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30/01/2013

Corseté

Le responsable de la gestion des compétences est enthousiaste, et cela fait plaisir à voir. Il me présente le résultat de plus d'un an de travail. Des fiches dans lesquelles, pour tous les métiers d'opérateurs, les activités, les process, les principales difficultés, les solutions à apporter, sont recensés. Un véritable guide de tous les modes opératoires du système de production. Si jamais je n'étais pas convaincu, il en rajoute un peu : "Vous vous rendez compte, pour tous les opérateurs, il y a là les manières de faire, les bonnes pratiques, les standards, tout est formalisé et à la disposition de tous. Tout le monde va s'en trouver sécurisé et on va réduire le stress". Je me force à acquieser, mais la conviction n'y est pas, un petit quelque chose qui me chiffonne, quoi ? un sentiment d'enfermement et de contrainte, comme du corsetage.

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Frida Kahlo - La colonne brisée - 1944

Un peu plus tard, je retrouverai, par hasard bien sur, ce texte :

"Le gestionnaire assume la tâche de compiler toutes les connaissances et le savoir-faire traditionnel, lesquels, dans le passé, appartenaient aux travailleurs ; de classer, d'indexer et de réduire ces connaissances à un ensemble de règles, de lois et de formules qui constitueront un apport immense pour les travailleurs dans l'exécution quotidienne de leur tâche". Ces mots ne sont pas ceux d'un manager, d'un ingénieur qualité ou d'un  développeur des compétences. Mais de quelqu'un qui fut le précurseur de tout cela, Frederick W. Taylor qui l'écrivit en 1911, soit il y a un siècle. Réduire la compétence à des modes opératoires normalisés, le rêve de tout ingénieur de production, c'est à la fois sécuriser l'opérateur, car il dispose d'une référence explicite pour agir, et le déposséder de sa compétence et de son métier. Tout comme le corset sécurise la colonne brisée et entrave le moindre de vos gestes et en vous maintenant en vie, vous fait souffrir. Voilà sans doute ce qui m'empêche toujours de partager l'enthousiasme de mon interlocuteur de bonne volonté.

04/04/2012

Cogénération

Les professionnels qui travaillent avec l'Education nationale sur la rénovation des licences professionnelles constatent dépités la faiblesse du niveau moyens des étudiants en langues. Ils en concluent que cela constitue un frein à l'embauche pour les grandes entreprises, mais que c'est moins grave pour les PME puisque 70 % ne sont pas tournées vers l'exportation. Cette appréciation traduit une vision totalement linéaire et instrumentale de la compétence : l'activité serait première et la compétence utilisable ou non dans l'activité. C'est oublier que la compétence modèle l'activité et que si tous les étudiants étaient bilingues, sans doute que beaucoup plus de 30 % des PME seraient exportatrices. Si l'activité nécessite la compétence, la compétence rend possible une activité qui n'existait pas. Plutôt que de manière linéaire, la relation emploi-compétence devrait être envisagée comme une cogénération.

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Picasso - Peintre et son modèle

Si Picasso, ce grand prédateur, a autant peint sur le thème du peintre et son modèle, s'il a autant travaillé sur les toiles d'Ingres, de Velazquez, de Cézanne, c'est parce qu'il savait bien, lui le Minotaure, que l'on se nourrit des autres et que c'est dans cette dynamique qui vous transforme en même temps qu'elle vous permet d'agir que s'ouvre la possibilité de l'innovation.

L'activité, l'emploi, ne sont pas des données préconstruites à l'intérieur desquelles s'insère l'individu, ils sont modelés par les personnes qui les occupent et leur évolution est en partie déterminée par les compétences non requises a priori mais qui vont venir s'exercer malgré tout. L'emploi et les compétences ? un système de cogénération.

24/01/2012

Prendre le temps de la performance

Séminaire interne consacré à la performance de l'entreprise, soit les résultats et leurs conditions. Le sens de l'action et ses modalités. Questionnement autour de "Qu'est-ce qu'une entreprise performante ?" comment l'on peut travailler autour de "Qu'est-ce qu'un bon professionnel ?". Et puis dans le fil des travaux vient la question complémentaire "Qu'est-ce qu'une bonne organisation ?". Et la réponse d'une participante fuse aussi rapidement que la question a été posée : "C'est une organisation qui laisse le temps de réfléchir à ce que l'on fait". Diable, voilà une affirmation en forme de provocation. Alors que l'on débat de productivité et de temps de travail, il faudrait laisser du temps. Et pour réfléchir en plus. Mais que penserait le penseur d'une telle demande ?

