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04/07/2013

Des réalités

Serge Dassault, chasseur émérite que les juges ont en ligne de mire, est à l'origine de l'introduction dans le code du travail des actions de formation relatives à l'économie de l'entreprise qui "ont pour objet la compréhension par les salariés du fonctionnement et des enjeux de l'entreprise" (C trav., art. L. 6313-9). Si les députés, toujours soucieux de l'éducation des masses, ont voté le texte, ils ont toutefois refusé, comme le leur demandait l'industriel et patron de presse, de rendre ces formations obligatoires. Autant dire que le texte n'a strictement aucun effet cette catégorie n'ayant aucune utilité autre que proclamatoire. Il souligne tout de même un état d'esprit, celui qui consiste à penser que si les salariés comprenaient mieux les lois et réalités économiques, ils seraient plus en accord avec leurs dirigeants. Face à une telle affirmation, fêtons tout à la fois la réalité, et même l'hyperréalité, et l'arrivée de l'été avec Hilo Chen et ses peintures estivales.

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Hilo Chen - Beach - 2004

Puisque réforme de la formation il doit y avoir, suggérons aux députés, par seul souci de réciprocité, d'introduire dans le code du travail un article relatif aux réalités sociales qui ont pour objet "la compréhension par les dirigeants des réalités sociales vécues par les salariés et des enjeux liés à leurs conditions réelles d'exercice de leurs activités professionnelles". Je dis ça mais je n'ai pas l'influence de Serge Dassault et peut être que c'est l'hypperréalité d'Hilo Chen qui m'est montée à la tête. En même temps, le soleil, on avait perdu l'habitude.

03/07/2013

Dédoublement

La loi de sécurisation de l'emploi du 14 juin généralise, pour les entreprises de plus de 5000 salariés, l'élection de représentants des salariés au sein du Conseil d'Administration, ou de surveillance. Il y en aura 1 si le conseil compte moins de 12 membres, 2 s'il y en a plus de 12. Même minoritaires, ces administrateurs nouveaux auront le droit de vote. Ils participeront à tous les conseils, auront accès aux informations et contribueront aux débats. Jouer ce rôle sera tout sauf évident. Pas facile en effet de concilier les relations interpersonnelles, qui peuvent devenir cordiales, la fonction de représentation des salariés et le rôle d'administrateur. Le risque de schizophrénie est bien réel.

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Je me souviens d'un secrétaire de CE et de CCE, délégué syndical central, représentant au conseil d'administration et divers autres mandats au nom d'un syndicat qui était le syndicat unique, avec une forte tradition d'opposition, au sein d'un groupe industriel. Les patrons de l'entreprise étaient des américains. Ils emmenèrent le syndicaliste au siège aux Etats-Unis, à Saint-Louis, passèrent beaucoup de temps avec lui, l'associant à tout, lui montrant tout. Le syndrôme du journaliste "embedded" et l'inverse de la confrontation frontale, dans laquelle il aurait été plus à l'aise. Un monde nouveau, des logiques qui ont leur cohérence et au final un positionnement personnel de plus en plus difficile à construire. Pour sortir du dilemne, le syndicaliste trouva comme solution de renoncer à ses mandats permanents, et de consacrer au moins une journée par semaine à son activité : remplir des sacs, les charger dans les camions, faire fonctionner les machines, assurer le nettoyage et la maintenance. En équipe au milieu des autres salariés. Pour prévenir le risque de dédoublement, rien de mieux que de se donner comme objectif de faire des liens entre les mondes.

19/06/2013

Un siècle, et toujours modernes

Débat hier soir à l'initiative d'Education Permanente et de l'Université Ouverte sur la réforme de la formation professionnelle. La moyenne d'âge fleure bon la deuxième partie de carrière, mais si la valeur n'attend pas le nombre des années, Raymond Vatier, à plus de 90 ans, démontre que la vivacité de l'esprit n'est pas toujours celle du corps, quand bien même ferait-on de l'aquagym. Entendre un acteur de la loi de 1970 rappeler les concepts fondateurs et leur déclinaison opérationnelle suscitait en tous les cas une légère nostalgie, surtout lorsqu'on rapportait ce discours à celui, beaucoup plus confus, de ceux qui ont en charge l'aujourd'hui. Et ce sentiment s'accentua lorsque parut s'installer chez les intervenants un consensus sur le fait que l'intérêt général et l'intérêt de l'entreprise devaient être distingués au titre d'une utile clarification. Il fût alors nécessaire de faire appel aux toulousains.

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Vu ainsi, Maurice Hauriou bustifié dans les jardins de la fac de droit toulousaine, ce n'est pas le fun absolu. Il n'empêche que la théorie institutionnelle de Haurioux, sera utilisée par Paul Durand pour fonder sa théorie de l'entreprise, définie non pas comme la chose du dirigeant (et il fût hier soir nécessaire de rappeler à Alain Meignant que l'intérêt du chef d'entreprise et l'intérêt de l'entreprise sont deux choses distinctes) mais comme une collectivité dotée d'intérêts propres. Une collectivité qui n'est pas hors-sol mais ancrée dans un territoire et dont l'activité participe de l'intérêt général. Michel Despax, héritier d'Hauriou et de Durand, ne dirigea pas pour rien à la fois un Master de Gestion du Personnel et un Institut d'études sur l'urbanisme : toute activité humaine se déploie sur un territoire et dans un environnement avec lequel elle interagit. Si cette artificielle distinction entre l'entreprise renvoyée à ses intérêts privés et l'intérêt général cantonné à la sphère publique, ou à la contribution forcée des agents privés, pouvait ne pas prospérer dans le cadre de la réforme, cela rendrait sans doute le sourire à Maurice Hauriou.

