07/05/2011
Chronique de week-end : l'énigme de l'illusion des profondeurs
Vous écartez d'emblée tous les clichés : le grand bleu, la marenostrum, la mère originelle, le liquide amniotique, tout le fatras habituel de la symbolique de surface. Car il s'agit de se plonger dans les profondeurs. D'aller voir un peu au-delà. Il ne s'agit pas de descendre, mais de monter dans cette profondeur qui nous est offerte par Alain Garrigue. La graine a rugi et laissé place à cette grande tige qui nous livre ses petites échelles, de ci de là, pour nous faciliter l'entrée dans le tableau. A hauteur d'homme. De manière un peu exceptionnelle car dans les toiles d'Alain Garrigue on trouve toujours un trait d'humour, un léger déni de réalité, un décalage, un clin d'oeil qui vous dit "du calme, tout ça n'est pas vraiment sérieux, profite, apprécie, mais pas la peine de se pousser du col". Ici ce trait n'est pas présent. La toile recèle une gravité qu'il était nécessaire de noyer dans le bleu pour qu'elle ne soit pas pesante. Par ce ton et par ce bleu, rapportés à sa peinture habituelle, cette toile est d'exception.
Alain Garrigue - L'illusion des profondeurs - 2010
Vous vous laissez happer par la toile et entrez dans son espace. Vous vous demandez quelle est la matière qui vous accueille : pas la mer, pas la terre, pas l'air. Si c'est une matière, elle est inconnue dans notre monde. Et là vous réalisez que l'espace dans lequel vous projette cette toile, c'est le temps. L'oeil de Proust, en haut, au centre, vous en persuade. Le maître du temps est là et veille à son ordonnancement. Vous êtes dans la Cathédrale du temps, le lieu de toutes les incantations, de toutes les convocations. Vous lisez à gauche sur la toile : "ICIOULA" et c'est Rimbaud qui apparaît :"Arrivée de toujours, qui t'en iras partout". Vous découvrez à droite ces touches de couleur ocre, brune, sienne, terre, chair et surgit De Stael, autre grande carcasse qui se plie et se détend devant la toile. Vous voyez quelques bateaux de Charon, des pas perdus pas perdus, la présence permanente de l'enfance, quelques ombres que vous habillerez vous même de vos craintes ou de vos désirs. Et là le mouvement se met en marche, le couvercle saute, la mécanique s'enclenche, le manège tourne, e per si muove, tout prend vie, l'illusion est profonde. Qui vit avec cette toile ne pourra plus s'en séparer.
10:51 Publié dans CHRONIQUE DE WEEK-END | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : alain garrigue, peinture