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01/10/2010

Au plaisir du juge

Faisait-il soleil ce jour-là à Douai de telle sorte que les juges furent troublés par le rayon qui éblouissait le tribunal et altéra leurs facultés ? était-ce une vacance avant l'heure ? le repas avait-il été trop lourd ? ou bien l'ennui d'une audience judiciaire avait-il gagné les magistrats qui n'écoutèrent qu'inattentivement les plaignants ? toujours est-il que la décision avait de quoi surprendre. Une salarié licenciée demandait à bénéficier de son droit à DIF pour suivre une formation de 3 930 euros. L'entreprise ne donne pas suite à sa demande car le montant de l'allocation formation à laquelle elle a droit, et qui avant la loi du 24 novembre 2009 marquait la limite de l'obligation de l'employeur en cas de licenciement, ne représente que 950 euros. La Cour d'appel de Douai condamne pourtant l'entreprise. La Cour de cassation invalide ce jugement : en cas de licenciement, l'entreprise n'a l'obligation de payer que dans la limite prévue par la loi. La réponse était pourtant évidente.

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Magritte - L'évidence éternelle - 1930

Plusieurs remarques toutefois :

- si la loi limite l'engagement de l'entreprise en cas de licenciement, c'est parce qu'il s'agit d'un cas dans lequel le DIF est de droit. Mais comme il n'est pas question de reconnaître un droit de créance illimité au salarié, l'engagement est plafonné ;

- la loi du 24 novembre 2009 a fixé le plafond non plus à hauteur de l'allocation formation mais forfaitairement à 9,15 euros. En l'occurence, cela aurait réduit le droit de la salarié de 950 euros à 713 euros. Preuve que la salariée avait un salaire important puisque pour atteindre 9,15 euros sous forme d'allocation formation, le salarié doit avoir un salaire supérieur à 2700 euros nets ;

- il peut arriver aux juges de commettre des erreurs grossières. Particulièrement en matière de formation pour la simple raison que les contentieux sont rares. De ce fait, les juges sont peu professionnalisés sur ces questions et prennent parfois des décisions surprenantes. D'où la nécessité de ne pas surinterpréter trop rapidement toute jurisprudence en la matière mais de laisser le temps faire son oeuvre. Si la Cour de cassation a créé des chambres spécialisées (licenciement économique, durée du travail, etc.), aucune ne traite de formation professionnelle et le contentieux est éclaté en différentes chambres selon le contexte de l'affaire. Voilà qui ne favorise pas la construction d'une doctrine, mais après tout le DIF en tant que dispositif relevant à titre principal de la négociation n'a pas à attendre du juge que ce dernier en fixe le mode d'emploi. Si tel devait être le cas d'ailleurs, nous ne serions sans doute pas au bout de nos surprises.

29/09/2010

Vérité multiple

Le Conseil d'Etat a apporté sa pierre, le 23 juillet 2010, à la construction jurisprudentielle relative au harcèlement moral. Si la juridiction administrative a eu à se prononcer, c'est en raison de la qualité de membre du comité d'établissement de l'assistante sociale dont le licenciement était demandé pour des faits de harcèlement à l'encontre d'assistantes maternelles placées sous son autorité. Ce licenciement a été autorisé par le tribunal administratif mais censuré par la Cour  administrative  d'appel sur la base d'attestations nombreuses faisant état des qualités professionnelles de l'intéressée et de son souci constant de l'intérêt des enfants. Le Conseil d'Etat censure cette décision : on peut être un excellent professionnel et commettre par ailleurs des faits de harcèlement moral. En l'occurence, la question de la compétence de la salariée n'avait pas de rapport direct avec la question posée, à savoir s'il existait ou non des faits de harcèlement.

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Ben Vautier - La vérité est multiple

Dans le Quatuor d'Alexandrie, Lawrence Durrell raconte une même histoire vue par 3 personnages différents qui nous permettent non pas de dire de manière un peu simpliste à chacun sa vérité, mais plutôt qu'il n'est pas contradictoire que la vérité puisse recevoir plusieurs visages. Ainsi, être un excellent professionnel ayant le souci de son activité et de sa finalité n'est pas une garantie absolue s'agissant des pratiques manageriales. On savait que l'individu n'était pas monovalent, on sait gré au juge de le rappeler à l'occasion.

 

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10/09/2010

Femmes autonomes

Certes, la possibilité pour une femme de conclure un contrat de travail sans l'autorisation de son mari n'a été supprimée qu'en 1965. Certes notre culture est toute imprégnée de patriarcat. Certes encore la mixité demeure un combat et l'égalité un horizon lointain et incertain. Mais tout de même ! l'affaire que la Cour de cassation a eu à juger au mois de juin dernier laisse perplexe. (Cass. soc., 30 juin 2010, n° 08-41.936). Deux époux travaillent dans une même société. La femme, occupant un poste de Direction, s'adresse en des termes injurieux à son employeur. Le mari, informaticien, assiste à l'épisode. La femme est licenciée pour injure, classique. Mais le mari est licencié également au motif qu'il  n'est pas intervenu et n'a pas empêché son épouse de tenir les propos injurieux. Pour cet employeur, le lien de subordination est sans doute le mode de relation normal, y compris dans la sphère privée, et la subordination synonyme de soumission.