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12/06/2013

Aligné

C'est plus une confirmation qu'une nouveauté, mais elle est formulée en des termes si fermement énoncés que l'on comprend qu'un cap est définitivement franchi. Et en plus, la décision sera publiée au bulletin. Il s'agit d'un jugement rendu par la Cour de cassation le 5 juin dernier au profit d'un opérateur de lignes qui reprochait à son employeur de ne l'avoir jamais inscrit à une formation du plan de formation en 16 ans. L'entreprise avançait pour sa défense que le salarié avait été recruté sans compétences, qu'il avait été formé au poste, qu'il pouvait désormais prétendre à un emploi de même nature dans tout entreprise industrielle, que le poste n'avait guère évolué en 16 ans ne nécessitant pas de formation et que le salarié, pour finir, n'avait jamais demandé ni DIF ni CIF. Tous ces arguments, qui avaient convaincu les juges d'appel, ont été balayés par la Cour de cassation qui donne raison à l'opérateur de lignes.

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En effet, la seule adaptation au poste de travail est insuffisante. L'employeur doit maintenir la capacité du salarié à occuper un emploi compte tenu de l'évolution des emplois, des technologies et des organisations. Ce n'est donc pas uniquement une employabilité interne que l'entreprise doit maintenir, mais également une employabilité externe. Et le fait qu'il existe des dispositifs d'accès à la formation qui font place à l'initiative du salarié ne peut avoir pour effet d'exonérer l'employeur de ses responsabilités. Si certains, en créant le DIF, pensaient transférer la responsabilité de l'employabilité sur le salarié, c'est raté. C'est peut être d'ailleurs en partie pour cela que les mêmes soutiennent aujourd'hui la disparition du DIF et la création du compte personnel de formation. Il faut les comprendre, ce n'est pas  toujours drôle de se faire aligner.

Cass. Soc 5 juin 2013 Obligation de formation.pdf

10/06/2013

Dedans dehors

Presque toute la surface du tableau est consacrée à l'intérieur et le titre même de la toile "Intérieur au violon" vous ferait croire qu'il n'est question que d'intérieur. Que le sujet du tableau, c'est cette pièce, ce violon, qu'il s'agit d'une invitation à rêver la musique, à imaginer le musicien dans la pénombre  se saisir  de l'instrument et faire vibrer les sons.Une atmosphère beaudelairienne faite de luxe, calme et volupté, comme le bleu de velours qui abrite le violon. Mais ce bleu est trop bleu pour être honnête. Il n'est là que pour signaler l'autre bleu, plus discret, qui perce le travers des claires-voies. Car là est le vrai sujet du tableau : l'extérieur, la lumière éclatante du Sud qui seule permet de tamiser l'espace intérieur, la chaleur étouffante qui rêve d'entrer en tous lieux, l'air chaud frémissant qui éveille les sens et guidera le musicien. Le violon n'est qu'un écho de la musique extérieure.

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Matisse - Intérieur au violon

Qui prend le temps de lire les dispositions relatives à la formation dans la loi de sécurisation de l'emploi, y trouvera un même exercice d'intérieur-extérieur. Si l'ANI du 11 janvier 2013 constitue bien l'étape II de la réforme de la formation et s'inscrit dans la logique de l'ANI de 2003 (DIF/Compte personnel de formation - Entretien individuel/Conseil en évolution professionnelle - Obligation d'adaptation/Gestion prévisionnelle négociée des emplois et compétences), il est tout autant tourné vers l'extérieur que son prédécesseur l'était vers l'interne. En 2003, le DIF, l'entretien professionnel et l'obligation d'adaptation au poste visent à responsabiliser employeurs et salariés sur le développement des compétences dans l'entreprise. En 2013, le compte personnel aux priorités centrées sur l'employabilité externe, le conseil en évolution professionnelle fait pour accompagner les mobilités externes et la GPNEC qui vise à anticiper les évolutions de l'emploi, sont résolument inscrits dans des logiques externes. Si l'on ne peut en conclure hâtivement que l'objectif est de faire passer les salariés par la fenêtre, on peut tout de même s'interroger sur la manière dont les entreprises se saisiront de dispositifs construits sur des logiques qui ne sont pas nécessairement les leurs.

31/05/2013

Vive l'inertie !

Il ne fait pas bon être bon élève dans le champ social. Et on ne compte plus les enthousiastes de la première heure qui doivent affronter les sarcasmes et sourires goguenards des désabusés professionnels qui, n'ayant jamais été nulle part, sont revenus de tout. Cela avait commencé avec les 35 heures. Ceux qui s'étaient inscrits dans la loi de 1998, avaient réduit le temps de travail et maintenu les salaires, cherchaient encore comment regagner les surcoûts de 11,4 % générés par leur décision, quant la deuxième loi votée en 2000 leur fit comprendre qu'en ne faisant rien, et en restant à 39 heures, le surcoût était de 2,5 % de salaire et pouvait se rattraper en un an, deux maximum. Et l'on nous refait le coup avec le DIF. Ceux qui ont été proactifs et ont développé des politiques innovantes vont devoir soit replier les gaules, soit trouver les ressources en interne lorsque l'on obligera les OPCA à réorienter leurs financements vers les demandeurs d'emploi et le compte personnel de formation.

