09/01/2013
Gardarem la lingua
C'est vrai que l'affaire remonte loin. De l'ordonnance de Villers-Cotterets, en 1593, qui reste le plus vieux texte juridique en vigueur, à la loi Toubon de 1994, nos législateurs n'ont eu de cesse que d'affirmer la primauté, pour ne pas dire l'exclusivité, de la langue française. Ce centralisme s'est d'abord exercé au détriment des langues régionales et autres dialectes qui font la richesse des terroirs, avant de constituer un rempart contre la mondialisation et l'anglophonisation. Comme on le voit, le danger vient de partout et la langue française doit manifestement se garder de tous côtés.
La Cour de cassation a pourtant ouvert une brèche au mois de juin dernier, en indiquant que pour des raisons de sécurité, il était légitime d'exiger qu'un pilote d'Air France sache lire une documentation en anglais sans pouvoir en exiger une traduction (Cass. Soc. 27 juin 2012). La Cour d'appel de Grenoble, dans un arrêt du 5 décembre 2012, fait fi de toute contrainte : pas question pour Danone d'installer un logiciel en anglais dans une de ses sociétés qui, ayant son siège et ses établissements en France doit nécessairement utiliser des outils en langue française (CA Grenoble, 5 décembre 2012). Impossible donc pour les calandrettes occitanes d'utiliser la langue qu'elles enseignent pour la gestion de leurs salariés. Ceux qui pensent ainsi contribuer à la défense de la langue française par l'érection de digues toujours plus hautes, ne font que conforter la traditionnelle faiblesse des français pour les langues étrangères, au rang desquelles ont peut désormais classer les langues régionales. Cela s'appelle se tromper de combat et persévérer dans l'erreur.
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07/01/2013
Visage parle
Comme notre corps et notre pensée, notre visage se modèle au fil du temps. Sauf à passer un temps considérable devant son miroir, nous sommes souvent les plus mauvais témoins de ces évolutions que nous offrons à notre entourage. Notre visage vu par autrui est nécessairement une suprise. Juan Osborne, qui a sans doute lu la Bible et sait donc qu'au commencement était le Verbe, fait de nos phrases le constituant de notre visage. Pour réaliser ce portrait de Simone de Beauvoir, Juan Osborne a utilisé quatre citations du Castor : "On ne naît pas femme: on le devient ; Choisir la vie, c’est toujours choisir l’avenir ; L’art est une tentative pour intégrer le mal ; Se vouloir libre, c’est aussi vouloir les autres libres".
Simone de Beauvoir par Juan Osborne
Le visage de Simone de Beauvoir s'en trouve allongé, affiné, moins rond, plus saillant, plus radical, plus conforme à ses engagements, plus ressemblant à l'énergie qui l'animait. Les lettres sont des flammes qui portent la pensée où alternent le sombre et le lumineux. Les mots disent. Et l'on finit toujours par ressembler à ce que l'on est. Simplement, avec Osborne et d'une manière plus générale avec l'art, on gagne du temps.
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05/01/2013
Une fleur pour le week-end
Le monde fleurit par ceux qui cèdent à la tentation
Julien Gracq
00:19 Publié dans CHRONIQUE DE WEEK-END | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : fleur, gracq, photo, littérature, réunion, lingerie, tentation
26/12/2012
Mejores no hay !
Le 26 décembre 1891, il y a 121 ans, naissait Henry Miller qui comme Picasso savait que le plus difficile est de retrouver l'instantanéité de l'enfant lorsque l'on peint.
Henry Miller - Sans titre - 1944
En 1953, Miller traverse l'Espagne Franquiste avec un couple d'amis et la photographe Denise Bellon. Un livre récemment paru témoigne de ce voyage. Il porte le titre "Mejores, no hay !", autrement dit : "Y a pas mieux !". L'incroyable avec Miller, c'est qu'il n'y a jamais mieux que ce qu'il est en train de faire. Qu'il soit en Grèce, à Big Sur, à Paris, en Espagne ou dans les rues de New-York, qu'il soit à l'aise ou sans un sou, qu'il soit en train d'écrire, de peindre, de manger ou de lire dans les lieux d'aisance : "Y a pas mieux !". Miller aimait la vie, et la rue : "Les journaux peuvent bien mentir, les magazines affabuler et les politiciens truquer la réalité, la rue, elle, est hurlante de vérité.". Il est toujours temps d'aller vérifier.
