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06/07/2011

Une proposition

Peut-on suggérer à un salarié de démissionner ? est-ce du chantage, ou une proposition, que de lui recommander de démissionner avant que ne soit engagée à son encontre une procédure de licenciement pour faute grave ?

Lorsque la Cour de cassation veut apprécier la validité d'une volonté, nécessaire ici à la validité de la démission, elle utilise deux critères : le délai de réflexion et la capacité de la personne à prendre la mesure de la situation. Dans une décision datée du 25 mai 2011, la Cour de cassation estime qu'un délai de 5 jours, après avoir reçu la proposition écrite de la part de l'employeur de démissionner, et le fait que le salarié était cadre et avait pu s'informer librement sur les conséquences de la démission, permettait de valider l'expression d'une libre volonté. Le repentir tardif, cinq semaines après avoir démissionné, n'est donc pas valable. La suggestion de l'employeur était  bien une proposition et non du chantage.

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Watteau - La proposition embarassante - 1716

On peut trouver dans cette décision une consécration heureuse : celle qui consiste à penser que la subordination juridique existant dans le contrat de travail ne fait pas du salarié un incapable dépourvu de faculté de jugement, d'autonomie et de responsabilité, tout soumis qu'il serait à l'autorité de l'employeur. Cette consécration du salarié comme personne adulte et responsable, tout en posant des conditions à la validité du consentement, constitue une reconnaissance de la personne du salarié en tant qu'individu et non comme simple sujet.

Mais si tel est le cas, alors on comprend mal pourquoi la Cour de cassation estime que dès lors qu'il y a risque de licenciement, le recours à la rupture conventionnelle doit être écarté du fait d'un contexte litigieux. Que les parties veuillent sortir d'un litige annoncé par un accord plutôt que de se livrer au simulacre du licenciement avec transaction ou au  contentieux pourrait au contraire être considéré comme une manière intelligente de traiter l'affaire. Et les conditions de la protection du salarié sont remplies : délai de réflexion, délai d'homologation et contrôle de la DIRECCTE, possibilité de se faire assiter et recours éventuel en cas de dol. Si les juges étaient logiques, ils n'interdiraient pas à un salarié susceptible de démissionner valablement la possibiltié de conclure un accord de rupture plus respectueux de ses droits.

Cass. soc. 25 mai 2011 - Démission suggérée.pdf

27/02/2011

Chronique de week-end : l'énigme de Gilles

Chronique de week-end consacrée à l'énigme d'un des tableaux que l'histoire de l'art retient comme l'un des plus mystérieux qui soit.

Que regarde le Gilles de Watteau ? que vous dit l'oeil de l'âne ? pourquoi les quatre personnages ont-ils tous une expression différente ? d'où vient cette profondeur de Gilles dont le visage tout entier a la qualité du sourire de la Joconde ? Si vous passez par le Louvre, oubliez la Joconde, mais visitez la Belle Ferronière puis dirigez-vous vers le Gilles, vous ne serez pas dérangé. Le tableau exprime tout l'art du 18ème siècle et des Lumières : de la peinture, du théâtre, de la philosophie, du roman, tout ceci est présent dans ce tableau tragique et joueur, profond et léger, lumineux et obscur. Ce tableau qui réunit tous les contraires en un éclat de génie bouleversant.

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Antoine Watteau - Gilles - 1718

Gilles est un crucifié, il en a la lucidité. Gilles est un clandestin. Il s'habille de blanc, paraît au premier plan, capte toute la lumière, s'offre à vous et pourtant vous ne le voyez pas, ne le percevez pas, ne savez rien de lui. Pas de roman social et familial chez Gilles. Une présence absence qui lui offre toute liberté. Que lui diriez-vous si, croisant son chemin, il vous apparaissait dans son costume à la fois trop grand et trop court ? le corps lourd, les mains épaisses laissent un visage hébété. Pourtant, au léger, sourire, vous vous demandez si le Gilles ne se fout pas de vous. Et vous avez bien raison. Vous vous trouvez devant un hybride, c'est-à-dire littéralement un monstre. Et l'on ne cause guère au monstre. Passez votre chemin, voici le Gilles qui exprime toute la folie des hommes et n'en laisse rien paraître. Gilles, mon frère, mon ami, mon double, mon meurtrier.