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Tout se passe comme si le législateur prenait un malin plaisir à décourager les initiatives, à favoriser l'inertie et finalement à donner raison à tous les pisse-froids qui ont toujours d'excellentes raisons de manquer d'imagination. Peut être que le jour où l'on se préoccupera de faire des textes pour accompagner les proactifs, pour encourager l'innovation, pour récompenser la créativité et non pour contraindre, imposer, sanctionner les récalcitrants et finalement tomber dans un jeu de dupe où chacun tient la barbichette de l'autre (je t'impose mais pas trop, je fais ce que tu m'imposes mais en faisant semblant), peut être alors que cela ira un peu mieux. On ira toujours plus vite en essayant d'accélérer le mouvement qu'en tentant de faire bouger l'inertie.

30/05/2013

Innovation classique

Ingres est répertorié parmi les peintres classiques : excellente maîtrise du dessin, application minutieuse dans la préparation des fonds, positionnement précis des détails, disparition de toute trace de la brosse après qu'elle soit passée sur la toile, le digne héritier de son maître David. Oui mais voilà, sous ce classicisme d'apparence apparaît l'innattendue et incongrue innovation : les corps s'allongent, les os s'assouplissent, les positions défient les lois physiques, les représentations débordent leurs personnages. Picasso ne s'y était pas trompé qui construisit un dialogue avec Ingres à travers le temps.

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Ingres - La source

Si l'on peut innover dans le classicisme, il arrive également que l'on fasse l'inverse. Lors de sa visite à l'usine Bosch de Rodez, François Hollande a salué un accord entre la direction et les syndicats qu'il a qualifié de "bel exemple" du dialogue social et qu'il a placé dans la ligne des objectifs poursuivis par le contrat de génération. Sans doute sa lecture de l'accord, ou du résumé que lui en ont fourni ses conseillers, a-t-elle été rapide. L'accord de compétitivité est surtout marqué par 116 départs en préretraite, soit l'inverse du maintien dans l'emploi des seniors voulu par le contrat de génération, qui sera de ce fait classé au rang des mesures qui persistent à vouloir le bonheur d'autrui malgré lui, et l'exacte politique de ressources humaines conduite depuis plus de 40 ans : maintenir la situation de ceux qui restent en diminuant  les coûts par des mesures d'âge. Pour le coup, très classique mais bien peu innovant.

17/05/2013

De la main

De tradition et par nature, l'Etat en France, a rarement la main amie, au sens où l'amitié établit de fait une égalité entre ceux qui se l'accordent  mutuellement. L'Etat, autrement dit ceux qui agissent en son nom, a toujours conservé, nonobstant la République, une main royale qui peut à l'occasion être une main bienveillante, mais qui n'est jamais une main amie car elle se refuse à connaître l'égalité. L'Etat, comme le Roi, se pense et se veut d'une nature unique et primordiale.

Il ne fait pas de doute que la Conférence sociale qui se tiendra les 20 et 21 juin est une main tendue aux partenaires sociaux. Certains esprits critiques croient y reconnaître la main du noyé sous le poids du chômage qui guette la corde que voudront bien lui tendre les acteurs sociaux. Fausse impression, comme toujours l'Etat organise un dialogue au cours duquel sa main indiquera bien plus le chemin à suivre qu'elle ne s'ouvrira amicalement pour une invitation  où tout peut se dire et tout est envisageable, faute de quoi il n'est point d'amitié.

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Main de Blaise Cendrars

Dans le domaine de la formation professionnelle, en effet, les dés sont apparemment jetés. Comme l'a encore répété  Hollande lors de sa conférence de presse, après que Sapin ait annoncé la couleur, il s'agira de réorienter les fonds de la formation vers ceux qui sont considérés comme prioritaires : les salariés les moins qualifiés et les demandeurs d'emploi. Pour ce faire, il suffit de rappeler aux partenaires sociaux que l'obligation légale de financement de la formation est une taxe fiscale et qu'il revient donc à l'Etat de décider de son affectation de principe, les modalités de mise en oeuvre pouvant être déléguées. Car l'Etat aime bien la délégation qui voit le délégataire faire ce qu'on lui dit, voire dicte. Dans ces conditions, l'enjeu de la Conférence sociale se réduira à choisir entre  embrasser la main à laquelle on va obéir ou bien refuser de le faire et se préparer à la gifle qui en résultera.

Blaise Cendrars, dont les oeuvres autobiographiques viennent de paraître en Pléiade accompagnées d'un très bel Album, écrivait beaucoup. Il inscrivait parfois en bas de ses lettres "avec ma main amie", la seule qui lui restait et qu'il offrait sans partage, car il avait lui, le sens de l'égalité.

