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31/05/2010

MAXXI !

Pour la 501ème chronique depuis l'ouverture de ce blog en février 2008, un petit détour par Rome où le Musée d'Art du XXIème siècle (MAXXI) ouvrait ses portes dimanche 30 mai après plusieurs années de travaux. Le bâtiment, conçu par Zaha Hadid, est magnifique. On circule à l'intérieur de grandes courbes épurées qui nous convient à la découverte d'oeuvres plus surprenantes les unes que les autres.

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Maxxi - Rome

Mais il n'y a pas que l'architecture qui soit réjouissante. Alors que l'art contemporain est souvent grave, sinistre, lourdement symbolique, dépressif et pompeusement politique, ici les oeuvres font la part à l'humour, à la nature, à l'engagement, au volontarisme et la mise à distance amusée prend souvent la place du trop facile regard cynique sur le monde. Il est particulièrement réjouissant de voir le film "Democrazy" de Vizzoli, dans lequel BHL devient un trop crédible candidat à la présidence des Etats-Unis (cherchez sur Dailymotion ou You tube, Sharon stone est dans le coup aussi pour démontrer, si besoin était, qu'en politique la communication peut tout). L'invité d'honneur pour l'ouverture est Gino De Dominicis dont l'oeuvre protéiforme associe l'humour, le mystère, la dérision et la beauté.

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De Dominicis - Squelette
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Gino De Dominicis - Sans titre ou Avec titre

Rome est une ville extraordinaire où l'on peut entrer dans une église et découvrir une sculpture de Michel-Ange, dans une autre des toiles du Caravage et dans une autre encore l'extraordinaire extase de Sainte-Thérèse du Bernin. Tout cela au milieu des ruines de la Rome antique, de dizaines de statues grecques et dorénavant d'un doux écrin pour l'art contemporain que l'on aimerait plus souvent aussi inventif. Il n'est pas si fréquent de trouver du travail sérieux qui ne se prend pas au sérieux, de la critique qui sait emprunter le chemin du rire sans perdre de sa force, du mélange des genres qui fertilise la création à venir et au final vous donne l'envie. Evitez de faire un stage de management en DIF pour vos managers, envoyez les passer un week-end à Rome (et les autres aussi d'ailleurs).

28/05/2010

Adapter c'est développer

Le secrétaire général de l'association nationale de lutte contre l'illettrisme (ANLCI) a déclaré, à l'occasion d'une présentation des actions de l'association : "Nous sommes passés d'une logique de remise à niveau à une logique de formation professionnelle". Autrement dit, au lieu de lutter contre l'illettrisme en effectuant de la formation générale, on met en place des actions qui permettent la maîtrise de l'écrit à partir de situations professionnelles. Plutôt qu'un savoir général, un savoir articulé au métier. Ne plus partir du général pour aller vers le particulier mais faire l'inverse en s'appuyant sur la compétence pour développer les compétences. L'autonomie étant un lent apprentissage, il convient de favoriser l'autonomie sur un premier périmètre pour qu'il serve d'appui à la construction d'une autonomie sur un périmètre plus large.

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Toyen - Le Développement - 1945

Voilà pourquoi l'action d'adaptation a de multiples vertus : elle renforce le confort au travail, elle autonomise, elle habitue à la formation, elle permet d'articuler formation et travail et elle donne des fondements à des apprentissages futurs. Ainsi, des actions d'adaptation au poste, souvent vilipendées comme strictement utilitaires voire utilitaristes, ne prenant pas en compte l'individu, etc. permettent d'acquérir des savoirs de base. Il ne faut jamais oublier la leçon de Maurice Hauriou (Juriste toulousain) : un peu de sociologie éloigne du droit, beaucoup de sociologie y ramène. Le juriste part des faits, le sociologue du terrain. Et c'est sur ce matériau qu'il raisonne. Les principes, aussi généraux soient-ils, ne sont généreux que lorsqu'ils ne perdent pas de vue l'efficacité de la norme. Cela fait trop longtemps qu'au nom de principes on fait du droit formel. Ce que démontre l'action de l'ANLCI c'est qu'enrichir le travail permet d'enrichir les individus. L'inverse n'est pas forcément vrai.

27/05/2010

Quand le DIF balance

La balance est ambivalente. Etre une balance n'est guère flatteur. Pourtant la balançoire est légère et le mouvement de balancier plutôt doux. La balance opère la pesée, la juste mesure. Mais balancer c'est aussi ne pas savoir choisir, s'arrêter au milieu du gué au risque de n'aller nulle part sinon à sa perte. Si comme Barbara j'me balance on concluera que j'men balance. Que nous dit la femme portant balance de Johannes Vermeer ? son regard est doux et bienveillant. Devant elle des perles et de l'or. Mais dans la balance rien. Derrière elle le jugement dernier. Pesée des âmes ? ou peser de l'âme à venir qui gonfle le ventre de la dame ? comme tous les tableaux de Vermeer, le raffinement le dispute au mystère et l'on balance devant le sens à donner au tableau.

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Johannes Vermeer - Femme portant balance - 1662

Devant le DIF les partenaires sociaux balancent : faut-il en faire un droit de créance, opposable aux OPCA avant de l'être aux entreprises dans le cadre d'un futur compte épargne, ou bien faut-il l'ancrer dans la négociation et en faire un support de la modification des relations individuelles de travail ? le choix à ce jour n'est pas fait. Avant de plus longs développements sur ce sujet qui feront l'objet d'une chronique pour l'AEF, un avant goût avec l'interview réalisée par Valérie Grasset-Morel pour Débat Formation, la revue de l'AFPA.

