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08/04/2013

Du vide

Dans le nouveau concours Lépine ouvert par le report d'une nouvelle réforme de la formation à l'automne, l'Institut Montaigne est un impétrant persévérant. D'autant plus persévérant que les propositions sont les mêmes que celles formulées il y a quelques mois : supprimer le (soit disant) "Payer plutôt que former" et le remplacer par un crédit d'impôt, censé être incitatif puisque d'autant plus élevé que les formations seront qualifiantes et que les salariés appartiendront à des catégories peu formées. Cette contribution aurait pu alimenter le débat lancé par Liaisons Sociales sur la suppression de l'obligation fiscale relative au plan de formation. Lorsque l'on procède à une suppression, la question est de savoir si ce que l'on met à la place, serait-ce le vide, est meilleur que ce que l'on a supprimé. Comme Rothko supprimant le sujet pour mieux le mettre face au miroir coloré qui lui est présenté.

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Rothko - White over red

Or le crédit d'impôt est une substitution de médiocre qualité, pour plusieurs raisons. Tout d'abord, il agit dans une logique purement individuelle, contrairement à la contribution fiscale qui procède à une mutualisation, soit le calcul individuel contre la logique de solidarité. Ensuite, il ouvre la porte à tous les effets d'aubaine, en finançant sans distinction ce que l'on fait sur incitation et ce que l'on aurait de toute façon réalisé. Enfin il ouvre la porte de l'optimisation fiscale, et l'on connaît les dérives du crédit d'impôt recherche avant de constater celles du crédit d'impôt compétivitité. Même si cela fera travailler les consultants, il y a peut être mieux à faire. Par exemple, créer une obligation conventionnelle de négocier un taux de mutualisation par branche, pour trois ans. Ce qui renforcera le dialogue social sur la formation et mettra en place non une obligation uniforme mais des contributions basées sur des diagnostics. Ou encore introduire dans le code du travail, de manière plus explicite, les responsabilités sociales de l'employeur au regard de la qualification des salariés en s'inspirant de la jurisprudence de la Cour de cassation. Ou enfin en se demandant s'il ne faudrait pas une obligation qui se réduit à proportion que l'effectif augmente, ce qui changerait un peu des logiques d'alourdissement des charges lorsque l'on embauche. Et pour ceux qui prendront la peine de lire les deux documents joints, vous constaterez que l'Institut Montaigne mérite son dictionnaire des idées reçues (voir ici). Comme disait Montaigne, le vrai : "Il faut avoir un peu de folie si l'on ne veut pas avoir plus de sottise".

Suppression du 0,9 %.pdf

Institut Montaigne - Formation, Emploi, Compétitivité.pdf

03/10/2011

N'est pas Montaigne qui veut

L'Institut Montaigne est un "think-thank". Autrement dit, une boîte à idées, un cercle de réflexion, un club de pensée, bref un de ces lieux qui produit des débats et de la connaissance. Il peut à l'occasion servir également de plateforme de lobbying, preuve que même les cénacles patronaux peuvent avoir lu Gramsci et intégré que la mère des batailles est idéologique. Ceci dit, les travaux produits sont souvent de qualité, avec quelques exceptions dont une des plus notables est l'étude qui vient d'être publiée sur la formation professionnelle des adultes. Rédigée par des universitaires économistes, ou l'inverse, qui n'ont pris aucune distance ni avec le système qu'ils connaissent à l'Université, ni avec la théorie économique appliquée à la formation, il est constitué d'erreurs, d'incohérences, d'approximations et l'on chercherait en vain dans les 40 pages le paragraphe qui pourrait susciter un débat prometteur. N'est effectivement pas Montaigne qui veut. Pour vivifier leur réflexion, les auteurs, Pierre Cahuc, Marc Ferracci et André Zybelberg, auraient pu, comme Montaigne, arpenter la bibliothèque de la Tour, car Montaigne parcourut des centaines de kilomètres dans ce lieu clos que les livres et la pensée ouvraient sur le monde.