09/04/2013

In memory of Bobby Sands

Margareth Thatcher est morte hier. Cela devrait tous nous arriver un jour. Simplement il y en a pour qui cela arrive plus tôt que pour d'autres. Une pensée pour Bobby Sands et les 9 autres grévistes de la faim morts en prison en 1981. Le plus âgé avait 30 ans.

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Photographie : Peter Morrison.

08/04/2013

Du vide

Dans le nouveau concours Lépine ouvert par le report d'une nouvelle réforme de la formation à l'automne, l'Institut Montaigne est un impétrant persévérant. D'autant plus persévérant que les propositions sont les mêmes que celles formulées il y a quelques mois : supprimer le (soit disant) "Payer plutôt que former" et le remplacer par un crédit d'impôt, censé être incitatif puisque d'autant plus élevé que les formations seront qualifiantes et que les salariés appartiendront à des catégories peu formées. Cette contribution aurait pu alimenter le débat lancé par Liaisons Sociales sur la suppression de l'obligation fiscale relative au plan de formation. Lorsque l'on procède à une suppression, la question est de savoir si ce que l'on met à la place, serait-ce le vide, est meilleur que ce que l'on a supprimé. Comme Rothko supprimant le sujet pour mieux le mettre face au miroir coloré qui lui est présenté.

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Rothko - White over red

Or le crédit d'impôt est une substitution de médiocre qualité, pour plusieurs raisons. Tout d'abord, il agit dans une logique purement individuelle, contrairement à la contribution fiscale qui procède à une mutualisation, soit le calcul individuel contre la logique de solidarité. Ensuite, il ouvre la porte à tous les effets d'aubaine, en finançant sans distinction ce que l'on fait sur incitation et ce que l'on aurait de toute façon réalisé. Enfin il ouvre la porte de l'optimisation fiscale, et l'on connaît les dérives du crédit d'impôt recherche avant de constater celles du crédit d'impôt compétivitité. Même si cela fera travailler les consultants, il y a peut être mieux à faire. Par exemple, créer une obligation conventionnelle de négocier un taux de mutualisation par branche, pour trois ans. Ce qui renforcera le dialogue social sur la formation et mettra en place non une obligation uniforme mais des contributions basées sur des diagnostics. Ou encore introduire dans le code du travail, de manière plus explicite, les responsabilités sociales de l'employeur au regard de la qualification des salariés en s'inspirant de la jurisprudence de la Cour de cassation. Ou enfin en se demandant s'il ne faudrait pas une obligation qui se réduit à proportion que l'effectif augmente, ce qui changerait un peu des logiques d'alourdissement des charges lorsque l'on embauche. Et pour ceux qui prendront la peine de lire les deux documents joints, vous constaterez que l'Institut Montaigne mérite son dictionnaire des idées reçues (voir ici). Comme disait Montaigne, le vrai : "Il faut avoir un peu de folie si l'on ne veut pas avoir plus de sottise".

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Institut Montaigne - Formation, Emploi, Compétitivité.pdf

05/04/2013

Conférence en Amérique

Liaisons Sociales avait choisi la Maison de l'Amérique Latine pour organiser une Conférence sur la loi de sécurisation de l'emploi. En m'y rendant jeudi matin, je pensai à mon copain Alain parti en goguette en Argentine et qui s'est retrouvé sous des trombes d'eau la nuit dernière.

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Buenos Aires

En arrivant à la maison de l'Amérique Latine, je jette un coup d'oeil à la vitrine qui présente des livres Sud-Américains. Le premier titre qui me saute aux yeux est "Je ne suis pas venu pour faire un discours" de Garcia Marquez. Je m'en souviendrai au moment de présenter le volet Formation de la loi. Mais en attendant, j'écoute les avocats parler de la loi : le travail technique est brillant, chaque mot, chaque virgule, chaque formule est disséquée, pesée, analysée et passé au crible de la marotte des avocats : le risque juridique, le contentieux et les aléas liés à la future position du juge, grand manitou de la chose judiciaire. Les têtes des participants se courbent au fur et à mesure des interventions, se demandant tout à la fois si cette loi apporte bien de la simplification (certainement pas), une nouvelle sécurité juridique (sans doute en partie, mais le propre de toute règle étant d'être interprétable, si l'on veut supprimer le risque il faut supprimer les juges, ce que la loi de sécurisation s'emploie d'ailleurs à faire), de nouveaux outils dans la boîte à outils (oui bien sur, François sera content -pas le pape, l'autre) et une régression ou un progrès  pour les entreprises et salariés (les deux mon capitaine). Mais il ne faut pas s'étonner que des avocats nous livrent une telle vision de la loi, pas plus qu'il ne faudrait s'étonner d'avoir une image peu flatteuse de notre société si l'on s'en tenait à la description que pourrait nous en faire un policier, par exemple.