Interview-RevueAFPA.pdf

26/05/2010

Dans le champ

Le droit n'est jamais qu'un manière d' organiser les rapports de pouvoir. Ce blog a plusieurs fois rendu compte des pugilats qui opposent l'Etat aux partenaires sociaux dans l'exercice de leurs fonctions respectives de représentation d'intérêts généraux légitimes et, normalement, non concurrents. La Cour de cassation a ouvert depuis plusieurs mois un nouveau front entre le juge et les partenaires sociaux. En jugeant le 1er juillet 2009 que les conventions collectives ne pouvaient faire de distinction entre cadres et non cadres sans le justifier par une différence objective autre que le statut, la Cour de cassation a mis a mal l'équilibre construit par des années de négociation. Par une décision du 19 mai 2010 elle enfonce un autre coin dans l'autonomie de la négociation collective en affirmant qu'une convention collective ne peut exclure de son champ d'application des organismes qui exercent les activités en relevant. En d'autres termes, si vous êtes dans le champ d'une convention collective, les partenaires sociaux ne peuvent, même volontairement, vous envoyer dans le champ du voisin.

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Les nuages, eux, vont à travers champs

Dans cette affaire, était en cause la convention collective nationale (CCN) des services de santé au travail qui prévoit son application à tous les services de santé sauf ceux qui appliquent une convention professionnelle, celle notamment de leur branche de rattachement. Des médecins ont contesté l'application de la CCN du Bâtiment à leur service de santé. Et ont donc obtenu gain de cause : il n'appartient pas à une convention d'écarter de son champ d'application des organismes qui exercent de manière principale, ici exclusive, les activités qui entrent dans ce champ d'application. Cette décision fragilise le statut collectif de tous les organismes professionnels qui appliquent une convention en fonction de leur proximité sectorielle et non de l'activité réelle exercée. Ainsi, les organismes de formation professionnels qui appliquent la CCN de leur secteur d'intervention et non la CCN des organismes de formation se trouvent plongés dans l'illégalité si leur activité principale est bien la formation. La clause d'exclusion de la CCN des organismes de formation se trouve en effet invalidée par la décision du 19 mai 2010. Que chacun regagne son champ donc, et retrouve son calme en contemplant les nuages gambader à travers champs.

25/05/2010

Peut-on tout dire en formation ?

Les formateurs prennent souvent la précaution d'annoncer en début de session : tout ce qui est dit ici est confidentiel et ne saurait être rapporté à l'extérieur. Liberté de parole donc. Tout échange en formation suppose-t-il, voire impose-t-il, que le secret soit la condition de la confiance et que chacun s'engage au silence ? prononcer le voeu serait ainsi la marque de la déontologie du formateur. Le secret qui nous lie est le garant de notre liberté.

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Rodin - Etudes pour Le Secret - 1910

L'analyse juridique n'emprunte pas cette voie. Le salarié en formation est au travail et lorsqu'il est hors temps de travail (DIF par exemple) il demeure dans un rapport contractuel. Il est le consommateur, l'entreprise est le client. Et le client a un droit de retour sur le contenu de la formation, sur les résultats de celle-ci et sur le niveau et comportement du salarié. Les tribunaux ont plusieurs foix affirmé que le salarié était évaluable à tout moment sous réserve que l'évaluation n'ait pas lieu à son insu. Mais alors, le salarié pourra-t-il pendant la formation faire état de dysfonctionnements au sein de son organisation, de pratiques peu professionnelles voire de non-respect de certaines règles ? oui et pour une raison simple : l'envoi en formation vaut liberté d'expression. L'employeur qui finance une formation à un salarié ne peut en même temps lui demander de ne pas s'exprimer sur son contexte professionnel. Raisonnons par analogie : la Cour de cassation a déjà sanctionné un employeur qui avait reproché à un salarié ses propos critiques lors d'un entretien d'appréciation. Impossible de demander à la fois à un salarié de s'exprimer et de lui reprocher de le faire (sauf injures ou dénigrement). Impossible d'envoyer un salarié en formation en exigeant de lui le silence,  sa parole est donc libérée. Il peut par conséquent  être rendu compte à l'employeur, au client, du comportement du salarié mais également du formateur dont on se demande parfois si ce n'est pas à son profit que le secret était institué. Sortir du modèle de la formation initiale de l'enseignant seul  maître dans sa classe, se faire évaluateur et être soi-même évalué : voilà qui conduit à moins de déontologie en guise de paravent et plus de professionnalisme.

24/05/2010

Toulouse enlève l'Europe

Le 26 août 2009, j'annonçai sur ce blog que le Stade Toulousain avait fait le choix de disputer la saison 2010 avec six capitaines plutôt qu'un seul. Ce capitanat collectif devait permettre à l'équipe de jouer dans des configurations différentes tout au long de l'année, de répartir les responsabilités et de tenir compte qu'un même joueur ne pouvait être au maximum de la performance tout au long de la saison (http://willemsconsultants.hautetfort.com/archive/2009/08/...). La dite saison vient de se terminer par une victoire en finale de la Coupe d'Europe. Pour en arriver là, l'effort collectif a été immense : aucun joueur n'a échappé en cours de saison au trou noir de la baisse de forme, du manque de dynamisme et de la remise en question, mais tous également ont su être, chacun leur tour, au maximum de leur performance. Quel manager envisage avec ses collaborateurs que la performance n'est pas linéaire et que chacun aura des moments faibles qu'il faudra amortir et pendant lesquels le besoin de confiance sera fort et les moments de confiance pendant lesquels le doute sera faible et qu'il faudra canaliser ? le modèle sportif n'est certes pas universel, mais l'existence de cycles et de rythmes l'est.

