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25/08/2014

66 fois à l'Ouest

 Alors, à l"Ouest, c'était comment ?

 

C'était 5 000 kms de grands espaces (moins 100 kms de merde dans le parc  Yosémite, qui ressemblaient à des routes des Alpes)

C'était 5 000 fois : "Putain, c'est grandiose"

C'était 5 000 arrêts pour prendre une photo

C'était 5 000 arrêts pour "Have a breath"

C'était 5 000 titres sur la playlist,

C'était la voix d'Amy Winehouse dans la Death Valley

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C'était la forêt de Brocéliande redécouverte dans la Giants Forest du Sequoia Park

C'était la Jellies experience

C'était les petits déjeuners chez les homos de Castro

C'était Skate qui chantait des chansons d"amour dans la maison bleue de San Francisco

C'était le tipi de Mario, l"aventurier solitaire, au bord du freeway

C'était  les bagnoles de flic sirènes hurlantes sur le sable de Venice Beach

C'était le coyote surgit de nulle part sur la Badwater road

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C'était 590 dollars la consultation à l"hôpital avec 15 % de réduction si vous payez tout de suite

C'était Led Zeppelin en concert lors du celebration day (on TV !) un soir à Fresno

C'était l'Irlande et l'Ecosse retrouvées un matin à Pacific Grove

C'était 5 000 fois  "Hello, how are you today ?", "Fine and you ?" et 5 000 réponses différentes

C'était du business à tous les coins de rue, et dans les villes carrées découpées en blocs, il y a un paquet de coins de rue

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C'était ce jeune réceptionniste qui avait le même sourire à l"hôtel et à la caisse du supermarché où il travaillait aussi

C'était Bashung, Blondie, Springsteen, Bowie, Franck Zappa, The Clash, Lavilliers, The Pretenders, Moon Martin all along the road

C'était la bibliothèque d'Henry Miller dont on solde les derniers titres à Big Sur, ce dont il se foutrait  éperdument (mais il serait bien content de voir de jeunes curieuses girondes continuer à venir rôder par ici)

C'était l'Attorney de Ferguson qui compte les arrestations de manifestants en différenciant les blancs et les noirs

C'était l'envie de sortir de la route 66 pour prendre des chemins de traverse, et les prendre effectivement

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C'était 2001 Odyssée de l'espace à fonds dans le casque en déboulant en hélicoptère au dessus du Grand Canyon

C'était la voix d"Agnès Jaoui et les guitares flamencas dans ces coins où tous les noms sont espagnols

C'était le soufflé aux artichauts de Gloria la philippine qui avait épousé Bill le pétrolier

C'était les Pick-up rouges

 C'était les photos de camions : camion-citerne, camion-bois, camion-benne, camion-remorque, camion-palette, camion-camion (et le triple camion-camions !), camion-nacelle, camion-pelle, camion-toupie, camion-grue, camion-voitures, camion-bétaillère, camion-pompier, camion-donald duck, camion-balayeuse, camion-pompe, camion-ciment, camion-travaux et le sublime camion-cochon, envoyées  par mail chaque jour au petit bonhomme de 3 ans

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C'était la génération 68 regroupée sur des bateaux-maisons à Sausalito

C'était la pluie qui nous accueille dans le désert le plus chaud du monde

C'était les caddies, les sacs et les kilos de crasse accumulés par des homeless hagards

C'était des vins dégueulasses dégustés comme des grands crus à la Napa Valley

C'était les vibrations de la toile de Rothko au Lacma, et aussi Tanguy, De Kooning et les 13 Picasso

C'était le guide Navajo qui draguait deux jeunes filles dans l'Antelope Canyon, et il avait bien raison car une des deux était sacrément  jolie (je n'ai jamais su qui était la plus valorisée des filles dans un duo moche/jolie)

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C'était l'édition originale américaine du Surréalisme et la peinture d"André Breton publiée par Brentano en 1945 à New-York et dénichée chez un bouquiniste de Berkeley

C'était la mer grise, la lumière jaune qui troue et illumine la brume, les sirènes des bateaux et l"infini pacifique à Point Lobos

C’était le pompiste qui regardait avec jubilation le bombardement de Gaza sur une chaîne israëlienne, vissé à sa caisse, en me disant qu’il fallait faire souvent tac-tac si l’on voulait qu’une femme soit heureuse, et que lui c’était trois fois par jour

C'était les invraisemblables roches colorées de red moutains, comme chez le marchand de couleurs

C'était le plaisir de toucher les contemporains d'Héraclite, je veux parler des Sequoias géants

C'était les villes qui ressemblaient à des banlieues de villes américaines

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C’était les récits hallucinés de Dan Fante et de Joan Diddion, sauf que ce n’était pas des hallucinations

C'était "Je ne pense pas, je suis trop extrême"

C'était le dollar gagné à Las Vegas (45 joués)

C'était les taureaux noirs, comme en camargue

C'était la Pacific One qui ne s'est jamais appelée comme ça

C'était tous ces gens qui se foutent du mauvais goût dès lors qu’ils peuvent sortir de l"ordinaire

C'était la lecture du livre du temps, en regardant les rocs qui entourent le lac Powell

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C'était Kelly Risk, nouvellement promue Ranger qui voulait la jouer sympa mais demandait à être appelée Ranger Risk

