26/10/2010
Un monde inhabité
La Foire international d'art contemporain (FIAC) de Paris s'est tenue pendant quatre jours au Grand-Palais et divers autres lieux parisiens. Il y avait cette année six foires off, dont ChicArtFair qui se tenait dans les superbes locaux de la cité du design et de la mode, en bords de Seine. L'occasion de belles découvertes, dont celle de José Manuel Ballester, artiste madrilène qui vide les toiles de maître de ses habitants.
Sandro Botticelli - Histoire de Nastagio degli Onesti - 1487
José Manuel Ballester - Bosquet italien III - 2008
La scène pourrait préfigurer la chanson de Charlélie Couture : "Y'avait une fête ici". Elle fait apparaître en personnage principal le paysage qui n'était qu'un décor dans le tableau original. Elle montre peut être aussi le travail du peintre qui, comme Ingres, peignait le fonds ou le faisait réaliser par ses élèves avant de poser délicatement chaque personnage à sa place.
Fra Angelico - Annonciation - 1430 - Ballester - Lieu pour une annonciation - 2007
Difficile de dire que la toile est inhabitée. Le lieu pour une annonciation préfigure la scène qui s'y déroulera. Ainsi est on bien persuadé qu'il est des lieux dans lesquels la magie ne peut qu'opérer. Qui s'installe sous ces arches sera nécessairement touché par la grâce.
Bosch - Le jardin des délices - 1490 - Ballester - Le jardin inhabité 2008
Le jardin inhabité est plus inquiétant. La nature de Bosch privée de ses habitants ne comporte plus guère de délices. On dirait une machine qui tourne à vide et qui ne produit que peu de plaisirs. Elle ressemble à ce monde déshumanisé que certains n'envisagent que comme un grand lego économique dans lequel l'homme n'a sa place qu'en tant que producteur/consommateur. Le jardin des délices ce n'est pas l'après-fête, c'est l'après fermeture d'activité, c'est la friche industrielle qui restera en l'état de longues années. En supprimant les habitants du paradisiaque jardin, Ballester prend le contrepied de Sartre, l'enfer ce n'est pas les autres, c'est quand les autres ne sont plus là, parce qu'il y a de fortes chances pour que l'on n'y soit pas non plus.
10:10 Publié dans TABLEAUX PARLANT | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : fiac, chicartfair, bosch, botticelli, fra angelico, peinture, art, ballester, jardin, économie, politique
25/10/2010
Triste triomphe
Depuis environ une vingtaine d'années, la Cour de cassation a entrepris de redonner toute sa place au contrat de travail. Pour ce faire, elle n'a eu de cesse de consacrer la volonté du salarié face à celle de l'employeur, en élargissant le champ du contrat de travail et en restreignant celui des conditions de travail, selon la distinction posée en 1996 pour marquer les limites du pouvoir de direction.
Mais la Cour de cassation a également opposé le contrat individuel au contrat collectif en multipliant les possibilités pour le salarié de refuser l'application d'un accord collectif dès lors que celui-ci touchait à son contrat de travail. Il n'est pas illogique que la volonté collective ne puisse systématiquement contraindre la volonté individuelle et que le contrat qui confère la qualité de salarié soit garanti dans son contenu. Mais jusqu'à présent les juges considéraient que certains éléments, dont l'organisation du travail, relevaient par principe de régimes collectifs et non individuels. Par une surprenante décision en date du 28 septembre 2010, la Cour de cassation affirme que l'instauration d'une modulation du temps de travail constitue une modification du contrat qui nécessite l'accord exprès du salarié. Voici donc l'individu royalement couronné qui ne peut se voir contraint par le contrat collectif, même régulièrement négocié et même dans un domaine par nature collectif.
Caravage - Bacchus - 1593
Cette promotion de l'individu n'est pas lubie des juges. Elle s'inscrit dans le mouvement plus large d'individualisation des relations de travail et de dilution du collectif. A ce titre, elle peut rappeler comment au 15ème siècle les peintres flamands ont introduit l'individu réel, et non plus l'individu symbole d'idées le dépassant, dans la peinture (sur ce thème, voir le très beau livre de Tzvetan Todorov "Eloge de l'individu"). Ce mouvement se poursuivra à la Renaissance, trouvant sans doute son apogée avec Le Caravage dont les dieux ont figure humaine. Et pourtant, cette chair incarnée est bien triste. L'individu saisi dans toute sa réalité physique et sa banalité quotidienne se trouve bien seul, coupé du collectif. Cette opposition est présente dans le tableau du Caravage où le corps très académique tranche avec le visage plus elliptique. Quatre siècles plus tard, le débat n'est toujours pas clos. La jurisprudence de la Cour de cassation, qui rend extrêment complexe et délicate désormais la négociation et l'application d'un accord d'annualisation du temps de travail, semble imposer la prééminence du contrat individuel sur le contrat collectif. Aussi paradoxal que cela paraisse, cette affirmation de la volonté individuelle porte en elle-même un affaiblissement du salarié en le conduisant malgré lui vers une contractualisation individuelle de l'ensemble de sa situation de travail qui le laisse en position isolée de négociation face à l'employeur. Quant à ce dernier, il se trouve contraint de conduire des dizaines de négociations individuelles pour pouvoir mettre en oeuvre une négociation collective. Au final, cet émiettement du champ du négociable ne satisfera personne. Triste triomphe pour le contrat.