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Et voilà les tribunaux tenus de rappeler que les femmes sont autonomes. La Cour d'appel a  donc jugé que le licenciement du mari est nul car fondé sur une discrimination en raison de la situation de famille. La Cour de cassation valide ce jugement. Parions que l'employeur s'est enquis de la composition de la Cour pour savoir s'il n'a pas été jugé par des femmes. Long est le chemin...

01/09/2010

Justice de Toulouse

Mais quelle mouche a donc piqué la Cour d'appel de Toulouse ? que l'on en juge : un particulier embauche un jardinier et promet d'embaucher sa femme pour s'occuper de ses enfants à compter d'une date déterminée par les parties, ainsi que les conditions d'emploi (durée du travail, salaire). Un litige survient ensuite et la salariée n'exécute pas le contrat. Elle démissionne aux torts de l'employeur et demande des dommages intérêts. La Cour d'appel de Toulouse déboute la demanderesse au motif qu'il n'y a pas de contrat de travail en l'absence de contrat écrit et de début d'exécution de la prestation. Ils ne voient dans l'affaire que la rupture d'une promesse d'embauche. Faut-il que les juges viennent du nord de la Loire pour oublier que si la parole est facile dans le Sud, elle n'est pas sans valeur et engage celui qui la donne. Ici, dire c'est faire, comme dirait La Bible (mais si : au commencement était le verbe). Heureusement, il est des toulousains qui sont montés à Paris, comme le dossier envoyé à la Cour de cassation.

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Clémence Isaure au Jardin du Luxembourg

Nous n'avons pas vérifié si la conseillère toulousaine siégeait ce jour-là à la Cour, mais ce ne serait que justice. La Cour de cassation donc, sensible à l'honneur sudiste, affirme que l'engagement, dont la preuve est rapportée, constitue bien un contrat même en l'absence d'écrit et de début d'exécution de la prestation (Cass. soc., 12 juillet 2010). Il en résulte une prise d'acte justifiée par le comportement de l'employeur et des dommages et intérêts à percevoir par la salariée qui peut revendiquer cette qualité bien qu'elle n'ait pas travaillé. Car la toulousaine ne se trompait pas en prétendant que ce n'est pas le travail qui définit le salarié.

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Clémence Isaure au Jardin du Luxembourg

30/06/2010

Le juge et la formation

Kouzen o
Siw pa metem lekòl
Ma fè jandam aretew

Ce chant Vaudou Haïtien signifie à peu près ceci : Kouzen (dieu de l'agriculture) si la culture du sol t'empêches de me  mettre à l'école, je te ferai traduire en justice. Ce chant, de tradition orale, est rapporté par Claude Dauphin. L'illettrisme ne fait donc pas obstacle à la conscience du droit à l'éducation pour tous et de la possibilité de recourir au juge pour le faire reconnaître.

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Frantz Zephirin - Tambour Rada
On ignore si les juges se livrent, dans le secret des alcoves de délibéré, à des cultes vaudou. Mais si l'on doutait qu'ils ont eux aussi conscience que la formation pour tous est un droit qui ne saurait être mis en échec par l'illettrisme,  la décision de la Cour de cassation du 2 mars 2010 pourrait nous rassurer. Pour mieux apprécier la portée de cet arrêt, la Chronique réalisée avec Jean-Marie Luttringer pour l'AEF met en perspective 25 ans de jurisprudence en matière de formation professionnelle et de contrat de travail, ou comment le juge après s'être occupé de la formation de ceux qui ont une carrière commence à s'intéresser à la formation de ceux qui n'en ont pas.

22/06/2010

Faire acte de silence

Les heures supplémentaires toujours. L'entreprise avait pourtant pris les devants et explicitement indiqué qu'il ne saurait y avoir d'heures supplémentaires effectuées, sauf autorisation préalable de l'entreprise. Ce qui est son droit le plus strict. Mais voilà, un salarié rend des fiches de pointage nombreuses dans lesquelles apparaissent des heures supplémentaires. Et se prévaut du silence de l'employeur qui avait pris connaissance de ces fiches pour demander des heures supplémentaires. Bingo ! la Cour de Cassation (Cass. soc., 2 juin 2010, 08-40.628) fait droit au salarié et considère que le silence de l'entreprise vaut accord tacite.

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Noureddine EL HANI - Au fil du silence
Est ainsi franchie l'étape que l'on pressentait et que les juges avaient déjà franchi en matière de santé au travail : tout ce que l'employeur tolère, il est censé l'avoir demandé. Ainsi, il n'est pas suffisant de rappeler régulièrement aux salariés que le port de protections individuelles est une obligation. Faute d'imposer un tel port, c'est l'entreprise qui est responsable en cas d'accident. La Cour de cassation intime à l'employeur l'obligation d'exercer son pouvoir d'employeur. Et rappelle au passage que c'est moins la formalisation qui compte que la réalité. Dans ce domaine, il est bon de se souvenir que le silence peut être un acte.

