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26/10/2010

Un monde inhabité

La Foire international d'art contemporain (FIAC) de Paris s'est tenue pendant quatre jours au Grand-Palais et divers autres lieux parisiens. Il y avait cette année six foires off, dont ChicArtFair qui se tenait dans les superbes locaux de la cité du design et de la mode, en bords de Seine. L'occasion de belles découvertes, dont celle de José Manuel Ballester, artiste madrilène qui vide les toiles de maître de ses habitants.

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Sandro Botticelli - Histoire de Nastagio degli Onesti - 1487

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José Manuel Ballester - Bosquet italien III - 2008

La scène pourrait préfigurer la chanson de Charlélie Couture : "Y'avait une fête ici". Elle fait apparaître en personnage principal le paysage qui n'était qu'un décor dans le tableau original. Elle montre peut être aussi le travail du peintre qui, comme Ingres, peignait le fonds ou le faisait réaliser par ses élèves avant de poser délicatement chaque personnage à sa place.

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Fra Angelico - Annonciation - 1430 - Ballester - Lieu pour une annonciation - 2007

Difficile de dire que la toile est inhabitée. Le lieu pour une annonciation préfigure la scène qui s'y déroulera. Ainsi est on bien persuadé qu'il est des lieux dans lesquels la magie ne peut qu'opérer. Qui s'installe sous ces arches sera nécessairement touché par la grâce.

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Bosch - Le jardin des délices - 1490 - Ballester - Le jardin inhabité 2008

Le jardin inhabité est plus inquiétant. La nature de Bosch privée de ses habitants ne comporte plus guère de délices. On dirait une machine qui tourne à vide et qui ne produit que peu de plaisirs. Elle ressemble à ce monde déshumanisé que certains n'envisagent que comme un grand lego économique dans lequel l'homme n'a sa place qu'en tant que producteur/consommateur. Le jardin des délices ce n'est pas l'après-fête, c'est l'après fermeture d'activité, c'est la friche industrielle qui restera en l'état de longues années. En supprimant les habitants du paradisiaque jardin, Ballester prend le contrepied de Sartre, l'enfer ce n'est pas les autres, c'est quand les autres ne sont plus là, parce qu'il y a de fortes chances pour que l'on n'y soit pas non plus.

25/10/2010

Triste triomphe

Depuis environ une vingtaine d'années, la Cour de cassation a entrepris de redonner toute sa place au contrat de travail. Pour ce faire, elle n'a eu de cesse de consacrer la volonté du salarié face à celle de l'employeur, en élargissant le champ du contrat de travail et en restreignant celui des conditions de travail, selon la distinction posée en 1996 pour marquer les limites du pouvoir de direction.

Mais la Cour de cassation a également opposé le contrat individuel au contrat collectif en multipliant les possibilités pour le salarié de refuser l'application d'un accord collectif dès lors que celui-ci touchait à son contrat de travail. Il n'est pas illogique que la volonté collective ne puisse systématiquement contraindre la volonté individuelle et que le contrat qui confère la qualité de salarié soit garanti dans son contenu. Mais jusqu'à présent les juges considéraient que certains éléments, dont l'organisation du travail, relevaient par principe de régimes collectifs et non individuels. Par une surprenante décision en date du 28 septembre 2010, la Cour de cassation affirme que l'instauration d'une modulation du temps de travail constitue une modification du contrat qui nécessite l'accord exprès du salarié. Voici donc l'individu royalement couronné qui ne peut se voir contraint par le contrat collectif, même régulièrement négocié et même dans un domaine par nature collectif.

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Caravage - Bacchus - 1593

Cette promotion de l'individu n'est pas lubie des juges. Elle s'inscrit dans le mouvement plus large d'individualisation des relations de travail et de dilution du collectif. A ce titre, elle peut rappeler comment au 15ème siècle les peintres flamands ont introduit l'individu réel, et non plus l'individu symbole d'idées le dépassant, dans la peinture (sur ce thème, voir le très beau livre de Tzvetan Todorov "Eloge de l'individu"). Ce mouvement se poursuivra à la Renaissance, trouvant sans doute son apogée avec Le Caravage dont les dieux ont figure humaine. Et pourtant, cette chair incarnée est bien triste. L'individu saisi dans toute sa réalité physique et sa banalité quotidienne se trouve  bien seul, coupé du collectif. Cette opposition est présente dans le tableau du Caravage où le corps très académique tranche avec le visage plus elliptique. Quatre siècles plus tard, le débat n'est toujours pas clos. La jurisprudence de la Cour de cassation, qui rend extrêment complexe et délicate désormais la négociation et l'application d'un accord d'annualisation du temps de travail, semble imposer la prééminence du contrat individuel sur le contrat collectif. Aussi paradoxal que cela paraisse, cette affirmation de la volonté individuelle porte en elle-même un affaiblissement du salarié en le conduisant malgré lui vers une contractualisation individuelle de l'ensemble de sa situation de travail qui le laisse en position isolée de négociation face à l'employeur. Quant à ce dernier, il se trouve contraint de conduire des dizaines de négociations individuelles pour pouvoir mettre en oeuvre une négociation collective. Au final, cet émiettement du champ du négociable ne satisfera personne. Triste triomphe pour le contrat.