07:30 Publié dans ACTUALITE DES RESSOURCES HUMAINES, DROIT DU TRAVAIL, TABLEAUX PARLANT | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : modulation, annualisation, temps de travail, jurisprudence, cour de cassation, caravage, peinture, bacchus, todorov, droit
10/10/2010
Indépendance de la valeur
Surgie du noir le plus profond, elle vous toise et ses yeux vous en imposent sans besoin de croiser les vôtres. L’enfance est en ses joues, la détermination raffinée barre son front, ses principes s’incarnent dans son port, la rigueur de son esprit lisse sa coiffe, la sensualité est la nature même de la belle milanaise. Qu’elle fut la maîtresse de Sforza importerait peu si cela n’avait suscité chez l’amant la commande que Léonard et son atelier surent mettre à profit pour faire jaillir l’envoûtant chef d’œuvre. En quoi l’acte marchand initial disqualifierait-il en quoi que ce soit la beauté de la belle ferronnière ?
Léonard de Vinci - La belle ferronnière - 1497
J’ai souvenir d’un directeur d’école annonçant aux étudiants lors d’une rentrée que ce qui n’a pas de prix n’a pas de valeur. Il fallut à la fois lui rappeler que l’amour et l’amitié existent aussi sur terre et plusieurs semaines pour dissiper la stupeur des étudiants. Mais faut-il pour autant, comme nous y invite Annie Le Brun, inverser la proposition et considérer qu’il ne faut mettre de valeur qu’en ce qui n’a pas de prix ? faut-il ne voir derrière toute transaction marchande que sa version péjorative sous forme de marchandisation ? La visite de l’exposition France 1500, décidément à ne pas manquer, constitue une forme de réponse. On y voit, dans la France de la fin du Moyen-Age, des artistes et artisans flamands, français, italiens ou encore allemands, se déplacer vers les lieux de création, mêler leurs techniques, découvrir de nouveaux horizons, croiser les influences, inventer chacun au sein d’un mouvement de création collective de nouvelles formes et manières de les modeler. Comment tout cela fut-il possible ? par la commande publique et privée, par le mécénat, par l’attention portée à l’art et par l’existence d’ateliers qui ont bénéficié des moyens nécessaires pour aller au bout de leurs capacités. Alors ? alors l’équation est insoluble tout simplement parce que valeur et prix n’entretiennent aucun rapport entre eux et que persister à vouloir en établir un, c’est toujours réduire le sens donné au mot valeur. Qu’il y ait prix ou non, il ne saurait en toute hypothèse être une condition ni une mesure de la valeur qui doit s’établir au regard d’autres hiérarchies. C’est plutôt à ces dernières qu’il convient de s’intéresser. Avis aux organisations qui prétendent avoir des valeurs qu'elles affichent comme des prix.
19:12 Publié dans TABLEAUX PARLANT | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : léonard de vinci, belle ferronnière, france 1500, valeurs, ressources humaines, prix, économie, peinture, exposition
08/10/2010
Du temps où le Roi avait des lettres
Imagine-t-on geste plus doux d'un amoureux envers l'aimée ? la personnification de la puissance, de l'histoire qui se fait et de l'autorité peut-elle avoir attitude plus délicate, bienveillante, attentionnée, en un mot amoureuse ? d'ailleurs la barbe du vieil homme n'est-elle pas soyeuse chevelure de femme ? Comme les indiens le faisaient avec les biches qu'ils tuaient, François 1er se penche sur Léonard pour aspirer son dernier souffle afin que vive l'esprit en lui. Et ce faisant, le regard du souverain exprime l'obligeance du pouvoir à la connaissance, l'humilité de l'épée devant la plume, le respect que le corps triomphant doit au cerveau qui le guide. Le tableau d'Ingres est un chef d'oeuvre que l'on peut admirer depuis le 6 octobre au Grand Palais à l'occasion de l'exposition "France 1500". Et au-delà du thème, vous pouvez simplement faire abstraction de tout et ne regarder que les mains présentes dans le tableau : elles vous content l'histoire.