08/06/2010

Champagne !

Les soirées étaient peut être ennuyeuses. La répétition n'a pas été vécue dans le plaisir. Ou bien les cocktails dinatoires ont-ils désavantageusement arrondis la silouhette du salarié. Il est vrai que manger debout n'est pas conseillé et que les appétizers rivalisaient de sauce et ce crème. On ne sait d'où vint le mécontentement du visiteur médical qui consacrait ses soirées à des réunions scientifiques organisées sous forme de cocktails mondains et professionnels. Toujours est-il qu'il réclama des heures supplémentaires pour le temps passé à dévorer petits fours et tenir conversation. L'employeur refusa au motif que le salarié était libre de ses mouvements, sans que l'on sache au juste quelle ampleur il accordait au mouvement. Sans surprise la Cour de cassation a donné raison au salarié : le cocktail était une obligation professionnelle, il devait entrer dans le calcul du temps de travail (Cass. soc., 19 mai 2010).

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Max Ernst - Cocktail Drinker - 1945

Le critère du temps de travail n'est pas à titre principal la liberté de mouvement. Il réside dans la prescription, ou non, de l'activité. Le salarié qui déjeune, ou dîne, avec les clients, ne travaille que si le déjeuner est une obligation imposée par l'entreprise. Pas s'il répond de lui même à une invitation du client, et pas même s'il invite librement le client, l'entreprise remboursant les frais de repas. La prise en charge des frais professionnels est en effet d'une nature différente de la mise à la charge du salarié d'une obligation professionnelle. Ce critère peut être appliqué aux activités ludiques organisées par l'entreprise (repas de fin d'année, fêtes, sorties, etc.). Soit l'activité est obligatoire et il s'agit de travail qui doit être compté et rémunéré, soit il s'agit d'une activité facultative mais alors elle entre dans le champ des activités culturelles et sociales et le comité d'entreprise peut en revendiquer le budget. Dans tous les cas, champagne !

 

03/06/2010

Pas perdus

A ceux qui estiment que l'Europe ce n'est que libéralisation, concurrence et marché, la Cour de Justice des Communautés Européennes apporte régulièrement des démentis aussi cinglants qu'inaperçus...dans un premier temps. La Cour poursuit son oeuvre de protection des droits des salariés, notamment en matière de congés payés. Après avoir affirmé que le congé maternité ne pouvait faire perdre des congés payés acquis qui n'auraient pu être soldés pendant la période de prise des congés, la CJCE a adopté le même principe en cas d'arrêt maladie, ces deux solutions ayant été reprises par la Cour de Cassation. La CJCE revient à la charge en adoptant la même solution pour un congé parental (CJCE, 22 avril 2010, aff. C 486/08). Lorsque les congés payés acquis avant le congé parental n'ont pu être soldés, ils doivent être reportés à l'issue du congé. Le principe du pas pris perdu prend une troisième volée de plomb dans l'aile. Pas pris, pas perdus !

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Emilio Lopez-Menchero - Salle des pas perdus - 1996

La pratique en vigueur, en France, était de solder les congés payés avant de prendre un congé parental. Dorénavant cela ne sera plus nécessaire. La prise d'un congé maternité suivi d'un congé parental n'entraînera plus la perte des congés payés qui seront reportés au-delà des deux congés. Et pour les hommes qui prennent des congés parentaux, dont on rappelle qu'il est mixte seuls les congés maternité et paternité étant sexués, la même règle conduira à pouvoir prendre un congé parental de septembre à septembre, par exemple, en retrouvant son droit à congés payés non pris lors du retour dans l'entreprise. S'être occupé de son enfant, cela vaut bien quelques congés.

26/05/2010

Dans le champ

Le droit n'est jamais qu'un manière d' organiser les rapports de pouvoir. Ce blog a plusieurs fois rendu compte des pugilats qui opposent l'Etat aux partenaires sociaux dans l'exercice de leurs fonctions respectives de représentation d'intérêts généraux légitimes et, normalement, non concurrents. La Cour de cassation a ouvert depuis plusieurs mois un nouveau front entre le juge et les partenaires sociaux. En jugeant le 1er juillet 2009 que les conventions collectives ne pouvaient faire de distinction entre cadres et non cadres sans le justifier par une différence objective autre que le statut, la Cour de cassation a mis a mal l'équilibre construit par des années de négociation. Par une décision du 19 mai 2010 elle enfonce un autre coin dans l'autonomie de la négociation collective en affirmant qu'une convention collective ne peut exclure de son champ d'application des organismes qui exercent les activités en relevant. En d'autres termes, si vous êtes dans le champ d'une convention collective, les partenaires sociaux ne peuvent, même volontairement, vous envoyer dans le champ du voisin.