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Munch - Le penseur de Rodin - 1907

Peut-être qu'il estimerait la proposition bienvenue pour tous ceux qui remplissent compulsivement les agendas, s'enorgueillissent des 320 mails reçus chaque jour (et paranoisent lorsqu'il y en a moins de 200), font la chasse au temps mort, ne peuvent supporter l'observation contemplative et sont occupés en permanence à  saturer leur temps et leur espace, tout en se demandant pourquoi ils saturent. Prendre le temps de la réfléxion, se déconnecter de la commande ou de l'injonction immédiate, réfléchir au sens de l'action et à ses modalités, bref prendre le temps de l'efficacité. Mais pour cela, il faut commencer par prendre le temps.

08/09/2010

Hommage aux bricoleurs anonymes

Certes Jean Tynguely n'est pas un anonyme. Mais c'est un bricoleur. Qui ne peut s'empêcher d'assembler, de souder, de visser, de lier, de coordonner, d'harmoniser, de concrétiser le rêve inespéré des bouts de ferrailles et rebus de la technique. Jean Tinguely ne peut voir une pièce de bois, de caoutchouc, de métal, sans vibrer en songeant à la place qu'elle pourrait trouver dans une improbable machine.

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Mais à quoi donc servent les machines de Jean Tinguely. Les fontaines passent encore, mais ce grand oiseau de métal tout encombré de ses ailes brandies comme des bras impuissants ? Et ces roues qui tournent en tout sens dans une cacophonie baptisée Heureuse Utopia ?

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Tinguely, comme Calder ou Miro, ouvre en grand les portes et fenêtres de la vie et des enfants, des oiseaux, des avions, des trains, des millepattes, des cacatoès, des renards roux aux yeux rieurs, des lapins magnétiques et mille autres joyeux drilles s'engouffrent dans ces ouvertures. Tinguely montre que la vérité est dans l'évidence de l'enfance.

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Les petits bricolages de Jean Tinguely nous offrent au final des grandes machines qui parviennent à notre grande surprise à fonctionner défiant toute les lois de la probabilité. De la même manière que tous les bricoleurs au quotidien dans les organisations inventent des outils personnels, des excel de secours, des circuits non prévus de circulation de l'information, des réseaux informels de ressources, des démerdes aussi géniales que clandestines, des process non certifiés ni certifiables, des raccourcis procéduriers aux allures de chemins de traverses, des transgressions fulgurantes et mettent en oeuvre des compétences non répertoriées, échappant à tout référentiel, dépassant largement l'imagination des metteurs en fiche de la création et de l'inventivité humaine. Bref, tous ceux sans qui rien ne tiendrait  et qui peuvent voir dans les oeuvres de Tinguely un clin d'oeil qui leur est adressé en forme d'hommage.

17/08/2010

Focale et profondeur de champ

La sélection de l'entrée de la lumière dans l'appareil photo, le choix de la focale, permet de déterminer sa diffusion. Une focale ample distribue largement la lumière sur la proximité mais réduit la profondeur de champ. Vous privilégiez le premier plan avec une ouverture à F4.

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Si vous réduisez l'entrée de lumière, vous gagnez en profondeur de champ. Le regard porte plus loin avec précision, mais les zones de premier plan ne sont plus visibles correctement. L'ouverture à F16 est une longue vue.
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Bien sur on peut se donner comme objectif d'ajuster la focale de telle manière que le plan plus proche et le plus éloigné puissent être englobés dans la vision avec suffisamment de netteté. Le choix de la focale moyenne à F8 perment d'envisager une vision globale.
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Lorsque l'on souhaite comprendre le fonctionnement d'une organisation, il est nécessaire de modifier son regard et de changer de focale. Je souhaite avoir une compréhension d'ensemble ? F8. Je veux comprendres les relations interpersonnelles ou les motivations individuelles ? F4. Je veux comprendre l'environnement et me replacer dans une perspective historique dynamique ? F16. Reste ensuite à déterminer si vous fonctionnez en réglages automatiques ou si vous préférez travailler en manuel.