Ingres - François 1er reçoit les derniers soupirs de Léonard de Vinci - 1818
L'admiration dans laquelle François 1er tenait les artistes, il l'exprimait ainsi : "Je peux faire un noble, je ne peux faire un grand artiste". Qui a un tel culte de la création doit nécessairement s'affranchir des entraves formelles. François 1er n'était pas très respectueux du protocole et, à l'annonce du partage des nouveaux mondes entre Espagnols et Portugais, il eut cette phrase qui pourrait nourrir toute les révoltes, qui comme chacun sait ne peuvent véritablement être qu'individuelles: "Je voudrais bien voir la clause du testament d'Adam qui m'exclut du partage du monde". N'y a-t-il pas dans cette déclaration royale la plus belle affirmation démocratique qui soit si toute femme ou tout homme se l'appropriait ? Certes si François 1er fut le promoteur des bibliothèques, il n'en fut pas moins censeur. Mais il faudrait perdre l'habitude de vouloir tout blanc les individus à qui l'on trouve quelques vertus. Constatons qu'il y a 500 ans, un Roi était l'ami des lettres et que l'on retrouve son cousin, Jacques de Savoie-Nemours, dans la Princesse de Clèves. Tout était-il donc différent d'aujourd'hui ? et oui, sauf peut être sur un point : François 1er aussi creusa les déficits.
NDLA : petit rectificatif, le tableau n'est pas présenté au Grand-Palais, il faut traverser l'avenue et se rendre au Petit-Palais pour pouvoir l'admirer.
01:04 Publié dans TABLEAUX PARLANT | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : françois 1er, france 1500, exposition, grand palais, léonard, de vinci, peinture, art, politique
27/09/2010
Singularité
Vous avez le sentiment d'avoir déjà vu cela. Les moyens mis en oeuvre ne vous paraissent pas nouveau. Se prendre pour modèle cela fait tout de même des siècles que l'on en sort pas, que peut-il donc en sortir de nouveau ? et que pourrait créer une jeune fille qui est entrée dans l'adolescence très rapidement et n'en est sortie qu'en même temps qu'elle prenait congé de la vie ? la question la plus troublante demeure pourtant celle-ci : pourquoi ce qui n'arrive pas à prendre de dimension chez la plupart devient tout à coup un chef d'oeuvre ? quelle différence entre des milliers de photos ou de peintures qui ne vous procurent aucune émotion et celle qui impose à vous sa singularité et vous trouble ?
Francesca Woodman
Tandis que se montent et se démontent les estrades de la semaine de la mode, que défilent de graciles jeunes filles qui ont appris à gommer leur sourire pour ne pas risquer de faire de l'ombre aux vêtements qu'elles doivent mettre en valeur, tandis que Milan s'offre aux projecteurs, dans le décrépi Palazzo de la Ragione se tient une rare exposition consacrée à Francesca Woodman.
Il serait trop rapide, et faux, de croire que les oeuvres de Francesca Woodman sont promues par la légende d'une jeune adolescente suicidée à New-York le 19 janvier 1981 à l'âge de 23 ans. Ce n'est pas la biographie ni le mythe de la jeune fille en fleur qui produit la grâce et le trouble des photos de Francesca, même s'il est évident qu'elle est un ange.
Ce qui produit inévitablement le chef d'oeuvre, c'est la singularité. Qui se construit dans la comparaison et la concurrence perd inévitablement de sa vérité. Celui, celle en l'occurence ici, qui ne s'en soucie guère a quelques chances de suivre son chemin propre. Voilà peut être pourquoi les mêmes actes produits par des individus différents ne produisent pas les mêmes effets.
Quant à Francesca, elle met plus d'élégance dans sa manière de s'effacer que ne pourront jamais en créer tous les couturiers milanais. L'exposition est présentée jusqu'au 26 octobre 2010.
01:01 Publié dans FRAGMENTS, TABLEAUX PARLANT | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : francesca woodman, photo, photographie, singularité, management, art, exposition, milan, mode
21/09/2010
Mélodie en sous-sol
Voici un endroit qui n'a pas peur du mélange des genres (cf chronique précédente). Le musée Bourdelle accueille des artistes contemporains qui ont placé leurs oeuvres au milieu des, souvent, très imposantes sculptures de Bourdelle, originaire de Montauban rappelons-le. Ces voisinages peuvent être appréciés différemment mais ils ne sont jamais intempestifs et sont parfois même un enchantement, tels les volutes d'Orlan. Mais l'expérience la plus troublante nous est procurée par Claude Levêque, auteur l'an dernier d'un très réussi pavillon français à la biennale de Venise (voir chronique du 19 octobre 2009).