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Les nuages, eux, vont à travers champs

Dans cette affaire, était en cause la convention collective nationale (CCN) des services de santé au travail qui prévoit son application à tous les services de santé sauf ceux qui appliquent une convention professionnelle, celle notamment de leur branche de rattachement. Des médecins ont contesté l'application de la CCN du Bâtiment à leur service de santé. Et ont donc obtenu gain de cause : il n'appartient pas à une convention d'écarter de son champ d'application des organismes qui exercent de manière principale, ici exclusive, les activités qui entrent dans ce champ d'application. Cette décision fragilise le statut collectif de tous les organismes professionnels qui appliquent une convention en fonction de leur proximité sectorielle et non de l'activité réelle exercée. Ainsi, les organismes de formation professionnels qui appliquent la CCN de leur secteur d'intervention et non la CCN des organismes de formation se trouvent plongés dans l'illégalité si leur activité principale est bien la formation. La clause d'exclusion de la CCN des organismes de formation se trouve en effet invalidée par la décision du 19 mai 2010. Que chacun regagne son champ donc, et retrouve son calme en contemplant les nuages gambader à travers champs.

09/04/2010

Révolution manquée

L'occasion était belle de rompre avec la logique des statuts et le corporatisme du diplôme. Deux affaires étaient proposées à la Cour de cassation en ce mois de mars printanier : dans la première affaire, un salarié revendiquait le même salaire qu'un salarié plus diplômé et de ce fait mieux rémunéré alors qu'ils effectuaient le même travail ; dans la seconde un ingénieur demandait un salaire équivalent à celui d'un autre ingénieur ayant un diplôme de même niveau. Par deux fois, les juges diplômés de la Cour de cassation ont été incapables de sortir de leurs repères et d'offrir une véritable portée au principe "A travail égal, salaire égal". Pour la révolution, on attendra.

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Max Ernst -Pieta ou la Révolution la nuit - 1923

Dans la première décision, datée du 17 mars 2010, la Cour de cassation pose en principe que des diplômes de niveaux différents justifient un écart de salaire lorsqu'ils sont utiles à la fonction même si l'activité des salariés est identique. Au principe "Travail égal, salaire égal", la Cour substitue donc le principe "A diplôme différent, salaire différent". Dans la deuxième décision, du 24 mars 2010, la Cour estime justifiée la différence de traitement entre deux ingénieurs car l'un a un diplôme dont la partie théorique est plus en rapport avec les activités exercées dans l'entreprise. Dans les deux cas, on aurait aimé que la Cour de cassation impose à l'entreprise de montrer en quoi un diplôme différent conduit à un travail différent soit dans la nature des tâches réalisées, soit dans les résultats obtenus ou encore dans les modalités de réalisation des activités. Mais la logique de statut prévaut au mépris de la lettre des textes et me rappelle qu'un étudiant en Master RH avait démontré que dans une grande entreprise technologique, la différence de salaire à l'embauche en fonction de l'école suivie par les ingénieurs mettait sept ans à se combler même si l'ingénieur le moins bien diplômé était le plus performant tous les ans.
Par ces décisions, les juges apportent leur pierre aux situations de rente et par-là même confortent la course aux diplômes et le handicap de ceux qui n'en ont guère, ou moins, sans leur laisser la chance de la preuve par l'action. Evaluer le travail et lui seul est une révolution au dessus des forces d'une magistrature dont le travail s'il est ici commenté n'est ailleurs nullement évalué.

25/03/2010

L'oiseau est au nid

Brindilles, brins d'herbe, bouts de ficelles, chiffons, papiers, cartons...l'oiseau fait son miel de toutes choses pour faire son nid. Rapidement, mais sans urgence. A la vitesse de son vol et de sa perception de la vie. A son rythme. Le nid peu à peu prend la forme de l'oeuf qu'il va accueillir. Une oeuvre qui en permettra une autre. Ainsi se construit parfois la jurisprudence : de décisions en décisions, au gré des demandes et des questions, le nid du raisonnement se forme et l'oeuvre se constitue qui permettra demain d'ouvrir d'autres horizons.

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Joan Miro - Femme et Oiseaux

La décision de la Cour de cassation en date du 2 mars 2010 concernant l'obligation de l'employeur de former ses salariés, apporte sa brindille, et même plus, à la construction d'un droit à la formation, qui est le nid d'une plus ample obligation de professionnalisation des salariés tout au long de la vie. En l'occurence, un Hôtel est condamné pour n'avoir pas formé quatre plongeurs illettrés, les privant ainsi de toute possibilité d'évolution. La société avait plaidé l'absence de  demande précise en ce sens des salariés, suivi en cela par le juge d'appel mais pas par la Cour suprême. L'entreprise a l'obligation générale de proposer des formations aux salariés tout au long de leur carrière. Rappelons que l'ANI du 7 janvier 2009 et la loi du 24 novembre 2010 posent en principe que tout salarié a droit à une évolution d'au moins un niveau de qualification au cours de sa carrière professionnelle. Voici une première manière de désigner un débiteur à cette créance. Ainsi se poursuit la construction du nid du droit de la compétence. Mais avec cette décision, depuis début mars, l'oiseau est au nid.

