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08/06/2011

Le DIF ? une Chance !

Dans une décision du 18 mai dernier, la Cour de cassation juge que "le salarié, dont la prise d'acte de la rupture du contrat de travail est justifiée et qui n'est pas tenu d’exécuter un préavis, a droit à être indemnisé de la perte de chance d'utiliser les droits qu'il a acquis au titre du droit individuel à la formation".

Pour ceux qui défendent l'idée que le DIF est un droit dont le salarié aurait seul l'usage, un capital individuel en quelque sorte, voici un sujet de préoccupation : le DIF est une chance ! autrement dit, une possibilité. La Cour de cassation ne sanctionne pas l'impossibilité d'utiliser un droit, du fait de la rupture, mais la perte de la possibilité, donc de l'éventualité, de son utilisation. Résumons : le DIF c'est 4 droits. Le droit à un crédit, le droit à l'information, le droit à la négociation de l'utilisation du crédit (droit d'initiative et droit d'avoir une réponse) et le droit à portabilité. Ce n'est ni un droit de consommation, ni un droit de créance.

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Giovanni de Lutero - La Fortune : La Chance

Chacun des droits est sanctionnable  : le défaut de gestion du crédit, le défaut d'information, le défaut de réponse ou le défaut de mise en oeuvre de la portabilité. Sans doute l'employeur pourrait-il également être condamné pour ne pas avoir conduit une négociation loyale sur le DIF ou pour avoir opposé des refus illicites (budget insuffisant, non prise en charge par l'OPCA, etc.). Mais il est peu probable que l'impossibilité de se mettre d'accord après une négociation loyale trouve un jour une sanction juridique.

En réalité, qui veut favoriser le développement du DIF doit porter son regard non sur le moyen (le DIF lui même) mais sur la finalité. Lorsque le DIF est demandé par le salarié pour renforcer sa compétence, pour travailler dans un meilleur confort et une meilleur sécurité ou pour anticiper sur des évolutions d'emploi connues, voire sur une situation personnelle (inaptitude par exemple) : son refus par l'entreprise constitue un manquement à ses obligations de gestion des compétences dans le domaine de la performance du salarié, de sa santé ou de ses obligations de veille à l'évolution de l'emploi. Et c'est à ce titre que le refus de DIF sera sanctionnable. Par contre, si le salarié s'obstine à passer par la voie du DIF pour des projets personnels, peu de chance, donc de possibilité, qu'il reçoive l'aide du juge. Comme disent les Québécois, si tel était le cas, le salarié serait bien chanceux !

24/05/2011

Nullité créative

La Cour d'appel de Paris fait de la résistance et oeuvre de créativité. Dans une décision en date du 12 mai 2011, elle vient de tenir le raisonnement suivant : lorsqu'un licenciement économique est dépourvu de motif, la consultation sur le plan de sauvegarde de l'emploi qui en découle est nulle. Elle doit donc être de nulle effet,  ce qui interdit tout licenciement qui s'en trouve par là-même frappé de nullité. Autrement dit, lorsqu'un licenciement économique est dépourvu de motif, il entraîne nécessairement la nullité du PSE qui a pour conséquence la nullité du licenciement. Nul, c'est nul et basta !

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Jan Henderikse - Nul (zéro)

On sent le juge agacé par la configuration de la loi qui sanctionne plus durement l'entreprise qui licencie avec un motif mais ne fait pas suffisamment d'efforts pour le PSE, que celle qui licencie sans motif mais fait des efforts de reclassement suffisants. Dans le premier cas, le licenciement est nul, dans le second il est seulement injustifié, ce qui ne permet pas la réintégration et réduit les droits à indemnisation. C'est le choix du législateur : la liberté de gestion est préservée mais l'entreprise doit assumer les conséquences sociales de ses décisions. Et l'on contrôlera d'autant plus drastiquement la responsabilité sociale que l'on ne contrôlera quasiment plus le motif économique. C'est en s'opposant à cette évolution que la Cour d'appel de Paris fait de la résistance. Il est douteux que la Cour de cassation la suive sur ce chemin créatif, mais en ce domaine comme en d'autres, l'espoir n'est pas nul.

05/05/2011

On peut l'ouvrir

Deux décisions récentes viennent réaffirmer que la liberté d'expression ne s'arrête pas aux portes de l'entreprise, et que la loyauté qui s'impose au salarié ne signifie l'obligation d'adopter le langage de la communication  interne ou de se sculpter une langue de bois en plomb.

Dans la première affaire, un cadre du service commercial critique la stratégie suivie par l'entreprise, ce dont témoignent plusieurs collaborateurs. Il est licencié pour faute grave. A tort, selon la Cour d'appel de Rennes. Les critiques émises n'ont pas dépassé la liberté d'expression du salarié et le salarié n'a pas fait obstacle aux décisions prises par l'entreprise (voir texte de la décision ci-dessous).

Dans une deuxième affaire, un footballeur professionnel est licencié pour avoir critiqué l'entraîneur en des termes vifs. Injustifié dit la Cour de cassation : le joueur avait été attaqué par son entraîneur dans la presse et n'avait fait que répliquer. Il a donc eu raison de l'ouvrir.

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Mais le plus intéressant, est la motivation utilisée par la Cour de cassation : "Mais attendu que, sauf abus, le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression, à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherche peuvent être apportées.".

En d'autres termes, le principe est la liberté d'expression et non un quelconque devoir de réserve  ou obligation générale de confidentialité qui réduirait le salarié au silence. Et à ce principe il ne peut être apporté que des exceptions justifiées.

Sain rappel que celui des tribunaux qui confirment que l'humain, doté de la parole, peut aussi s'exprimer dans le cadre et au sujet de son activité professionnelle. Cela va mieux en le disant.