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Jesse A. Fernandez - Wilfredo Lam

Juste le temps d'une pause, pour regretter que soit terminée l'exposition de Jesse A. Fernandez (mais vous pouvez découvrir - en espagnol- l'hilarant texte de Copi, l'Uruguayen), et c'est à moi. Pas de discours donc, droit au but :

- vous avez aimé expliquer que le DIF était un droit dont l'usage devait être négocié, vous adorerez expliquer que le compte personnel de formation est un compte non monétaire (en langage populaire et non techno : il n'y a pas de sous dedans) ;

- vous pensez que le DIF ne marche pas, demandez-vous ce que cela révèle sur la capacité de dialogue et de partage du pouvoir dans les entreprises, surtout à l'occasion d'une loi qui veut faire primer le dialogue social sur l'arbitrage judiciaire ;

- vous craignez le provisionnement et des charges nouvelles pour l'entreprise, dormez tranquille ;

- vous vous demandez comment ça marche techniquement, il vous faudra attendre l'an prochain (la Conférence Sociale en juillet, un ANI à l'automne, une loi en début d'année, un vote au printemps) pour les détails ;

- vous voulez savoir si certains négociateurs, signataires, n'ont pas compris qu'ils supprimaient le DIF en signant l'ANI ? la réponse est oui ;

- vous vous demandez à quoi va servir le conseil en évolution professionnelle ? à faire ce que le bilan de compétences n'a jamais fait : croiser un diagnostic individuel de compétences avec la situation du bassin d'emploi sur lequel on se trouve ;

- vous vous demandez pourquoi le conseil en évolution professionnelle a été confié au service public d'orientation ? vous avez raison, c'est une erreur, il reviendra normalement aux FONGECIF ;

- vous vous demandez ce que c'est que la Gestion Prévisionnelle Négociée des Emplois et des Compétences ? c'est une négociation qui ne porte ni sur la Gestion (liberté de l'entreprise), ni sur la prévision (ah le charme d'une négociation sur la prévision...), ni sur l'emploi (ce n'est pas le PSE triennal), ni sur les compétences (on ne négocie pas les compétences). Alors sur quoi : sur les dispositifs et méthodes de développement des compétences. C'est à dire comme avant ;

- vous vous demandez pourquoi la négociation inclut dorénavant les "grandes orientations de la formation" ? pas pour exclure les petites orientations mais pour rester à un grand niveau de généralité et que la négociation ne donne surtout pas l'idée de négocier le plan de formation.

Pari tenu Gabriel, je n'ai pas fait de discours.

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La journée est clotûrée par Jean-Denis Combrexelles, Délégué Général au Travail qui s'emporte presque : oui bien sur, on peut chicaner sur telle ou telle rédaction, mais l'essentiel de la loi c'est quand même d'inviter à la négociation et de prévoir une régulation plus grande par l'accord (entre partenaires sociaux ou avec l'administration) en lieu et place de décisions unilatérales et de leur contestation judiciaire. Un pari sur l'intelligence et la bonne foi en quelque sorte. Belle sortie, tempérée par la dernière question : "Est-ce que cette loi crééra des emplois ?", geste de lassitude du Délégué et rires, jaunes peut être, mais rires tout de même, dans l'assistance.

En partant, je repasse devant la vitrine, et cette fois-ci, le titre qui me saute aux yeux c'est celui qui figure ci-dessous. Amen.

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29/03/2013

Indémodable club des cinq

Comme la série était publiée dans la bibliothèque rose, j'ai longtemps considéré que le Club des cinq, c'était pour les filles. Et je m'en tenais aux romans d'aventure de la bibliothèque verte (James Oliver Curwood, Jules Verne, etc.). Et puis ce Club des cinq qui ne sont que quatre, c'est le chien Dagobert qui fait le cinquième, cela entre mal dans la rationalité des jeunes garçons. Mais un jour, j'ai quand même ouvert un des titres, et j'ai commencé à lire. Par défaut d'autre lecture ? pour aller y voir par moi-même ? parce que la petite gitane sur la couverture était piquante ? je n'en ai strictement aucun souvenir, juste que j'ai ensuite englouti tous les titres. Et reste le souvenir qu'à dix ans on est plus malin que les adultes, ce qui est toujours vrai tant les adultes ont souvent le chic de s'alourdir au fil des ans, et que les filles, c'est tout de même plus intéressant que les garçons. Surtout les petites gitanes malines.

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Le Club des cinq et les gitans est paru en 1966. Un an avant que le Ministère du Travail n'accorde une présomption de représentativité aux 5 Confédérations Syndicales : CGT, CFDT, CGT-FO, CFTC et CFE-CGC. Celles là même dont la représentativité est régulièrement contestée par ceux qui connaissent peu la chose syndicale, ou qui feignent de ne pas la connaître. Car la représentativité, comme nous le rappelle la loi du 20 août 2008, est basée non pas sur le nombre d'adhérents (sinon les partis politiques seraient moins représentatifs que les syndicats), mais sur l'audience électorale. Et celle-ci vient d'être mesurée au cours des quatre dernières années. Plus de 5 millions de salariés se sont exprimés et l'audience ainsi calculée donne les résultats suivants :

ORGANISATION

AUDIENCE ELECTORALE

CGT

CFDT

CGT-FO

CFE-CGC

CFTC

UNSA

SUD

26,77

26

15,94

9,43

9,30

4,26

3,47

Soit une représentativité maintenue pour le Club des cinq (puisqu'il fallait obtenir au moins 8 % des voix au niveau interprofessionnel) et quelques efforts encore à faier pour les deux autres confédérations. Et à ceux qui seraient tentés par le "tout ça pour ça", les 5 mêmes organisations restant représentatives, on fera juste remarque qu'elles viennent de passer d'une représentativité octroyée à une représentativité obtenue par le vote, ce qui disqualifie le procès en légitimité. Ce souci étant réglé, vous pouvez profiter du week-end pascal pour vous replonger dans les aventures de Claudine et de ses amis.