00:56 Publié dans FRAGMENTS | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : miller, espagne, littérature, aquarelle, peinture, photo, rue, anniversaire
27/11/2012
On n'est pas des bêtes !
Boire sans soif et faire l'amour en tout temps, il n'y a que ça qui nous distingue des autres bêtes.
Beaumarchais
Encore une pizza, Pierre-Augustin ?
Statue de Beaumarchais - Rue Saint-Antoine à Paris
23:36 Publié dans TABLEAUX PARLANT | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : beaumarchais, photo, rue, paris, citation, littérature
16/11/2012
Franchir le seuil
Les obligations sociales des entreprises sont assujetties à des effets de seuil. L'employeur de moins de 10 salariés n'a pas les mêmes obligations que celui qui en compte plus de 50 ou plus de 300 ou plus de 1000 pour ne retenir que les principaux seuils sociaux. Dans le cadre de la négociation sur la sécurisation de l'emploi, les organisations patronales souhaitent réduire les effets liés aux seuils. Elles proposent pour cela de différer l'application des obligations nouvelles et de réduire ces obligations en dessous de certains seuils. C'est reproduire en pire ce que l'on souhaite éviter, car si les obligations sont réduites, elles inciteront d'autant moins à franchir le seuil, serait-ce avec un effet différé.
Il est pourtant vrai que les seuils ont de quoi faire peur, notamment celui de 50 salariés qui est, de loin, celui qui est le plus coûteux pour l’entreprise, dans des proportions qui peuvent s’avérer exorbitantes. Ainsi, le passage à plus de 50 salariés entraîne la mise en place d’un Comité d’entreprise (0,2 % masse salariale pour le fonctionnement, plus temps de réunion, plus temps de délégation, plus le financement des activités sociales…), mais également de la participation obligatoire, soit le reversement d’une partie du résultat aux salariés, la possibilité d’avoir jusqu’à 5 organisations syndicales, la mise en place d’un CHSCT, le recours à un PSE en cas de licenciement économique, etc. A dissuader effectivement le mieux disposé des chefs d’entreprise, et ce qui aboutit à une surreprésentation des entreprises de moins de 50 salariés et au final à priver les salariés de certains droits. Au final, personne n'est véritablement gagnant.
Mais voyons les choses autrement. Plutôt que de remonter les seuils ou différencier encore plus les obligations, ne serait-il pas possible de les lisser en instaurant soit des règles communes à toutes les entreprises (par exemple la participation dès le premier salarié), des instances de représentation simplifiées pour toutes les entreprises et des moyens proportionnels à la taille (par exemple des crédits d’heures augmentant proportionnellement au nombre de salariés plutôt que fixes à partir de seuils…). S'il est effectivement urgent de mettre en chantier la question des seuils sociaux, il est peut être encore plus important de faire simple et intelligent, c’est une tentation à laquelle ni les négociateurs ni le législateur ne devraient normalement résister, même si on constate qu'ils persistent souvent à faire l'inverse.
Et pour tous ceux qui trouveraient ces histoires de seuil un peu arides, vous pouvez avec le week-end qui s'annonce franchir le seuil du jardin avec André Hardellet, la réalité prendra tout de suite une autre dimension.
17:07 Publié dans ACTUALITE DES RESSOURCES HUMAINES, DROIT DU TRAVAIL | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : seuils, flexbilité, social, négociation, emploi, syndicat, jardin, littérature, week-end
11/11/2012
Le temps retrouvé
Les tribunaux français ont toujours validé la règle du "pas pris, perdu" en matière de congés payés. Selon ce principe, une entreprise est autorisée à supprimer les congés payés non utilisés par le salarié à la fin de la période de prise. Encore faut-il que le salarié ait eu la possibilité d'exercer ses demandes et que l'employeur n'y ait pas fait obstacle.