Un cadre peut critiquer les choix stratégiques de son employeur.pdf

CourCassation28 avril 2011.pdf

29/04/2011

Le juge et l'écrevisse

Les termes de débat ont sans doute évolué depuis la décision, en décembre 2010, du Comité des droits sociaux de considérer que le forfait en jours tel que prévu par la législation française est contraire à la Charte sociale européenne, essentiellement parce qu'il peut conduire à des durées excessives de travail. La Cour de cassation aura sans doute à se prononcer sur cette validité prochainement. En attendant, la position des juges sur le temps de travail des cadres semble se durcir, comme en atteste une décision de la Cour de cassation en date du 6 avril 2011. Dans cette affaire, un cadre dirigeant, dont la qualité n'était pas contestée au regard des critères légaux (responsabilités, rémunération, autonomie), demandait le paiement d'heures supplémentaires  car l'entreprise ne lui avait pas établi de contrat écrit indiquant les motifs qui justifient le recours au forfait, comme le prescrit la convention collective des services automobiles, applicable en l'espèce. Le juge valide la raisonnement du salarié : la convention collective était plus favorable que la loi et devait être respectée. On peut voir là, une marche de l'écrevisse, sorte de moonwalk du juge.

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Carl Larsson - La pêche aux écrevisses

Comme dans le poème d'Apollinaire,  le juge avance à reculons.

Incertitude, ô mes délices,
Vous et moi nous nous en allons,
Comme s'en vont les écrevisses,
A reculons, à reculons

En effet, fini la validation des forfaits tous horaires pour les cadres dirigeants en toute circonstance. Les conditions légales et conventionnelles doivent être scrupuleusement respectées. Rien que de normal, pourrait-on penser, à voir le juge rappeler qu'il faut respecter les règles. Sauf que jusqu'à présent, le juge montrait un certain laxisme sur les cadres dirigeants, les trouvant mal fondés à venir réclamer des heures supplémentaires. Le retour à l'orthodoxie traduit une légère marche arrière annonciatrice d'une position qui pourrait se durcir sur le forfait en jours. Même en marche arrière, on y va tout droit.


27/04/2011

Vérité en deça des Pyrénées...

...erreur au delà". On connaît la phrase de Pascal rappelant la relativité de la vérité et posant une sévère limite à la voie royale ouverte par Descartes à  l'expansionnisme de la raison.Pascal eu le bon goût d'illustrer son propos par une référence aux Pyrénées, le Cirque de Gavarnie permettant de comprendre que les choses peuvent être différentes selon que l'on se trouve au coeur du Cirque ou sur l'aride versant espagnol.

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Le Cirque de Gavarnie

Il faut croire que les juges ne craignent pas la montagne et qu'ils connaissent la brèche de Roland pour passer de l'autre côté et trouver une vérité nouvelle. En effet, dans une décision du 9 mars 2011, la Cour de cassation affirme que "Les ruptures conventionnelles ayant une cause économique et s’inscrivant dans un processus de réduction des effectifs sont prises en compte pour déterminer la procédure d’information et de consultation des représentants du personnel, ainsi que les obligations de l’employeur en matière de PS". Pourtant, l'article L. 1233-3 du Code du travail précise expressément que les dispositions relatives au licenciement pour motif économique ne sont pas applicables aux ruptures conventionnelles lorsqu'elles ont une cause économique. S'engouffrant dans la brèche, le juge nous livre une vérité qui n'est pas celle des textes.

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La brèche de Roland

A vrai dire, ce n'est pas une première. En 2002 déjà, au mépris de la lettre des textes, la Cour de cassation avait décidé qu'une Banque pouvait ouvrir un stand le dimanche dans un salon (jugé pour un salon immobilier et un salon de l'étudiant). Or, le Code du travail ne cite pas les activités bancaires parmi celles qui permettent de déroger au repos du dimanche. Il vise les organisateurs de foire et de salon. La Cour d'appel, appliquant le texte, avait jugé que telle n'était pas l'activité de la banque. Magie de la vérité judiciaire, la Cour de cassation avait estimé que dès lors que les salariés étaient volontaires (jamais le volontariat n'a permis de déroger à l'ordre public) et le salon autorisé par le Préfet (qui n'a pas le pouvoir d'autoriser une banque à travailler le dimanche), tout était dans l'ordre. La vérité du Code du travail n'est donc pas toujours celle du juge. Voilà qui confortera Pascal : la vérité dépend de la position qui est la notre, celle du juge n'est pas celle du législateur. En cas de contentieux, pensez à demander au juge s'il va parfois randonner dans les Pyrénées.

30/03/2011

Un léger doute

Au plan des principes, les solutions sont imparables. Logiques en droit, cohérentes dans le raisonnement, juridiquement argumentées, les décisions adoptées par la Cour de cassation dans une série d'arrêts en date du 2 février 2011 s'inscrivent de surcroît dans le droit fil de décisions antérieures. Rigueur et constance sont au rendez-vous. De quoi s'agit-il ? du licenciement d'un salarié d'un casino sur la base d'enregistrements vidéos de ses agissements par les caméras fonctionnant en permanence dans l'établissement ou encore du licenciement pour faute grave d'un salarié qui tient des propos injurieux à l'encontre de son employeur dans le cadre d'un échange par mail avec un collègue ou encore d'un mail envoyé par un salarié à son épouse avec quelques remarques peu amènes pour l'employeur, auquel le mail est transféré par erreur.

Dans tous les cas, les principes sont respectés : le salarié était informé de la présence des caméras, les mails ont été écrit sur le lieu de travail, pendant le travail avec un matériel professionnel et ils n'étaient pas identifiés comme personnel. Rien à redire donc. Et pourtant, un léger doute. Le sentiment diffus, mais tenace, que tout ceci n'est pas satisfaisant et que le droit est un pudique paravent masquant une société de la surveillance, de la traçabilité, du contrôle permanent, du mythe de la transparence où chacun pourrait avoir accès à tout ce qui s'échange, se dit, s'écrit, se fait. Un monde sans répit et sans repos. Un monde inhumain donc.