Claude Levêque a habillé d'une lumière violette mais non violente les caves du musée Bourdelle exceptionnellement accessibles pour l'occasion. Qui n'a jamais eu la tentation d'aller voir dans les cuisines, de passer derrière le rideau, de soulever un peu les jupes des filles, d'ouvrir une porte qui ne l'est jamais, ou d'aller un peu plus loin que d'habitude dans le dialogue lors de rencontres un peu plus magnétiques que les autres ? Ici, l'occasion était unique de descendre parmi les plâtres, les rebuts, les essais, les moules, bref tout l'artisanat de l'art de Bourdelle.
L'occasion de découvrir une baigneuse blessée, ou la face cachée des grands bronzes.
N'avez-vous jamais eu l'envie d'aller voir l'arrière-cour de votre organisation, ses caves et ses greniers, ses lieux intimes, les endroits où l'on peut observer l'oeuvre en train de se faire, les outils et procédés, bref tout ce qui précède la mise en scène sociale. Claude Levêque a fait le choix d'accompagner sa douce musique d'un vacarme d'édifice qui s'effondre. Symbole de la chute possible des statues commente l'air malin le gardien. Peut être aussi que dans les coulisses, tout n'est pas toujours rose, mais ce n'est certainement pas une raison pour ne pas aller y voir par soi-même.
01:40 Publié dans TABLEAUX PARLANT | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bourdelle
19/09/2010
Cloisonnement
Dans les différentes polémiques marquant cette rentrée, il y a plus de cohérence que l'on pourrait le penser de prime abord. Quel rapport en effet entre la chasse aux roms, les liens entre la politique et les affaires et la contestation d'oeuvres de Takashi Murakami au château de Versailles ? peut être celui d'une difficulté à poser au bon endroit certaines cloisons et à faire voler en éclat les autres. Au lendemain des journées du patrimoine, revenons sur Versailles et Murakami. Les cris d'orfraie retentissent, les pétitions tournent et les duettistes réacs Zemmour et Naulleau transpirent pour donner un peu de hauteur à leur indignation : les japoniaiseries de Murakami n'ont définitivement pas leur place à Versailles.
Trois arguments sont avancés le plus souvent : les oeuvres de Murakami c'est du Manga et pas de l'art, cela pollue donc Versailles et ses artistes, les vrais ; l'art contemporain, il y a des musées pour cela, pas la peine d'encombrer de véritables lieux de culture ; et pour finir Murakami c'est du buzz pour faire monter la côte de l'artiste largement représenté dans la collection Pinault, et Aillagon, directeur du château de Versailles, est un ancien collaborateur de Pinault et poursuit donc des objectifs inavouables.
Aucun de ces trois arguments n'est convaincant. Le problème n'est pas de savoir si Murakami plaît ou ne plaît pas, chacun se fera son opinion, mais de savoir si l'art contemporain et l'art classique peuvent cohabiter ou non ? le second argument créé une hiérarchie des valeurs qui voudrait que l'art classique soit intrinsèquement supérieur à l'art contemporain, réduit à une bouillie infantile pour décadents richissimes. Et l'on retrouve le dernier argument, la collusion et le copinage pour valoriser des artistes et les propriétaires de leurs oeuvres. Sur ce point, on signalera aux protestataires que la polémique née de leur action contribue largement à ce qu'ils dénoncent.
Deux choses encore. N'est-il pas surprenant que quelques poupées et fleurs mangas puissent empêcher de voir la grande oeuvre versaillaise ? est-elle vraiment solide cette oeuvre grandiose si elle plie sans livrer combat devant le petit cousin hilare du playmobil ? est-elle si fragile la gravité statuaire des bustes pour ne pas résister à ces petits être rieurs et sans prétention, eux ?
Et surtout, il est amusant de voir les dénonciateurs du communautarisme (Zemmour et consorts sus cités) plaider pour l'isolement et le cloisonnement des arts. La pétition Versailles mon amour énonce qu'il faut une écologie culturelle pour préserver l'art classique. On croirait entendre une oraison funèbre de ceux qui, ayant élevé sans cesse des murs autour d'eux s'aperçoivent un jour qu'ils ne peuvent plus vivre harmonieusement au sein de cette prison personnelle. Le sociologue Eric Maurin a montré en 2004 dans Le Ghetto français comment le séparatisme social structurait profondément la société française. S'il manquait une preuve que le repli communautaire est assez largement répandu, Takashi Murakami nous l'administre et remplit ainsi à la perfection une des fonctions de l'art contemporain : nous permettre de mieux voir la société dans laquelle nous vivons.