Ce principe français a déjà subi les assauts de la Cour de Justice des Communautés Européennes (CJCE) soucieuse de garantir à chaque travailleur salarié de l'Union les 4 semaines de congés payés que le droit européen considère comme intangibles (voir ici). Sans doute agacée de devoir toujours appliquer avec un temps de retard des jurisprudence européennes garantissant les droits des salariés, la Cour de cassation semble, cette fois-ci, avoir pris les devants. Avec la décision adoptée le 31 octobre dernier, la recherche du temps perdu se transforme un peu plus en temps retrouvé.
La Cour de cassation était saisie d'une demande d'une salarié qui reprochait à son entreprise de n'avoir pu bénéficier de ses congés payés. La société avait obtenu gain de cause devant les prud'hommes au motif que la salarié n'avait pas présenté de demande et qu'elle ne pouvait justifier de refus de la part de l'employeur. La Cour de cassation inverse le jugement : se référant expressément à la directive européenne du 4 novembre 2003, elle considère que l'employeur doit permettre aux salariés de bénéficier effectivement de leurs congés payés et qu'en cas de contestation il lui appartient de démontrer les diligences accomplies en ce sens. Impossible donc de rester passif et d'attendre que s'applique le fameux "pas pris, perdu".
On en prenait lentement mais sûrement le chemin, cet arrêt est une étape de plus : au moins pour ce qui concerne le congé principal (4 semaines), l'employeur a l'obligation d'être pro-actif et de fixer des dates de congés pour le salarié ou de lui rappeler qu'il doit fixer de telles dates. A défaut, il ne sera plus possible de passer un coup d'éponge sur les compteurs. Puisse ce temps retrouvé être favorable aux jeunes filles en fleur. Bon lundi à tous.
22:30 Publié dans DROIT DU TRAVAIL | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : congés payés, droit du travail, droit, jurisprudence, proust, temps, littérature, emploi, travail
27/10/2012
PUB !
Les vacances de la Toussaint sont originellement les "vacances patates", celles que l'on prenait pour ramasser les pommes de terre. Mais savez-vous que la pomme de terre fut ramenée des Andes, où elle était cultivée par les Incas, et introduite en Europe comme un légume exotique qui suscita de prime abord la méfiance. Assimilée aux herbes des sorcières, la pomme de terre fut réhabilitée par Parmentier à qui elle avait sauvé la vie pendant sa captivité en Prusse.
Mais pourquoi s'étendre sur les patates ? ne peut-on s'étendre sur matière plus agréable, comme les participants à ce goûteux déjeuner sur l'herbe ?
Ju Duoqi - Le musée du légume - 20
Si ce blog fait une place aux cucurbitacées, c'est pour célébrer la sortie du dernier livre d'Hélène Mugnier "Quand la nature inspire les peintres". Hélène Mugnier a consacré un précédent ouvrage à l'Art et le Management. Elle anime des formations manageriales dans lesquelles elle fait travailler les participants à partir d'oeuvres d'art. Et elle vous offre à présent un superbe travail sur la représentation de la nature et de ses fruits par les peintres à travers les siècles. Vous cherchez déjà un cadeau pour Noêl ? vous voulez faire plaisir à un gourmand gourmet ? vous souhaitez mieux connaître la jacinthe, l'oeillet, l'asperge, le peuplier ou encore la figue, la cerise, le chardon, le citron ou le mimosa ? plongez vous dans le magnifique ouvrage illustré de plus de 200 tableaux. Pour 35 euros vous ferez mieux qu'un repas, un festin. Et les toulousains (re)découvriront que la violette associe le bleu céleste et aérien (le bleu pastel de Toulouse) et le rouge terrestre et sanguin (celui de la terre argileuse, de la révolte et du vin). Et en plus, Hélène, elle est charmante. Vous hésitez encore ?
00:05 Publié dans FRAGMENTS | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : hélène mugnier, peinture, nature, légumes, fruits, publicité, littérature, beaux livres, noël, cadeau
18/09/2012
Solitude du manager
Je ne me souviens plus pourquoi j'avais été invité à participer à ce comité de direction. Ni de son objet. Je me souviens juste qu'après avoir bouclé l'ordre du jour, la conversation avait porté sur divers sujets, jusqu'à cet échange, dont j'ai gardé un souvenir très précis :
"- il y a quand même une population dont il va falloir s'occuper...