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Filmé en permanence, lu dans tous ses échanges, tracé dans ses circulations sur le net, géolocalisé dans son véhicule, écouté dans ses conversations téléphoniques, le salarié est dans la position du prisonnier dont on éteint jamais la lumière dans sa cellule. Observable à tout moment, il perd sa vie privée et ne peut que déchoir de sa condition. Comparaison trop sévère, excessive, caricaturale ? peut être. Mais il fut un temps où le débat, y compris juridique, portait sur le salarié citoyen dans l'entreprise et où la liberté était conçue comme une autonomisation de chacun au profit de tous. Que le débat s'exerce aujourd'hui sur le terrain du contrôle permanent des salariés sans que le juge ne se prononce en référence à ces principes de citoyenneté dans l'entreprise, de vie personnelle qui peut être présente au travail et de la folie qui consiste à exiger une transparence totale des individus n'est pas bon signe. En être réduit à conseiller aux salariés de gratifier leurs mails d'un énorme MESSAGE PERSONNEL est une défaite de l'éthique et des relations entre les individus. Car elle consacre la bascule irréversible dans un monde de défiance, ou chacun est suspect par principe et doit se méfier de tous. Une société policière donc. On souhaiterait, pour qu'il n'en soit pas ainsi, que le juge se souvienne qu'il est le garant des libertés et que les entreprises prennent quelques engagements dans le domaine sans que le droit n'ait besoin de les y contraindre. Et sur la possibilité que les choses évoluent en  ce sens, on aimerait ne pas avoir un léger doute.

28/03/2011

Yes Week-end !

Le garçon de café travaillait en semaine. Et cela lui convenait fort bien. Cela durait depuis dix ans. Et cela lui convenait fort bien. Son nouvel employeur lui demanda de venir travailler le dimanche. Cela ne lui convenait plus du tout. Et il ne vint pas. S'arrachant à sa condition de garçon de café tel que le décrit Sartre, il décide d'éprouver sa liberté et continue à travailler en semaine. Le licenciement pour faute grave ne tarde pas, ni le contentieux. La Cour d'appel donne raison à l'employeur : les horaires relèvent de l'autorité de l'employeur et un café est autorisé à ouvrir le dimanche, promu au rang de jour ordinaire. Ce raisonnement ne satisfait pas la Cour de cassation qui censure la décision : le garçon de café avait bien droit à son week-end.

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Qu'invoque la Cour pour se prononcer ? le fait que le salarié qui en a régulièrement bénéficié ne peut être privé du repos le dimanche. En d'autres termes, la Cour de cassation a considéré que la pratique ininterrompue du travail en semaine, bien que ne figurant pas dans le contrat, n'en était pas moins contractuelle. Et oui, le droit est ainsi fait : on trouve dans le contrat des informations non contractuelles (la mutuelle ou la convention collective par exemple) et en dehors du contrat des clauses contractuelles non écrites. Voilà qui ne facilite guère la lecture des contrats, mais permet de préserver ses week-ends. Yes !

 Travail du dimanche.pdf

14/03/2011

Le juge sinusoïdal

Edgar Faure, en bon centriste, a établi de manière définitive que ce n'est pas la girouette qui tourne mais le vent. Un vent d'Autan puissant a du souffler sur la Cour de cassation qui vient de modifier de manière spectaculaire sa position en matière de modification du contrat de travail. Jusqu'alors, le juge considérait que toute décision de l'employeur ayant un impact sur la rémunération (montant ou mode de calcul) supposait l'accord du salarié. Et notamment, le juge imposait que les objectifs, lorsqu'ils déterminaient une part de rémunération variable, soient fixés par accord entre l'employeur et le salarié, ce qui n'était pas nécessairement le cas lorsque les objectifs n'étaient utilisés que pour manager la performance, sans entrer dans la base de calcul de la rémunération.

Saisie par un salarié dont l'entreprise a révisé unilatéralement les objectifs qui servent à calculer sa rémunération, la Cour d'appel de Grenoble applique la jurisprudence de la Cour de cassation. A tort lui dit celle-ci qui établit une nouvelle règle : les objectifs relevant par principe du pouvoir de direction, ils sont fixés unilatéralement même lorsqu'ils impactent la rémunération. Les seules conditions sont d'informer le salarié en début de période de réalisation des objectifs et de fixer des objectifs réalistes. Tant pis pour la COur d'appel qui a raisonné de manière linéaire, alors que, branchée sur courant alternatif, la Cour de cassation produit des raisonnements en forme de sinusoïde.

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On ne peut trouver meilleur exemple pour illustrer que le juge décide absolument ce qu'il veut, et qu'ensuite il construit le raisonnement qui lui permet de justifier sa décision. En l'espèce, la décision aurait pu être exactement inverse avec la même rigueur juridique. Rappel que le droit n'est pas une science exacte mais de la littérature, qu'aucun contentieux n'est jamais gagné, et donc perdu, d'avance et qu'il faut parfois un certain flegme pour accueillir certaines décisions, lequel flegme est plus facile à pratiquer pour le commentateur que pour les parties concernées. Bonne semaine à tous.