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Henri Matisse - L'enlèvement d'Europe - 1929

Pour en revenir à l'enlèvement d'Europe, il n'est pas anormal que Zeus ait pris la forme d'un taureau blanc pour enlever Europe, fille du roi de Phénicie, ni que ce soit la capitale du Sud et de sa culture taurine ("Est-ce l'Espagne en toi qui pousse un peu sa corne ?" Nougaro) qui ait été pionnière dans la création d'une Coupe d'Europe de rugby et qui l'ait emporté le plus souvent. Le Sud, le taureau, l'amour, l'aventure collective et le soleil : c'est l'été !

21/05/2010

Une autonomie qui fait peur

Cela aurait pu passer pour ces petites mesquineries inutiles qui font des ravages auprès des salariés. Peut être est-ce de l'ignorance. Plus vraisemblablement il s'agit d'une résistance culturelle au dépassement du management par le contrôle et la défiance. De quoi s'agit-il ? de deux situations rapportées par des salariés au forfait en jours. Dans le premier cas, le salarié s'absente une large partie de l'après-midi pour un rendez-vous personnel. Surprise de constater que l'entreprise a retenu une demi-journée de congés payés. Dans le second cas, surprise également après un arrêt maladie : l'entreprise a proratisé les jours de RTT. Dans les deux cas, d'une part l'erreur juridique est manifeste et d'autre part apparaît la difficulté à intégrer véritablement l'autonomie du salarié qui bénéficie d'une durée du travail en jours. Comme le bon passant qui donne une pièce au clochard en lui recommandant, voire en lui faisant promettre, de ne pas s'en servir pour boire, les organisations mettent en place des forfaits jours en déniant au salarié le droit d'utiliser l'autonomie que la loi, et leur statut, leur reconnaît.

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Yves Tanguy - Il faisait ce qu'il voulait - 1937

Pourquoi erreurs ? dans le premier cas parce que le salarié au forfait en jours fixe ses horaires lui-même, qu'il ne peut plus être géré par les horaires mais uniquement par la charge de travail et qu'un rendez-vous personnel dans la journée est une affaire....personnelle. Dans le second cas, parce que les jours de RTT ne sont la contrepartie du travail que pour les salariés qui travaillent plus de 35 heures par semaines et qui récupèrent des jours de RTT. S'ils ne travaillent pas certains jours, les RTT sont proratisées. Ce mécanisme ne peut s'appliquer à des salariés en forfait en jours pour lesquels les jours de RTT ne constituent pas une récupération mais sont tout simplement des jours qui ne peuvent être travaillés en vertu du forfait conclu : si le salarié doit travailler 218 jours, il ne doit pas travailler pendant 147 jours (104 week-ends, 25 congés payés, 11 jours fériés et 7 jours de RTT). Une absence pour maladie n'impacte que les jours travaillés et n'a strictement aucune incidence sur des jours de RTT qui ne sont pas de la récupération. Au-delà de l'erreur, on mesure la difficulté conceptuelle à intégrer le mécanisme du forfait en jours. Les entreprises devraient d'ailleurs raisonner en jours positifs et non négatifs : le problème n'est pas les jours de RTT mais le fait que le salarié doit 218 jours de travail qu'il doit positionner dans l'année, ce qui est tout à fait différent du fait d'aller tous les jours au travail, sauf les jours de congés, fériés ou RTT. Mais constatons le de nouveau, cette incapacité à prendre en compte la nature même du forfait en jours et l'autonomie qui en résulte n'est que la traduction d'un management à l'ancienne qui se paie davantage de mots que de pratiques.

20/05/2010

Parcours de supermarché

La sécurisation des parcours professionnels est devenue la réponse aux problèmes d'éducation, d'emploi et de formation. De manière emblématique, elle a fourni le nom du nouveau "supra-OPCA" national qui est chargé de réorienter une partie des fonds de la formation vers les salariés prioritaires : le Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels a d'ailleurs lancé ses premiers appels à projets cette semaine (voir le site : http://www.fpspp.org). Mais quid de la nature des parcours ? la culture de l'ingenierie à la française, soit le modèle mathématique appliqué aux jardins, sévira-t-elle encore pour nous fournir des modèles de parcours préétablis, préformatés, calibrés, normés dans lesquels on fera entrer des cohortes de salariés et de demandeurs d'emplois, pour leur plus grand bien c'est évident. Poser cette question c'est se demander qu'est-ce qu'un bon parcours ? le parcours linéaire qui passe par la bonné école, le bon diplôme, le bon emploi, le bon réseau ? l'enchaînement logique d'étapes cohérentes qui séduisent tant les recruteurs ? le passage par des modules de formation standardisés qui vont fournir tout à la fois motivation, culture d'entreprises, recettes de bon aloi et outils de la performance à l'encadrement ?