31/03/2010

Lumières

Le tableau est souvent présenté comme l'un des plus mystérieux qui soit. Que regarde le Gilles de Watteau ? que vous dit l'oeil de l'âne ? pourquoi les quatre personnages ont-ils tous une expression différente ? d'où vient cette profondeur de Gilles dont le visage tout entier a la qualité du sourire de la Joconde ? Si vous passez par le Louvre, oubliez la Joconde, mais visitez la belle ferronière puis dirigez-vous vers le Gilles, vous ne serez pas dérangé. Le tableau exprime tout l'art du 18ème siècle et des Lumières : de la peinture, du théâtre, de la philosophie, du roman, tout ceci est présent dans ce tableau tragique et joueur, profond et léger, lumineux et obscur. Ce tableau qui réunit tous les contraires en un éclat de génie bouleversant.

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Watteau - Gilles - 1712

Pour peindre un tel tableau, il faut être encyclopédiste, résolument, profondément et définitivement. Encyclopédiste cela signifie avoir la volonté de faire des liens entre ce qui habituellement n'est pas relié. Mais l'encyclopédisme se perd. Pierre Lacame, Directeur Général de la Fondation Charles Léopold Mayer dresse ce constat sur l'Université à l'occasion de la parution des thèses primées par le journal Le Monde et ses partenaires : "donnez des moyens à la recherche publique et nous fabriquerons les élites dont la société a besoin pour se comprendre et se développer. Personne n'y croit plus sérieusement. Il faudrait que l'université soit en mesure de produire des élites capables de s'affronter à la complexité des défis des sociétés du XXIe siècle, et c'est largement incompatible avec un enseignement à dominante disciplinaire ; capables d'un aller et retour constant entre pratique et théorie, et l'enseignement n'y pousse guère ; capables de contester la pensée de leurs professeurs et c'est risqué pour un jeune thésard".
Bref, il y a urgence pour un retour à l'encyclopédisme et aux Lumières afin d'éviter que chaque nouvelle thèse ne soit, comme le disait Raymond Aron, un moyen de tout savoir sur quasi  rien à force de n'être qu'un traitement purement disciplinaire de spécialiste d'une question n'intéressant que les spécialistes. Réfléchir sur des questions posées par la société, aborder ces questions de manière pluridisciplinaire, penser contre ses maîtres et contre soi-même, voilà le projet. Vite, Fiat Lux.

En complément, une interview d'Egar Morin sur le même sujet, parue dans Le Monde.

29/12/2009

VOYAGES A VENIR

A près de 80 ans, Michel Serres, que les honneurs multiples n'ont pas alourdi, garde la vivacité, le plaisir, la malice et la pétillance qui l'ont toujours caractérisé. Il conserve également cette plus rare foi dans la jeunesse avec la conviction que chaque génération a ses propres combats à mener et qu'elles ne sont pas concurrentes entre elles. Pas de conflit de générations avec Michel Serres, mais des témoins qui se transmettent sous forme de "voilà ce que je peux vous léguer, et je le fais avec plaisir non pour que vous y soyez fidèle en le statufiant, mais pour l'usage que vous jugerez bon". Mais plutôt que de le faire parler, donnons lui la parole :

"L'intelligence n'est pas de savoir axiomatiquement comment on déduit... Pour Montaigne, ce n'était plus "tête bien pleine", la diffusion de l'imprimerie détrônait cette mémorisation des voyages d'Ulysse, des contes..., qui servaient de supports aux connaissances de l'époque. Déjà Montaigne ne trouvait plus de sens à mémoriser une bibliothèque potentiellement illimitée. Mais sur Internet, faut-il encore une "tête bien faite"? Peut-être "surfera" mieux "pied bien démerdard". Voilà la définition de l'intelligence d'aujourd'hui. Celui qui courra le mieux avec ses deux pieds ne sera pas forcément polytechnicien agrégé de philosophie; ceux-là auront la tête trop lourde pour se débrouiller là-dedans... Par conséquent, il y aura des chances nouvelles pour des gens que l'ancien monde traitait de débiles. C'est un nouveau départ avec des chances également réparties.

L'homme se promènera dans le volume de l'information comme il se promène dans les forêts et les montagnes, pour explorer le monde physique. Jusqu'ici, le savoir était un lieu d'apprentissage de la déduction, de l'induction, de la mémoire. Il devient aujourd'hui un lieu de promenade. Cela n'est jamais arrivé."