Pour l'an prochain, suggérons au trop sage Aillagon d'aller au bout de ses intentions et de faire trôner le Lonesome Cowboy dans la galerie des glaces. Attendons nous dans ce cas là au pire car l'humour et le second degré sont depuis longtemps passés de mode.
21:58 Publié dans DES IDEES COMME CA, TABLEAUX PARLANT | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : versailles, murakami, zemmour, naulleau, art, art contemporain, patrimoine
09/09/2010
Cycle permanent
Ce n'est pas de l'éternel retour de Nietszche dont il est question, mais du cycle de la performance. J'ai beau feuilleter les bonnes revues de management, et faire l'effort d'y inclure celles de langue anglaise, point de repos dans les cycles de performance. Ah les beaux schémas de consultant qui conduisent inévitablement au succès :
La performance selon l'Université de Berkeley
Ayant quelques réflexes sportifs, j'ai toujours conçu la performance comme des cycles comportant nécessairement des hauts et des bas, dans lesquels les phases d'entrainement sont valorisées par les phases de repos sans lesquelles ils ne produisent que de l'épuisement et donc amoindrissent la performance. J'ai remarqué que les managers sportifs étaient fort usités dans les conférences pour managers (Constantini, l'inévitable Herrero, Jacquet qui eut son temps, Bernard Laporte passé de mode ou Villepreux indémodable). Et j'ai remarqué également qu'aucune (?) entreprise n'en tire la conséquence qu'il faut prévoir des performances non linéaires et des temps de récupération pour optimiser le résultat. Mais voici que l'on me souffle une possible explication : l'homme est avec le cochon le seul animal à faire l'amour en toute saison. Peut être est-ce pour cela que le cycle de la performance n'intègre pas le repos. Mais chut, on pourrait croire que le rapport au travail a un lien avec la libido. Vite une image pieuse avant de dormir. Raté ! La tentation de Saint-Antoine aussi est permanente.
Félicien Rops - La tentation de Saint-Antoine
00:20 Publié dans ACTUALITE DES RESSOURCES HUMAINES, TABLEAUX PARLANT | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : performance, saint-antoine, libido, laporte, constantini, herrero, villepreux, management, berkeley, rops, peinture, art
08/09/2010
Hommage aux bricoleurs anonymes
Certes Jean Tynguely n'est pas un anonyme. Mais c'est un bricoleur. Qui ne peut s'empêcher d'assembler, de souder, de visser, de lier, de coordonner, d'harmoniser, de concrétiser le rêve inespéré des bouts de ferrailles et rebus de la technique. Jean Tinguely ne peut voir une pièce de bois, de caoutchouc, de métal, sans vibrer en songeant à la place qu'elle pourrait trouver dans une improbable machine.
Mais à quoi donc servent les machines de Jean Tinguely. Les fontaines passent encore, mais ce grand oiseau de métal tout encombré de ses ailes brandies comme des bras impuissants ? Et ces roues qui tournent en tout sens dans une cacophonie baptisée Heureuse Utopia ?
Tinguely, comme Calder ou Miro, ouvre en grand les portes et fenêtres de la vie et des enfants, des oiseaux, des avions, des trains, des millepattes, des cacatoès, des renards roux aux yeux rieurs, des lapins magnétiques et mille autres joyeux drilles s'engouffrent dans ces ouvertures. Tinguely montre que la vérité est dans l'évidence de l'enfance.
Les petits bricolages de Jean Tinguely nous offrent au final des grandes machines qui parviennent à notre grande surprise à fonctionner défiant toute les lois de la probabilité. De la même manière que tous les bricoleurs au quotidien dans les organisations inventent des outils personnels, des excel de secours, des circuits non prévus de circulation de l'information, des réseaux informels de ressources, des démerdes aussi géniales que clandestines, des process non certifiés ni certifiables, des raccourcis procéduriers aux allures de chemins de traverses, des transgressions fulgurantes et mettent en oeuvre des compétences non répertoriées, échappant à tout référentiel, dépassant largement l'imagination des metteurs en fiche de la création et de l'inventivité humaine. Bref, tous ceux sans qui rien ne tiendrait et qui peuvent voir dans les oeuvres de Tinguely un clin d'oeil qui leur est adressé en forme d'hommage.