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Montaigne pensait en marchant, comme Nietzsche, comme Rousseau et quelques autres : "Mes pensées s'endorment si je les assis". Nos trois auteurs ont du s'asseoir sur leurs certitudes pour produire une pensée si molle et s'endormir dans le même temps pour ne jamais aller voir vraiment de quoi il retourne. Bref, ce catalogue d'idées reçues ne méritait pas, mais vraiment pas, le sceau de Montaigne qui rappelait sans cesse : "Je donne mon avis non comme bon mais comme mien". Si vous voulez savoir de quoi il retourne, le rapport sous la bibliothèque et le commentaire écrit avec Jean-Marie Luttringer en suivant.

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Pour en finir avec les idées reçues.pdf

26/09/2011

Les non-spécialistes

Ils partagent d'avoir été juristes, magistrats, voyageurs, propriétaires de domaines que leurs femmes administrèrent, juristes, écrivains, philosophes. Ils vécurent tous deux en un château sis au milieu des vignobles, à quelques lieues de Bordeaux. L'un fut confié tout enfant à des paysans pour être au contact de la vie rude et l'autre se vit donner comme parrain un mendiant pour les mêmes raisons. L'un fut également homme de sciences et l'autre homme politique. Rangés tous deux dans la catégorie des humanistes, ils vécurent avant que les classifications ne gagnent les sciences et les arts et pour finir le savoir tout entier. Montesquieu, le plus proche de nous, participa à la rédaction de l'Encyclopédie qui est la dernière marque de cette volonté d'un savoir unifié à la disposition de tous.

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Chateau de la Brède - Demeure de Montesquieu

Montaigne, comme Proust le fera plus tard, conçut le projet de se peindre lui-même en société pour mieux nous faire connaître les hommes. Par le singulier, l'universel nous est dévoilé sans qu'il soit nécessaire d'emprunter le pénible chemin des généralités.

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Tour de Montaigne

Aucun des deux ne fit partie des Lumières, nés trop tôt, mais ils en furent des aubes lumineuses. Après, vint le 19ème siècle et la technique qui entraîna les savoirs dans le puits de la spécialisation. Terminé les humanistes qui embrassent les disciplines et rassemblent les connaissances en de jaillissantes synthèses : voici venu le temps des spécialistes qui savent presque tout sur presque rien et réduisent leur pensée à chaque fois qu'ils pensent la pousser plus loin. Le savoir disciplinaire consacre la mort du savoir. Si vous en doutez, entrez quelques instants dans le Chateau de la Brède et dans la Tour Montaigne, l'esprit des lieux vous soufflera qu'aujourd'hui encore plus qu'hier il vaut mieux tête bien faite que que tête bien pleine.

12/03/2011

Chronique de week-end : l'énigme, ou le rêve, de Vénus

Chronique du week-end consacré à un tableau audacieux du XVIème siècle dans lequel explicite et inconscient, onirisme et réalisme, explicite et suggestif se mêlent en géniaux entrelacs.

L'oeuvre a donné lieu à de nombreux commentaires, trop souvent très classiques, comme celui de Panofski qui voit dans la Vénus du Titien l'image  de la tendresse et de la douceur matrimoniale. Allant un peu plus loin, Daniel Arasse voit que le tableau n'est pas une scène se déroulant dans un palais vénitien mais une présentation sur fond noir, pour la mise en valeur de la nudité, d'une fière Vénus se manuélisant, selon le terme charmant de l'époque, tandis que les servantes s'affairent, comme il convient. Plus érotique que Panofski, Arasse souligne bien la hardiesse de la représentation mais surtout la force du tableau et de Vénus, qui s'expose et regarde à la fois. L'interprétation d'Arasse ne satisfait toutefois pas totalement (voir extrait et résumé de deux analyses du tableau ci-dessous). Que peut-on voir dans la Vénus d'Urbino ?