C'était les bouquinistes de bord de route, dans des maisons de bois,  chez lesquels je trouvai des livres sur les outsiders de l"art

C'était un parfum des années 70 qui était peut être dans ma tête, mais qui est peut être aussi dans l"Ouest

C'était los murales de Mission dont les couleurs défient le brouillard frisquet de Frisco et l'espagnol à tous les coins de rue

C'était les innombrables singularités qui ridiculisent les généralités (sauf celle-ci)

C'était les drags queens du Cirque du Soleil

C'était l'entertainment partout où on voulait, mais on voulait pas tellement

C'était cette ville fantôme où les fantômes vendaient des T-shirts, des magnets et des cartes postales

C'était l'odeur des pins et des eucalyptus qui portait le désir de marcher sans fin, et nous marchions

C'était l'impression d"être chez un avocat ou un notaire alors que nous étions à l'hôpital ou dans une pharmacie

C'était les miles trains, plus longs que l"horizon mais moins rapides que nous

C'était le pacifique qui passait de tous les gris à tous les bleus, l'arizona qui passait de tous les rouges à tous les jaunes

C'était du kodachrome et du technicolor

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C'était pas du Ronsard, c'était de l"Amerloque

C'était quand les distances ne comptaient pas

C'était des nuits de grands espaces

C'était à l'Ouest

C'est l'infini plaisir d'avoir partagé tout cela

et c'est l'envie de recommencer

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05/08/2014

Pacific one

Ce n'est pas son nom, mais cela devrait. La route qui relie San Francisco à Los Angeles longe indéfiniment le froid Pacifique qui envoie ses brumes rafraîchir la côte, qui prend parfois des allures d'Ecosse ou de Bretagne, face à la mer grise. Les photographes sont souvent fascinés par le gris, comme les peintres. 

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Et le vent vient de loin, des terres d'Asie ou peut être des steppes de Mongolie, où il a déjà fait disparaître les arbres. 

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Et soudain tout s'éclaire, passée la baie de Monterrey, le vent s'est imposé à la brume pour colorer l'eau pacifique. 

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A travers les montagnes russes des collines de Big Sur, ce sont des cartes postales du temps d'avant qui ressurgissent. 

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Et inévitablement Henry Miller s'invite au voyage, comme il savait s'inviter pour bouffer un peu certains jours. Dans ces montagnes rudes, Miller vécut dans des cabanes sans confort, partît se ravitailler comme on part en expédition et fit plus tard disperser ses cendres, auxquelles il n'attachait pas plus d'importance que nous n'en accordons à chacun des atomes qui nous constitue. 

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Sitôt redescendu de Big Sur, voici les éléphants de mer, grands balourds anéantis par les efforts que leur demande tout déplacement terrestre. Tels des naufragés qui savoureraient leur bonheur sans avoir la force de l'apprécier totalement, ils s'alignent sur la plage et se laissent aller à l'abandon le plus total, sauf les deux imbéciles qui jouent au mâle dominant. 

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Le temps de regarder philosopher les éléphants, et hop, la nuit surgit sur la plage de Santa Barbara qui prend des allures de Sunset Boulevard. 

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En vue de Los Angeles, s'ouvrent les plages de Malibu et ses villas sur pilotis qui défient le prochain tsunami. Car le big one ne sera pas véritablement un pacifique one. 

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19/01/2014

Il est de l'essence des symboles...

...d'être symboliques. Cette phrase de Rrose Selavy, alias Marcel Duchamp, nous rappelle que les choses échappent difficilement à leur nature. S'agissant des humains, et non des choses, le formateur répugne évidemment à considérer qu'il existerait une nature une et indivisible et penche plus facilement pour une culture et des interactions environnementales qui viennent modeler des dispositions. Et si l'on veut à tout prix que l'homme ait une nature, sans doute faut-il s'en tenir au fait qu'apprendre est le propre de l'homme, son activité incessante, celle qui le place en perpétuelle évolution. Les juges, qui aiment par nature que les choses soient dans l'ordre, n'ont pas manqué de reformuler l'adage de Rrose Sélavy dans une affaire relative à la durée du travail, pour eux il est dans la nature d'un dirigeant de diriger. 

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Pourtant, la Cour d'appel pouvait penser avoir correctement travaillé. Pour savoir si un salarié était bien cadre dirigeant au regard de la durée du travail, elle avait appliqué les trois critères légaux : un niveau de responsabilité élevé, une grande liberté d'organisation et un salaire parmi les plus importants. Insuffisant pour la Cour de cassation. Avant toute chose, un dirigeant doit diriger et si, malgré d'importantes responsabilités, il ne participe pas à la direction de l'entreprise, il ne peut recevoir qualité de cadre dirigeant. Et c'est ainsi, comme dirait Alexandre Vialatte, qu'Allah est grand. 

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02/01/2014

Un bleu qui pétille

On peut être face à la méditerranée et se souvenir de ce poème de Cendrars :

L'Océan est d'un bleu noir le ciel bleu est pâle à côté

La mer se renfle tout autour de l'horizon

On dirait que l'Atlantique va déborder sur le ciel

Tout autour du paquebot c'est une cuve d'outremer pur

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Il suffit de se mettre en situation, et même les tableaux de Nicolas de Staël se présentent au sein du grand bleu.