22/03/2013

A qui sociaux ?

Cela fait partie de ces phrases, tellement entendues qu'elles paraissent proférer des évidences et ne méritent plus guère qu'on s'y attarde. A chaque manifestation, chaque mouvement social, il est question des acquis sociaux chèrement acquis par la lutte et qu'il s'agit de défendre. Et toute l'histoire du travail se trouve revisitée par cette antienne : les avancées sociales sont le fruit de luttes qui créent des rapports de force favorables. Sauf que l'on est plus souvent dans le mythe que dans la réalité. Pour s'en tenir au dernier siècle, les acquis sociaux majeurs datent de 1936 (congés payés, semaine de 40 heures), de 1945 (sécurité sociale, comités d'entreprise), de 1968 (augmentation du SMIC, reconnaissance des syndicats dans l'entreprise), de 1982 (39 heures, retraite à 60 ans, lois Auroux) et de 1998 (35 heures). 

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Si le Front Populaire s'est appuyé sur les grèves et occupations d'usine et les accords Matignon de 36 (et encore, les congés payés ne faisaient pas partie des revendications syndicales prioritaires), ce n'est véritablement qu'en Mai 68 qu'il y eût un vrai rapport de force  exclusivement dû à un mouvement social qui aboutit à l'obtention d'acquis sociaux actés par les accords de Grenelle.Dans tous les autres cas, ce que l'on peut désigner comme acquis sociaux résulte soit d'un contexte historique, avec le Gouvernement d'union nationale présidé par le Général de Gaulle en 1945 qui mit en oeuvre le programme du Conseil National de la Résistance, soit de l'arrivée de la gauche au pouvoir. Enfin, jusqu'en 1998 parce qu'il y a peu de chances que 2012, ou 2013, soit à rajouter aux grandes dates de l'histoire sociale.

25/02/2013

Allo docteur ?

Le Gouvernement souhaite supprimer la journée de carence dans la prise en charge des arrêts maladies des fonctionnaires. On saisit mal, en effet, pourquoi des personnes qui cotisent pour garantir leur revenu en cas de maladie devraient en être privés le premier jour. Par souci d'égalité avec le privé, rétorque-t-on le plus souvent, puisqu'un salarié est soumis à une carence de trois jours. Sauf que si l'entreprise a souscrit une prévoyance, ces trois jours sont souvent ramenés à zéro. Résultat, comme souvent, la ligne de partage n'est pas entre public et privé mais entre salariés des grandes entreprises et fonctionnaires et salariés des petites entreprises.

Au-delà de l'égalité, on a pu entendre des commentaires sur les abus des arrêts maladies et voir ressurgir la notion de "faux-arrêts maladie". C'est ici qu'il faut à la fois faire un peu de droit et appeller le docteur.

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Van gogh - Le docteur Gachet

Car en droit, seul celui qui a la capacité de décider est coupable. Or, en matière d'arrêt maladie, le salarié ne décide rien. Seul le médecin peut prendre la décision d'arrêter un salarié pour cause de maladie. Du point de vue du salarié, la notion de "faux arrêt maladie" est donc absurde. Peut être l'est-elle moins du point de vue du toubib. Inutile donc de refaire le procès des salariés et ici, en l'occurence, des fonctionnaires. Si l'on considère qu'il y a des arrêts de complaisance, il faut appeler les docteurs.

17/02/2013

Créer à partir de quoi ?

Fabienne Verdier est une occidentale. Elle a étudié aux Beaux-Arts à Toulouse. Puis elle est partie en Chine. Elle a mis longtemps à apprendre à voir, à sentir, à se détacher d'elle même pour intérioriser ce qu'elle se propose de peindre : un souffle, une pulsation, un instant. Fabienne Verdier est revenue en France. Elle a créé ses propres outils, à partir de l'étude et de l'utilisation des outils traditionnels, avec quelques principes industriels et une pratique artisanale. Elle s'est inscrite dans des histoires multiples pour créer une oeuvre profondément originale.

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Le processus de création du compte individuel de formation est à l'oeuvre. Les éléments figurant dans l'ANI du 11 janvier 2013 sont presque suffisants pour en tracer les contours et modalités. Reste aux pouvoirs publics à se doter d'un projet en ce domaine qui puisse intégrer la volonté exprimée par les partenaires sociaux et si possible la prolonger. Une création aux sources multiples, qui s'appuie sur l'histoire, qui part de l'existant et qui amplifie des dynamiques. A ces conditions, il sera peut être fait oeuvre utile. Encore faudra-t-il résister à la tentation du Concorde : concevoir sur le papier un avion parfait avant de s'apercevoir qu'il est incapable de s'adapter à un environnement changeant (crise pétrolière, exigences environnementales, situation géopolitique, etc.). Souhaitons donc que le dispositif à venir soit perfectible, adaptable et évolutif et qu'il constitue un progrès par rapport à l'existant. Cela sera déjà un grand pas de fait.

