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16/03/2010

Exercice pédagogique

Petit exercice pédagogique à partir d'un article du Code du travail. Il s'agit de l'article L. 6323-12 relatif à la mise en oeuvre du DIF. Cet article précise : "Les actions de formation exercées dans le cadre du DIF se déroulent en dehors du temps de travail. Toutefois, une convention ou un accord collectif de branche ou d'entreprise peut prévoir que le droit individuel à la formation s'exerce en partie pendant le temps de travail". Cet article pose un principe : le DIF se fait hors temps de travail, et une exception, partielle et conditionnée par un accord collectif. En l'absence d'accord collectif, une lecture littérale conduit à conclure qu'il n'est pas possible de faire du DIF sur le temps de travail et qu'en tout état de cause, le DIF intégralement réalisé sur le temps de travail est impossible car non prévu. C'est ici que le droit, matière curieuse, échappe à la littéralité et se construit autour de principes et non de textes lus. Comme les objets de Magritte, qui prennent un autre sens en changeant d'univers, les textes du Code du travail demandent à être lus avec une mise en perspective.

Magritte-Personal-Values1.jpg
Magritte

Plusieurs accords collectifs ont, lors de la mise en oeuvre du DIF, prévu une réalisation de la formation intégralement sur le temps de travail. Ces accords de branche ont été présentés pour extension au Ministère du travail, qui les a étendus au motif qu'il était plus favorable pour le salarié de suivre le DIF sur le temps de travail. Mais alors, si la solution est plus favorable, l'accord nécessaire pour prévoir du DIF sur le temps de travail n'est pas un accord dérogatoire. Il n'est donc pas indispensable. Et l'on peut convenir librement avec un salarié que le DIF peut s'exercer intégralement pendant le temps de travail. Soit faire en toute légalité ce que l'article L. 6323-12 n'envisage pas. Mais bien sur, au nom du principe de faveur. On ne le répètera jamais assez : faire du droit ce n'est ni lire ni citer des textes, c'est produire un raisonnement juridique à partir de textes et de principes. Comment savoir si l'on a raison ? en droit, celui qui prend la décision a toujours raison...sous le contrôle du juge.

Et pour terminer le lapsus du jour : la responsable ressources humaines me parle d'un dossier qu'elle doit présenter "aux affaires sont sales...". Je suppose qu'aux affaires sociales, il ne se passe pas que du très joli, joli.

Commentaires

Bonjour,

Puisqu'il est question d'un "petit exercice pédagogique", poursuivons la leçon...

Certes, l'article L6323-12 est un texte curieux et qui sera probablement vidé de sa substance ou "neutralisé" si on préfère.

Sur un texte comme celui-là, aura en définitive "raison" l'autorité qui dispose du pouvoir d'interprétation "authentique" (au sens que donnait Kelsen à cette expression, expression qui s'oppose à l'interprétation dite de "doctrine"), c'est-à-dire celle qui sera en mesure de formuler une interprétation qui ne pourra pas être contredite.

C'est souvent le cas des Cours suprêmes (en l'occurrence la Cour de Cassation) mais pas exclusivement (on l'a vu avec le Président de la République lors du refus de Mitterrand de signer certaines ordonnances lors de la première cohabitation)

Les Cours suprêmes "abusent" quelquefois de ce pouvoir au point de "violer" purement et simplement les textes.

On en trouve un exemple en droit de la formation professionnelle au travers de l'arrêt "expovit" de 1992 qui est en réalité un "arrêt de réglement", pratique censée être prohibée par l'article 5 du code civil ; la "règle" qu'elle a posée et qu'elle a artificiellement rattachée à l'obligation de bonne foi dans l'exécution des contrats (mais il fallait sauver les apparences) a d'ailleurs été reprise plus tard dans la loi .

Autre exemple : en dépit du caractère non ambigu de l'article L1232-6 du code du travail ("Lorsque l'employeur décide de licencier un salarié, il lui notifie sa décision par lettre recommandée avec avis de réception." ), la Cour de Cassation persiste à admettre la validité de la remise en main propre (elle l'a encore confirmé en décembre dernier).

Pour la Cour de cassation, l'envoi de cette lettre recommandée avec avis de réception (LRAR) n'est qu'un moyen légal de prévenir toute contestation sur la date de notification du licenciement ; ainsi, la notification du licenciement par LRAR ne constitue pas une formalité "substantielle".

Quelquefois, encore, les juges usent de fictions , nient les évidences et défient le "bon sens" . On en a maints exemples en droit pénal ou en droit administratif .

Ce phénomène se rencontre d'ailleurs dans beaucoup de pays.

Il existe d'ailleurs une intéressante anecdote à ce sujet et que raconte Perelman.

Il existait au début du 19ème siècle en Angleterre une "loi" qui prévoyait la peine de mort pour tous les coupables de "grand larceny", c'est-à-dire de crimes majeurs.

Or, parmi les crimes majeurs, il y avait une disposition qui punissait de mort tout vol de plus de 40 shillings.

Pendant des années, les juges anglais ont évalué systématiquement à 39 shillings tout vol quel qu'il soit, pour ne pas avoir à punir le vol de la peine de mort.

Jusqu'au jour où les juges eurent affaire à un voleur qui avait volé des espèces...Dans cette affaire qui fut jugée en 1808, le "suspect" avait volé 10 livres sterlings soit 200 shillings.

Le juge fut-il contraint de condamner à la peine de mort ?

Que Nenni...Imperturbablement, Les juges ont coutourné l'obstacle de la façon la plus simple qui soit ; ils ont tout simplement évalué les 200 shillings à ...39 shillings

Comme quoi...

Écrit par : Bruno Callens (NOVATEM) | 16/03/2010

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