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A partir de là, on sait que tout ba bien, le rêve a repris sa place, le corps est sorti du trou, ça pétille de nouveau, c'est la nouvelle année !

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31/12/2013

Prendre son temple

Le temps a beau se prêter aux équations les plus complexes, il n'en est pas moins relatif. On peut l'étirer comme un caoutchouc tendre, le comprimer comme un trop plein d'air, le dilater comme des papilles pour mieux le goûter. Pour cela, quoi de mieux qu'une petite prise de recul à côté de pierres qui ont 25 siècles et continuent à profiter de l'art des romains pour choisir les sites de leurs cités. Pas de manière absurde et orgueilleuse, le point le plus haut, pas le plus escarpé, mais le plus ouvert, celui qui embrasse le mieux les alentours, souvent tapissés de vignes afin que le plaisir soit complet.

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Le théâtre de Ségeste fait exception : situé au sommet d'une colline, il embrasse la vallée, les montagnes et le golfe qui lui ouvre la vue. Là, dos au vide, les acteurs jouent dans un panthéisme d'évidence. Et, génie de l'architecture, lorsque l'on est au centre exact de la scène, la voix porte en tous points du théâtre avec une puissance décuplée. L'amplification naturelle avant les machines électroniques. Et la confirmation que la plus belle esthétique est toujours la plus efficace.

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Le temps d'un lent parcours tortueux au coeur de la Sicile de cinéma (Corleone, Prizzi), pour constater à nouveau que tant de douceur au Sud peut abriter tant de violence (révolue manifestement puisque le village de Corleone vous accueille avec ce panneau officiel : Corleone, capitale mondiale de la légalité, ce qui laisse tout de même rêveur, à tout point de vue), et voici Agrigente.

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On hésite, devant le temple de la Concorde, entre un tableau de Chirico et l'affiche du film de Wenders les Ailes du désir. Et finalement, devant le beau visage de l'ange aux yeux fermés, on opte pour Antoine Blondin : l'homme descend bien du songe.

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Posés sur de petites collines qui s'ouvrent sur la mer et que surplombent les montagnes, les temples prennent leur temps. Ils ont tout le temps. Et comme au cinéma, l'écran s'éclaire quelques instants pour que l'histoire puisse avoir lieu, peut être indéfiniment. 

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08/11/2013

Un ange passe

Lorsque la lumière décline peu à peu, que le vert d'eau de la lagune se confond avec les suaves nuages qui enveloppent le ciel, que les passants passent sans que leurs pas ne marquent le temps, que les canaux font silence au défilé des barques, dans ce temps retrouvé d'on ne sait quand, un ange passe.

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Un proverbe québecois dit que lorsqu'on rêve d'un ange, on voit ses ailes. Au détour d'un pont, les anges modernes de la réclame, messagers de la 4G, valident la proposition.

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Mais il en va des anges comme des hommes, innombrables et tous différents. Laissons à leur commerce ces anges modernes et retournons aux anges anciens, messagers de l'amour et de la révélation.

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Diable, que voilà un langage direct, décidément, à qui se fier. A Melville peut être : "Si tu gouvernes le requin en toi, tu seras un ange ; car les anges ce n'est rien de plus que des requins bien gouvernés". Amis anges et requins, bonne fin de semaine.

06/11/2013

L'eau, le feu

Connaissez-vous, Perdita, demanda soudain Stelio, connaissez-vous au monde un autre lieu qui, autant que Venise, possède, à certaines heures, la vertu de stimuler l’énergie de la vie humaine par l’exaltation de tous les désirs jusqu’à la fièvre ? Connaissez-vous une plus redoutable tentatrice?

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Celle qu’il appelait Perdita, le visage penché comme pour se recueillir, ne fit aucune réponse ; mais elle sentit passer dans tous ses nerfs l’indéfinissable frisson que lui donnait la voix de son jeune ami, quand cette voix devenait révélatrice d’une âme véhémente et passionnée vers qui elle était attirée par un amour et une terreur sans limites.

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— La paix, l’oubli ! Est-ce que vous les retrouvez là-bas, au fond de votre canal désert, lorsque vous rentrez épuisée et brûlante pour avoir respiré l’haleine des foules qu’un de vos gestes rend frénétiques ? Moi, lorsque je vogue sur cette eau morte, je sens ma vie se multiplier avec une rapidité vertigineuse ; et, à certaines heures, il me semble que mes pensées s’enflamment comme à l’approche du délire.

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— La force et la flamme sont en vous, Stelio ! — dit la Foscarina, presque humblement, sans relever les yeux.

Gabriele d'Annunzio - Le Feu - 1900

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25/08/2013

Bourlinguer

Bourlinguer pour un marin, c'est avancer contre le vent. Pour un Occitan, cela renvoie à bouléguer. Alain Garrigue il boulègue ses peintures avant de les mettre sur la toile avec tout un tas de boulégadors improbables : morceaux de bois, pinceaux dépoilés, bouts de ferrailles, cartons pliés, doigts tendus quand c'est tout ce qui lui tombe sous la main. Bref, il s'agit de se bouger, de ne pas attendre les vents portant, de faire avec que que l'on a et trouver son miel partout.

Bourlinguer c'est aussi le titre d'un livre de Blaise Cendrars organisé en chapitres qui portent des noms de villes, et dans lesquels il est parfois fait état de la ville en question.