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07/02/2013

Work in progress

J'aime les travaux en cours (comme toute personne qui est toujours en retard me direz-vous, syndrôme de la procrastination) et du coup j'aime les études, esquisses, dessins préparatoires, manuscrits gribouillés, bouts de feuillets noircis à la va vite, petits carnets de notes, cahiers de croquis, bref tout le fatras dans lequel apparaît toute la vie que l'on verra ensuite ordonnée dans l'oeuvre, du moins lorsque le peintre a du talent. Tel est le cas, par exemple, de Gustave Moreau ou d'Ingres, dont les dessins préparatoires fascinent tout autant que les toiles.

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Gustave Moreau - Etude pour Salomé

JD Ingres - Etude pour le Bain Turc

Dans les six mois qui viennent, va s'élaborer le Compte Personnel de Formation, qui sera au DIF ce que le papillon est à la chenille. Lorsque je présente l'ANI du 11 janvier 2013 et les principes qui régiront le Compte, j'ai souvent des réactions de protestation : mais alors on ne sait pas comment ça va marcher, rien n'est calé, c'est incroyable de signer des textes sans savoir où l'on va. Ingres et Moreau savaient-ils où ils allaient lorsqu'ils travaillaient leurs dessins ? ou bien les choses se sont-elles mises en place petit à petit, ou par à coup, ou par rupture ? qui sait ?  On dit parfois que le voyage compte plus que la destination. Dans l'élaboration des droits nouveaux, il ne faut pas oublier la beauté de la construction et considérer qu'elle conditionne souvent la beauté du résultat.

16/12/2012

Chronique démagogique

Il est rare que les architectes habitent les lieux qu'ils construisent. On aimerait parfois inclure une telle obligation dans le cahier des charges : vous résiderez pendant au moins un an dans les appartements que vous avez conçus. Peut être la conception s'en trouverait-elle modifiée. Bien sur, l'architecte n'est pas seul en  cause : celui qui impose le cahier des charges, qui valide les choix, qui économise sur les matériaux ou la façon pourrait se voir demandé le même effort. Lorsque son travail n'a d'effets que sur autrui, il faut une grande exigence personnelle pour agir en étant guidé par l'empathie.

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Jordi Colomer - Anarchitekton

Il faudrait peut être imposer aux experts qui formulent conseils et recommandations ayant des effets sur autrui, d'en subir également pendant quelques temps les effets. Peut être leur regard s'en trouverait modifié. On peut le suggérer aux membres du groupe d'experts qui se prononce invariablement pour ne pas revaloriser le SMIC ou pour modifier son calcul afin de limiter sa hausse. Ou aux rédacteurs du rapport de l'Institut Montaigne qui préconisent de réduire de 25 % puis de 50 % les allocations d'assurance chômage en ne garantissant au bout d'un an que 850 euros d'indemnisation. Et qui rêvent au détour d'une page, tout en constatant que bien sur ce n'est pas réalisable, que si on ne versait que 330 euros on économiserait 20 milliards par an. Et d'en conclure que notre système est vraiment généreux. Quant à ceux qui estiment que l'on peut vivre en France exclusivement de l'aide sociale, en général (c'est un euphémisme), ils n'ont jamais eu le bonheur de percevoir des minimas sociaux. Peut être devraient-ils tenter l'expérience. Mais il paraît que vouloir que chacun s'applique ce qu'il préconise, c'est démagogique voire populiste. Ce doit être vrai, ce sont  les experts qui le disent.

Institut Montaigne - Depense publique.pdf

18/11/2012

Un texte en forme de vol de bicyclette

En 1986, Yvon Gattaz, Président du CNPF, réclamait la suppression de l'autorisation administrative de licenciement. Cette seule mesure, en facilitant le licenciement, encouragerait l'emploi au point qu'il pourrait en résulter la création de 300 à 400 000 emplois. On vota la suppression de l'autorisation, mais à défaut de pouvoir voter les embauches, elles restèrent au rang des promesses qui n'engagent que ceux qui y croient.

Plus de 25 ans plus tard, les positions des organisations d'employeurs n'ont guère évolué, comme le montre le texte remis aux syndicats lors de la négociation sur la sécurisation de l'emploi. Les principales mesures du texte ? faciliter les licenciements, limiter leur coût, réduire les possibilités de recours judiciaire pour les salariés et, surprise, réintroduire l'homologation des plans sociaux par l'administration, dont on s'aperçoit après coup que cette mesure sécurisait peut être davantage l'entreprise que les salariés en empêchant la saisine du juge judiciaire. Certes, la négociation n'est pas achevée, mais trouver un accord équilibré paraît aujourd'hui aussi improbable que l'équilibre de cette bicyclette, photographiée par Manuel Alvarez Bravo dont on peut voir les poétiques et émouvantes photographies au Jeu de Paume.

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Alors que la négociation sur la sécurisation de l'emploi se voulait audacieuse, novatrice et débouchant sur des mesures historiques, situation économique et sociale oblige, force est de constater que les vieilles recettes sont toujours à l'oeuvre et qu'il est très difficile de dépasser les formules magiques qui sonnent comme des slogans : facilitons le licenciement, on encouragera l'embauche. Que jamais la réalité de cette affirmation n'ait été démontrée importe peu, elle n'est manifestement pas discutable. Et il importe encore moins de constater que plus de 800 000 licenciements sont réalisés tous les ans, dont les 3/4 ne donnent pas lieu à contentieux, et de continuer d'affirmer que licencier en France est très difficile pour ne pas dire impossible.

