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02/06/2010

Refusez les audioguides !

Leur succès est, hélas, grandissant. Prothèses de portables, les audioguides permettent aux humains de conserver collée à leur oreille une voix rassurante. Voilà ce qu'il faut voir, comprendre, penser d'un tableau. Mais l'audioguide est éducatif nous dira-t-on. Il permet de mieux comprendre l'oeuvre, d'identifier ses détails, de faire le lien avec la volonté de l'artiste. Belle supercherie d'ailleurs que la formule "Ce qu'a voulu dire l'artiste" ": ce qu'il a voulu dire il l'a exprimé sous la forme de l'oeuvre. Le reste appartient à chacun de nous. L'audioguide est une prothèse donc mais qui créé le handicap plus qu'elle ne le répare. Il est impossible d'écouter et de voir, d'être enseigné et de penser. Vous êtes devant une oeuvre ? vous avez cinq sens, faites leur confiance et à vous aussi.

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Hans Makart - Les cinq sens : Toucher, Entendre, Voir, Sentir, Goûter - 1772-1779

Vous pouvez approcher l'oeuvre par trois chemins, tous sens au vent : le premier est le chemin corporel. Celui de la sensation, de l'émotion, du frisson, ou pas, de ce que votre corps vous renvoie de ce que vous voyez. Le second chemin est intellectuel. Il vous conduit à donner du sens à l'oeuvre, à la lier à l'artiste et à l'époque, à lui faire raconter son histoire. Bien sur ce second chemin nécessite de la connaissance. Mais il n'est pire moment que lorsque vous êtes devant l'oeuvre pour l'acquérir. Elle vous fait défaut ? vous lirez le catalogue plus tard si cela vous intéresse vraiment. Le troisième chemin est fantasmatique. L'oeuvre vous fait rêver, elle vous ouvre des portes, elle dévoile, elle vous emporte et vous cheminez avec elle vers le quatrième chemin qui n'est autre que vous même. Conservateurs de musées, commissaires d'expositions, supprimez les audioguides ! Ami(e) lecteur(trice), tu es un être singulier, ne renonce pas à l'être corporellement, intellectuellement et fantasmatiquement.

Commentaires

hummm...parfois c'est vrai, les audioguides font même "écrans" face à l'oeuvre, il s'interposent et brouillent notre disponibilité, notre capacité à la "recevoir"...et je suis d'accord sur le principe que l'oeuvre est en soi, tout la raison d'être de l'expérience de la visite...après je serai pas aussi "radical", les audioguides bien conçus (et il y a très peu) sont ceux qui "donnent à voir" autrement, aiguisent la curiosité, font rebondir l'oeil. beaucoup d'oeuvres contemporaines sont vraiment appréciables que si on en connnait le contexte, la démarche intellectuelle...certains objets dans les muséums d'histoire sont intéressants, en eux-mêmes, mais aussi par leurs histoires, le mode d'acquisition, de naturalisation, de restauration...on peut imaginer aussi écouter un regard différent (pas forcément des "notions") sociologiques, poétiques, historiques sur l'objet, on peut imaginer écouter une conversation autours de l'objet, on peut imaginer que le commissaire de l'expo nous dise pourquoi il a choisit cet objet, on peut imaginer écouter/lire des commentaires intéressants des visiteurs précédents...on peut imaginer qu'en sélectionnant des objets on les retrouve ensuite chez soi, dans un espace personnel sur le site du musée...pour aller plus loin, partager ses découvertes...
et puis parfois certains n'ont pas les connaissances ou la disponibilité d'esprit pour "regarder" une oeuvre de façon totalement autonome...pourquoi le leur imposer ?
bref, il y a peut être autre chose à inventer avec les audioguides avant de les supprimer définitivement...imho

Écrit par : samuel | 02/06/2010

J'adore le mot radical qui, pour un toulousain, est un magnifique oxymore puisque les radicaux, dans le Sud-ouest, sont politiquement des centristes mous. Sur le fond, votre commentaire ouvre des horizons : avant d'annihiler les audioguides on peut imaginer des utilisations un peu moins classiques.....mais pas pendant que l'on regarde la toile, sinon il n'y a plus de regard. Lao Tseu : "Celui qui observe ne parle pas, celui qui parle n'observe pas". Parler avec l'audioguide c'est se priver de voir.

Merci pour votre commentaire samuel !

Écrit par : jpw | 03/06/2010

La pire expérience c'est de devoir supporter les audioguides des autres visiteurs, les voir déambuler comme des robots l'appareil collé à l'oreille, vous dépasser et presque vous bousculer sans vous voir et quand on est près d'eux tout entendre de ces voix aseptisées. L'expérience d'un musée pour moi doit être faite de silence et de contemplation. Encore faut-il pouvoir le refuser quand il est imposé dans le billet comme à Versailles ! Il faut dire aussi que l'audioguide est un marché qui rapporte gros.

Écrit par : Philippe | 03/06/2010

Selon vous on ne peut pas faire 2 choses à la fois: écouter et observer? C'est une façon de voir les choses. Et même si on accepte cet axiome le musée et l'audioguide laissent toute liberté de faire l'un PUIS l'autre.
Je rejoins plutôt le commentaire de Samuel. Tout est question de contenu dans l'audioguide. Un audioguide bien conçu peut tout à fait aider à comprendre et apprécier l'oeuvre d'art. Laisser la seule place au choc esthétique est insuffisant et terriblement discriminant. Dans ce cas supprimons les commentaires de texte en cours de philo.

