Brindilles, brins d'herbe, bouts de ficelles, chiffons, papiers, cartons...l'oiseau fait son miel de toutes choses pour faire son nid. Rapidement, mais sans urgence. A la vitesse de son vol et de sa perception de la vie. A son rythme. Le nid peu à peu prend la forme de l'oeuf qu'il va accueillir. Une oeuvre qui en permettra une autre. Ainsi se construit parfois la jurisprudence : de décisions en décisions, au gré des demandes et des questions, le nid du raisonnement se forme et l'oeuvre se constitue qui permettra demain d'ouvrir d'autres horizons.
Joan Miro - Femme et Oiseaux
La décision de la Cour de cassation en date du 2 mars 2010 concernant l'obligation de l'employeur de former ses salariés, apporte sa brindille, et même plus, à la construction d'un droit à la formation, qui est le nid d'une plus ample obligation de professionnalisation des salariés tout au long de la vie. En l'occurence, un Hôtel est condamné pour n'avoir pas formé quatre plongeurs illettrés, les privant ainsi de toute possibilité d'évolution. La société avait plaidé l'absence de demande précise en ce sens des salariés, suivi en cela par le juge d'appel mais pas par la Cour suprême. L'entreprise a l'obligation générale de proposer des formations aux salariés tout au long de leur carrière. Rappelons que l'ANI du 7 janvier 2009 et la loi du 24 novembre 2010 posent en principe que tout salarié a droit à une évolution d'au moins un niveau de qualification au cours de sa carrière professionnelle. Voici une première manière de désigner un débiteur à cette créance. Ainsi se poursuit la construction du nid du droit de la compétence. Mais avec cette décision, depuis début mars, l'oiseau est au nid.
Commentaires
Bonjour,
J'ai très rapidement lu cet arrêt en date du 2 mars 2010 et je n'y ai vu personnellement que la confirmation de l'arrêt "Union des Opticiens" de 2007 avec la différence toutefois qu'ici l'affaire se situait dans un cadre qui n'était pas celui d'un licenciement.
La prochaine étape pourrait être le DIF...
Pour ce dispositif, je pense que l'on peut considérer que le salarié a bien un droit " à " la formation dans la limite de son crédit d’heures ; seulement, la formation qu’il suivra ne sera pas nécessairement celle qu’il aurait souhaitée. Mais cet aspect ne me semble pas contradictoire avec l'idée que l'on est bien en présence d'un "droit".
Je pense aussi que l'on est d'accord sur l'idée que le refus de l'employeur ne peut être l'expression que d'un désaccord sur le choix de l'action de formation et rien d'autre. (je viens de m'apercevoir que c'était également l'opinion de l'auteur qui a consacré quelques pages au DIF dans le Répertoire Dalloz - il écrit que l'accord de l'employeur porte "exclusivement" sur le choix de l'action de formation).
Par conséquent, tout refus fondé sur un motif étranger au choix de l’action de formation est illégal ; a fortiori s’il s’agit d’une discrimination (qui impliquerait un renversement de la charge de la preuve) ou d’un abus de droit.
Bien évidemment, l’employeur, sauf accord de branche en sens contraire, n’a pas l’obligation de faire connaître les motifs qui l’animent mais cela ne change rien au fait qu’ils doivent être légaux (ne pas confondre motif et motivation tout de même ! ) ; l'absence ou l'insuffisance de budget pourrait d’ailleurs permettre de mettre en évidence une volonté délibérée de certains employeurs de ne jamais accorder de DIF.
Compte tenu des arrêts de la Cour de Cassation de 2007 et de 2010 , on pourrait très bien faire valoir, à l’occasion d’un procès, qu’au regard de l’obligation de veiller au maintien de la capacité des salariés à occuper un emploi, l’obstacle mis par l’employeur à l’utilisation du droit individuel à la formation en se fondant notamment sur des motifs illégaux révèle un manquement dans l’exécution du contrat de travail entraînant lui aussi un préjudice réparable...Pourquoi pas ?
Comment l'employeur pourrait-il démontrer qu'il a bien satisfait à son obligation de veiller à ce que le salarié garde son "employabilité" s'il a, de mauvaise foi, empêché le salarié de mettre en oeuvre son DIF ?
Le salarié, en outre, pourrait-il agir après quelques tentatives infructueuses s'il est en mesure de démontrer la mauvaise foi de l'employeur ? L'arrêt du 2 mars pourrait nous inviter à répondre par l'affirmative. ..
Vous observerez que par rapport à la motivation de la Cour de Cassation dans l'arrêt "Union des Opticiens", je ne change que quelques mots...
Ceux qui penseraient que le DIF est un dispositif dépourvu de sanction se trompent : La responsabilité contractuelle de l’employeur pourra être engagée...
Et ici, les indemnités pourraient être beaucoup plus importantes que celles allouées dans les espèces où l'employeur avait omis de mentionner le DIF dans les lettres de licenciement (ce qui est normal, les tribunaux ne pouvant allouer davantage que ce que les salariés auraient obtenu si la mention avait existé et s'ils en avaient fait la demande avant la fin du préavis).
Il n’y a pas, pour le moment d’arrêt en ce sens, mais ce serait une nouvelle étape jurisprudentielle tout-à-fait dans la ligne des arrêts "Expovit" de 1992 "Union des Opticiens" de 2007.
J'ai également noté un indice intéressant qui pourrait aller dans ce sens dans les arrêts de la Cour d'Appel de Rennes, arrêts qui ont fait l'objet d'un contrôle de la Cour de Cassation le 20 janvier dernier...
Dans les deux affaires , la Cour d'appel de Rennes s'était fondée sur la "perte de chance de retrouver plus facilement un emploi" (et non sur la perte de chance d'obtenir une formation) pour allouer des dommages-intérêts à des salariées qui n'avaient pas pu faire valoir leur DIF, dans la mesure où leur employeur (Canal Plus en l'occurrence) avait omis de mentionner le DIF dans la lettre de licenciement.
Il se trouve qu'une seule des salariées disposait de l'ancienneté nécessaire mais cela ne change évidemment rien.
Écrit par : Bruno Callens (NOVATEM) | 25/03/2010
Je suis d'accord avec vous. Et je pense d'ailleurs que les organisations syndicales ont manqué une étape sur le DIF en négociant des accords qui excluent l'adaptation : plus le DIF est centré sur la fonction et plus le refus de l'entreprise est difficile voire impossible. Je sais que vous êtes réservé sur le DIF sur l'adaptation, mais c'est un moyen de faire pression sur l'employeur pour réaliser effectivement la formation. Et dans ce cas, le refus est quasiment impossible. Plus la formation est déconnectée de l'emploi et plus le refus de l'entreprise est juridiquement "sécurisé". Mais les salariés pourraient également s'appuyer sur le socle de compétences professionnelles pour demander à développer leur employabilité. En réalité, l'obligation de l'entreprise n'est pas sur la formation mais sur trois obligations de sécurisation qui peuvent nécessiter de mobiliser de la formation : sécurisation de l'emploi (employabilité), sécurisation de la santé (capacité à travailler en sécurité) et sécurisation de la performance (donner les moyens aux salariés de faire ce que l'on attend d'eux). Les vrais obligations sont là.
Cordialement (et merci pour votre contribution)
Écrit par : jpw | 25/03/2010
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