07/12/2009

Le bon rythme

Les deux musées sont contigüs dans le parc des musées d'Amsterdam.  Dans le premier, le Rijksmuseum, seuls quelques chefs d'oeuvre sont visibles, du fait de la rénovation en cours. Parmi ceux-ci, La laitière rentrée de New-York, que l'on peut contempler  en doutant qu'il s'agisse d'une peinture, sans savoir de quoi il pourrait bien s'agir d'autre. Les couleurs, la patine, le dessin, la précision du trait, tout semble impossible à la réalisation. Et l'impossible peut être observé à loisir et à plaisir.

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Vermeer - La laitière - 1658/1661

Vermeer a peint une petite quarantaine de tableaux en vingt ans. 

De l'autre côté de la rue se trouve le musée Van Gogh qui présente le plus grand rassemblement existant des oeuvres du peintre. Pourtant, il ne s'agit que d'une petite partie des 840 tableaux, mille dessins et autres aquaralles sans compter les centaines de lettres envoyées à ses proches, pleines de subtilité, de goût et de vie. Van Gogh n'était pas pressé, ni fou : il était rapide. Bien trop rapide pour son époque, mais il l'aurait sans doute été encore trop pour la notre. Question de rythme.
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Van Gogh - Les champs labourés - Arles - 1888

Imaginons que l'on ait demandé à Vermeer de peindre au rythme de Van Gogh, ou à ce dernier d'adopter le rythme de Vermeer.  La folie et l'impuissance aurait  à coup sur frappé les deux. Pourtant, les deux étaient des travailleurs acharnés. Chacun à leur rythme. Ni la lenteur ni la rapidité ne sont souhaitables pour elles-mêmes. Il suffit de savoir laquelle convient sans les hiérarchiser.
Les marcheurs savent qu'en montagne le faux-pas, c'est-à-dire celui qui n'est pas le sien, ne pardonne pas et réduit singulièrement la performance. En ce lundi, Vermeeer et Van Gogh nous posent deux questions : comment les organisations prennent-elles en compte le rythme propre à leurs collaborateurs, sachant que sur un rythme qui n'est pas le sien il est peu probable que l'on soit performant. La seconde question est plus directe : et vous, quel est votre rythme ?

24/08/2009

Le Coq et les flamand(e)s

« - Il est vraiment résistant au changement…

-             - Pourtant on l’a accompagné, on a mis tous les moyens à sa disposition…

-            -  On lui avait clairement expliqué les enjeux…

-            - Il a suivi une formation de trois jours sur les échasses, qui sont du dernier modèle…

-            - Lors de son dernier entretien, il a répondu qu’il ferait des efforts mais son adaptation est vraiment lente…

-            - Je pense qu’il va falloir s’en séparer, ce n’est plus possible après tout ce que l’on a fait pour favoriser son intégration… ».

Le sort du Coq en est jeté. Le poulailler ayant fermé, il fut sommé de rejoindre les proches flamands roses. On lui a fourni les échasses, on l’a formé à la marche en eaux troubles, il a acquis le vocabulaire et les attitudes des flamands, mais il demeure trop lent, trop lourd, peu gracieux et peu synchrone. Son adaptation est un échec, il ne sera jamais intégré. Le licenciement est inévitable.

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Encore s’agit-il ici d’un coq plein de bonne volonté. S’il avait dès le départ rappelé que Coq il était et que Flamand il ne saurait être, on l’aurait sans doute trouvé crispé sur ses acquis, conservateur et passéiste, refusant de muter pour le profit de tous et le sien en particulier puisqu’ainsi il en avait été décidé. Un archaîque dont le débarras sera un soulagement.

Bien sur, l’histoire peut se passer autrement. Le Coq peut s’amuser de ses échasses, trouver plaisant de jouer au flamand, espérer d’une jolie flamande, ou jubiler de devenir invisible au milieu de ses dissemblables.

Si nul ne saurait exiger d’être pris et conservé en sa nature, faut-il pour autant conclure de l’existence d’un coq joueur que tous les coqs ne rêvent que d’échasses  et de flamandes ?