00:05 Publié dans ACTUALITE DES RESSOURCES HUMAINES, TABLEAUX PARLANT | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : tinguely, entreprise, organisation, bricolage, calder, miro, sculpture, enfance
07/09/2010
Force tranquille
Basquiat encore. Dans le cadre de l'exposition à Bale est présenté un film où l'on voit Basquiat peindre. Surprise : les gestes ne sont pas frénétiques, le bras est sûr, la main n'hésite pas, elle prend son temps. Les mouvements les plus rapides sont exécutés lentement, dans une apparente décontraction, avec la facilité de celui qui n'a pas besoin du plan de ville pour trouver son chemin. Comme Picasso, Basquiat ne cherche pas, il trouve, à son rythme. Tout ceci avait lieu au début des années 80 à New-York. On ne peut s'empêcher de penser qu'au même moment la force tranquille en France était incarnée par Mitterrand dans un paysage de terroir, de clocher, de province, de notable et d'enracinement un peu étriqué. Mais cela avait rassuré, c'était fait pour. Près de trente ans plus tard, avec Sarkozy, rien n'a changé : la seule forme de modernité dans la référence est que le paysage ressemble à un fonds d'écran windows. C'est peu.
Pourtant, la véritable force tranquille, elle n'est pas dans ces paysages datés et passéistes. Elle s'incarne dans un mouvement multiculturel, polyphonique et polyglotte. Elle s'incarne dans New-York. Comme disait Michel Serres, contrairement à ce qu'ils pensent, nos gouvernants ont toujours un temps de retard sur le peuple.
00:05 Publié dans DES IDEES COMME CA, TABLEAUX PARLANT | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : basquiat, new-york, sarkozy, mitterrand, force tranquille, michel serres, peinture, art
06/09/2010
De la créativité
La Fondation Beyeler, à Bale, proposait jusqu'au 5 septembre une rétrospective consacrée à Jean-Michel Basquiat, mort en 1987 à 28 ans, dont le premier article qui lui fut consacré dans une revue d'art s'intitulait : "L'enfant radieux". En quelques années, Basquiat a produit plus d'un millier de toiles et un nombre plus important encore de dessins, collages ou graffitis. Dans chacune de ses oeuvres, la quantité d'énergie est inouïe. C'est ce qui frappe au premier abord. Et puis on peut entrer dans le détail. Des couleurs, des mots qui structurent les toiles, des figures, des supports, des techniques. Et l'on s'aperçoit que Basquiat peint à la fois l'Afrique, les caraïbes, la culture occidentale, l'Asie émergente (on est en 1981), les hispanos, les latinos, les negros et les WASP. Il associe la BD, le graffiti, le cinéma, la peinture, la publicité, la politique, le sport, les intellectuels de la vieille europe, la pensée à l'état sauvage. Prodigieuse synthèse d'un jeune homme au doux sourire qui dessine les mains en regardant sa main.
Basquiat - Skull - 1981
Les historiens le rappellent souvent : pour qu'une époque ou un territoire soit dynamique, il est nécessaire que les foyers d'innovation soient multiples, que les échanges entre eux soient intenses et que ces lieux soient ouverts aux apports extérieurs. Multiplicité, vitesse, curiosité, a priori favorable pour l'étranger, souci de transformation permanente, production continue. Quelques règles de base de l'innovation auxquelles nous continuons, sous prétexte du TGV, de l'Airbus et des centrales nucléaires, et en prenant soin d'oublier le France, le Concorde, le Rafale ou le char Leclerc, de préférer le modèle élitiste cenralisé et descendant. Basquiat, il était plutôt ascendant.
NB: L'exposition Basquiat sera présentée à Paris à partir du 20 octobre.
00:05 Publié dans TABLEAUX PARLANT | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : basquiat, peinture, exposition, bale, innovation, créativité, graffiti, beyeler
31/08/2010
Prendre de la hauteur
Julio Tomas Leal de Camara est un caricaturiste né au 19ème siècle, qui vécut longtemps en France et dessina, notamment, dans l'Assiette au Beurre. Il est mort en 1948 à Lisbonne mais avait pris le temps de dessiner les dirigeants des pays qui venaient de traverser la guerre. On pouvait découvrir ses dessins au Musée d'art moderne de Sintra. Avec une surprise : les caricatures de Churchill, l'homme au cigare, de Staline, l'ogre rouge menaçant ou de Roosevelt, le Yankee optimiste et heureux, pouvaient paraître de facture assez conventionnelle.