16/03/2010

Exercice pédagogique

Petit exercice pédagogique à partir d'un article du Code du travail. Il s'agit de l'article L. 6323-12 relatif à la mise en oeuvre du DIF. Cet article précise : "Les actions de formation exercées dans le cadre du DIF se déroulent en dehors du temps de travail. Toutefois, une convention ou un accord collectif de branche ou d'entreprise peut prévoir que le droit individuel à la formation s'exerce en partie pendant le temps de travail". Cet article pose un principe : le DIF se fait hors temps de travail, et une exception, partielle et conditionnée par un accord collectif. En l'absence d'accord collectif, une lecture littérale conduit à conclure qu'il n'est pas possible de faire du DIF sur le temps de travail et qu'en tout état de cause, le DIF intégralement réalisé sur le temps de travail est impossible car non prévu. C'est ici que le droit, matière curieuse, échappe à la littéralité et se construit autour de principes et non de textes lus. Comme les objets de Magritte, qui prennent un autre sens en changeant d'univers, les textes du Code du travail demandent à être lus avec une mise en perspective.

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Magritte

Plusieurs accords collectifs ont, lors de la mise en oeuvre du DIF, prévu une réalisation de la formation intégralement sur le temps de travail. Ces accords de branche ont été présentés pour extension au Ministère du travail, qui les a étendus au motif qu'il était plus favorable pour le salarié de suivre le DIF sur le temps de travail. Mais alors, si la solution est plus favorable, l'accord nécessaire pour prévoir du DIF sur le temps de travail n'est pas un accord dérogatoire. Il n'est donc pas indispensable. Et l'on peut convenir librement avec un salarié que le DIF peut s'exercer intégralement pendant le temps de travail. Soit faire en toute légalité ce que l'article L. 6323-12 n'envisage pas. Mais bien sur, au nom du principe de faveur. On ne le répètera jamais assez : faire du droit ce n'est ni lire ni citer des textes, c'est produire un raisonnement juridique à partir de textes et de principes. Comment savoir si l'on a raison ? en droit, celui qui prend la décision a toujours raison...sous le contrôle du juge.

Et pour terminer le lapsus du jour : la responsable ressources humaines me parle d'un dossier qu'elle doit présenter "aux affaires sont sales...". Je suppose qu'aux affaires sociales, il ne se passe pas que du très joli, joli.

10/02/2010

Mobile fixe

Dans un arrêt du 3 février 2010, la Cour de cassation revient sur  le régime de la mobilité temporaire du salarié. Reprenons dans l'ordre : la Cour de cassation a établi un premier périmètre de mobilité obligatoire pour le salarié qui est le secteur géographique. Ce secteur, dont les critères ne sont pas précisément définis mais qui se délimite le plus souvent en fonction des zones de transports, d'emploi et de vie, est celui dans lequel une entreprise peut imposer une mobilité à un salarié sans besoin d'une clause de mobilité. Au-delà du secteur géographique, une clause de mobilité est nécessaire, qui ne doit pas être abusive mais correspondre à un intérêt véritable de l'entreprise. En dehors de ces deux cas, la mobilité suppose l'accord du salarié puisqu'elle constitue une modification de son contrat de travail. Toutefois, la Cour de cassation a inventé une troisième catégorie, celle de la mutation temporaire provisoire. A priori il s'agit d'une modification du contrat qui doit rencontrer l'accord du salarié. Pas du tout nous dit la Cour, ce qu'elle confirme et précise dans l'arrêt du 3 février 2010 : si la mutation est temporaire, due à des raisons exceptionnelles et que le salarié est précisément informé à l'avance de la destination et de la durée de la mutation temporaire, elle s'impose à lui. Comme les mobiles de Calder, le salarié est donc mobile à partir d'un point fixe.

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Alexander Calder - The Star - 1960

En l'espèce, une salarié qui avait une clause de mobilité sur Chatou et les communes avoisinantes, est mutée provisoirement à Saint-Denis en raison de la fermeture provisoire, due à des travaux, de l'établissement dans lequel elle travaillait. Le licenciement pour abandon de poste est injustifié non parce que la salarié pouvait librement refuser la mutation, mais parce que l'entreprise ne l'avait pas suffisamment informée de son caractère  temporaire. A défaut d'information précise en ce sens, la mutation est considérée comme n'étant pas temporaire ce qui permet alors au salarié de la refuser. Le juge fournit en l'occurence une souplesse aux entreprises sous garantie de bonne foi. Et c'est ainsi que le salarié étend son périmètre de mobilité à partir d'un point fixe. Joan Miro, grand ami de Calder, a également cette capacité à mettre dans ses sculptures un mouvement qui fait douter de leur fixité, à l'instar de ces jambes animées de vie et qui ont du beaucoup marcher tout en restant fidèles au toit de la Fondacion Miro à Barcelone.
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Joan Miro - Sculpture - Fondacion Miro - Barcelone

 

02/12/2009

Le statut déboulonné ?