A partir de là, personne ne devrait s'étonner de voir une bicyclette se promener le long des fils électriques.

Proposition patronale Securation de l'emploi.pdf

16/11/2012

Franchir le seuil

Les obligations sociales des entreprises sont assujetties à des effets de seuil. L'employeur de moins de 10 salariés n'a pas les mêmes obligations que celui qui en compte plus de 50 ou plus de 300 ou plus de 1000 pour ne retenir que les principaux seuils sociaux. Dans le cadre de la négociation sur la sécurisation de l'emploi, les organisations patronales souhaitent réduire les effets liés aux seuils. Elles proposent pour cela de différer l'application des obligations nouvelles et de réduire ces obligations en dessous de certains seuils. C'est reproduire en pire ce que l'on souhaite éviter, car si les obligations sont réduites, elles inciteront d'autant moins à franchir le seuil, serait-ce avec un effet différé.

Il est pourtant vrai que les seuils ont de quoi faire peur, notamment celui de 50 salariés qui est, de loin, celui qui est le plus coûteux pour l’entreprise, dans des proportions qui peuvent s’avérer exorbitantes. Ainsi, le passage à plus de 50 salariés entraîne la mise en place d’un Comité d’entreprise (0,2 % masse salariale pour le fonctionnement, plus temps de réunion, plus temps de délégation, plus le financement des activités sociales…), mais également de la participation obligatoire, soit  le reversement d’une partie du résultat aux salariés, la possibilité d’avoir jusqu’à 5 organisations syndicales, la mise en place d’un CHSCT, le recours à un PSE en cas de licenciement économique, etc.  A dissuader effectivement le mieux disposé des chefs d’entreprise, et ce qui aboutit à une surreprésentation des entreprises de moins de 50 salariés et au final à priver les salariés de certains droits. Au final, personne n'est véritablement gagnant.

Le seuil du jardin.jpg


Mais voyons les choses autrement. Plutôt que de remonter les seuils ou différencier encore plus les obligations, ne serait-il pas possible de les lisser en instaurant soit des règles communes à toutes les entreprises (par exemple la participation dès le premier salarié), des instances de représentation simplifiées pour toutes les entreprises et des  moyens proportionnels à la taille (par exemple des crédits d’heures augmentant proportionnellement au nombre de salariés plutôt que fixes à partir de seuils…). S'il est effectivement urgent de mettre en chantier la question des seuils sociaux, il est peut être encore plus important de faire simple et intelligent, c’est une tentation à laquelle ni les négociateurs ni le législateur ne devraient normalement résister, même si on constate qu'ils persistent souvent à faire l'inverse.

Et pour tous ceux qui trouveraient ces histoires de seuil un peu arides, vous pouvez avec le week-end qui s'annonce franchir le seuil du jardin avec André Hardellet, la réalité prendra tout de suite une autre dimension.

30/10/2012

Vider les chaises

On en a désormais la certitude, c'est une entreprise d'éradication de certaines organisations syndicales qui est à l'oeuvre, et la Cour de cassation vient y prêter la main d'une curieuse manière. La loi du 20 août 2008 qui a profondément modifié les règles de représentativité des organisations syndicales, repose sur le principe que c'est lors des élections professionnelles que se mesure la représentativité, tant dans l'entreprise qu'au niveau des branches ou de l'interpofession. Les résultats globaux de représentativité sur ces deux derniers niveaux seront connus de manière officielle en 2013. Et au niveau de l'entreprise, les résultats de l'élection déterminent le poids de chaque organisations syndicale, rompant avec le principe d'égalité qui a prévalu pendant des décennies. Le législateur a également fait le choix de réserver aux organisations ayant deux élus au comité d'entreprise la possibilité d'y désigner un représentant syndical. La Cour de cassation, après le Conseil constitutionnel, vient de confirmer que cette règle ne portait pas atteinte au pluralisme syndical. C'est sur ce sujet que la Cour de cassation en rajoute une couche.

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Dans une décision du 24 Octobre 2012, les juges de la Cour suprême décident en effet qu'un accord ne peut prévoir qu'une organisation syndicale ayant moins de deux élus au CE conserve la possibilité d'y désigner un représentant. Selon les magistrats, la condition de disposer de deux élus est d'ordre public absolu. Rappelons que le rôle du représentant syndical est assez passif : il participe au CE sans voix délibérative. Mais il permet à son organisation d'être au courant des débats, ce qui est toujours utile lorsque ladite organisation n'a pas d'élus au CE, et ce qui est parfaitement inutile lorsqu'elle en a, deux a fortiori. La Cour de cassation a donc privilégié la solution qui ne sert à rien. Ou plutôt à une chose. A donner toujours plus de moyens aux organisations majoritaires et toujours moins aux autres. Cela s'appelle une volonté de vider les chaises et de réduire par tous les moyens le nombre d'organisations et le nombre d'élus. Le dialogue social s'en portera mieux paraît-il. On demande à voir.

Cass. Soc. 24 Octobre 2012.pdf