Mais la caricature du Général De Gaulle présentait une dimension un peu différente. Certes l'uniforme, la rigidité de l'homme et la très française Tour Eiffel étaient attendus. Mais la surprise venait du haut du tableau : De Gaulle a la tête dans les étoiles. Le regard à hauteur de planète il est à la mesure de l'univers ou perdu dans ses rêves, et peut être bien les deux à la fois. L'inscription des trois autres dans une réalité matérielle immédiate n'en est que plus évidente. Et l'on mesure une fois de plus que tout dirigeant ne l'est véritablement que s'il est porteur d'une part de rêve et s'il sait, après tout c'est sa fonction, prendre de la hauteur.
Petite observation complémentaire : la phallique Tour Eiffel qui accompagne le Général est un symbole amusant pour celui qui fut sans doute le dernier Président de la République à ne pas courir le jupon Pour mémoire : Pompidou et les ballets roses, Giscard et les jambes d'Alice, Mitterrand avec sa femme et ses maitresses à son enterrement et Chirac ou les multiples désespoirs de Bernadette. J'ai oublié quelqu'un ? non je ne crois pas. Sarkozy il n'est pas président il est DRH de la France.
09:08 Publié dans TABLEAUX PARLANT | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : sarkozy, de gaulle, chirac, mitterrand, churchill, roosevelt, staline, politique, caricature, dessin, leal de camara, tour eiffel
20/08/2010
Mafia, Mama, Maradona
L'énigme n'en est pas vraiment une. Quelle ville se cache derrière les trois mots Mafia, Mama, Maradona ? Mafia, nous pouvons être en Italie, aux Usa, en Russie, Mama, nous nous rapprochons de l'Italie, Maradona, nous sommes au Sud, à Naples précisément. On connait la formule d'Edouard Herriot emprunté à un moraliste oriental : "La culture, c'est ce qui reste dans l'esprit quand on a tout oublié". On peut ne pas connaître les mamas italiennes, ni le football, ni le crime organisé (difficile d'échapper à Coppola et au Parrain quand même) et pourtant avoir une représentation de la ville de Naples. C'est que la culture, qui fait l'identité, ce dont ne se sont toujours pas aperçu ceux qui désespèrent de trouver sous un coin de tapis la définition de l'identité nationale, est suffisamment forte pour ne plus dépendre de la connaissance formelle. Même ceux qui ne savent pas, savent.
08:35 Publié dans HISTOIRES DE CONSULTANT, TABLEAUX PARLANT | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : naples, culture d'entreprise, identité nationale, management, culture, énigme, maradona, mafia, art, photo
18/08/2010
Transmission
Antiochus se meurt d'amour pour sa marâtre Stratonice. Le médecin a compris la nature du mal qui l'habite. Stratonice également qu'Ingres présente avec une modernité stupéfiante, dans une pose que Picasso, entre autres, étudiera longuement. Au milieu d'une pièce encombrée d'histoire et d'un lourd passé figuré par les colonnes, les statues ou encore les peintures, elle rayonne telle une apparition qui tranche avec la romantique et un peu mièvre scène de la maladie d'Antochius. Elle sait déjà que son mari, Seleucus, l'offrira à son fils pour qu'il guérisse et que perdure la dynastie. C'est moins l'amour qui triomphe que le poids de l'histoire et du destin. Dans cette pesante et pénible histoire d'hommes, Ingres, par la représentation de Stratonice, nous fait comprendre en un instant pourquoi la compagnie des femmes doit systématiquement être préférée aux communautés masculines.
00:05 Publié dans TABLEAUX PARLANT | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : ingres, management, stratonice, antiochus, peinture, art, ressources humaines
06/08/2010
Regarder, voir
L'apologue zen est rapporté par André Breton dans Signe Ascendant (1947) : "Par bonté bouddhique, Bashô modifia un jour, avec ingéniosité, un haïkaï cruel composé par son humoristique disciple Kikakou. Celui-ci ayant dit : "Une libellule rouge - arrachez-lui les ailes - un piment", Bashô y substitua : "Un piment - mettez lui des ailes- une libellule rouge". Il appartient à chacun de nous de se façonner un regard qui voit des piments dans les libellules ou des libellules dans les piments.
14:07 Publié dans TABLEAUX PARLANT | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : goethe, schopenhauer, andré breton, soleil, désir, regard, photo, art, littérature
24/06/2010
Légal n'est pas moral
A première vue, le tableau est tout à fait licencieux, délicieusement érotique. Le lit est ouvert, le rideau rouge déborde de sensualité, les mollets du jeune homme sont bien tendus et galbés, la belle ne résiste guère que pour rajouter du piment à la situation. La morale n'a pas sa place ici. Pourtant, un détail attire l'oeil. La pomme rouge sur la table n'est pas que le fruit de l'amour, elle renvoie également au pêché originel. Et le verrou qui se ferme clos le paradis dont les amoureux sont chassés. Voici un rappel à l'ordre bien moral.