La peinture est plate, comme à l'ancien temps, le très ancien temps. Elle est colorée, comme elle l'était aussi en ce temps là. Les personnages sont dans une présence/absence qui rend leur familiarité étrange ou leur étrangeté familière. Peinture de contraires qui ne peut qu'attirer l'oeil avide de contradictions dépassées. Aussi faut-il entrer dans cette galerie chic de Greenwich. L'accueil est professionnel et attentionné, chaleureux et bienveillant, attentif et intelligent. Nos tenues ne sont pourtant pas en accord avec le luxe environnant. Peu importe, l'habit manifestement compte moins que l'intérêt manifesté pour la peinture. Plaisir de ne pas se voir catégoriser dans un statut préétabli et de pouvoir admirer les peintures de Xiao Se.

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Xiao Se - Magical Love

Eric Maurin, dans son ouvrage déjà signalé sur ce blog, décrit longuement la peur du déclassement et de la perte du statut qui habite la société française. Sans doute va-t-elle trembler davantage avec l'arrêt de la Cour d'appel de Montpellier du 4 novembre 2009, qui décline celle de la Cour de cassation du 1er juillet également commentée sur ce blog. La Cour affirme qu'une indemnité de licenciement et un préavis ne peuvent être différents pour un cadre et un non-cadre sur la seule base de la différence de catégorie. Les négociateurs doivent exciper d'un élément objectif justifiant de cette différenciation, la charge de la preuve revenant à défaut à l'employeur. En l'espèce, aucune justification satisfaisante n'ayant été donnée, la convention collective a été jugée comme contraire au principe d'égalité de traitement et de rémunération. Si les différences catégorielles ne sont pas illicites en elles-mêmes, elles le deviennent faute de justification.
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Xiao Se - Pray and Wish - 2006

Peut être la petite fille souhaite-t-elle, et prie-t-elle avec la force que traduit son regard, pour un monde sans catégories et sans statut. Dans l'attente, c'est tout l'équilibre conventionnel du droit social qui pourrait être revu. En effet, cet équilibre est largement fondé sur les catégories professionnelles : les périodes d'essai, régimes de retraite, indemnités de licenciement, délais de préavis, etc. sont souvent distincts pour les cadres et pour les autres salariés. Sur la base de la jurisprudence nouvelle, cette différenciation est une discrimination si les négociateurs ne peuvent justifier la différence avec les non-cadres par des faits objectifs. On apprécierait en effet que la négociation collective ne soit pas source de discrimination. Révolution copernicienne ? non, regardez bien la jeune fille sur la peinture : juste l'arrivée d'une nouvelle génération.

24/11/2009

Rue des archives...personnelles

Le mois de la photo s'est terminé dimanche 22 novembre. Au Carroussel du Louvre, plus de 80 galeries présentaient des oeuvres et parfois des chefs d'oeuvres. L'occasion également pour les éditeurs de présenter leur production. Un éditeur espagnol, La Fabrica, proposait ainsi un ouvrage consacré aux archives personnelles de Francis Bacon. Dans les reproductions, en vrac, des coupures de presse, des photos, des peintures, des collages,...et quelques chefs d'oeuvre.

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Archives personnelles de Francis Bacon - Sarah Burge 1883

L'occasion de rappeler que la Cour de cassation a récemment, dans un arrêt du 23 octobre 2009, validé le licenciement fondé sur une recherche, par un huissier avec l'employeur, dans l'ordinateur d'un salarié, de fichiers démontrant une activité de concurrence déloyale. Le salarié plaidait que son ordinateur ne pouvait être inspecté hors de sa présence. Erreur, seuls les fichiers personnels sont protégés. Les autres sont librement accessibles à l'employeur.
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Archives personnelles de Francis Bacon 
Nathalie Millon dans La chambre
Petite leçon de droit à cette occasion : le code du travail n'aborde pas la question de la lecture des mails ou de la fouille du disque dur d'un salarié par l'employeur. Et pourtant, en vertu du principe selon lequel le droit a une réponse pour toute question, le juge n'hésite pas à fournir des solutions sur ces deux points. Dans le premier cas, les mails, il se réfère à la jurisprudence sur la correspondance (car qu'est-ce qu'un mail sinon une correspondance électronique) : tout courrier non marqué "Personnel" peut être ouvert par l'employeur. Idem pour les mails. Pour l'ordinateur, il revient à sa nature : en tant qu'outil professionnel il appartient à l'employeur qui peut le contrôler librement, sauf pour les données personnelles (de même que l'employeur ne peut ouvrir un vestiaire qui contient des affaires personnelles qu'en présence du salarié).
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Archives personnelles  de Francis Bacon
Photographie du Bain Turc d'Ingres
Comme on le voit, pour trouver des solutions juridiques, la règle générale et les principes sont souvent plus utiles que les règles spéciales. Tout est ici question de méthode : là où le non juriste (en tout cas on l'espère) lira pendant des heures les textes à la recherche de la règle qui vise son cas, le juge va à l'essentiel et ne fait qu'appliquer des solutions de principe à des cas qui varient dans leur manifestation mais non dans leur essence. Aller aux principes et à l'essentiel, c'est également ce que fait Francis Bacon en gardant précieusement dans ses archives des peintures d'Ingres. Vous voulez voir de la peinture ? Ingres bien sur pour le principe, ensuite il n'y a que des déclinaisons.