- (silence des autres)....
- ah bon, laquelle ? les seniors, les femmes...
- non, notre middle management. Pour l'encadrement supérieur on a fait ce qu'il fallait. Mais pour l'encadrement intermédiaire, on leur demande beaucoup, de plus en plus, ce sont eux qui font tourner la boutique et on ne peut pas dire qu'ils aient été particulièrement bien traités...
- oui, tu as raison, il va falloir s'en occuper...
- c'est vrai, ça tiendra pas toujours dans ces conditions...
- bon, sur ces bonnes paroles messieurs il est temps d'aller dîner."
Sans grande surprise, de cette population dont il fallait s'occuper, on ne s'occupa guère.
Je rencontre parfois des managers qui n'y vont plus. Ils ont donné, ils sont soit épuisés, soit lassés, soit blasés, soit devenu cyniques, soit désinvestis. Mais je rencontre encore plus souvent des managers qui ont de l'énergie, qui sont prêt à faire face aux conflits d'intérêts, aux conflits de personnes, aux situations inexticables ou même à l'inconnu. Des managers qui veulent bien traverser la jungle avec le pagne pour tout vêtement et un canif pour la survie. Des managers qui aiment ce qu'ils font, qui prennent sur eux-même et qui sont prêt à faire bouger quelques montagnes. Et tout cela bute sur une condition, celle qui est la clé de tout : le fait que le DG, le Codir, sortent de leur logique propre et de leur niveau d'action pour venir appuyer, conforter et soutenir leur encadrement. Des managers qui ont porté si loin la loyauté qu'ils n'en attendent pas moins de leurs dirigegants. Des managers qui font fi des différences de statut et n'aspirent qu'à une reconnaissance de leur action et d'eux-même à travers elle. Des managers très sensibles, sous le détachement feint, aux marques d'attention et de personnalisation. Et des managers qui souvent attendent le geste qui jamais ne viendra, comme ne pas les désavouer lorsqu'ils tiennent des positions de principe, même si du coup le dialogue social à leur niveau s'en trouvera tendu. Mais on est plus souvent paralysé par la peur que par l'ennemi. Et ça, les managers ils ont quand même bien du mal à l'accepter. C'est pourquoi il leur arrive d'éprouver pleinement un lourd sentiment de solitude. Pour l'alléger, ils peuvent, et nous aussi, se plonger dans les aventures du détective gastronome Pépé Carvalho écrites par le catalan Manuel Vasquez Montalban.
00:41 Publié dans ACTUALITE DES RESSOURCES HUMAINES | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : management, manager, vasquez montalban, littérature, formation, encadrement, équipe
22/08/2012
Les photos-pensées
Jamais autant de photos n'ont été prises. Le numérique a fait basculer la photographie dans la démocratisation absolue, puisque photographier ne coûte plus rien une fois l'appareil acquis, et les téléphones portables ont achevé de mettre dans les mains de tout un chacun un appareil photo. Jamais autant de prises de vue et donc de traces, de témoignages, d'images. Quel impact auront ces photos sur les enfants qui pourront, s'ils ne s'en lassent pas, revoir les dizaines de photos de leur première semaine et les milliers de photos de leur première année, pour ne rien dire des autres. Quelle différence entre ces enfants et ceux qui ont revu leur jeunesse à travers une poignée de photos surinterprétées qui comptent moins que les souvenirs ? quel rôle joueront ces prises de vue répétées dans la (re)construction du souvenir ? que dira ce taureau de camargue à son cavalier ?