Bourlinguer, c'est aussi un photoblog qui fera le tour des villes, et quelques autres tours, au rythme d'une photo par jour. En route !

 

http://bourlinguer.hautetfort.com/

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19/08/2013

La rosée

En 1931, Sartre a 26 ans. Jeune professeur, il demande à être nommé au Japon. Il obtiendra un poste au Havre et n'aura l'occasion que bien plus tard de faire un court séjour au Japon. Pourtant, il exercera une influence considérable dans l'archipel, peut être parce que si le Japon l'intéressait, d'où sa demande, ce n'était pas par hasard. Sartre a théorisé la contingence, loin de l'idée du philosophe qui professe des idées abstraites, la contingence c'est la vie dans l'ici et maintenant. C'est d'ailleurs un plaisir de lire les "Situations" chroniques d'actualité qui pensent le réel et font la synthèse entre l'histoire, la vie sociale, la pensée et la politique. Et  proclamer, dans un pays qui adore la rationalité et abhorre  la contradiction, qu'il faut "penser contre soi même", c'est déjà être un peu japonais.

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Si l'on avait le goût de l'uchronie, ces romans qui réécrivent le présent en modifiant un évènement du passé, on pourrait imaginer que, dans un moment d'égarement, l'administration ait accédé à la demande de Sartre et l'ait envoyé au Japon. Confronté à une société qui n'est pas celle d'aujourd'hui (nationalisme et militarisme sont les deux mamelles du Japon d'avant-guerre, bien loin du pays tourné vers l'Occident, la démocratie et le pacifisme de l'après-guerre), que serait devenue la pensée Sartrienne ? aurait-elle épousé la forme des rochers, des forêts, des jardins, aurait-elle plus rapidement éprouvé la dialectique pour rechercher dans la synthèse une forme d'harmonie, aurait-elle fait plus rapidement place au collectif et au "je" social japonais qui tranche avec le "je" très individuel occidental ? le garçon de café qui joue au garçon de café n'aurait-il pas été mieux à sa place au Japon où l'on a l'impression que personne ne construit un mur mais que tout le monde bâtit une cathédrale ? Et qu'aurait été  Roquentin après un séjour japonais ? peut être pas le personnage de la Nausée, mais celui d'un roman qui aurait expliqué comment l'individu peut s'intégrer à la nature pour mieux exister individuellement ; autrement dit le héros d'un roman panthéiste qui se serait appelé non pas La nausée mais La rosée.

16/08/2013

Impermanences

Impressions fugaces à effet durable :

 

Marcher la nuit dans Harajuku ;

Le port de Nagasaki et ses parfums de comptoir colonial ;

Les Gozaimaaaaaassss lancés à toute occasion et chantés par les voix haut perchés des japonaises ;

Les toris vermillons des temples shintoistes et de la colline des toris à Kyoto ;

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L’envie de prendre tous les trains et d’attendre dans toutes les gares ;

La facilité avec laquelle, comme partout, on peut se retrouver seuls ;

Les regards vifs, rapides, qui vous détaillent façon puzzle en prenant soin de ne pas vous regarder ;

Le moine qui nous fit sonner cinq fois  la cloche du temple pour tout le quartier, un soir à Nagasaki ;

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L’attention permanente et souriante portée à l’autre ;

L’art de la synthèse ;

La beauté des enfants dans un pays où la natalité décline dramatiquement ;

La présence de la montagne et la culture terrienne dans cet archipel qui donna si peu de marins ;

La cloche d’Hiroshima le 6 août à 8h15 ;

L’action-pensée et la pensée-action ;

Les wagons du métro réservés aux femmes à Osaka, pour éviter les tripotages compulsifs ;

Le vieux monsieur qui tient restaurant dans sa cuisine à côté du  temple Daitoku-ji à Kyoto ;

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L’eau qui coule ;

La présence animale, en tout lieu, à toute heure ;

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Les rues de Shinsekai, un dimanche de canicule ;

Les mille et un kilomètres de galeries marchandes couvertes (bazar, luxe, restaurants, étalages, viande, poisson, dégustations, magasins à 100 yens, boutiques à touristes, karaokés, fripes, solderies et tout le reste, et tout le reste) ;

Le romanesque des love-hôtels, qui ont souvent des noms français, dont le très bel hôtel La cachette à Tokyo ;

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La commodité de régler sa montre sur le passage des trains ;

La curiosité et l’attention des visiteurs de l’exposition Francis Bacon au Musée municipal de Toyota et particulièrement le regard du paraplégique devant les corps tordus ;

La capacité de la végétation à imaginer de nouvelles nuances de vert ;

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La lecture magnétique de Pickpocket de Funimori Nakamura ;

Les corps courbés sur les téléphones portables ;

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Les trois générations de japonais engrangeant de petites billes argentées dans le vacarme des pachinkos ;

Les invraisemblables enchevêtrements de fils électriques qui, paraît-il, ne peuvent être enterrés à cause des séismes. En réalité, orgueil de montrer que tout ce bordel fonctionne parfaitement ;

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Les démarches chaotiques, en forme de vol de papillon, les pieds en dedans des jeunes filles kawais, le peu de sourires sur les visages des salary men ;

La vieille dame qui riait en nous donnant des poignées de bonbons sur la Yamanote Line ;

Les hôtels Rose Lips et Rose Garden ;

La similitude des corps, la diversité des visages ;

Le shinkansen qui raccourcit les distances, mais aussi le temps. Puisse-t-il raccourcir celui du retour au Japon.