10/06/2009

Déraisonnable

La Cour de cassation vient, dans une décision du 4 juin 2009, de juger déraisonnable une période d'essai d'un an prévue par la Convention collective nationale du Crédit Agricole. La caisse qui avait recruté un chargé d'affaires, n'avait fait qu'appliquer les dispositions conventionnelles qui prévoyaient pour cette fonction une période de stage d'un an, tenant lieu d'essai. La légitimité de la pratique paraissait donc établie : pas tant que cela d'après les juges. Une durée d'essai d'un an n'est pas raisonnable au regard des exigences de la convention n° 148 de l'Organisation Internationale du Travail qui prévoit que la période d'essai doit avoir une durée raisonnable.

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La déraison d'amour

Cette décision livre deux enseignements. La première est que le juge détient la vérité et qu'il est au final seul habilité à dire ce qui est raisonnable ou pas. La deuxième est qu'une convention collective, pas plus qu'un contrat de travail, ne constitue un blanc seing et que sa validité peut être mise en cause lorsque son contenu n'est pas conforme aux normes supérieures, en l'occurence une convention internationale. Les partenaires sociaux ne sont pas infaillibles et le résultat de leur négociation peut être discuté. Pas la décision du juge rendu en dernier ressort. Ite missa est.

29/05/2009

Ouvrir les yeux

En ces périodes de production industrielle des licenciements pour motif économique, il est permis de s’interroger sur une formule récurrente utilisée par la Cour de cassation en matière d’obligation de rechercher un reclassement avant de procéder au licenciement. Selon les juges, l’employeur doit proposer au salarié tout emploi disponible, dans la même catégorie ou dans une catégorie inférieure. Dans l’esprit du juge, il n’est même pas envisagé que le reclassement puisse s’effectuer sur une qualification supérieure. Belle méconnaissance de la réalité de l’emploi en France : nombre de salariés occupent aujourd’hui des emplois qui sont de qualification inférieure à leur qualification personnelle. En d’autres termes, nombre de salariés sont en capacité d’effectuer des activités d’un niveau supérieur à celles qu’ils exercent.

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Chirico - Le cerveau de l'enfant -
Le réveil du cerveau de l'enfant - Photographie parue dans l'Almanach Surréaliste du demi-siècle

Comme le mystérieux personnage du tableau de Chirico, les juges devraient ouvrir les yeux sur le monde tel qu’il est et considérer que lorsqu’un salarié est licencié pour motif économique, l’obligation de reclassement fait disparaître les frontières de la qualification contractuelle et impose à l’entreprise de prendre en compte la qualification personnelle du salarié, assumant ainsi le fait qu’elle a recruté en surqualification. Le réveil à la prochaine décision de la Cour de cassation ?

11/03/2009

La justice aux yeux bandés

La représentation allégorique de la justice est celle d’une femme aux yeux bandés tenant dans sa main droite un glaive et dans sa main gauche une balance. Nous en conclurons que le juge est une femme, ce qui est sociologiquement vrai aujourd’hui en France, qui  tranche les litiges après avoir respecté le principe du contradictoire et qui  n’est pas aveugle mais  s’interdit en voilant sa vue de tenir compte de l’identité des parties pour s’en tenir aux faits qui lui sont rapportés. Que tu sois faible ou puissant, la femme aux yeux bandés ne te juge pas toi, elle juge tes actes…et par définition elle a toujours raison lorsqu’elle se prononce en dernier ressort. Tous ces principes sont illustrés dans une décision récente de la Cour de cassation en matière de harcèlement moral.

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Crédit photo : AFAM

Dans cette affaire, était en cause le licenciement d’un DRH ayant un comportement violent dans le cadre de ses fonctions : hurlements pour parler à ses collaborateurs, propos déplacés ou peu respectueux (« vous vous êtes fait faire une liposuccion ? »), management par la terreur, etc. Pour la Cour d’appel, ces faits constituent un « contexte de très grande exigence professionnelle avec un chef à la personnalité rude », pour la Cour de cassation, il s’agit de harcèlement moral justifiant un licenciement pour faute grave dès lors que les faits sont établis (Cass. Soc., 10 février 2009). Même faits, qualification différente. La Cour de cassation avait annoncé il y a quelques mois qu’elle exercerait désormais un contrôle sur la qualification donnée aux faits pouvant être constitutifs de harcèlement (Cass. Soc., 24 septembre 2008). C’est désormais chose faite, ce qui permet d’apprécier que deux juges peuvent porter un regard différent sur une même affaire en toute légalité. L’histoire ne dit pas si la présidente de la Cour de cassation, dans sa formation qui a rendu l’arrêt du 10 février dernier, avait les yeux bandés.