10/10/2010

Indépendance de la valeur

Surgie du noir le plus profond, elle vous toise et ses yeux vous en imposent sans besoin de croiser les vôtres. L’enfance est en ses joues, la détermination raffinée barre son front, ses principes s’incarnent dans son port, la rigueur de son esprit lisse sa coiffe, la sensualité est la nature même de la belle milanaise. Qu’elle fut la maîtresse de Sforza importerait peu si cela n’avait suscité chez l’amant la commande que Léonard et son atelier surent mettre à profit pour faire jaillir l’envoûtant chef d’œuvre. En quoi l’acte marchand initial disqualifierait-il en quoi que ce soit la beauté de la belle ferronnière ?

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Léonard de Vinci - La belle ferronnière - 1497

J’ai souvenir d’un directeur d’école annonçant aux étudiants lors d’une rentrée que ce qui n’a pas de prix n’a pas de valeur. Il fallut à la fois lui rappeler que l’amour et l’amitié existent aussi sur terre et plusieurs semaines pour dissiper la stupeur des étudiants. Mais faut-il pour autant, comme nous y invite Annie Le Brun, inverser la proposition et considérer qu’il ne faut mettre de valeur qu’en ce qui n’a pas de prix ?  faut-il ne voir derrière toute transaction marchande que sa version péjorative sous forme de marchandisation ? La visite de l’exposition France 1500, décidément à ne pas manquer, constitue une forme de réponse. On y voit, dans la France de la fin du Moyen-Age, des artistes et artisans flamands, français, italiens ou encore allemands, se déplacer vers les lieux de création, mêler leurs techniques, découvrir de nouveaux horizons, croiser les influences, inventer chacun au sein d’un mouvement de création collective de nouvelles formes et manières de les modeler. Comment tout cela fut-il possible ?  par  la commande publique et privée, par le mécénat, par l’attention portée à l’art et par l’existence d’ateliers qui ont bénéficié des moyens nécessaires pour aller au bout de leurs capacités. Alors ? alors l’équation est insoluble tout simplement parce que valeur et prix n’entretiennent aucun rapport entre eux et que persister à vouloir en établir un, c’est toujours réduire le sens donné au mot valeur. Qu’il y ait prix ou non, il ne saurait en toute hypothèse être une condition ni une mesure de la valeur qui doit s’établir au regard d’autres hiérarchies. C’est plutôt à ces dernières qu’il convient de s’intéresser. Avis aux organisations qui prétendent avoir des valeurs qu'elles affichent comme des prix.

08/10/2010

Du temps où le Roi avait des lettres

Imagine-t-on geste plus doux d'un amoureux envers l'aimée ? la personnification de la puissance, de l'histoire qui se fait et de l'autorité  peut-elle avoir attitude plus délicate, bienveillante, attentionnée, en un mot amoureuse ? d'ailleurs la barbe du vieil homme n'est-elle pas soyeuse chevelure de femme ? Comme les indiens le faisaient avec les biches qu'ils tuaient, François 1er se penche sur Léonard pour aspirer son dernier souffle afin que vive l'esprit en lui. Et ce faisant, le regard du souverain exprime l'obligeance du pouvoir à la connaissance, l'humilité de l'épée devant la plume, le respect que le corps triomphant doit au cerveau qui le guide. Le tableau d'Ingres est un chef d'oeuvre que l'on peut admirer depuis le 6 octobre au Grand Palais à l'occasion de l'exposition "France 1500". Et au-delà du thème, vous pouvez simplement faire abstraction de tout et ne regarder que les mains présentes dans le tableau : elles vous content l'histoire.

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Ingres - François 1er reçoit les derniers soupirs de Léonard de Vinci - 1818

L'admiration dans laquelle François 1er tenait les artistes, il l'exprimait ainsi  : "Je peux faire un noble, je ne peux faire un grand artiste". Qui a un tel culte de la création doit nécessairement s'affranchir des entraves formelles. François 1er n'était pas très respectueux du protocole et, à l'annonce du partage des nouveaux mondes entre Espagnols et Portugais, il eut cette phrase qui pourrait nourrir toute les révoltes, qui comme chacun sait ne peuvent véritablement être qu'individuelles: "Je voudrais bien voir la clause du testament d'Adam qui m'exclut du partage du monde". N'y a-t-il pas dans cette déclaration royale la plus belle affirmation démocratique qui soit si toute femme ou tout homme se l'appropriait ? Certes si François 1er fut le promoteur des bibliothèques, il n'en fut pas moins censeur. Mais il faudrait perdre l'habitude de vouloir tout blanc les individus à qui l'on trouve quelques vertus. Constatons qu'il y a 500 ans, un Roi était l'ami des lettres et que l'on retrouve son cousin, Jacques de Savoie-Nemours, dans la Princesse de Clèves. Tout était-il donc différent d'aujourd'hui ? et oui, sauf peut être sur un point : François 1er aussi creusa les déficits.