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14/08/2013

Beauté du contresens

La formule est empruntée au titre d’un livre de Philippe Forest, lui-même inspiré par Marcel Proust qui écrivait : «Les beaux livres sont écrits dans une sorte de langue étrangère. Sous chaque mot chacun de nous met son sens ou du moins son image qui est souvent un contresens. Mais dans les beaux livres, tous les contresens qu'on fait sont beaux.».

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Ce qui est vrai pour la littérature ne l’est pas moins pour les pays étrangers. Le plus souvent, nous ne voyons que l’écume, et lorsque nous avons le sentiment d’aller au-delà, notre regard est tellement d’ailleurs qu’il ne peut que voir différemment de celui qui vit dans ce pays et en maîtrise la culture, les codes, l’histoire, les références, la symbolique.

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A ce titre, rien de plus agaçant que les phrases qui commencent par : « Les japonais sont… ». Les japonais n’existent pas plus que les français, les grecs, les polynésiens ou les moldaves. Il y a des japonais, 127 millions exactement et une diversité infinie d’individus qui pourraient tous constituer un contre-exemple de certains de leurs concitoyens.

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La généralisation est, comme toujours, une réduction paresseuse, loin de la synthèse subtile que l’on peut souvent observer de ce côté ci de la terre.

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Voilà pourquoi, il n’y a pas de voyage, il n’y a que des voyageurs.

01/08/2013

Ne pas oublier d'oublier

Au détour d'un corridor, d'un tatami, d'une porte coulissante, d'un bosquet, d'un chemin que les arbres, mousses et rochers accueillent, la surprise vous guette. Car si les temples japonais sont lieux de méditation, ils sont également conçus pour dérégler vos repères, perturber vos habitudes et au sens premier de l'expression, vous faire perdre la raison. Car il faut se perdre, mais se perdre vraiment pour se retrouver.

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Comme partout ici, c'est le dialogue entre les éléments qui importe, plus que les parties ou le tout. Ainsi, devant le Pavillon d'or on repense à Mishima pour qui le temple puise sa force dans la sensualité de l'étang. Comment dire plus simplement que l'individu est indétachable de l'environnement dans lequel il vit ?

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Ce matin je lisais Christian Garcin à propos du jardin zen de Ryôan-ji : dans ce jardin 15 rocs, mais où que l'on soit assis, on ne peut jamais en voir que 14. Garcin racontait le sentiment de honte qu'il éprouvât à se mettre sur la pointe des pieds, en bout de jardin, pour apercevoir les 15 : "...honte de m'être conduit comme un Occidental sceptique et raisonneur, un petit malin qui veut à toute force démontrer qu'il peut avoir raison face à une règle ancienne, traditionnelle, établie". Il est vrai que pour prendre plaisir à la règle, il faut mettre son ego dans sa poche, et pour apprécier les jardins zen aussi.

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Plus que l'ego d'ailleurs, ce sont les trois humiliations de Freud qu'il nous faut oublier avant de plonger dans les jardins zen : l'homme n'est pas le centre de l'univers, l'homme est un animal et sa volonté est incapable de gouverner chacun de ses actes. Une fois dépassé tout ça, cela va tout de suite mieux.

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17/05/2013

De la main

De tradition et par nature, l'Etat en France, a rarement la main amie, au sens où l'amitié établit de fait une égalité entre ceux qui se l'accordent  mutuellement. L'Etat, autrement dit ceux qui agissent en son nom, a toujours conservé, nonobstant la République, une main royale qui peut à l'occasion être une main bienveillante, mais qui n'est jamais une main amie car elle se refuse à connaître l'égalité. L'Etat, comme le Roi, se pense et se veut d'une nature unique et primordiale.

Il ne fait pas de doute que la Conférence sociale qui se tiendra les 20 et 21 juin est une main tendue aux partenaires sociaux. Certains esprits critiques croient y reconnaître la main du noyé sous le poids du chômage qui guette la corde que voudront bien lui tendre les acteurs sociaux. Fausse impression, comme toujours l'Etat organise un dialogue au cours duquel sa main indiquera bien plus le chemin à suivre qu'elle ne s'ouvrira amicalement pour une invitation  où tout peut se dire et tout est envisageable, faute de quoi il n'est point d'amitié.

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Main de Blaise Cendrars

Dans le domaine de la formation professionnelle, en effet, les dés sont apparemment jetés. Comme l'a encore répété  Hollande lors de sa conférence de presse, après que Sapin ait annoncé la couleur, il s'agira de réorienter les fonds de la formation vers ceux qui sont considérés comme prioritaires : les salariés les moins qualifiés et les demandeurs d'emploi. Pour ce faire, il suffit de rappeler aux partenaires sociaux que l'obligation légale de financement de la formation est une taxe fiscale et qu'il revient donc à l'Etat de décider de son affectation de principe, les modalités de mise en oeuvre pouvant être déléguées. Car l'Etat aime bien la délégation qui voit le délégataire faire ce qu'on lui dit, voire dicte. Dans ces conditions, l'enjeu de la Conférence sociale se réduira à choisir entre  embrasser la main à laquelle on va obéir ou bien refuser de le faire et se préparer à la gifle qui en résultera.