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André Masson - Il n'y a pas de monde achevé - 1942

Tout cela manque un peu de vie, mais c'est toujours le cas lorsque l'on ne tolère l'herbe qu'aux endroits où l'on a prévu de l'herbe, et surtout risque d'être fort artificiel. C'était il y a plus d'un siècle, mais la modernité de l'éternel retour de Nietzsche ne se dément pas : il est temps de réhabiliter les chemins de traverse, les raccourcis à travers champs, les sentiers improbables, la pédagogie de l'errance et de la quête du bon chemin, l'importance du détour, la possibilité du demi-tour, la nécessité parfois de couper court, le plaisir de la route, le discernement des pistes effacées et au final la liberté et le développement de la faculté de choisir qui n'est guère compatible avec les autoroutes engorgées. Considérons que pour l'humain la notion de programmation est inappropriée, laissons le concept de linéaire à la grande distribution qui sait en faire bon usage et valorisons les véritables parcours : "Arrivée de toujours, qui t'en iras partout" (Rimbaud). Ah oui, la phrase de Rimbaud nous le rappelle : pour aller partout, il faut arriver de toujours, et donc avoir du temps.

19/05/2010

Forfait mythique

Le Minotaure, fruit des amours de Pasiphaé et d'un taureau blanc, est un mythe grec dont Jorge Luis Borgès donna une version bouleversante dans sa nouvelle La demeure d'Astérion, nom du minotaure. Loin du monstre sanguinaire et violent dont on protège la foule en l'isolant dans un labyrinthe, le Minotaure de Borgès est un être sensible, prisonnier de sa singularité qui lui confère une conscience aigüe de lui-même et des hommes. Prisonnier volontaire il s'évade dans la mort qu'il s'offre comme une libération à laquelle son meurtrier ne comprend que peu de chose. Quel dessin, mieux que celui de Catherine Huppey, peut figurer le Minotaure de Borgès et contribuer à renverser le mythe du monstreux hybride.

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Catherine Huppey - Le grand Minotaure

Mais les mythes ont la peau dure. Ainsi, le mythe, puisqu'il n'y a jamais eu de réalité juridique en ce sens, du cadre n'ayant pas droit aux heures supplémentaires a trouvé un nouveau souffle dans le forfait en jours. Sans doute le mécanisme est-il mal nommé. Forfait signifie en effet que l'affaire est conlue et qu'il n'y a pas lieu d'y revenir. Tel n'est pas le cas pourtant, sur deux points. Tout d'abord, le forfait ne vaut que pour un nombre de jours. Il n'est pas illimité. En cas de dépassement, le salarié au forfait en jours a droit à des jours supplémentaires, rémunérés avec une majoration de 10 % minimum. De même, comme tout salarié, le bénéficiaire d'un forfait en jours a droit a des contreparties, en temps ou en argent, en cas de déplacement exceptionnel, c'est-à-dire en dehors du périmètre habituel d'exercice des fonctions. Le droit du travail pose donc deux bornes à la notion de forfait : le volume de temps convenu et le périmètre géographique d'exercice des fonctions. Et rappelons, même si peu d'entreprises le pratiquent, que la loi du 20 août 2008 a créé un entretien annuel obligatoire spécifique aux salariés au forfait en jours (C. Trav., art. L. 3121-46). Lors de cet entretien, doivent être abordés la charge de travail, l'organisation du travail, l'articulation vie professionnelle/vie personnelle et la rémunération. Faute de réalisation, le juge pourrait prononcer la nullité du forfait, qui deviendrait à son tour un mythe.

18/05/2010

Exemples de dernières phrases

Au pompier qui était à ses côtés pendant son dernier trajet suite à l'AVC qui lui sera fatal, Yves Montand déclara : "J'aurai bien vécu, j'en ai bien profité". On ne sait si cette phrase lui tint lieu de consolation, elle a en tout cas peu à voir avec le consolamentum des cathares. J'ai souvenir, avec beaucoup d'émotion, de la dernière phrase de Michel Despax, Professeur de droit du travail et de droit de l'environnement à l'Université de Toulouse qu'il présida, offerte à sa femme alors que la rupture d'anévrisme terminait son oeuvre : "Nous sommes peu de chose". Le nous et non le je, l'humilité et non le profit personnel, bref l'humanisme véritable.

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Renoir - Les baigneuses - 1919

Alors qu'il venait de terminer Les baigneuses, il avait 78 ans, Renoir déclara : "Je crois que je commence à y comprendre quelque chose".  Il venait de peindre la terre à l'époque où elle était le paradis des Dieux. Il s'éteint dans la nuit. L'exemple est souvent à prendre chez ceux qui ne se présentent pas comme tels.

17/05/2010

You are dead without money

Peut-on moraliser la démocratie politique, et tant qu'à faire la démocratie sociale ? l'objectif est louable mais quel moyen utiliser ? s'en remettre aux vertus individuelles est une possibilité. Si l'on considère que hommes et systèmes interagissent  et que les uns ne surdéterminent pas les autres, alors il faut mettre quelques vertus aussi dans les systèmes.

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Elisabeth Vigée-Lebrun - La vertu irrésolue

La chronique réalisée pour l'AEF avec Jean-Marie Luttringer (dont le titre est emprunté à James Hadley Chase, dans sa version originale un peu plus chic que la version française "Pas de vie sans fric") propose de sortir du financement "bricolé" du paritarisme, avec un écot important pour la formation, et de mettre en place un financement qui garantisse à la démocratie sociale, qui ne le mérite pas moins que la démocratie politique, un financement global.
Ce financement public, qui est légitime au vu des intérêts généraux dont sont porteurs les organisations professionnelles et syndicales, rendrait l'organisation et le fonctionnement du paritarisme plus vertueux et prendrait le pari qu'un système vertueux appelle des comportements individuels et collectifs qui ne le sont pas moins. S'il n'y a pas de vie sans fric, lorsque le fric est le seul objectif, il n'y a plus de vie.