Dans son très beau livre "La fille aux neuf doigts", Laia Fabregas nous enseigne la méthode, inculquée par des parents autonomistes catalans qui affrontaient le régime franquiste, pour réaliser des photos-pensées. Dans les moments de forte émotion, pour conserver ce ressenti en vous, il est possible de prendre une photo-pensée. Vous commencez par délimiter un cadre, puis vous observez tous ce qui entre dans le cadre et vous le détaillez. Lorsque tout est fixé, vous développez la photo en fermant les yeux et en recomposant minutieusement le cadre et ce qu'il entoure. Ensuite vous pouvez archiver la photo-pensée dans votre mémoire et la reconvoquer à loisir. Le mérite de la photo-pensée est qu'elle vous oblige à observer, ce qui n'est pas vrai par nature avec l'appareil photo. Peut être le taureau et le cavalier auraient-ils mérité une photo-pensée, mais est-il vraiment exclu qu'elle ait été prise ? et qui dit qu'elle ne sera pas transmise avec la photo du téléphone portable ? car le propre des photos-pensées, c'est de vous raconter des histoires.
01:16 Publié dans EN PHOTOS | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : photo, photographie, photo-pensée, laia fabregas, littérature, camargue, taureau
19/08/2012
Appropriation
Contrairement à l'idée reçue selon laquelle le travail serait une valeur, il sera ici soutenu que le travail n'est ni une valeur, ni un bien, ni un mal. Il sera également soutenu qu'il y a des sots métiers, des métiers aliénants et dépersonnalisant ; et qu'évidemment le travail peut être source de tous les plaisirs. A condition toutefois de se l'approprier et de le personnaliser. A chacun de trouver la bonne manière d'y parvenir.
00:27 Publié dans EN PHOTOS | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : photo, photographie, travail, valeur, aliénation, littérature
13/08/2012
Victor Hugo (2)
N'imitez rien, ni personne.
Un lion qui copie un lion devient un singe
Victor Hugo
Le lion amoureux - Jean Barral
21:44 Publié dans FRAGMENTS | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : victor hugo, citation, peinture, art, littérature
12/08/2012
Noir arc-en-ciel
Pour Johnny, pas de doute, noir c'est noir. Ben ouais quoi puisque c'est noir. Invitée par la Maison Victor Hugo à puiser dans les collections du musée, Annie Le Brun nous offre les Arcs-en-ciel du noir, au pluriel car un seul ne suffirait pas à présenter l'infini des nuances du noir dans lequel Victor Hugo a vécu, pensé, dessiné, peint, écrit. Si le noir romantique n'est pas absent, les encres et les écrits de Victor Hugo vont bien au-delà. Comme la lumière décompose la couleur, Annie Le Brun déploie l'éventail des noirs, nuancier sidérant qui saisit le visiteur. A s'approcher ainsi de Victor Hugo, on le découvre sous un jour nouveau, assez loin de l'auteur officiel engoncé dans son siècle, sa barbe et l'institution qu'il est devenue.
Et surtout Victor Hugo apparaît comme l'Encyclopédiste du XIXème siècle ou le savant du Moyen-Age et de l'Antiquité dont le savoir s'étendait sur de vastes disciplines. Pour Hugo, le théâtre, la littérature, la politique, la poésie, le dessin et les superbes encres qui semblent synthétiser le tout. Lorsque l'on embrasse tant, il se peut que certaines étreintes soient de second ordre ; c'est ce qui fera dire à André Breton : "Victor Hugo est surréaliste lorsqu'il n'est pas bête". Le compliment n'aurait peut être pas choqué son destinataire qui savait combien les potentialités inverses habitent l'homme. Pour l'heure, retenons "Nos chimères sont ce qui nous ressemble le plus" ou encore, plus approprié à la semaine qui s'ouvre "La pensée est le labeur de l'intelligence, la rêverie en est la volupté".
Cette semaine est la dernière pour aller voir le noir de plus près, clôture le 19 août.
23:54 Publié dans CHRONIQUE DE WEEK-END | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : victor hugo, littérature, arc-en-ciel, poésie, exposition, rêverie, volupté
08/08/2012
Empathie
Dans les romans de Philip K. Dick, le blade runner distingue les humains des androïdes par leur capacité d'empathie. La capacité à comprendre les émotions ou états mentaux d'autrui, sans pour autant les partager, serait donc un des propres de l'homme. Rien d'étonnant si l'on se souvient que le terme d'empathie a initialement été utilisé en esthétique pour définir la relation que l'on entretient avec une oeuvre d'art pour accéder à son sens. Pour ma part, j'ai toujours considéré, qu'en peinture comme en littérature, il était impossible d'accéder à la volonté de l'auteur, à supposer d'ailleurs que lui-même ait conscience d'une telle volonté. Jugez pourtant des efforts d'empathie pour apprécier cette peinture de Gerhardt Richter, actuellement exposée à Beaucourg.