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Titien - La Vénus d'Urbino - 1538

Une jeune femme qui se clitorise comme l'on dit alors (lorsque Titien peint le tableau Montaigne a cinq ans et n'a pas encore introduit dans la langue française le vocable "masturbation"), est-ce véritablement un scandale au XVIème siècle ? Oui pour l'Eglise même si elle n'est pas le pêché majeur. Selon Arasse, elle est même recommandée pour avoir des enfants ce qui renforcerait l'hypothèse d'une scène située dans un contexte de mariage. Toutefois, l'interdit religieux n'est pas douteux. Dès lors, le tableau peut prendre une autre signification. La scène du second plan n'est pas du même ordre que la présence de la Vénus à l'avant du tableau, l'improbable "rideau" noir en atteste comme Arasse l'explique. Mais il ne s'agit pas que d'un effet pictural et l'explication d'Arasse à ce sujet paraît faible. Il semble plus évident que le noir du rideau renvoie à la plongée nocturne dans le sommeil et que la scène au second plan est le rêve de Vénus. Le rêve qu'en mettant les mains en des lieux interdits elle transgresse avec plaisir et volupté les règles sociales. Et ce ne sont pas deux servantes qui s'affairent mais une petite fille qui plonge ses mains avec l'avide curiosité de l'enfance dans le coffre des merveilles. La servante debout, dont la jupe rouge figure l'ordre et la loi, remonte sa manche pour administrer la  correction méritée au regard de la morale. Vénus a été surprise en son enfance et punie pour sa curiosité. Quelle revanche de s'offrir librement au plaisir en notre présence et pour le notre.

Arasse - Venus - Titien.pdf

Arasse-La Venus du Titien.pdf

09/03/2011

La transmission, c'est bon pour les voitures

Débat sur l'éducation comme on peut en trouver sur les radios et TV assez régulièrement. Affrontement classique entre "républicains et pédagogistes" selon la dénomination valorisante pour eux et péjorative pour les autres de ceux qui prétendent que c'est en restant ce qu'elle était il y a cent ans que l'école progressera. Intervention d'une enseignante. Pas en lettres, on l'espère, car elle répète à plusieurs reprises le même mot pour parler de son métier : "la transmission". Transmettre son savoir, telle est sa définition de l'enseignant. Celui qui sait et qui a la grandeur de transférer son savoir à ceux qui ont l'immense bonheur de l'écouter (et qui l'admirent secrètement, c'est en tout cas ce qu'on peut lire dans le regard d'envie de l'enseignante). Pour ma part, j'y verrai une motivation négative basée exclusivement sur l'ego et très peu sur le service rendu. En d'autres termes, la transmission c'est bon pour les voitures ou l'industrie, pas pour l'enseignement.

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On connait la phrase d'Aristophane que certains, oubliant qu'il aimait les citations clandestines, attribuent à Montaigne : "Eduquer ce n'est pas remplir un vase, c'est allumer un feu".

L'opération, vous en conviendrez, est plus délicate. Pour le vase, il suffit qu'il ne déborde pas, pour le feu, il faut à la fois le faire vivre, l'organiser, le contenir et lui permettre de s'exprimer tout en le contemplant et en s'y réchauffant. Pas gagné l'affaire. Mais si la transmission a sa beauté, son esthétique demeure calibrée, prévue et donc prévisible, ordonnée, mécanique. La créativité n'habite plus la machine une fois passée sa création. Le feu au contraire ne se déploie jamais à l'identique, n'a jamais la même force ni la même chaleur, et il vous réserve quasiment toujours des surprises.

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Finalement, en vantant l'autorité, l'enseignante qui pensait s'opposer aux tenants de l'école traditionnelle, nourrissait leur moulin. La transmission maintient l'enseignant au centre et fait dépendre de lui l'accès au savoir. Allumer un feu, c'est mettre les étudiants en situation d'apprentissage, les accompagner, les autonomiser et au final leur apprendre à se passer de vous en vous retirant progressivement du centre. Soit à peu près l'inverse de la transmission. Allumez le feu !

12/01/2011

Liberté d'Emmanuelle

Tirée des Essais, cette phrase de Montaigne : "C'est exister, ce n'est pas vivre que de se tenir attaché et lié nécessairement à une seule façon d'être". Et de compléter : "Les plus belles âmes sont celles qui ont le plus de variété et de souplesse...ce n'est pas être maître de soi, c'est en être esclave, que de se suivre sans cesse et d'être prisonnier de ses inclinations au point qu'on ne puisse s'en écarter, qu'on ne puisse les tordre pour les modifier."

Dans son film intitulé "Sylvia Kristel - Paris", Manon de Boer met en scène l'actrice néerlandaise pour un portrait qui évoque, de manière parcellaire et un peu décousue, avec des blancs à l'écran, l'arrivée à Paris de celle qui fut, à la fin des trente glorieuses, un des symboles de la liberté sexuelle. Trente ans plus tard, une femme nous regarde, parle, fume une cigarette, évoque une époque bien lointaine.

