour ne sanctionner aucun des salariés ayant fourni des efforts, au risque de rémunérer certains qui en ont peu fourni. Quand à savoir si en prédéterminant une enveloppe limitée il est possible de n'augmenter que les salariés qui le méritent mais sans en oublier aucun, sur le papier c'est déjà difficile mais dans le cadre d'une prise de décision manageriale cela finirait par relever du hasard. Il vous reste aussi la possibilité de considérer que justice et rémunération n'ont rien à faire ensemble.
00:05 Publié dans ACTUALITE DES RESSOURCES HUMAINES, DANS LA PRESSE | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : entreprise et carrières, rémunération, enquête, mercer, justice, dali, peinture, ressources humaines, égalité, équité, droit, salaire
18/10/2010
Pensée non linéaire
Benoît Mandelbrot est mort jeudi 14 octobre 2010. Il est officiellement, depuis 1974, le père des mathématiques fractales. De quoi s'agit-il ? de mathématiques non linéaires qui reposent sur le principe de l'homothétie ou auto-similarité. En d'autres termes, il s'agit d'identifier des objets dont chaque partie a la même forme que le tout. Et Mandelbrot découvre ces objets et leurs propriétés à la fois par la recherche mathématique, mais aussi par l'observation de la nature : les arbres, les fougères, les alvéoles des poumons, les vaisseaux sanguins, autant d'objets fractals. Esprit curieux, joyeux et ouvert, Mandelbort remarque une fractale dans une peinture japonaise du 19ème siècle, aujourd'hui oeuvre majeure de l'art oriental : la vague, d'Hokusai.
Hokusai - La Vague - 1831
La fractale apparaît dans l'écume de la vague, motif répété qui reproduit la vague elle-même. Mandelbrot affinera ses recherches pour parvenir à une représentation graphique de ses théories qui ne manque ni de puissance d'évocation ni de poésie.
Fractale de Mandelbrot
Les fractales, qui illustrent la théorie de la rugosité ou les mathématiques non linéaires, permettent de comprendre des situations ou des phénomènes naturels, qui ne sont pas appréhendés, ou mal, par les théories qui postulent la régularité des séries, moyennes ou évènements. Leur représentation graphique offre une nouvelle image de la nature, de la pensée et de la vie.
Ensemble de Julia
Mandelbrot aimait la vie, goulument et joyeusement. Il était salarié d'IBM à l'époque de la grande puissance de la firme. Il a réalisé ses découvertes parce qu'il a su sortir du raisonnement disciplinaire et s'est autorisé à faire des relations entre des domaines, des observations, des pensées qui n'ont, a priori, pas de lien entre eux. Il a ouvert largement de nouveaux horizons par un braconnage hors des sentiers battus et une aptitude à la rêverie poétique. Les représentations graphiques des fractales produisent des oeuvres d'art. Mandelbrot présidait tous les ans un concours de représentations graphiques des fractales. En 2009, il termina son discours par ces mots : "Rien n'est plus sérieux que le jeu. Jouons !". Bien éloigné de la vision doloriste de la vie et du travail, un beau programme pour un lundi.
00:45 Publié dans DES IDEES COMME CA, TABLEAU NOIR | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : mandelbrot, mathématique, ibm, fractale, jeu, hokusai, peinture, art
10/10/2010
Indépendance de la valeur
Surgie du noir le plus profond, elle vous toise et ses yeux vous en imposent sans besoin de croiser les vôtres. L’enfance est en ses joues, la détermination raffinée barre son front, ses principes s’incarnent dans son port, la rigueur de son esprit lisse sa coiffe, la sensualité est la nature même de la belle milanaise. Qu’elle fut la maîtresse de Sforza importerait peu si cela n’avait suscité chez l’amant la commande que Léonard et son atelier surent mettre à profit pour faire jaillir l’envoûtant chef d’œuvre. En quoi l’acte marchand initial disqualifierait-il en quoi que ce soit la beauté de la belle ferronnière ?
