12/03/2011
Chronique de week-end : l'énigme, ou le rêve, de Vénus
Chronique du week-end consacré à un tableau audacieux du XVIème siècle dans lequel explicite et inconscient, onirisme et réalisme, explicite et suggestif se mêlent en géniaux entrelacs.
L'oeuvre a donné lieu à de nombreux commentaires, trop souvent très classiques, comme celui de Panofski qui voit dans la Vénus du Titien l'image de la tendresse et de la douceur matrimoniale. Allant un peu plus loin, Daniel Arasse voit que le tableau n'est pas une scène se déroulant dans un palais vénitien mais une présentation sur fond noir, pour la mise en valeur de la nudité, d'une fière Vénus se manuélisant, selon le terme charmant de l'époque, tandis que les servantes s'affairent, comme il convient. Plus érotique que Panofski, Arasse souligne bien la hardiesse de la représentation mais surtout la force du tableau et de Vénus, qui s'expose et regarde à la fois. L'interprétation d'Arasse ne satisfait toutefois pas totalement (voir extrait et résumé de deux analyses du tableau ci-dessous). Que peut-on voir dans la Vénus d'Urbino ?
Titien - La Vénus d'Urbino - 1538
Une jeune femme qui se clitorise comme l'on dit alors (lorsque Titien peint le tableau Montaigne a cinq ans et n'a pas encore introduit dans la langue française le vocable "masturbation"), est-ce véritablement un scandale au XVIème siècle ? Oui pour l'Eglise même si elle n'est pas le pêché majeur. Selon Arasse, elle est même recommandée pour avoir des enfants ce qui renforcerait l'hypothèse d'une scène située dans un contexte de mariage. Toutefois, l'interdit religieux n'est pas douteux. Dès lors, le tableau peut prendre une autre signification. La scène du second plan n'est pas du même ordre que la présence de la Vénus à l'avant du tableau, l'improbable "rideau" noir en atteste comme Arasse l'explique. Mais il ne s'agit pas que d'un effet pictural et l'explication d'Arasse à ce sujet paraît faible. Il semble plus évident que le noir du rideau renvoie à la plongée nocturne dans le sommeil et que la scène au second plan est le rêve de Vénus. Le rêve qu'en mettant les mains en des lieux interdits elle transgresse avec plaisir et volupté les règles sociales. Et ce ne sont pas deux servantes qui s'affairent mais une petite fille qui plonge ses mains avec l'avide curiosité de l'enfance dans le coffre des merveilles. La servante debout, dont la jupe rouge figure l'ordre et la loi, remonte sa manche pour administrer la correction méritée au regard de la morale. Vénus a été surprise en son enfance et punie pour sa curiosité. Quelle revanche de s'offrir librement au plaisir en notre présence et pour le notre.
09:14 Publié dans CHRONIQUE DE WEEK-END | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : vénus, titien, peinture, énigme, week-end, arasse, montaigne
05/03/2011
Chronique du week-end : l'énigme des women
Pour cette chronique de week-end ensoleillé, un triangle d'or : la Hollande, l'Espagne, New-York.
Car Willem de Kooning est un New-yorkais de Hollande, convaincu que les femmes sont des paysages et se souvenant corporellement que l'Espagne, comme la mer du Nord, s'est répandue dans les terres basses qui furent son premier horizon.
Les Women de Willem De Kooning sont des Vénus, directement issues de la Vénus de Lespugue et de toutes les Vénus ultérieures, mais qui n'aurait pas été taillée dans l'ivoire, plutôt pétrie dans la glaise, dans l'argile, dans la terre primordiale gorgée de mer originelle. Si Courbet dévoilà l'origine du monde, De Kooning nous offre à la fois l'origine et l'avenir. La toile inondée de couleurs, de gestes et d'eau livre une figure dont la rapidité d'exécution ne doit pas tromper sur l'immémoriale élaboration. Réminiscence : dans les plats pays, sur les étendues d'eau, les nuages sont longs à se former mais défilent rapidement car rien ne saurait obstruer l'horizon. Le vent est maître des lieux, que l'on honore en couvrant le paysage de moulins. Le vent, le mouvement, le passage rapide du temps, et l''éternel retour de tout ceci habitent les vénus de De Kooning.
Willem De Kooning - Woman I - 1950-1952
Solidement installée dans l'herbe grasse des Polders, les pieds dans la mer, telle une momie irriguée de vie et d'énergie, la Woman I révèle brutalement que donner la vie c'est également donner la mort et que l'opposition entre femme-vie-mère et homme-mort-guerrier est un défaut d'imagination, une paresse de l'esprit. Comme le dit Sollers : "Le monde appartient aux femmes. C'est à dire à la mort. Là dessus tout le monde ment". Pas De Kooning dont les doux yeux bleus ont une sauvage lucidité. Imaginez un instant le corps à corps avec la toile qui rendit possible cette Woman. Fermez les yeux et vous verrez la raison des bourgeois commerçants du Nord s'accoupler violemment avec la pasionaria espagnole. Les hollandais et les espagnols furent des marins. Les plus belles villes de ces pays sont des ports. Ici, il faut se souvenir que c'est à New-York que sont apparues les Women. L'eau venue de toujours et qui s'en ira partout.
12:06 Publié dans CHRONIQUE DE WEEK-END | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : de kooning, peinture, sollers, new-york, hollande, espagne, venus