Écrit par : Vincent | 03/06/2010

Trèsintéressant billet et débat.
Toutà fait d'accord avec ce que dit si bellement Samuel.
Malheureusement, beaucoup (la plupart?) d’audioguides ne sont pas conçues ni réalisées de façon qu'elles viennent accomplir tout ce qu'il faut pour "donner à voir" ce que n'est pas si évident pour le public en général.

Maisje comprends ce qu'est exposé au billet, c'est pour ça que je recommanderais les visiteurs d'avoir d'abord un approche individuel à l'œuvre, la regarder, se laisser séduire (ou même rejeter!) mais, après, d'écouter aussi ce que l'audioguide peut nous offrir. C'est un bel exercice de faire comme ça.

Où je suis pas du tout d'accord c'est avec la phrase "Il est impossible ... d'être enseigné et de penser" (ah, non???) quoi alors fait-on à l'école, à l'université, en suivant une conférence, etc?

La formule de combiner l'observation personnelle et l’écoute des audioguides je crois c'est plus enrichissante de l'expérience de visite. J'encouragerais, pourtant, les centres culturelles d'améliorer les audioguides, de les faire plus interprétatives et moins descriptives. Nous sommes précisément en train d'élaborer les nôtres, on va voir si on réussit!

Conxa
@innova2
http://www.blogmuseupicassobcn.org

Écrit par : Conxa | 03/06/2010

Merci pour vos commentaires. Il ne s'agit pas de laisser place au seul choc esthétique, qui est réducteur par rapport aux trois approches proposées. Pas grand chose à voir avec des commentaires de texte en philo ou peut être ceci : est-ce que je prends d'abord contact avec le texte puis je lis le commentaire, ou est-ce que prends connaissance de l'auteur, de l'environnement, du commentaire pour mieux saisir le texte lorsque je le découvre ? je plaide pour l'expérience à partir de laquelle on réfléchit plutôt que pour l'expérience guidée. D'où mon renvoi à la lecture du catalogue....après. Pour ce que dit Conxa, il est impossible d'être enseigné et de penser devant l'oeuvre. Après, bien sur.
Mais je vous promets d'essayer les audioguides (comme quoi...) lors d'un prochain passage au Musée Picasso de Barcelone.

Écrit par : jpw | 03/06/2010

Idée intéressante mais encore bien timorée. Si l'on vous suit, il faudrait ensuite, pour les même raisons, se débarrasser des guides (en plus on ne peut pas les arrêter ou leur demander de nous redonner quinze fois l'explication), puis des cartels sous les œuvres (a quoi bon connaitre le nom, la date etc ...) puis les commissaires d'exposition ou les conservateurs (dont les choix eux aussi nous disent quoi voir, quoi penser) ...

Écrit par : Smggl | 03/06/2010

Supprimer les musées n'est effectivement pas une idée neuve. Mais ce n'est pas la mienne.

Écrit par : jpw | 03/06/2010

Ceci encore : supprimer les cartels pourrait être une bonne idée. Regarder les oeuvres et voir ce qui est chef d'oeuvre et ce qui ne l'est pas sans que ce ne soit désigné est une exigence. Voyez par exemple au Louvre comment beaucoup passent devant la Belle Ferronière sans quasiment s'arrêter parce qu'elle est peu désignée, pour s'agglutiner quelques mètres plus loin devant la Joconde. Si les peintures du Louvre étaient anonymes, qui d'ailleurs passerait tant de temps devant La Joconde ? tout ceci n'empêchant pas un travail préalable ou ultérieur d'apprentissage et d'éducation artistique. Mais dans l'éducation il est des temps où il faut apprendre à penser par soi-même et à éprouver sa singularité.

Écrit par : jpw | 04/06/2010

Dois je préciser que mon commentaire précédent était ironique ?

Pour moi un musée qui n'explique pas, qui contextualise pas oublie au passage une de ses missions essentielles. (mais il est vrai que je fréquente plus les musées "historiques" ou "archéologiques" et assez peu les musées "artistiques")

Écrit par : Smggl | 04/06/2010

Pour ceux que le débat intéresse, bien mieux dit que je ne pourrai le faire et plus longuement développé, un entretien avec Georges Didi-Huberman publié dans Vacarme n° 37 :

http://www.vacarme.org/article1210.html

Un extrait de ce texte :
"Mais je sais pertinemment qu’au bout du compte l’image demeurera l’irréductible devant moi : ni le savoir (comme le pensent beaucoup d’historiens) ni le concept (comme le pensent beaucoup de philosophes) ne la saisiront tout à fait, ne la subsumeront, ne la résoudront ou ne la rédimeront. L’image est une passante. Nous devons suivre son mouvement, autant que possible, mais nous devons également accepter de ne jamais la posséder tout à fait. "

Et sa conclusion :
". Il n’y a donc pas d’images qui, en soi, nous laisseraient muets, impuissants. Une image sur laquelle on ne peut rien dire, c’est en général une image qu’on n’a pas pris le temps — mais ce temps est long, il demande du courage, je le répète — de regarder attentivement. De se réinquiéter à chaque fois. "

Écrit par : jpw | 05/06/2010

Je crois que c'est une question de contenu mais également une question de cible. Les outils de vulgarisation de la culture peuvent être enrichissants pour certains groupes de visiteurs. L'audioguide classique semblera peut-être fade pour le visiteur féru d'histoire et d'art. Mais il existe des clés de compréhension pour le visiteur grand public, qui sont indispensables lors de la visite. L'idéal serait donc de ne pas "tuer" les audioguides mais de les segmenter!

Écrit par : Anne | 09/06/2010

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