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Agate - Brésil
"L'illusion, ici d'un château, là d'un portrait, apparaît si précise, si détaillée, si impérieuse, et en même temps tellement improbable que le spectateur se trouve puissamment invité  à essayer de démonter le mécanisme de la fantasmagorie." Roger Caillois, « L’écriture des Pierres », 1970.

10/03/2009

Le temps retrouvé

La Cour de cassation, à la suite de la Cour de Justice des Communautés Européennes, vient de porter un nouveau coup au principe "Pas pris perdus" appliqué par nombre d'entreprises en matière de congés. La Cour avait déjà posé en principe qu'un salarié ne peut perdre ses congés du fait d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle (Cass. soc., 27 sept. 2007). La même solution s'applique en cas de congé maternité ou d'adoption. Dorénavant le report de congés payés au-delà de la période légale de prise doit également s'appliquer en cas de maladie non professionnelle (Cass. soc., 24 février 2009). Plus de coup d'éponge sur les compteurs de congés payés au 30 avril, mais un report dès lors que la maladie n'a pas permis la prise des congés. Si la solution est évidente pour une maladie couvrant la fin de période de prise (salarié malade de mars à mai par exemple bénéficiant du report des jours restant sur la période suivante), on voit les difficultés pratiques pour un salarié qui aurait été absent en février et mars pour maladie et qui ne prend pas ses congés restant du fait d'un retard de travail et qui demande ensuite un report du fait de la maladie. Ce nouveau coup d'arrêt pourrait bien être un coup fatal pour le principe "pas pris perdu", ouvrant la porte au temps retrouvé, c'est-à-dire à l'obligation pour l'entreprise de procéder à la programmation effective des congés payés en l'absence d'initiative en ce sens du salarié. C'est d'ailleurs la position de la Cour de Justice des Communautés Européennes qui considère que l'employeur doit veiller à ce que les travailleurs jouissent effectivement de leur droit au repos (CJCE, 7 sept. 2006).

 

 

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Marcel Proust - Le temps retrouvé

Que faire de ce temps retrouvé, de ces congés qui ne disparaissent plus ? osons une suggestion : vous pouvez demander à une jeune fille, en fleurs évidemment, de vous lire le passage suivant "Quelquefois, comme Eve naquit d'une côte d'Adam, une femme naissait pendant mon sommeil d'une fausse position de ma cuisse. Formée du plaisir que j'étais sur le point de goûter, je m'imaginais que c'était elle qui me l'offrait. Mon corps qui sentait dans le sien ma propre chaleur voulait s'y rejoindre, je m'éveillais. Le reste des humains m'apparaissait comme bien lointain auprès de cette femme que j'avais quittée, il y a avait quelques moments à peine; ma joue était chaude encore de son baiser, mon corps courbaturé par le poids de sa taille. Si, comme il arrivait quelque fois, elle avait les traits d'une femme que j'avais connu dans la vie, j'allai me donner tout entier à ce but : la retrouver, comme ceux qui partent en voyage pour voir de leurs yeux une cité désirée et s'imaginent  qu'on peut goûter dans une réalité le charme du songe. Peu à peu son souvenir s'évanouissait, j'avais oublié la fille de mon rêve". Bons congés pas perdus et bonne lecture.

05/01/2009

Raisonnable, dit-elle…

C’est ainsi que la Cour de cassation qualifie sa jurisprudence sociale en 2008. Comme le savent les juristes, et les lectrices-lecteurs de ce blog, la qualification est l’opération juridique fondamentale et elle est affaire de définition. Que signifie donc raisonnable ? le dictionnaire de la langue française nous fournit 22 synonymes. La gamme essentielle comprend mesuré, sage, pondéré, posé, prudent, sensé, convenable, …On aura compris qu’il s’agit avant tout d’équilibre. Mais le dictionnaire nous propose également intelligent, judicieux ou juste, qualificatifs qui ne nécessitent pas par nature de la modération ou de la pondération.

On préfèrera donc qualifier d’intelligentes et justes les jurisprudences qui affirment :

- Qu’une organisation du travail préjudiciable à la santé des salariés peut être suspendue par un juge, le devoir de protection de la santé des salariés étant une limite explicite au pouvoir de direction qui ne saurait être arbitraire (Cass. Soc., 5 mars 2008, arrêt SNECMA) ;

- Que la subordination du salarié ne signifie pas irresponsabilité et que ne pas prendre soin de sa santé ou de celle d’autrui est une faute grave (Cass. Soc., 28 mai 2008) ;

- Que le CNE est illicite car incompatible avec la convention 158 de l’OIT qui exige que tout licenciement soit fondé sur un motif et que le salarié ait la possibilité de se défendre (Cass. Soc, 1er juillet 2008).

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Bruno Salaun - Bien raisonnable

 

Bien sur d’autres décisions sont sans doute moins radicales, voire plus contestables comme le licenciement pour faute du professeur de danse amoureux d’une de ses élèves (voir chronique du 30 décembre 2008). Peu romantique la Cour de cassation, même si pas sage pour autant. Mais comme le titre une revue de philosophie ce mois-ci : en 2009, est-il sage d’être sage ?