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Watteau - L'embarquement pour Cythère

Cette invitation au voyage, dans la joie et le plaisir des sens, est celle que Watteau peignit avec la part de mystère qui habille ses toiles. L'invitation au voyage mérite d'être renouvelée, ce que fit Michel Serres encore, lors d'un récent passage à Toulouse, en ces termes : "Je pense que les mutations sont telles que l'avenir immédiat n'appartient pas aux grandes institutions mais aux initiatives individuelles mêmes minuscules mais toujours proche des individus. Il faut que chacun prenne conscience de cette nécessaire reconfiguration et se l'approprie. C'est à ce niveau-là que la mayonnaise doit prendre. Après seulement, dans un second temps, viendra le temps des institutions. J'aimerais avoir 18 ans et la jeunesse pour avoir devant moi le temps d'entreprendre, pour participer à cette grande mutation et la voir lever. On n'est pas qu'à l'aube de la deuxième décennie du vingt et unième siècle mais à l'aube de quelque chose.".  Entre le coucher de l'année en cours et le lever de l'année nouvelle, l'heure bleue, interstice temporel, permet de mieux apprécier la parole de Michel Serres.

04/12/2009

Le sens des contraires

Alfred Hitchcock déclarait à propos de "La mort aux trousses" (en substance) : j'ai voulu inverser le cliché du film noir qui est de créer l'angoisse par une atmosphère sombre, humide, avec des voitures mystérieuses. L'archétype du genre pourrait ressembler à ceci :

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Le génie d'Hitchcock est de comprendre qu'en retournant la scène, elle n'en produira que plus d'effet. Pas de pluie, le soleil, pas de voiture, un avion, pas de ville nocturne, un champ en plein jour. C'est la fameuse scène de l'avion pourchassant Cary Grant.
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Toute image, toute situation appelle son envers qui peut utilement l'éclairer. Le mystère du Gilles de Watteau ne prend-il pas un autre relief si l'on considère qu'il est l'exact envers de la crucifixion qu'il représente ?
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Watteau - Gilles                          Van Dyck - Crucifixion

Pour comprendre une organisation, une situation, une personne, il est possible de jouer à Hitchcock et de se demander comment elle pourrait être représentée au moyen de ses contraires. La vérité d'un homme est dans ce qu'il cache, disait Malraux, disons qu'elle est plutôt dans ce qu'il montre et que l'on voit mieux avec son envers.

07/01/2009

Accord parfait

Les partenaires sociaux devaient finaliser dans la nuit, car on sait que les négociations les plus prospères se déroulent et se concluent la nuit, une nouvel accord national interprofessionnel sur la formation professionnelle. Au vu du projet élaboré le 22 décembre dernier et des discussions qui se sont tenues au cours de la journée du mardi 6 janvier 2009, l'accord devrait avoir une portée politique, financière et pédagogique.

Politique car il marque, après une année 2008 riche en négociations interprofessionnelles, une volonté d'autonomie forte de la part des partenaires sociaux qui affirment tous leur vigilance quant à la reprise de l'accord de manière fidèle par la loi.

Financière car est acté le principe de création d'un fonds d'intervention en faveur des salariés et demandeurs d'emploi les moins qualifiés par réaffectation d'une partie (10 à 20 %) de l'obligation légale de financement de la formation professionnelle.

Pédagogique car l'accord sera rédigé avec la volonté de créer un véritable régime paritaire de gestion de la formation dont il importe que chacun (entreprises, individus, Etat, Conseils régionaux, OPCAs, etc.) puisse comprendre les finalités, les modalités de fonctionnement et de gouvernance.

A ce titre, et dans son économie plus que dans ses dispositions, il s'agit d'un accord parfait.

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Watteau - L'accord parfait

La rupture en matière de formation professionnelle était déjà actée par l'accord du 5 décembre 2003. Il s'agissait donc moins de continuer à rompre, que d'organiser l'avenir du système dont les fondements ont déjà été posés. Ce qui sera peut être l'accord national interprofessionnel du 6 -ou du 7 selon l'heure de conclusion- janvier 2009 constitue donc l'acte II de la réforme de la formation professionnelle, son approfondissement et son prolongement. Toutes les conditions sont désormais réunies pour que l'on prête longue vie au nouvel accord.