Blaise Cendrars, dont les oeuvres autobiographiques viennent de paraître en Pléiade accompagnées d'un très bel Album, écrivait beaucoup. Il inscrivait parfois en bas de ses lettres "avec ma main amie", la seule qui lui restait et qu'il offrait sans partage, car il avait lui, le sens de l'égalité.

07/05/2013

Ce qu'il a voulu dire, il l'a dit

Passage à Camaret pour saluer Saint-Pol Roux. Les quatre tours, comme des tombeaux verticaux offrant leur cylindre aux vents marins, ou comme un salut à  la radicalité du poète, à sa sereine solitude. Me revient en mémoire l'apostrophe d'André Breton à Rémy de Gourmont, qui avait tenté de dresser un dictionnaire des métaphores et images poétiques de Saint-Pol Roux.

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« Il s'est trouvé quelqu'un d'assez malhonnête pour dresser un jour, dans une notice d'anthologie, la table de quelques-unes des images que nous présente l'œuvre d'un des plus grands poètes vivants ; on y lisait : Lendemain de chenille en tenue de bal veut dire papillon. Mamelles de cristal veut dire : une carafe, etc. Non, monsieur, ne veut pas dire. Rentrez votre papillon dans votre carafe. Ce que Saint-Pol-Roux a voulu dire, soyez certain qu'il l'a dit. »

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Colonnes antiques d'une cité grecque en pays celte

Je me souviens qu'à l'école, j'ai toujours eu la même réaction instinctive de méfiance devant cette question des instituteurs : "Qu'a voulu dire l'auteur ?". Comme André Breton, j'avais envie de répondre : "Couillon, ce qu'il a voulu dire il l'a écrit !". J'aurai bien voulu que l'instit me dise ce qu'il comprenait du texte, comment il le faisait vivre en lui, quelle leçon il en tirait, s'il vivait différemment après l'avoir lu ou bien si sorti de la classe il n'en restait plus rien. Cela oui m'aurait intéressé, mais quant à s'interroger sur "ce qu'a voulu dire l'auteur", c'était supposer que tout acte d'écrire obéit à une stricte volonté qui assujettit l'expression, autrement dit, ne rien comprendre à la poésie. Quant à Saint-Pol Roux, c'est simple, ses poèmes me donnent envie de rire et de vivre, comme lorsque " le soleil monte faire têter la vie" :

A parler cru, je ne m'emmerde jamais seul

Dieu non plus

Nous sommes au moins deux

04/04/2013

Laissez vous haler

Les tableaux de Max Ernst sont souvent sujets à interprétations multiples, quoi de plus naturel  pour un homme qui l'était naturellement. C'est peut être pour cela que les organisateurs ont choisi de faire figurer cette toile sur l'affiche de l'exposition qui lui est consacrée à Vienne.

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Max Ernst - Au premier mot limpide - 1923

Au départ cette peinture était une fresque dans la maison d'Eaubonne que Ernst partageait avec Eluard et sa femme Gala, dont il était l'amant. Faut-il voir dans la main féminine qui guide la mante religieuse la cause de la turgescence des grands artichauts qui se montrent au dessus du mur ? une simple illustration du triolisme et de son fragile équilibre ? ou une oeuvre à l'érotisme plus mystérieux, elle figurait sur le mur de la chambre à coucher d'Eluard et de Gala, dont la clé est dans les secrets du trio ?

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Une fois encore, le hasard nécessaire fournit sa réponse : la pluie tisse les fils qui feront danser ces doigts qui sont en réalité des jambes. Celui qui tient le fil, n'est peut-être pas celle que l'on croit. Comme toujours, il faut aller voir derrière les apparences. Allez, faites comme Max, laissez vous haler.

03/04/2013

Des lieux et des hommes

J'étais déjà venu au 19 Bergasse, à Vienne, dans l'appartement que Freud occupa jusqu'en 1938 avant son départ pour Londres. La rue était pavée. De gros pavés rebondis sur lesquels au début du siècle claquaient les fers des chevaux et les roues des fiacres. Des tambourins immuables plaqués au sol. J'avais déjà vu l'oeil de boeuf énorme qui accueille le visiteur sur le palier. J'avais fait jouer l'obturateur à l'intérieur. J'ai recommencé.

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A l'intérieur, je me faisais un plaisir de retrouver le bureau avec les statuettes, le divan, en face du bureau sur sa droite, les étagères chargées de fétiches, objets, statuettes encore, tout un fatras digne d'un cabinet de curiosités. Je constatai que l'on n'entrait plus dans l'appartement par la porte dévolue aux patients, mais par celle réservée à la famille. Agrandissement du musée oblige. Je traversai rapidement les pièces muséales pour aller dans le vestibule puis la salle d'attente.