Léonard de Vinci - La belle ferronnière - 1497
J’ai souvenir d’un directeur d’école annonçant aux étudiants lors d’une rentrée que ce qui n’a pas de prix n’a pas de valeur. Il fallut à la fois lui rappeler que l’amour et l’amitié existent aussi sur terre et plusieurs semaines pour dissiper la stupeur des étudiants. Mais faut-il pour autant, comme nous y invite Annie Le Brun, inverser la proposition et considérer qu’il ne faut mettre de valeur qu’en ce qui n’a pas de prix ? faut-il ne voir derrière toute transaction marchande que sa version péjorative sous forme de marchandisation ? La visite de l’exposition France 1500, décidément à ne pas manquer, constitue une forme de réponse. On y voit, dans la France de la fin du Moyen-Age, des artistes et artisans flamands, français, italiens ou encore allemands, se déplacer vers les lieux de création, mêler leurs techniques, découvrir de nouveaux horizons, croiser les influences, inventer chacun au sein d’un mouvement de création collective de nouvelles formes et manières de les modeler. Comment tout cela fut-il possible ? par la commande publique et privée, par le mécénat, par l’attention portée à l’art et par l’existence d’ateliers qui ont bénéficié des moyens nécessaires pour aller au bout de leurs capacités. Alors ? alors l’équation est insoluble tout simplement parce que valeur et prix n’entretiennent aucun rapport entre eux et que persister à vouloir en établir un, c’est toujours réduire le sens donné au mot valeur. Qu’il y ait prix ou non, il ne saurait en toute hypothèse être une condition ni une mesure de la valeur qui doit s’établir au regard d’autres hiérarchies. C’est plutôt à ces dernières qu’il convient de s’intéresser. Avis aux organisations qui prétendent avoir des valeurs qu'elles affichent comme des prix.
19:12 Publié dans TABLEAUX PARLANT | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : léonard de vinci, belle ferronnière, france 1500, valeurs, ressources humaines, prix, économie, peinture, exposition
08/10/2010
Du temps où le Roi avait des lettres
Imagine-t-on geste plus doux d'un amoureux envers l'aimée ? la personnification de la puissance, de l'histoire qui se fait et de l'autorité peut-elle avoir attitude plus délicate, bienveillante, attentionnée, en un mot amoureuse ? d'ailleurs la barbe du vieil homme n'est-elle pas soyeuse chevelure de femme ? Comme les indiens le faisaient avec les biches qu'ils tuaient, François 1er se penche sur Léonard pour aspirer son dernier souffle afin que vive l'esprit en lui. Et ce faisant, le regard du souverain exprime l'obligeance du pouvoir à la connaissance, l'humilité de l'épée devant la plume, le respect que le corps triomphant doit au cerveau qui le guide. Le tableau d'Ingres est un chef d'oeuvre que l'on peut admirer depuis le 6 octobre au Grand Palais à l'occasion de l'exposition "France 1500". Et au-delà du thème, vous pouvez simplement faire abstraction de tout et ne regarder que les mains présentes dans le tableau : elles vous content l'histoire.
Ingres - François 1er reçoit les derniers soupirs de Léonard de Vinci - 1818
L'admiration dans laquelle François 1er tenait les artistes, il l'exprimait ainsi : "Je peux faire un noble, je ne peux faire un grand artiste". Qui a un tel culte de la création doit nécessairement s'affranchir des entraves formelles. François 1er n'était pas très respectueux du protocole et, à l'annonce du partage des nouveaux mondes entre Espagnols et Portugais, il eut cette phrase qui pourrait nourrir toute les révoltes, qui comme chacun sait ne peuvent véritablement être qu'individuelles: "Je voudrais bien voir la clause du testament d'Adam qui m'exclut du partage du monde". N'y a-t-il pas dans cette déclaration royale la plus belle affirmation démocratique qui soit si toute femme ou tout homme se l'appropriait ? Certes si François 1er fut le promoteur des bibliothèques, il n'en fut pas moins censeur. Mais il faudrait perdre l'habitude de vouloir tout blanc les individus à qui l'on trouve quelques vertus. Constatons qu'il y a 500 ans, un Roi était l'ami des lettres et que l'on retrouve son cousin, Jacques de Savoie-Nemours, dans la Princesse de Clèves. Tout était-il donc différent d'aujourd'hui ? et oui, sauf peut être sur un point : François 1er aussi creusa les déficits.
NDLA : petit rectificatif, le tableau n'est pas présenté au Grand-Palais, il faut traverser l'avenue et se rendre au Petit-Palais pour pouvoir l'admirer.
01:04 Publié dans TABLEAUX PARLANT | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : françois 1er, france 1500, exposition, grand palais, léonard, de vinci, peinture, art, politique