00:44 Publié dans TABLEAUX PARLANT | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : christine boutin, mission parlementaire, immoral, morale, fragonard, le verrou, droit
04/05/2010
Voir c'est croire
La formule est fréquente, je l'ai toujours trouvée indigente : "Je suis comme Saint-Thomas, je ne crois que ce que je vois". La phrase recèle deux fausses évidences et une vérité non assumée. La première fausse évidence est de limiter la réalité à ce que l'on voit. La vue n'est qu'un de nos sens et pas toujours le plus fiable. Proust, qui avait la subtile connaissance des cinq sens, nous le montre en une phrase :
"Quand par les soirs d'été le ciel harmonieux gronde comme une bête fauve et que chacun boude l'orage, c'est au côté de Méséglise que je dois de rester seul en extase à respirer, à travers le bruit de la pluie qui tombe, l'odeur d'invisibles et persistants lilas."
Sont ici sollicités l'ouïe, l'odorat, le temps, le goût et l'esprit. Quoi de plus réel que ces invisibles lilas.
La seconde fausse évidence est de se fier à l'expérience personnelle plus qu'à toute autre. C'est pourtant celle avec laquelle nous avons le moins de distance, celle qui comporte le plus de risques de biais. Il est facile de constater qu'il est plus simple d'éduqer les enfants d'autrui que les siens. Accessoirement, c'est aussi ce regard extérieur et distancié qui justifie, outre son expertise, le recours à un consultant.
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03/05/2010
Une oeuvre jamais terminée
Ingres dessinait pafaitement. Et décalquait beaucoup aussi. Comme l'écrivain lit et cite, le peintre décalque et copie. C'est ainsi qu'il se forme, c'est ainsi qu'il créé, c'est ainsi qu'il innove et invente. Car l'on ne créé jamais seul et loin du plagiat, la citation, la reprise, la copie, l'influence constituent des hommages à l'oeuvre électivement choisie. Le Musée Ingres de Montauban dispose d'un inestimable fond dans lequel on peut admirer les croquis préparatoires à l'un des plus grands chefs d'oeuvre de la peinture : Le bain turc.
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12/04/2010
Une exposition de son temps
Jusqu'au 1er Août 2010, le Musée Jacquemart présente l'exposition "Du Greco à Dali", 50 toiles d'artistes espagnols issues de la collection Perez Simon. Avouons que la visite n'a pas produit le plaisir attendu, certains travers de l'époque étant par trop présents. En premier lieu, le choix éditorial des commissaires est d'une pure artificialité. Là où Perez Simon a rassemblé des oeuvres différentes, uniques, singulières, contradictoires parfois, les responsables de l'exposition ont souhaité, à travers une présentation thématique (la peinture sacrée, la peinture de l'enfance, la peinture érotique...) donner un sens qui en réalité n'en a guère. Comme tous les peintres les espagnols ont peint des motifs religieux, naturalistes, érotiques, des portraits, des scènes de genre, des représentations sociales, etc. Voilà qui ne nous renseigne ni sur les oeuvres ni sur leurs auteurs et encore moins sur l'Espagne dont rend pourtant compte la magnifique cordouane de Julio Romero de Torres.
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15/03/2010
Motivation
Le Palais des Beaux-Arts à Bruxelles, les Bozarts selon la terminologie officielle, organise une splendide exposition consacrée au Greco qui fut aussi un des inventeurs de l'Europe : peintre crétois initié en Grèce à la peinture Byzantine et formé à Venise, il installa son atelier à Tolède dans la deuxième moitié du 16ème siècle. Lequel atelier allait produire et reproduire des toiles du maître avec son concours. Le Greco, c'est souvent un collectif au service d'une singularité personnelle. Les chefs d'oeuvre sont nombreux dans l'exposition et plusieurs tableaux marquent. Mais sans conteste, c'est la présentation de la série des douze apôtres et de Jésus, soit treize tableaux conçus pour aller de concert, qui produit l'émotion la plus immédiate. Parmi les apôtres, un seul a le regard qui se plante dans celui du visiteur. Il s'agit de Judas, dont l'attitude n'est ni menaçante, ni hésitante. Judas qui vous regarde et semble vous dire ce qu'il n'a jamais dit.
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