L'empathie a quitté le monde de l'art pour intégrer celui du commerce et du management. Pas un référentiel de compétences de vendeur ou de manager dans lequel ne figure le fameux "Etre empathique". Mais ici, comprendre les émotions ou comportements d'autrui ne vise qu'à mieux identifier les leviers de manipulation, pardon, de management.
Et nous vérifions une fois de plus que ce n'est guère la compétence qui donne le sens, mais l'usage que l'on en fait.
23:30 Publié dans FRAGMENTS | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : richter, esthétique, art, peinture, littérature, empathie, management, beaubourg
07/08/2012
Welcome in Vienna (3)
Comme le chantait Bijou dans les années 80, à la guerre il y a parfois des vainqueurs mais jamais de gagnant. Les après guerre ont souvent un goût amer. Pour tout le monde. Lorsqu'il y a eu occupation, comme ce fut le cas en Autriche même si elle fût largement consentie, le noir et blanc devient l'exception. Le gris devient la norme : entre ceux qui tardent à choisir leur camp, ceux qui ne choisiront jamais, ceux qui changent de camp, dans le bon ou le mauvais sens, les trajectoires se croisent et finissent par rendre illisible le monde gris dans lequel certains pensaient se battre pour le bien et contre le mal.
Comme en France, les américains enrôlèrent très rapidement d'anciens nazis pour entamer la nouvelle guerre qui se préparait et durerait plus de quarante ans. La guerre froide a débuté bien avant le 8 mai 1945. Et les recyclages furent aussi rapides que les exécutions qui donnent l'impression d'avoir soldé des comptes qui seront en fait bien difficile à clôturer. Que reste-t-il à Freddy dans ce champ de ruines sur lequel même l'amour a du mal à trouver sa place ? qu'espérer rebâtir sur un tel carnage ? la fragilité du monde, et plus encore de sa beauté, n'est plus à démontrer. Les russes, la realpolitik, les pogroms qui reprennent dans les villages où l'on ne souhaitait pas voir revenir ceux qui pourraient rappeler un passé que l'on veut oublier ou tout simplément à qui on ne souhaitait guère remettre ce qu'ils avaient abandonné. Pour beaucoup, le monde est devenu incompréhensible.
Toyen - L'heure dangereuse - 1942
Vivre bien sur, pour les mêmes raisons que celles pour lesquelles on a combattu, mais avec en soi un sentiment de défaite que rien ne pourra effacer. L'écriture ou la vie écrira Jorge Semprun qui n'oubliera pas de vivre. Primo Levi y parviendra longtemps et puis plus. L'enfer c'est là où il n'y a pas de pourquoi. La force de Welcome in Vienna est de montrer à quel point, en Europe, le pourquoi a disparu pendant de longues années.
Note: le coffret DVD avec les trois parties sera mis en vente le 5 septembre prochain.
00:15 Publié dans CHRONIQUE DE WEEK-END | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : welcome in vienna, cinéma, guerre, peinture, toyen, littérature, semprun, primo lévi, retour
06/08/2012
Welcome in Vienna (2)
Pendant que l'Europe se suicide, comme Stefan Sweig et Walter Benjamin, les bateaux de migrants accostent devant la statue de la Liberté à New-York. Frerry, le protagoniste principal de la première partie, perd la vie en tentant de porter secours à une rescapée de Berger-Belsen qui, muette, se noyait sans que quiconque ne lui vienne en aide. C'est que lorsqu'on a vu le diable, tout comme Moïse après avoir vu Dieu sur le Mont Sinaï, on ne peut plus parler.