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Elle ne s'inscrivait pas tout à fait ainsi dans mon souvenir, mais passons à l'essentiel : le bureau ! stupeur en entrant dans la pièce, vide de tout meuble, de tout objet, et dont les murs sont recouverts de photos à l'échelle figurant le bureau dans sa configuration d'avant-guerre. Mais pourquoi donc avaient-ils sortis le bureau et les objets de Freud ? je plongeais dans la documentation remise à l'accueil et découvrit, stupéfait, que le bureau et les statuettes n'avaient jamais été exposées à Vienne. Freud avait évidemment tout emporté à Londres lors de son départ, et ce qui a été préservé s'y trouve encore. Je regardai alors les photos, du bureau de Vienne, de celui de Londres, aucun ne ressemblait à celui de mon souvenir. Ni de près ni de loin. Et ce bureau imaginaire, tel que j'ai cru le voir il y a plus de vingt ans, et auquel j'ai si souvent repensé et que j'ai revisité par la pensée, n'a aucune traduction matérielle. J'aurai pourtant parié plus d'un tonneau de Margaux sur sa présence et sa configuration. Un peu abasourdi, je quitte les lieux, mais en sortant  la sonnette attire mon attention.

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Kafka voisin de Freud ? Me demandant s'il s'agit d'une blague de potache, je retourne voir les boîtes aux lettres, dans le hall de l'immeuble.

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Gertrude Kafka, pas de Franz à l'horizon, simple coïncidence amusante. On aurait pu en rester là. Mais en relisant comment le jeune Hitler construisit, pendant ses années viennoises, son antisémitisme et sa quête du pouvoir, je découvre que la femme du médecin juif d'Hitler, Eduard Bloch, s'appelait Kafka. Et qu'ils eurent un enfant, une fille, prénommée Gertrude. Née en 1903, elle a vécu aux Etats-Unis où elle est décédée en 1992. Clin d'oeil de l'histoire donc. Mais ce hasard là, ajouté au bureau imaginaire, me conduit à penser qu'il y eût entre Freud et l'appartement du 19 Berggasse, une rencontre qui rendit possible l'invention de la psychanalyse.

 

NB1 : je raconte l'histoire à Michèle Boumendil. Elle me rassure : tu ne t'es pas trompé. Le bureau et les statuettes étaient là. Je les ai vus ! du coup j'ai vérifié et revérifié. Jamais le bureau ni les objets ne sont revenus de Londres. Bienvenue chez le docteur Freud Michèle !

NB2 : les psychanalystes ont beau nous avoir prévenu, on continue en France à considérer que les deux preuves pénales les moins contestables sont l'aveu et le témoignage, ces sables mouvants.

25/03/2013

Flaubert et la formation

 Si l'on s'en tient à sa définition, une idée reçue est une opinion située entre le stéréotype, le cliché et le lieu commun. L'idée reçue a comme caractéristique : d'être très répandue, d'être tenue pour évidence qui n'a plus besoin d'être démontrée, de permettre d'éviter de se poser des questions gênantes et au final de ne plus nécessiter de réfléchir. D'où son succès.

Lorsque Flaubert écrivit son Dictionnaire des idées reçues, il n'y fit pas figurer la formation, ni l'enseignement ou l'éducation. Peut être l'époque n'y associait-elle pas d'idées reçues.

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René Thomsen - La maison de Flaubert - 1897

Elle s'est bien rattrapée depuis car les diagnostics portés à la va vite sur notre système de formation professionnelle ne manquent pas, encore la semaine dernière par l'Institut Montaigne, récidiviste en matière de colportage d'idées reçues. En voici dix rassemblées dans une chronique écrite pour l'AEF, avec Jean-Marie Luttringer, qui prend la peine d'expliquer pourquoi il serait bon que toute réforme éventuelle de la formation commence par écarter les idées trop facilement reçues.

Flaubert en formation ou le dictionnaire des idées reçues sur la formation.pdf

Et pour ceux qui seraient curieux de la beauté de la Fornarina, un bonus :

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Raphael - Portrait d'une jeune femme (La Fornarina)

16/03/2013

Oh, c'est court !

Si l'on en croit Albert Cohen, il peut s'en passer des choses, le temps d'un baiser :

"Elle s’est approchée de la glace du petit salon, car elle a la manie des glaces comme moi, manie des tristes et des solitaires, et alors, seule et ne se sachant pas vue, elle s’est approchée de la glace et elle a baisé ses lèvres sur la glace. Ô ma sœur folle, aussitôt aimée, aussitôt aimée par ce baiser à elle-même donné. Ô élancée, ô ses longs cils recourbés dans la glace, et mon âme s’est accrochée à ses longs cils recourbés. Un battement de paupières, le temps d’un baiser sur une glace, et c’était elle, elle à jamais."

Le temps court peut aussi être celui des basculements, des points d'orgue, des révélations, des pierres d'achoppement, des murs qui soudain s'élèvent ou des portes qui s'ouvrent. Un éclair, un instant, un fragment qui engage à tout jamais.

Certes.

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Mais quand il s'agit de travail, d'activité, de revenu, d'autonomie, le temps court est tout de même problématique. C'est pour cette raison que le Code du travail pose en principe que l'embauche doit s'effectuer en CDI, qui est la règle. Le CDD et l'intérim sont, par principe, interdits. Et ne peuvent être pratiqués que dans les cas d'exception prévus par la loi. Tout ceci est très bien, sauf qu'au troisième trimestre 2012, 81,7 % des embauches ont eu lieu en CDD (sans compter l'intérim donc). Voici une drôle d'exception, devenu largement majoritaire. Et une nouvelle leçon pour nos gouvernants, si préoccupés d'élaborer de nouveaux textes, qu'il faudrait peut être mettre un peu de cette énergie à simplement se contenter de faire appliquer ceux qui existent. Car au contraire du baiser, la fin du contrat marque aussi la fin de ses effets.