14/05/2010

Apprendre c'est faire

Peut être faut-il attribuer à un certain scientisme ou positivisme propres au 19ème siècle, cette phrase de Paul Valéry  : "Tu ne m'apprends rien si tu ne m'apprends à faire quelque chose". Mais si cette phrase avait été dite par Tchouang-Tseu on y aurait  vu l'illustration  de ce que l'homme n'est qu'activité et que celle-ci associe indissolublement corps et esprit. Ailleurs, en Afrique par exemple, on pourrait y voir la traduction que tout savoir a une traduction directe, de la même manière qu'une amulette de mauvaise augure peut véritablement provoquer la mort de celui qui la reçoit. La résistance est peut être plus forte pour qui a été nourri, directement ou non, de Platon et/ou de religion et qui est habitué à distinguer le monde des idées et la vie matérielle ou encore la vie terrestre et la vie céleste. Pourtant, qu'est-ce qu'une connaissance qui jamais ne se traduit en acte ? quid du rêve que l'on tient pour une simple rêverie sans lendemain (heureusement, l'inconscient veille !).

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Odile Redon - Le rêve

La fameuse trilogie savoir, savoir-faire, savoir-être a peu de sens au regard de l'affirmation de Valéry. Le savoir sans le faire n'existe pas et le savoir être est une tautologie puisque être c'est déjà faire. Bref, rien à tirer de ce trio et on défie quiconque de démontrer l'intérêt pratique de cette distinction.
Pour élargir un peu le propos, à quoi bon la vie sociale, la vie culturelle, les voyages si toute expérience n'agit pas sur le cours de votre vie ? Paul Valéry encore : "Mon âme a plus de soif d'être étonnée que de toute autre chose. L'attente, le risque, un peu de doute, la vivifient bien plus que ne le fait la possession du certain". Pouvez-vous lire ce quatrain de Mallarmé sans que votre manière d'aimer ne s'en trouve modifiée ?
Nous promenions notre visage,
(Nous fumes deux, je le maintiens)
Sur maints charmes de paysages,
O soeur, y comparant les tiens.

(Mallarmé - Prose pour Des Esseintes)
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13/05/2010

Ombre et lumière

En ce jour d'ascension, une chronique consacrée à Joseph de Cupertino, dont Blaise Cendrars raconte l'histoire dans Le lotissement du ciel. Né au début du XVIIème siècle, ce saint est à la fois le patron des aviateurs et des candidats aux examens. Pourquoi ? confi très jeune en béatitude, contemplatif et méditatif, Joseph était un apprenti prêtre très moyen. Mais il se présenta à la prêtrise au sein d'une promotion très brillante, à tel point que l'évêque après avoir entendu plusieurs candidats déclara que tous seraient admis tant le niveau était élevé. Et voici comment Joseph devint prêtre et par la suite patron des candidats anxieux ou mal préparés aux examens. Pour les aviateurs, l'affaire est plus surprenante : au cours d'une procession, Joseph s'éleva soudainement dans les airs et lévita quelques instants. Le phénomène se répéta plusieurs fois par la suite.

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Saint Joseph de Cupertino

L'histoire serait belle si elle n'avait une suite. Le Pape de l'époque, Innocent X, trouva que Joseph suscitait beaucoup d'intérêt et commençait à attirer les foules. Un peu trop. On envoya l'inquisition qui n'obtint pas de résultat : la bonne foi de Joseph et sa sincérité n'étaient pas feintes. Le Pape choisit l'éloignement, puis le bannissemnet, l'interdiction de communiquer et la quasi-réclusion. Le changement de pape ne modifia guère le régime de Joseph qui lévita toutefois une dernière fois quelques semaines avant sa mort en célébrant la messe. Les fidèles étaient là, méritant leur nom. La hiérarchie elle, considérait bien évidemment que celui qui attire la lumière ne peut que lui faire de l'ombre. Après sa mort, on le béatifia puis le canonisa pour la plus grande gloire de l'église et, surtout, de ses dirigeants  : d'un mort on ne risque plus rien. Heureusement, il s'agit d'une histoire ancienne.

12/05/2010

Unir plutôt que désunir

La classification, qui conduit à distinguer et catégoriser, est une méthode de la connaissance scientifique. Elle offre le grand avantage de permettre une compréhension globale grace à l'ordonnancement et de donner du sens à toute connaissance nouvelle en la resituant dans un ensemble plus vaste. Elle présente aussi l'inconvénient de travailler davantage sur les caractéristiques des objets de connaissance que sur les relations qu'ils peuvent entretenir entre eux. En cela, toute classification a une dimension statique, uniquement tempérée par la prise en compte d'évolutions temporelles (classification des espèces par exemple). Ce culte de la distinction marque l'appréhension duale des phénomènes par le monde occidental (vrai/faux, bien/mal, corps/esprit, théorie/pratique, intellectuel/émotionnel, pensée/action, éducation/travail, etc.). Ce raisonnement par opposition a le mérite de la simplicité. Il n'est cependant fécond que lorsqu'il est dépassé par un mouvement dialectique. En Chine, le ciel et la terre n'ont de cesse de s'unir pour donner naissance à toute chose.