Cass-08-44-977-remuneration-variable.pdf

10/03/2011

Si proche étranger

L'histoire se passe dans un village d'une vallée ariègeoise. Un habitant du cru me parle d'un de ses concitoyens qui a mal tourné en se mariant avec une étrangère. Diable ! et de quel continent ? du village voisin qui est à cinq kilomètres. Il est vrai que quelques années plus tard, dans un autre village au coeur d'une plaine ouverte, il fut débattu en Conseil municipal de l'accueil d'enfants étrangers à la cantine de l'école. D'où venaient donc ces enfants sans cantine ? du village d'à côté. L'avocat des salariés licenciés dans l'affaire jugée le 2 mars dernier par la Cour de cassation venait peut être d'un des villages, car il contesta le licenciement de ses clients au motif que la lettre de licenciement avait été signée par un intérimaire recruté pour assister le DRH. Pour l'avocat, cet assistant était un étranger à l'entreprise et ne pouvait décider des licenciements. L'étranger a beau être proche, il n'en reste pas moins étranger.

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La Cour de cassation balaie l'argument et l'affirme clairement : un intérimaire n'est pas étranger à l'entreprise dans laquelle il effectue sa mission. On peut donc être différent sans être étranger, merci au Tribunal de cette précision. Et la Cour écarte avec la même autorité le second argument de l'avocat : l'intérimaire n'avait pas de délégation de pouvoir écrite. Elle rappelle que son contrat de mission portant sur l'assistance du DRH, sa qualification incluait le pouvoir de licencier. Voilà qui invite les entreprises à se souvenir que la qualification contractuelle est la première manière de définir le périmètre de la mission d'un salarié, ou d'un intérimaire donc, et son champ de responsabilité. Et pour ces deux rappels, on félicitera le Juge de n'être pas étranger à ce qui se passe dans un monde qui n'est pas le sien.

CourCassation2mars2011.pdf

03/03/2011

La beauté du geste

La décision de la Cour de cassation du 16 février 2011 m'a brutalement ramené au début des années 90, lorsque je fus saisi par un salarié d'un litige l'opposant à son employeur. L'affaire était la suivante : salarié d'un CFA, l'homme était en arrêt maladie depuis deux ans et venait d'être licencié. Lors de son arrêt maladie, il avait été élu conseiller prud'hommal, ce dont l'entreprise aurait du être informée par une notification du greffe, mais en l'occurence suite à un changement d'adresse elle n'avait pas reçu le courrier. Lors de l'entretien préalable, le salarié n'avait pas fait état de sa qualité de salarié protégé. Et il avait ensuite attaqué le licenciement en nullité pour violation du statut protecteur. L'entreprise faisait valoir que la charge de la preuve du statut pesait sur le salarié et qu'il n'avait pas fait état de sa qualité. L'employeur avait gagné devant les prud'hommes et la Cour d'appel. L'affaire était en cassation lorsqu'au détour d'une rencontre, le conseiller masqué me transmet le dossier et me demande mon avis. Défendu par le cabinet Lyon-Caen, l'employeur a des arguments solides. Et la morale de son côté. Pour autant, il me semble que le contentieux peut se gagner techniquement. J'argumente sur le caractère d'ordre public du statut, la publicité de l'élection qui est organisée par la loi et ne peut être mise à la charge du salarié, lequel ne peut supporter le risque d'une défaillance de l'information de l'entreprise. Bingo, la Cour de cassation retient l'argumentation et pour la première fois admet que le salarié n'a pas à faire état de sa qualité. Et notre conseiller silencieux de percevoir trois années de salaire de dédommagement (soit la totalité des salaires jusqu'à la fin du mandat de conseiller prud'hommal). Nouvelle preuve que la morale et le droit ne se recouvrent qu'imparfaitement et que l'on peut sacrifier l'éthique à la beauté du geste, comme le banderillero peut aimer le taureau qu'il affronte.

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Catherine Huppey - Sans titre -

Dans sa décision du 16 février 2011, la Cour de cassation renouvelle, quasiment dans les mêmes termes, son analyse. Un salarié élu conseiller prud'hommal ne fait pas état de sa qualité à son employeur lors de son entretien préalable au licenciement. Mauvaise foi et déloyauté argumente l'entreprise. En vain, il n'y a pas tromperie assure la Cour de cassation et le silence ne vaut pas mensonge par omission. Le salarié obtiendra gain de cause. La morale n'y trouve pas son compte, mais on en voudra pas plus à l'avocat qu'au banderillero.

Arrêt16Fevrier2011.pdf

03/02/2011

Un transitoire qui dure

La loi du 20 août 2008 sur la démocratie sociale rebat totalement les cartes de la représentativité syndicale. Pour résumer, la représentativité résulte désormais des résultats des élections professionnelles et non d'une reconnaissance étatique ou judiciaire. Retour à la démocratie représentative donc, et enjeux nouveaux pour les élections professionnelles, avec son cortège de tensions et de contentieux. Au fil de ce dernier, les tribunaux construisent le mode d'emploi des règles nouvelles. Dans une décision du 19 janvier 2011, rendue sous présidence toulousaine que je salue, la Cour de cassation prend une décision audacieuse au regard des textes mais soucieuse de la préservation d'une représentation des salariés. La loi du 20 août 2008 prévoit que les organisations syndicales représentatives au niveau national peuvent continuer à désigner des délégués syndicaux dans l'attente des premières élections postérieures à la loi. Ensuite, seules les organisations ayant obtenu au moins 10 % des voix peuvent désigner un délégué syndical, sous réserve qu'il ait lui même obtenu 10 % et donc, par définition, été candidat. Dans le cas d'espèce, l'entreprise avait organisé des élections sans qu'aucune organisation syndicale ne présente de candidat. Elle avait dressé constat de carence et conclu qu'aucune organisation n'était représentative. A tort lui répond la Cour de cassation rebelle. En l'absence de candidature, il est impossible de mesurer l'audience des syndicats et les règles transitoires doivent être prolongées jusqu'à la prochaine élection. Voici donc du transitoire qui dure, de même que Marc Desgranchamps est un peintre du transitoire en mouvement.