Dès lors nous suivons Freddy, juif viennois lui aussi, qui débarque sur ce qui n'est guère une terre promise mais un lieu d'exil et de passage. Pour la plupart des migrants, ce sera Ellis Island, la quarantaine, l'accueil suspicieux et la difficile immersion dans le nouveau monde. Pour le migrant, tout est à rebâtir et les repères anciens constituent des handicaps plus que des points d'appuis. Dans un monde différent, avec un statut différent et des codes inconnus, ce que l'on était n'est qu'un fardeau dont il faut se défaire pour pouvoir être de nouveau.
Si vous n'avez pas vu le film, procurez-vous le livre d'Alain Garrigue "Le Cirque de Dieu" où les humains, comme les plantes, reçoivent leur part d'eau et de fumier pour grandir. Vous y verrez New-York, les juifs errants, la vie et la survie et le golem qui certains jours revêt le visage du destin. Vous y verrez aussi, utile contribution au débat actuel sur les conditions de naturalisation, des juifs allemands qui récitent Walt Whitman et sont traités comme des métèques pouilleux par les américains.
Et pour savoir ce qui s'est achevé là, ce qui s'est perdu à jamais, il suffit de lire "Le monde d'hier, souvenir d'un européen" de Stefan Sweig. On y côtoie les derniers représentants de cette mittleuropa qui fut liquidée par le terreau dans lequel elle avait grandi. L'eau et le fumier. Demain troisième partie.
Ah qui apaisera ces enfants fébriles ?
Qui justifiera ces explorations sans repos ?
Qui dira le secret de la terre impassible ?
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04/08/2012
Ce jour-là, cette année-là
Il y a tout juste cinquante ans, le 4 août était un samedi. Ce jour-là Norma Jeane Baker cessa d'être et Marilyn Monroe disparut avec elle. Restent les films, les photos, les écrits, les dessins, les témoignages et tout un fatras. Reste cette photo.
Si vous pensez qu'il est impossible de s'installer sur une planche étroite pour lire Ulysse de Joyce et que tout cela sent le posé, vous pouvez revoir Les hommes préfèrent les blondes, vous ne serez pas déçu. Vous pouvez aussi imaginer qu'elle vient de lire ceci :
"Il est peut-être moins douloureux d'être tiré du ventre maternel que d'être tiré d'un rêve. Tout objet considéré avec intensité est une porte d'accès possible à l'incorruptible éon des dieux."
Et que le désir de ne pas quitter le rêve fût peut être plus fort que tout autre le 4 août 1962. Le lendemain matin, et les autres jours, personne ne l'a tirée du rêve.
00:20 Publié dans CHRONIQUE DE WEEK-END | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : marilyn monroe, littérature, cinéma, ulysse, joyce, 1962
02/08/2012
Voler, atterrir
Toujours aussi beau les avions d'American Airlines, des cylindres d'argent que le soleil arrose comme dirait Nougaro qui aurait noté que les couleurs de Chicago sont le rouge et le noir.
Pour cet été partagé entre le Pays Basque et les bord du Lac Michigan, l'ouvrage de Kirmen Uribe paraissait s'imposer. Il accompagna le passage du jour à la nuit. Des ports de la Biscaye aux rues de New-york, le voyage d'un fils qui voudrait se mettre dans les pas de son père. Si le livre contient de belles pages sur les pêcheurs basques qui partent pêcher au large de l'Irlande, jusqu'au Nord de l'Ecosse, le parallèle avec le voyage en avion de l'auteur est pauvre et manque de saveur.
Kirmen Uribe n'a manifestement pas trouvé la manière de construire le récit de l'histoire familiale et la structuration de la narration autour d'un vol Bilbao-NewYork est trop artificielle pour tenir le choc face aux marins. Cela permit de se souvenir qu'il est un autre espagnol,Antonio Altarriba, qui a trouvé lui l'art de voler et de conter l'histoire de son père et à travers lui à la fois celle de l'Espagne et celle de ces moments où il faut faire des choix qui engagent définitivement et font que la vie prend une orientation et des chemins inattendus et, forcément, sans retour.
Heureusement, pour repasser du jour à la nuit, avant d'atterrir, il y eût Laia Fabregas, qui prend elle des avions entre la Catalogne et les Pays-Bas. Et c'est dans un avion que débute Atterrir, lorsque s'entremêlent les destins d'une jeune hollandaise qui a fait l'expérience de la rencontre d'un ange et ne parvient à s'en détacher, et d'un vieil andalou qui émigra longtemps auparavant aux Pays-Bas où il fit lui aussi l'expérience de la rencontre de la grâce.