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Guo-Xi - Début du printemps

L'arrêt de la Cour d'appel de Rouen, en date du 10 avril 2010, n'est pas très chinois, et pourtant il pourrait potentiellement l'être et nous allons suggérer à la Cour de cassation, si elle est saisie, de franchir le pas. La Cour d'appel condamne une entreprise qui n'a pas informé un salarié de ses droits à DIF dans le cadre d'une rupture conventionnelle à  lui verser des dommages et intérêts. La solution est louable, la motivation un peu moins : les juges appliquent simplement à la rupture conventionnelle le droit du licenciement. Il doit être fait mention dans la rupture conventionnelle des droits à DIF pour que le salarié puisse présenter une demande de formation avant la fin du contrat, comme en cas de licenciement avant la fin du préavis. Osons une suggestion pour la Cour de cassation : conserver la solution mais changer de motivation. Si le salarié doit être informé de ses droits au DIF c'est au nom d'une négociation loyale que doit conduire l'employeur en cas de rupture conventionnelle avec un salarié parfaitement informé par lui de ses droits. Ainsi, la convention doit indiquer ce qu'il advient des droits au DIF : utilisation avant le départ ou renonciation à l'utilisation et usage ultérieur, éventuellement, dans le cadre de  la portabilité. C'est ce que je conseille à mes clients : que la convention indique le sort réservé aux droits au DIF, mais sans reproduire un régime, celui du licenciement, qui n'a de sens que dans le cadre d'une décision unilatérale de l'entreprise. En présence d'une négociation, c'est le droit de la négociation qui doit s'imposer. Si la Cour de cassation, à condition qu'elle en ait l'occasion, veut bien suivre ce raisonnement, elle contribuera à sortir le DIF de l'opposition binaire formation décidée par l'entreprise/formation décidée par le salarié pour faire place à une négociation qui constitue un dépassement par le haut de deux unilatéralités.

Et à propos du DIF, ci-dessous quatre schémas pour tenter de lui donner du sens et d'identifier les moyens de sa mise en oeuvre.

11/05/2010

Dématérialiser

La dématérialisation est un objectif pour les organisations, administration comprise. Mais elle se résume, ou se réduit, souvent à un "zéro papier" qui ne fait que modifier les supports sans changer véritablement les processus et surtout le rapport que l'on a avec eux. Si l'on veut faire le test d'une expérience radicale de dématérialisation, il faut se rendre au Musée Guggenheim de New-York.

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Musée Guggenheim - New-York

Toni Seghal présente une exposition dématérialisée : le musée a été vidé de tous ses objets, les murs sont vides. Les visiteurs peuvent habiter l'espace et laisser courir regard et imaginaire. Et pour ceux qui sont disponibles, ils verront un couple à terre qui s'embrasse. Passionnément. Les couples changent toutes les trois heures. C'est la première oeuvre, ici photographiée malgré l'interdiction de l'artiste de reproduire ses oeuvres.
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Tino Seghal - Kiss - Photo Holland Cotter

Mais il est des visiteurs qui ne font pas le lien avec une oeuvre ou ne voient pas. Ils ne voient peut être pas non plus la petite fille qui demande aux plus attentifs de l'accompagner. Qui accepte de se laisser guider s'entend demander : "Et toi, quelle est ta définition du progrès ?". Et la conversation s'engage. La petite fille cède ensuite la place à un adolescent qui poursuit la conversation sur le même sujet, puis un jeune homme, puis un vieux monsieur. Tous échangent avec les visiteurs. Quelle est la part de conversation, la part de script ? impossible de répondre à cette question, mais ceux qui ont vécu l'expérience ont à la fois eu l'impression d'une introspection, d'une conversation philosophique et d'un échange avec des amis très proches. Cette seconde oeuvre s'intitule "Qu'est-ce que le progrès ?". Je n'ai pas vécu l'exposition de Tino Sehgal mais elle m'a rappelé que, dans les jardins de la Fondation Giannada à Martigny, une dame inconnue m'a abordé pour me déclarer : "Monsieur, et Madame, je ne vous connais pas mais le baiser que vous venez d'échanger m'a plus émue que le baiser de Rodin exposé à l'entrée".
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Affiche de l'exposition Rodin Erotique - Fondation Giannada

Dématérialiser, pour Tino Sehgal, c'est redonner la place à la vie et à l'expérience directe qui transforme, plutôt que de prendre le risque d'étouffer un peu plus les individus sous les objets qui nous envahissent. La dénonciation de la société de consommation, depuis les années soixante, n'aura produit que peu d'effet et il n'est pas certain qu'il faille attendre plus de la publicité faite autour du développement durable qui deviendra bientôt, comme le bio, un nouvel label pour de nouveaux objets. Le mérite de Tino Sehgal est le retour au corps, à l'expérience globale et au final à la vie. Ainsi conçue, la dématérialisation intéresse-t-elle toujours les organisations ?

10/05/2010

Horreur, je suis un DJ !

Je me souviens qu'à la création du Répertoire Opérationnel des Métiers (ROME), on m'avait expliqué que cela servirait notamment à identifier des compétences transverses, utilisables pour des métiers différents, a priori éloignés et auxquels on ne pense pas. J'avais fait l'expérience, et mesuré la portée du concept, en expliquant à des documentalistes que leurs compétences transverses étaient celles d'un logisticien : gestion de références et de flux. Elles, les documentalistes sont plutôt des femmes, ont failli me lyncher. Le travail de documentaliste est noble : on travaille sur des contenus, on organise le savoir, on ouvre l'accès à la culture. On est pas un magasinier ! Peut être, mais en compétences transverses si.