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Marc Desgrandchamps - Sans titre - 2007

Le résultat pratique de la décision du 19 janvier 2011 est que des organisations syndicales représentatives à la date de publication de la loi du 20 août 2008 peuvent continuer à désigner des délégués syndicaux qui pourront négocier des accords lesquels, faute de représentativité établie par l'élection, devront être ratifiés par référendum. On comprend le souci de la Cour de cassation : en l'absence de syndicats, tous les accords devenaient caducs faute de pouvoir être renégociés (la disparition de tous les syndicats équivaut en effet à une dénonciation des accords) et aucun accord ne pouvait plus être conclu avant les nouvelles élections.

Cet objectif d'intérêt général l'a emporté sur une lecture littérale du texte qui ne prévoit pas que l'on attende la deuxième élection en cas de carence. Saluons donc cette décision ainsi que la présidente toulousaine qui la suscita.

02/02/2011

Historique des formations : c'est parti !

La loi du 24 novembre 2009 impose  à toutes les entreprises de tenir à disposition des salariés les historiques des emplois occupés et des formations suivies afin, notamment, qu'ils puissent alimenter leur passeport formation (C. trav., art. L. 6315-2). La Cour de cassation n'a même pas eu besoin de ce texte, inapplicable en l'espèce puisque  les  faits lui étaient antérieurs, pour sanctionner l'employeur qui est incapable de fournir à un salarié l'historique des formations suivies pendant les 16 années passées dans l'entreprise (Cass. soc., 19 janvier 2011). Selon le juge, le salarié devait pouvoir disposer des traces officielles de son parcours dans l'entreprise, incluant les formations suivies. Balises de la compétence, les formations constituent pour le salarié des traces phosphorescentes dont il importe de garder la mémoire.

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Joan Miro - Personnages dans la nuit guidés par les traces

phosphorescentes des escargots - 1941

L'idée que le salarié ne doit pas conserver que ses bulletins de salaire pour faire valoir ses droits mais également les preuves des compétences acquises pendant son activité professionnelle progresse donc. C'est pour cette raison que la même loi du 24 novembre 2009 a créé l'obligation pour toute enteprise (formations internes) ou organisme de formation (formation externe) de remettre à chaque participant une attestation individuelle de suivi de la formation comportant les objectifs, la nature et la durée des actions ainsi que les résultats de l'évaluation des acquis de formation, lorsque une telle évaluation a lieu (C. Trav., art. L. 6353-1). En effet, cet article impose une obligation d'informer et non une obligation de faire. Il en résulte que l'évaluation des acquis n'est pas obligatoire de manière systématique, comme le confirme l'administration dans une circulaire du 6 janvier 2011 (voir ci-dessous).

Sous l'effet des partenaires sociaux, créateurs du passeport formation, du législateur et dorénavant des juges, voici les entreprises tenues d'assurer la traçabilité de la gestion des compétences des salariés, sans limitation de durée. Ne pas disposer d'un SIRH qui gère les historiques de formation est donc officiellement depuis le 19 janvier dernier une négligence sanctionnable par des dommages et intérêts (2 000 euros dans l'affaire en question). Après avoir tracé les financements, les responsables formation traceront donc les actions de formation avant de tracer les compétences validées. S'ils trouvent ce travail fastidieux, qu'ils s'imaginent en escargots disposant dans la nuit des traces phosphorescentes pour guider les salariés. Cela devrait tout de suite aller mieux.

CirculaireDGEFP-6 janvier 2011.pdf

27/01/2011

Fermeture démotivée

Pour procéder à un licenciement, il faut un motif. Et pour procéder à un licenciement économique, il faut un motif économique. Le Code du travail en prévoit deux : les difficultés économiques et les mutations technologiques. La jurisprudence en a rajouté deux : la sauvegarde de la compétitivité, qui doit être justifiée par des causes externes et la cessation d'activité. Ce dernier motif, entièrement construit par la Cour de cassation, repose sur le fondement de la liberté de gestion : aucun employeur ne peut être obligé de poursuivre indéfiniment son activité, ne serait-ce que lorsqu'il part à la retraite. La Cour de cassation ne sanctionnait que les abus de droit : l'employeur qui organise sa propre insolvabilité ou la fermeture pour recréer la même activité sans reprendre les mêmes salariés. Dans une décision du 18 janvier 2011, les juges durcissent leur position et décident que lorsque l'entreprise qui cesse son activité appartient à un groupe, elle doit justifier d'une cause économique, la fermeture ne pouvant constituer à ellel seule un tel motif.

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Gilles Tran - Fermeture - 2003

Dans les groupes, le contournement des règles du licenciement économique peut prendre plusieurs formes : filialisation d'une activité dont on veut se séparer avant fermeture, ou avant vente, émiettement des activités dans des structures de petites tailles pour échapper aux obligations du PSE, etc. Les juges ont toujours eu le souci de permettre l'application du droit du travail quelle que soit la structuration juridique du groupe. L'arrêt du 18 janvier 2011 s'inscrit dans cette préoccupation. Il n'empêchera pas, toutefois, à des groupes de rechercher des chevaliers blancs situés à l'étranger pour reprendre une activité qu'ils fermeront ensuite. Paranoïa ? demandez aux ex-salariés toulousains du papetier Job, ils auront peut être une idée sur la question.

25/01/2011

De l'inégalité des diplômes

La Cour de cassation poursuit, en ce début d'année, la saga du diplôme comme élément licite, ou non, de différenciation des salaires. En clair, peut-on payer différemment deux salariés qui font le même travail  uniquement parce qu'ils n'ont pas le même diplôme ? La Cour de cassation a déjà répondu positivement à cette question si les diplômes détenus par les salariés sont de niveaux différents. Elle fait aujourd'hui évoluer cette position : une différence de diplôme ne justifie une différence de traitement que s'il est démontré l'utilité particulière des connaissances acquises au regard des fonctions exercées (Cass. soc., 11 janvier 2011). Diplômé en droit, Kandinsky ne peut donc valoriser ses diplômes dans son activité de peintre.