De ce livre là on ne sort pas vraiment, même après avoir atterri.
23:40 Publié dans CHRONIQUE DE WEEK-END | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : uribe, fabregas, altarribe, littérature, voyage, etats-unis, espagne, pays-bas, art
30/07/2012
1 + 1 = 3
Dans une de ces banlieues américaines où les maisons s'alignent à l'identique, avec des drapeaux américains aux fenêtres, des pelouses tondues à l'anglaise, de larges allées, des arbres, des parcs, des églises, quelques magasins, un découpage de l'espace à la règle et à l'équerre, dans cette banlieue de Chicago qui s'appelle Oak Park, se trouve la maison natale d'Ernest Hemingway. Il y passa les premières années de sa vie avant d'emménager dans une maison plus vaste, mieux adaptée à la fratrie de 6 enfants. Ce n'est pas la maison dans laquelle Hemingway vécut jeune qui a été préservée, mais celle dans laquelle il naquit. Peut être parce que, comme il l'écrivit : "Nous naissons avec tout notre avoir et nous ne changeons jamais. Nous n'acquérons jamais rien de nouveau. Nous sommes complets dès le début".
Pourquoi Ernest Hemingway, fils de docteur et de musicienne, membres de la communauté conservatrice d'Oak Park, pourquoi donc est-il devenu Ernest Hemingway ? après 18 années passées dans cette banlieue chic et résidentielle, pourquoi les voyages, les guerres, l'alcool, la littérature, les femmes ? éternelle question : pourquoi devient-on ce que l'on est ? Pourquoi par exemple, Frank Lloyd Wright, considéré par ses pairs comme le plus grand architecte américain du 20ème siècle et dont la maison-atelier jouxte quasiment celle d'Hemingway, a-t-il développé à ce point l'architecture horizontale, dans une ville toute verticale. L'amour du lac Michigan ? ou des prairies qui donnèrent leur nom à son style d'architecture ?
Pour la guide qui assure la visite de la maison d'Hemingway, le jeune homme ne peut être ce qu'il est devenu qu'en s'inscrivant dans une filiation. De son père scientifique et amoureux de la nature il tient sa rigueur, son sens de l'observation et son goût de la pêche, et de sa mère artiste le talent littéraire. Mais tout ceci est un peu court car des jeunes hommes de bonne famille aux parents dotés de talents complémentaires il y en eût des milliers, et à toutes époques, et un seul Ernest Hemingway. Car ce souci biographique de déduire le présent du passé n'est que l'application du principe mathématique selon lequel 1+1 = 2. Or en matière de filiation, 1+1 = 3, et le passage du 2 au 3 demeure un mystère qui permet à tout être, serait-il complet lors de sa naissance, de tracer son propre chemin.
05:25 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, hemingway, architecture, frank lloyd wright, oak park, chicago
19/07/2012
Lire
A San Sebastian, pardon à Donostia, une affiche sur les murs de la mairie proclame : "La culture rend libre", que l'on peut entendre en espagnol comme la culture rend livre ou ivre, ce qui n'est jamais exclu.
On ne s'étonnera donc pas de surprendre une lectrice dans un salon d'herbe, près de l'abat-jour au coeur des rues de Bilbao.
Pour Victor Hugo, lire c'est voyager, voyager c'est lire. On pense à Gérard de Nerval arrivant à Alexandrie, qui s'enferme dans un hôtel et se met à lire sans sortir car le véritable Orient est dans les livres. Vous pouvez choisir vos livres, comme vous choisissez vos amis. A la première page s'ouvre le dialogue entre l'auteur et vous. Vous ne saurez jamais ce qu'il a écrit (le sait-il ?), mais vous pouvez savoir ce que vous êtes en train de lire. Sortez votre chaise, installez vous, c'est parti !
09:16 Publié dans CHRONIQUE DE WEEK-END | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : bilbao, espagne, lire, livre, littérature, culture