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Martial Raysse - Made in Japan - 1964 (d'après Ingres)

Je n'ai aucun goût pour la musique électronique (initié par Kraftwerk, je me suis arrêté à Soft Cell), je n'aime pas les boîtes de nuit, le bruit m'est pollution, je préfère les états de conscience modifiés que l'abrutissement par l'alcool ou la pharmacie et j'apprécie mieux les aigus légers que les basses lourdes. Pourtant, comme Martial Raysse s'appuie sur Ingres et construit à partir de chefs d'oeuvre qui ne sont pas les siens, je m'appuie sur les oeuvres d'autrui, je cite, j'analyse, j'interprète, je recrée, je déforme, je reproduis et surtout je rapproche des oeuvres et des idées sans rapport apparent entre elles, et je m'approprie le tout. Soit exactement le travail d'un DJ qui sample, et même si je ne me suis jamais pris, Dieu merci, pour David Guetta, voilà une perturbante révélation. Et vous, vous faites quoi avec vos compétences transverses ?

07/05/2010

Changer d'ère

Les conjonctions et concordances sont rarement des hasards. Faut-il être surpris de voir le même jour, le 5 mai 2010,  la Cour d'Appel de Paris, prenant appui notamment sur une décision de la Halde, reconnaître qu'il existe à la BNP Paribas des inégalités de rémunération structurelles entre les hommes et les femmes et la CGT assigner en justice tous ses partenaires de la négociation collective de la branche Syntec/CICF pour refus d'engager des négociations en vue d'étendre aux ETAM les avantages spécifiques reconnus par la convention collective aux cadres ? la portée de ces contentieux dépasse largement les cas d'espèce, tant il serait possible d'appliquer à nombre d'entreprises les constats fait à propos de la BNP ou de la branche du conseil. Quasiment toutes les grandes organisations et les branches professionnelles à vrai dire. C'est pourquoi la décision de la Cour d'appel ainsi que celle à venir du TGI semblent n'être que les premières : il va falloir s'habituer au changement d'époque en ces domaines.

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Jan Van Eyck - Les époux Arnolfini - 1434

Peut être le mystérieux tableau de Jan Van Eyck peut-il nous y aider ? il semblerait en effet que plutôt que les époux Arnolfini, titre officiel du tableau, le peintre se soit mis en scène lui-même avec son épouse enceinte, tout dans le tableau annonçant l'arrivée de l'enfant, jusqu'à l'inscription qui figure au-dessus du miroir convexe : Johannes de Eyck fuit hic (Jan Van Eyck était là, bien au chaud sous la robe arrondie : le fils de Van Eyck naîtra effectivement en 1434 et sera prénommé Johannes). L'arrivée d'une nouvelle ère dans laquelle la maternité n'aurait plus exactement la même place ni le même impact sur la situation des femmes au travail, ou seul le travail et non le statut déterminerait la situation de chacun ? On perçoit les bouleversements qui s'annoncent et la portée proprement révolutionnaire de la mise en oeuvre véritable du principe d'égalité. A la suite de la Cour de justice des communautés européennes qui impose aux entreprises de neutraliser totalement le congé maternité au regard des droits et de la carrière des salariées, voici donc une décision qui sanctionne une entreprise qui prend en compte dix ans d'interruption d'activité pour cause de mise au monde de 5 enfants (on se reportera ci-dessous à la décision de la HALDE sur cette affaire). Souvenons nous que Laurence Parisot, présidente du MEDEF et seule candidate à sa succession, a écrit un livre intitulé "Besoin d'air". Peut être le prochain pourra-t-il s'appeler "Changer d'ère".


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Miro - Maternité

06/05/2010

Pas de reclassement en roumanie

Le Sénat vient d'adopter mardi 4 mai, après l'Assemblée nationale le 30 juin 2009, un texte sur le reclassement des salariés licenciés pour motif économique qui prévoit un questionnement systématique du salarié sur sa volonté d'accepter ou non des offres d'emploi à l'étranger, avant toute proposition. Cette loi a pour objet officiel d'éviter aux entreprises qui font des licenciements économiques d'être condamnées par le juge si elles ne proposent pas des emplois dans tous les pays où elles sont implantés, serait-ce à un salaire dérisoire comparé au salaire français, et d'être condamnées par les medias si elles formulent des proposition du type : on vous propose un emploi équivalent dans un nouveau pays au tarif de 135 euros par mois. Dorénavant, le salarié ne pourra se voir proposer de telles offres que s'il a indiqué à l'entreprise le type d'offres qu'il acceptait de recevoir et sous quelles réserve. Et les juristes de se délecter de l'interprétation que l'employeur devra faire de réserves du type : j'accepte tout emploi moins pénible que le mien, ou bien j'accepte tout emploi dans un pays ensoleillé, ou bien j'accepte tout emploi qui me garantit un pouvoir d'achat équivalent compte tenu du niveau de vie dans le pays. Bref, en voulant simplifier, comme souvent, on a sans doute ajouté de la complexité au reclassement sans traiter le problème de fond : l'entreprise peut toujours librement transférer des activités en roumanie, mais elle doit demander aux salariés s'ils acceptent de recevoir des offres pour aller continuer leur job en roumanie. Peut être pourraient-ils y croiser Victor Brauner, peintre roumain.