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Vassily Kandinsky - Composition IV

Cette décision a le mérite de revenir à une interprétation plus stricte du principe "Travail égal, salaire égal". S'il est possible de valoriser un niveau de diplôme, c'est à condition que celui-ci ait un lien avec l'activité. A défaut, disposer d'un diplôme  ne vaut pas brevet général de compétences.

La portée de cette décision n'est pas mineure puisque, si elle est confirmée, elle mettra à mal les politiques de rémunération mais également les conventions collectives, qui font une différence entre les diplômes uniquement en fonction de leur niveau ou de l'école dans laquelle ils ont été préparé alors que les juges nous demandent de vérifier son utilité par rapport au travail exercé.

Si le juge voulait s'auto-alimenter en contentieux, il ne s'y prendrait pas d'une autre manière. Voilà une profession que le chômage ne guette guère.

18/01/2011

Pas d'essai pour la neige

L'hôtelier est rompu à l'usage des contrats saisonniers. Il en a encore conclu plusieurs pour la saison, dont un avec une serveuse embauchée le 1er janvier avec une période d'essai de dix jours. Le 8 janvier, la neige ayant déserté, et les clients avec, la station de sports d'hiver, il est mis fin par l'hôtelier à la période d'essai. Tempête judiciaire s'en suit : la salariée conteste la possibilité de rompre la période d'essai pour ce motif. Avec raison selon la Cour de cassation qui censure une décision qui n'est pas fondée sur un motif inhérent à la personne du salarié (Cass. soc., 10 décembre 2010). Tempête sous le crâne de l'employeur qui se demande comment il convenait de s'y prendre et pourquoi il ne peut pas librement rompre une période d'essai. Laissons passer la tempête de Turner avant de lui répondre.

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William Turner - Tempête de neige - 1842

Pourquoi n'est-il pas possible de rompre une période d'essai pour absence de neige ? parce que la période d'essai a pour seule finalité d'apprécier les compétences du salarié (C. trav., art. L. 1221-20) et qu'elle ne peut être rompue que pour ce motif à l'exclusion de tout autre. D'ailleurs, les règles relatives au licenciement ne peuvent s'appliquer pendant une période d'essai (C. trav., art. L. 1231-1).

Que convenait-il de faire ? si l'employeur voulait gérer l'aléa de la neige, il ne devait pas prévoir de période d'essai. Il aurait ainsi pu licencier pour un motif économique, au bout de huit jours. Ou bien, il devait proposer un CDD de courte durée, renouvelable. Ou encore, il devait attendre la fin de la période d'essai avant de licencier. Mais prévoir une période d'essai, signifie que l'on garantit l'emploi du salarié pendant cette période, sauf si son comportement s'avérait inapproprié avant le terme même de la période d'essai. Et voilà que l'on découvre que la période d'essai, loin d'être la période de totale précarité que l'on imagine souvent, est en fait une garantie d'emploi stable pendant l'essai pour pouvoir apprécier les compétences du salarié. En clair, avec la période d'essai, l'employeur annonce qu'il va prendre son temps pour apprécier le salarié et sécurise le contrat pendant ce laps de temps. Il n'est pas certain que cette définition juridique de l'essai soit exactement celle qui prédomine dans les représentations. C'est pourtant celle que les tribunaux semblent déterminés à faire prévaloir.

10/01/2011

Temps partiel peu avenant

Au cours des années 90, le temps partiel était considéré comme un outil de la politique de l'emploi et il convenait de l'encourager. Il fut d'ailleurs assorti d'exonérations de cotisations sociales : tout contrat était un emploi, serait-ce à temps partiel. Depuis le début des années 2000, changement de régime : considérant que le temps partiel était plus souvent subi que choisi, le législateur (en l'occurence la loi Aubry de janvier 2000 pour l'essentiel) fit le choix, jamais remis en cause depuis, de rendre plus strictes les règles relatives au travail à temps partiel pour ne pas en faire un outil de flexibilité du travail à disposition des entreprises. Ce renversement de perspective pris, on s'en doute, un certain temps avant d'entrer dans les moeurs. D'où l'occasion pour le juge de s'associer régulièrement à cette oeuvre de cantonnement du travail à temps partiel, qui pour être valide doit rester...partiel.

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Salvador Dali - Hallucination partielle

Dans une décision du 7 décembre 2010, la Cour de cassation décide que le régime des heures complémentaires doit s'appliquer à des heures de travail effectuées par un salarié à temps partiel en application d'un avenant prévoyant une augmentation temporaire de son temps de travail. On connait la manip : une embauche à temps partiel sur une base réduite et puis en fonction des besoins (surcroît d'activité, absence d'un salarié, ...) conclusion d'un avenant qui pendant quelques jours ou quelques semaines augmente le temps de travail. Ce détournement manifeste a déjà été sanctionné par le juge. En l'espèce, un élément supplémentaire est apporté dans la mesure où cette pratique était prévue par la convention collective (secteur de la propreté). Peu importe dit le juge, les règles du Code du travail sur le travail à temps partiel sont d'ordre public et une convention collective ne peut y déroger. Les heures effectuées dans le cadre de l'avenant constituent des heures complémentaires qui doivent donc être majorées à 25 % et doivent également être comptabilisées sur 12 mois et leur moyenne automatiquement ajoutée à la durée contractuelle de base. Rajoutons un risque supplémentaire, si l'avenant conduit à faire travailler le salarié à temps partiel à temps plein, serait-ce pendant une courte période, la requalification du contrat en contrat à temps plein pourrait également être demandée.