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Manon de Boer - "Sylvia Kristel - Paris" - 2003

"Une expérience vécue n'est jamais stable" nous dit Marion de Boer. Et de fait tout portrait est toujours "a work in progress". Pas linéaire, comme le portrait de Sylvia Kristel avec son récit subjectif, ses blancs, ses silences, ses trous de mémoire, et ainsi se poursuit sans fin l'histoire vécue. Le film est l'histoire d'une impossibilité à rendre compte de la totalité d'une personne, même si le portrait réalisé par Irina Ionesco s'approche de ce que pourrait être, à un instant, la vérité de l'être.

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Irina Ionesco - Sylvia Kristel - 1978

La liberté de Sylvia Kristel, et la notre, ce n'est pas la liberté de moeurs d'Emmanuelle, c'est la liberté de rester Sylvia Kristel et de n'entretenir que de lointains rapports avec Emmanuelle tout en restant définitivement celle qui devint un mythe. Montaigne à nouveau pour terminer, qui aimait citer et qui nous propose cette phrase de Caton l'Ancien : "Il avait l'esprit si souple pour se plier également à toutes occupations que, quelle que fût celle qu'il prît, on aurait dit qu'il était né uniquement pour elle".

17/07/2008

Mémoire externe

Lors d'une conférence prononcée à Lille, Michel Serres défendait l'idée suivante : l'imprimerie a tué la culture orale et partant a supprimé le besoin de mémoire. Après l'invention de l'imprimerie, il suffisait  de savoir dans quel livre trouver l'information. Mais les bibliothèques étant ce qu'elles étaient, l'homme de science devait toutefois emmagasiner une information qui ne lui était pas accessible de manière permanente. Aujourd'hui, les stockages de données, leur mise à disposition permanente sur la toile, constituent une mémoire externe qui rend superflue notre mémoire interne. Plus que jamais se trouve vérifié le mot de Montaigne qui "préfère une tête bien faite à une tête bien pleine".

 

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Dali - Persistance de la mémoire - 1931 
 

 ll est admis que le stock de connaissances disponible aura doublé dans cinq ans. Pour revenir à une des thématiques de ce blog, le droit du travail, il devient impossible de se fier à un code ou manuel qui a plus de six mois : l'information en ligne actualisée en temps réel est indispensable pour travailler correctement. Le rythme de production est tel que toute mémorisation de l'information perd de son sens. Pour autant peut -on dire que nos modèles pédagogiques ont suivi cette évolution et sont passés d'une mémorisation des connaissances à une capacité à traiter l'information, à la dominer, à l'utiliser, à la comprendre, à la commenter voire à la contester ? Il ne me semble pas que tel soit le cas. Il y a pourtant urgence. Pour revenir à Michel Serres sa conclusion est que nous n'avons pas le choix : "puisque nous avons le savoir et les technologies devant nous, nous sommes condamnés à devenir inventifs et intelligents". Il y a pire destin.

Quant à la mémoire, il reste une catégorie de textes pour l'exercer, et continuer à apprendre par coeur : la poésie. 

12/06/2008

L'essai transformé

Le dilemne est toujours le même : faut-il tenir compte des fraudes et faire des textes spécifiques pour tenter de les éviter ou bien faut-il s'en tenir aux textes généraux et les faire respecter ?

Les partenaires sociaux ont choisi, dans l'ANI du 11 janvier 2008 la première hypothèse. Constatant que 30 % environ des CDD et contrats d'intérim sont des contrats de pré-recrutement, illicites il va sans dire, les organisations patronales et syndicales ont décidé d'augmenter la durée des périodes d'essai pour favoriser le recours direct au CDI. 

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Les Essais de Michel de Montaigne - 1595 (édition posthume)
 
Le pari du CDI sera-t-il gagné ? à voir. Dans l'attente, le régime de la période d'essai se trouve largement modifié. En pièce jointe, les nouvelles dispositions commentées de la partie du nouveau code du travail consacréé à la période d'essai. L'avenir nous dira si cet essai est véritablement transformé.