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Victor Brauner - Sans titre - 1946

On notera que nos parlementaires si prompts à fixer des règles en matière de nationalité, ne se posent pas la question de savoir si le salarié pourra effectivement, ou non, travailler dans le pays visé. Ni celle de savoir comment s'effectueront les propositions en cas de liquidation judiciaire. Bref, une loi de plus faite pour simplifier la vie des entreprises et qui pourait bien la leur compliquer.

Ajoutons enfin que les parlementaires ont décidément des représentations bien ancrées : ils valident la règle selon laquelle le reclassement du salarié doit s'effectuer sur un emploi correspondant à celui occupé ou  équivalent et assorti d'une rémunération équivalente. Si ce reclassement n'est pas possible, le salarié pourra se voir proposer un poste de catégorie inférieure. Mais il n'est pas envisagé que le reclassement puisse s'effectuer sur un emploi de catégorie supérieure. Comme si le surclassement n'existait pas et comme si tout salarié était incapable de faire un autre job que le sien, sauf un job de même niveau ou de niveau inférieur. Il faudrait parfois que nos parlementaires aillent observer la vie au-delà des palais de la République. Peut être même qu'ils aillent en roumanie. Ainsi pourraient-il faire des textes basés non sur des préjugés mais sur des réalités. A propose de réalité, le dernier mot à Brauner pour finir par totalement regretter la roumanie.

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La charmeuse de Serpent - Brauner
(d'après le douanier Rousseau)

05/05/2010

Il n'y a pas de catastrophe naturelle

Les inondations, les cyclones, le volcan islandais, la neige au mois de mai, les vagues de 6 mètres en méditerranée, les tremblements de terre en Haïti et au Chili, les medias relaient inlassablement ce qu'il est d'usage de nommer, sans plus se poser de question, des catastrophes naturelles. L'appellation est doublement impropre. Tout d'abord parce que tout évènement n'est une catastrophe qu'en ce qu'il touche l'homme. La chute d'une météorite dans l'atlantique ou dans le désert de Gobi et la même sur New-York n'auront pas le même sens. Du point de vue de la nature, le phénomène est pourtant identique. Ensuite parce que l'expression persiste à dissocier la nature de l'homme, renvoyant l'image des humains qui se battent contre la nature, puis la dominent, et finalement l'asservissent, comme s'ils prenaient une éternelle revanche sur le déluge.

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Roberto Matta - La terre est un homme

Que l'on cesse de penser les évènements naturels comme des catastrophes, que l'homme ne se place plus au dessus de la nature mais à l'intérieur de celle-ci à l'instar d'un caillou, d'une plante, du vent ou des nuages, et l'on peut parier que le nombre de "catastrophes" s'en trouvera réduit. Rappellons que Freud, qui subit les peu subtiles foudres d'Onfray ces temps-ci, mais le "vieux" en a vu d'autres, Freud donc identifiait les trois humiliations narcissiques subies par l'homme : il n'est pas le centre du monde (Copernic), il n'est pas le centre de la création (Darwin) et il ne maîtrise pas sa propre conscience (Freud lui-même). Et plutôt que de nous désespérer, cette triple nouvelle nous apporte en réalité une plus grande liberté en nous allégeant considérablement du poids de l'histoire universelle. Mais que la liberté passe par une diminution de l'ego, cela devrait être évident pour tous. Bien sur en voyageant dans quelques organisations, cette évidence ne saute pas aux yeux, et encore moins lorsque l'on écoute Claude Allègre. En fait, il y a des catastrophes humaines.

04/05/2010

Voir c'est croire

La formule est fréquente, je l'ai toujours trouvée indigente : "Je suis comme Saint-Thomas, je ne crois que ce que je vois". La phrase recèle deux fausses évidences et une vérité non assumée. La première fausse évidence est de limiter la réalité à  ce que l'on voit. La vue n'est qu'un de nos sens et pas toujours le plus fiable. Proust, qui avait la subtile connaissance des cinq sens, nous le montre en une phrase :

"Quand par les soirs d'été le ciel harmonieux gronde comme une bête fauve et que chacun boude l'orage, c'est au côté de Méséglise que je dois de rester seul en extase à respirer, à travers le bruit de la pluie qui tombe, l'odeur d'invisibles et persistants lilas."

Sont ici sollicités l'ouïe, l'odorat, le temps, le goût et l'esprit. Quoi de plus réel que ces invisibles lilas.

La seconde fausse évidence est de se fier à l'expérience personnelle plus qu'à toute autre. C'est pourtant celle avec laquelle nous avons le moins de distance, celle qui comporte le plus de risques de biais. Il est facile de constater qu'il est plus simple d'éduqer les enfants d'autrui que les siens. Accessoirement, c'est aussi ce regard extérieur et distancié qui justifie, outre son expertise, le recours à un consultant.

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Roland Penrose - L'île invisible (voir c'est croire) - 1937

La vérité non assumée, tient à la formule je ne "crois" que ce que je vois. Elle affirme donc que voir est une croyance. Et avec raison car si nous ne faisions que voir, nous ne pourrions jamais connaître mais seulement reconnaître. La vision d'une pyramide si je n'en ai jamais vu et si l'on ne m'explique ce qu'elle est ne m'apprendra rien, pas même qu'il s'agit d'une pyramide. Si je ne fais que voir, il s'agit donc bien de croire.
Et l'on pourrait alors prendre le contrepied de Saint-Thomas et considérer que pour connaître, il faut d'abord observer en tentant de se libérer de toute croyance, en se défiant de soi-même, en sollicitant autrui et en faisant travailler tous ses sens. En réalité, Saint-Thomas est un feignant.