17/01/2013

L'amour du métier (II), et un peu de pédagogie aussi

Pour cette seconde chronique consacrée à l'amour du métier, il est toujours question d'Alain Garrigue et d'Alechinsky, mais je laisse la parole au premier :

"Je songe un instant à cet atelier des Beaux Arts en 1984 où Alechinsky regarde mes premiers barbouillages, tous les mercredis après-midi. Je ne perds pas un mot de ce qu’il me dit. Je me fous des profs comme de l’an 10, mais là je suis très ému de parler avec quelqu’un dont la vie de travail et de création ancre en moi un très fort sentiment de respect et de motivation. Cher Pierre Alechinsky, je me souviens d’un jour précis, d’un matin, où je suis dans mon atelier voisin du vôtre, certainement présent de si bonne heure après avoir passé une nuit blanche à traîner dans Paris, et où je me mets alors à tendre mon kraft contre mon mur. Je n’ai plus de craie pastel noire pour tracer mon dessin. Je regarde autour. Je pique un horrible vieux pinceau déplumé à mon pote Thierry, et je commence à dessiner, du coup, quasiment avec le manche que je trempe dans l’encre de chine, en raclant le papier. Soudain j’entends une voix derrière moi : « Jeune homme ! … Je vous écoute peindre plutôt que je ne vous regarde !!!… » Je me retourne : Alechinsky !... En pardingue mastic, mains aux poches, le sourcil froncé."

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«  Montrez- moi votre outil !… » Il était venu dès l’ouverture de l’Ecole et, faute d’élève dans son atelier, avait passé la petite porte de communication entre nos deux ateliers, et était tombé sur un crétin qui s’évertuait à dessiner avec un manche de bois. Surpris, je lui tends la saloperie dont Thierry se servait pour mélanger ses pots de Ripolin. Je le revois encore prendre une feuille et commencer à dessiner, avec un pinceau bien plus approprié, des courbes, des arabesques, quelques pleins et déliés, des petits personnages têtus, en m’expliquant bien patiemment l’importance de chaque trait, la puissance de chaque intention, l’adéquation entre l’outil et le geste, la liberté que donne la maîtrise de son pinceau… lorsque pinceau il y a,bien sur !!!… En temps normal je l’aurais écouté révérencieusement, mais à ce moment, en regardant dessiner un des artistes que, du haut de mes 21 ans, j’admirais le plus, je me rends compte d’une chose, d’une seule et unique chose : il m’emmerde !…

Je l’écoute parler ! Je suis tout ouïe ! De plus, je suis complètement d’accord avec la moindre de ses paroles. Je suis presque ému jusqu’aux larmes de constater que ce type qui ne passait pas pour un tendre avec tous les potaches des Beaux Arts, me parle si gentiment, si patiemment, et qui dans le même temps… m’emmerde !…

Picasso venant corriger un de mes dessins, Matisse, Uccello, Michel-Ange soudain m’emmerderaient tout autant !…Je suis en train de peindre ! Voilà ce qui me traverse soudain la tête ! Oui Mesdames ! Je suis en train de peindre et je  ne supporte pas que l’on me dérange !!!… Voilà ce que je dois à ce mec-là. Ce que je ne pourrais jamais lui dire. Avoir cristallisé ce matin-là en moi cette évidence : je préfère peindre plus que tout au monde !…Je l’ai vérifié ce jour-là, cher Pierre Alechinsky, …et je ne vous saurais jamais assez gré du plus grand des conseils que puisse donner un artiste à un autre : PEINS !!! »

10/01/2013

Expérimentateur expérimenté

Il était question, cette semaine, de Simone de Beauvoir. Ecoutons la encore, en 1970, dans la Cérémonie des adieux : "Le prestige de la vieillesse a beaucoup diminué du fait que la notion d’expérience est discréditée. La société technocratique d’aujourd’hui n’estime pas qu’avec les années le savoir s’accumule, mais qu’il se périme. L’âge entraîne une disqualification. Ce sont les valeurs liées à la jeunesse qui sont appréciées.". Plus de 40 ans après, on ne peut pas dire que le constat ait vieilli, bien au contraire. L'expérience se périme encore plus vite qu'au début des années 70 et pourtant elle est nécessaire. Nécessaire ? oui, mais en la maintenant vivante. Comme l'ont fait les surréalistes.

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Georges Hugnet - La vie amoureuse des spumiphères

On aurait du mal à faire la liste des expérimentations que l'on doit aux surréalistes (les vrais et pas le pantin que l'on voit sur les affiches du métro et que Beaubourg a la mauvaise idée d'exposer, j'ai nommé le pathétique Dali), dans tous les domaines : écriture automatique, collages, frottages, fumages, rayogrammes, décalcomanies, etc. Les expériences étaient souvent collectives, elles nourrissaient les individus, et elles appellaient sans cesse de nouvelles expérimentations. Car l'expérience dont parle Simone de Beauvoir, c'est celle dans laquelle on reste figé. Mais l'expérience renouvelée, l'expérience qui ouvre sur de nouvelles expérimentations, l'expérience sur laquelle on s'appuie sans en rester prisonnier, c'est tout l'inverse de la vieillesse. Vous souhaitez acquérir de l'expérience ? ne vous contentez pas d'être expérimenté, restez  expérimentateur !