Il est donc désormais acquis que l'avenant qui augmente ponctuellement la durée du travail à temps partiel est illicite, indépendamment de la volonté du salarié ou des dispositions de la convention collective. Nouvelle occasion pour le juge de rappeler que le champ du négociable ne s'étend pas à l'infini mais qu'il est borné par les dispositions légales.

Petite remarque en forme de jeu : cherchez la logique qui veut que l'on encourage les heures supplémentaires et dissuade les heures complémentaires. Cadeau surprise à la clé !

 

24/12/2010

Histoire de la clause qui devint un piège

Le Code du travail ne traite pas de la clause de non-concurrence. Son régime est donc bâti par la pratique et régulé par la jurisprudence qui a, au fil des ans, posé les conditions à respecter pour que la clause de non-concurrence soit valide. Tout d'abord les juges ont exigé que la clause soit limitée dans le temps et dans l'espace. Ensuite ils ont vérifié si elle était bien indispensable à la protection des intérêts de l'entreprise : il ne peut y avoir de clause de non-concurrence que si l'activité exercée est concurrentielle et notamment si elle est en relation directe avec le produit fini, le service rendu ou le client, ce qui limite la portée des clauses pour les fonctions supports. Ils ont encore demandé à ce que le salarié ne soit pas privé d'exercer toute activité au regard de ses compétences et de sa qualification. Enfin ils ont exigé que la clause fasse l'objet d'une contrepartie financière. Et en 2007, la Cour de cassation a estimé que cette contrepartie devait être versée après la fin du contrat de travail et pendant toute la période de non-concurrence. Ainsi se refermait le piège sur les entreprises qui avaient prévu une indemnisation en cours de contrat.

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Jack Vettriano - Le piège à touriste

Il était fréquent, avant 2007 et encore après pour les étourdis, de prévoir qu'un complément de salaire serait versé pendant le contrat de travail pour payer par avance la non-concurrence et ne pas avoir à la rémunérer ensuite. Ce complément était souvent exprimé en pourcentage. Dès lors que la Cour de cassation exige, de manière soudaine, que l'indemnisation ait lieu après la rupture, se pose la question de la validité de ces clauses : pas de problème elles sont nulles. Mais si elles sont nulles, les sommes sont versées à tort et l'employeur peut en demander remboursement au salarié, ou tout au moins interrompre le paiement d'une clause sans objet. C'est ce qu'avait jugé une Cour d'appel. A tort nous indique la Cour de cassation soucieuse de verrouiller le piège sur les employeurs qui avaient cru s'acquitter un peu trop aisément d'une contrepartie (Cass. soc., 17 novembre 2010). Et voilà donc l'entreprise tenue de payer un complément de salaire qui a, selon l'argument de la Cour de cassation, le travail comme contrepartie et non la clause de non-concurrence nulle. La prévision est difficile surtout, selon Pierre Dac, quant elle concerne l'avenir et aussi quand elle concerne les revirements de jurisprudence.

20/12/2010

Rupture conventionnelle et transaction : halte au bluff !

Il se trouvera bien quelques avocats pour dire : "On vous l'avait bien dit !" et proclamer qu'il faut éviter la rupture conventionnelle et préférer la bonne transaction qui règle toutes vos affaires. Pourquoi ? parce que la Cour de cassation vient de juger le 15 décembre dernier qu'une rupture conventionnelle ne peut interdire au salarié d'intenter une action en justice contre son employeur. Ce dernier avait pourtant pris la précaution d'indiquer dans la convention que le salarié "renonce à toute contestation des conditions et de la rupture de son contrat de travail". Sur cette base, la Cour d'appel avait débouté le salarié de sa demande de rappel de salaires. A tort dit la Cour de cassation, la phrase n'est que bluff et ne peut priver le salarié du droit d'aller en justice.

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Fragonard - Blind man's bluff (colin-maillard) - 1751

Le problème est que le bluff est identique lorsqu'une telle phrase figure dans une transaction. De manière régulière, les juges acceptent des demandes de salariés qui ont conclu des transactions comportant une clause qui précise que "revêtue de l'autorité de la chose jugée, la présente transaction interdit au salarié de saisir les tribunaux pour tout différend né ou à naître relatif à l'exécution ou à la rupture du contrat de travail". Comme dirait Jacques Chirac, ces clauses juridiquement tournées n'engagent que ceux qui y croient. Bluff ou droit psychologique, au choix, et dans tous les cas ignorance, on y croit pas trop, ou mauvaise foi du rédacteur. En effet, la Cour de cassation juge de manière constante que la transaction et ses effets sont limités au règlement des litiges qu'ils listent. De ce fait, un salarié peut saisir le juge pour faire valoir ses droits relatifs à des souscriptions d'action même s'il a signé une transaction comportant la mention "les parties renoncent de la manière la plus expresse à formuler toute réclamation que ce soit pour quelque cause que ce soit" (Cass. soc., 8 décembre 2009). Raté. Ou encore, la Cour suprême a permis à un salarié ayant transigé sur la rupture de son contrat en reconnaissant dans la transaction n'avoir plus aucun litige d'aucune nature lié à l'exécution ou à la rupture du  contrat de travail, de réclamer un complément d'indemnité conventionnelle de licenciement (Cass. soc., 2 décembre 2009). Encore raté. Et l'on pourrait multiplier les exemples.

Le principe est pourtant simple : il n'existe pas de clause valide qui sécurise totalement l'entreprise contre un recours du salarié. Après une rupture conventionnelle, le salarié peut saisir le juge pour des heures supplémentaires ou du harcèlement, mais il peut également le faire après une transaction indemnisant la rupture du contrat de travail. Le désistement total d'instance est trop chose trop grave pour qu'on l'accepte sans modération, et puis manifestement les juges n'aiment pas le bluff. Peut être, par contre, aimeraient-ils jouer à colin-maillard chez Fragonard, et en l'espèce ils le méritent bien.

25/10/2010

Triste triomphe

Depuis environ une vingtaine d'années, la Cour de cassation a entrepris de redonner toute sa place au contrat de travail. Pour ce faire, elle n'a eu de cesse de consacrer la volonté du salarié face à celle de l'employeur, en élargissant le champ du contrat de travail et en restreignant celui des conditions de travail, selon la distinction posée en 1996 pour marquer les limites du pouvoir de direction.

Mais la Cour de cassation a également opposé le contrat individuel au contrat collectif en multipliant les possibilités pour le salarié de refuser l'application d'un accord collectif dès lors que celui-ci touchait à son contrat de travail. Il n'est pas illogique que la volonté collective ne puisse systématiquement contraindre la volonté individuelle et que le contrat qui confère la qualité de salarié soit garanti dans son contenu. Mais jusqu'à présent les juges considéraient que certains éléments, dont l'organisation du travail, relevaient par principe de régimes collectifs et non individuels. Par une surprenante décision en date du 28 septembre 2010, la Cour de cassation affirme que l'instauration d'une modulation du temps de travail constitue une modification du contrat qui nécessite l'accord exprès du salarié. Voici donc l'individu royalement couronné qui ne peut se voir contraint par le contrat collectif, même régulièrement négocié et même dans un domaine par nature collectif.

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Caravage - Bacchus - 1593

Cette promotion de l'individu n'est pas lubie des juges. Elle s'inscrit dans le mouvement plus large d'individualisation des relations de travail et de dilution du collectif. A ce titre, elle peut rappeler comment au 15ème siècle les peintres flamands ont introduit l'individu réel, et non plus l'individu symbole d'idées le dépassant, dans la peinture (sur ce thème, voir le très beau livre de Tzvetan Todorov "Eloge de l'individu"). Ce mouvement se poursuivra à la Renaissance, trouvant sans doute son apogée avec Le Caravage dont les dieux ont figure humaine. Et pourtant, cette chair incarnée est bien triste. L'individu saisi dans toute sa réalité physique et sa banalité quotidienne se trouve  bien seul, coupé du collectif. Cette opposition est présente dans le tableau du Caravage où le corps très académique tranche avec le visage plus elliptique. Quatre siècles plus tard, le débat n'est toujours pas clos. La jurisprudence de la Cour de cassation, qui rend extrêment complexe et délicate désormais la négociation et l'application d'un accord d'annualisation du temps de travail, semble imposer la prééminence du contrat individuel sur le contrat collectif. Aussi paradoxal que cela paraisse, cette affirmation de la volonté individuelle porte en elle-même un affaiblissement du salarié en le conduisant malgré lui vers une contractualisation individuelle de l'ensemble de sa situation de travail qui le laisse en position isolée de négociation face à l'employeur. Quant à ce dernier, il se trouve contraint de conduire des dizaines de négociations individuelles pour pouvoir mettre en oeuvre une négociation collective. Au final, cet émiettement du champ du négociable ne satisfera personne. Triste triomphe pour le contrat.

04/10/2010

Quand le juge dérape

Soucieux sans doute de conforter la dernière chronique de ce blog (un peu de mégalonie le lundi matin est vite pardonné) qui mettait en évidence le peu de professionnalisme du juge sur les questions de formation, la Cour de cassation s'illustre dans un arrêt relatif au plan de formation. Dans un jugement daté du 12 septembre 2010, la Cour suprême pose en principe qu'un salarié inscrit au plan de formation subit un préjudice s'il ne peut finalement suivre l'action prévue. L'affaire était la suivante : une salariée est licenciée pour faute grave. Elle conteste son licenciement, obtient gain de cause et fait également juger que ce licenciement lui ouvre droit à des dommages intérêts supplémentaires pour n'avoir pu suivre deux formations prévues au plan de formation. La Cour d'appel et la Cour de cassation valident ce point. Si l'indemnisation servie est modeste, 300 euros, le principe pose question et constitue une sortie de route juridique des tribunaux.

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Alain Garrigue - Sortie de route - 2008

Pourquoi l'arrêt est-il problématique ? parce que s'il accorde des dommages et intérêts à un salarié du fait qu'une formation inscrite au plan de formation n'est pas suivie, c'est qu'il assimile le plan de formation de l'entreprise à un engagement qui confère un droit au salarié. Or, telle n'est pas la nature du plan de formation. Le plan est certes une décision unilatérale comme l'engagement mais surtout il a, comme son nom l'indique, une dimension prévisionnelle : il s'agit d'une programmation et non d'une prescription définitive. Le plan n'est qu'indicatif, il fixe des objectifs et des moyens, mais il ne peut constituer un engagement. Si tel était le cas, il faudrait lui appliquer le régime juridique des engagements unilatéraux et exiger qu'il soit dénoncé après consultation des représentants du personnel et information individuelle des salariés concernés. Par ailleurs, les engagements, comme les usages, n'ont de sens que dans une dimension collective : or le plan de formation comporte à la fois des formations collectives et individuelles. En juridicisant à ce point le plan de formation, le juge conforte les réticences des employeurs qui ne diffusent pas de plan nominatif de peur de créer du droit : voilà un argument supplémentaire pour perpétuer cette pratique de la non-transparence. Si la volonté du juge était de montrer que la formation a une valeur et que la perte d'une possibilité de se former cause un préjudice au salarié, sans doute existait-il de meilleure voie que celle de transformer en un outil juridique rigidifié ce qui devrait rester une pratique de gestion non créatrice de droit. Que le droit ait réponse à tout ne signifie pas qu'il doive se mêler de tout.