NDLA : petit rectificatif, le tableau n'est pas présenté au Grand-Palais, il faut traverser l'avenue et se rendre au Petit-Palais pour pouvoir l'admirer.

27/09/2010

Singularité

Vous avez le sentiment d'avoir déjà vu cela. Les moyens mis en oeuvre ne vous paraissent pas nouveau. Se prendre pour modèle cela fait tout de même des siècles que l'on en sort pas, que peut-il donc en sortir de nouveau ? et que pourrait créer une jeune fille qui est entrée dans l'adolescence très rapidement et n'en est sortie qu'en même temps qu'elle prenait congé de la vie ? la question la plus troublante demeure pourtant celle-ci : pourquoi ce qui n'arrive pas à prendre de dimension chez la plupart devient tout à coup un chef d'oeuvre ? quelle différence entre des milliers de photos ou de peintures qui ne vous procurent aucune émotion et celle qui  impose à vous sa singularité et vous trouble ?

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Francesca Woodman

Tandis que se montent et se démontent les estrades de la semaine de la mode, que  défilent de graciles jeunes filles qui ont appris à gommer leur sourire pour ne pas risquer de faire de l'ombre aux vêtements qu'elles doivent mettre en valeur, tandis que Milan s'offre aux projecteurs, dans le décrépi Palazzo de la Ragione se tient une rare exposition consacrée à Francesca Woodman.

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Il serait trop rapide, et faux, de croire que les oeuvres de Francesca Woodman sont promues par la légende d'une jeune adolescente suicidée à New-York le 19 janvier 1981 à l'âge de 23 ans. Ce n'est pas la biographie ni le mythe de la jeune fille en fleur qui produit la grâce et le trouble des photos de Francesca, même s'il est évident qu'elle est un ange.

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Ce qui produit inévitablement le chef d'oeuvre, c'est la singularité. Qui se construit dans la comparaison et la concurrence perd inévitablement de sa vérité. Celui, celle en l'occurence ici, qui ne s'en soucie guère a quelques chances de suivre son chemin propre. Voilà peut être pourquoi les mêmes actes produits par des individus différents ne produisent pas les mêmes effets.

Quant à Francesca, elle met plus d'élégance dans sa manière de s'effacer que ne pourront jamais en créer tous les couturiers milanais. L'exposition est présentée jusqu'au 26 octobre 2010.

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21/09/2010

Mélodie en sous-sol

Voici un endroit qui n'a pas peur du mélange des genres (cf chronique précédente). Le musée Bourdelle accueille des artistes contemporains qui ont placé leurs oeuvres au milieu des, souvent, très imposantes sculptures de Bourdelle, originaire de Montauban rappelons-le. Ces voisinages peuvent être appréciés différemment mais ils ne sont jamais intempestifs et sont parfois même un enchantement, tels les volutes d'Orlan. Mais l'expérience la plus troublante nous est procurée par Claude Levêque, auteur l'an dernier d'un très réussi pavillon français à la biennale de Venise (voir chronique du 19 octobre 2009).

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Claude Levêque a habillé d'une lumière violette mais non violente les caves du musée Bourdelle exceptionnellement accessibles pour l'occasion. Qui n'a jamais eu la tentation d'aller voir dans les cuisines, de passer derrière le rideau, de soulever un peu les jupes des filles, d'ouvrir une porte qui ne l'est jamais, ou d'aller un peu plus loin que d'habitude dans le dialogue lors de rencontres un peu plus magnétiques que les autres ? Ici, l'occasion était unique de descendre parmi les plâtres, les rebuts, les essais, les moules, bref tout l'artisanat de l'art de Bourdelle.

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L'occasion de découvrir une baigneuse blessée, ou la face cachée des grands bronzes.

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N'avez-vous jamais eu l'envie d'aller voir l'arrière-cour de votre organisation, ses caves et ses greniers, ses lieux intimes, les endroits où l'on peut observer l'oeuvre en train de se faire, les outils et procédés, bref tout ce qui précède la mise en scène sociale. Claude Levêque a fait le choix d'accompagner sa douce musique d'un vacarme d'édifice qui s'effondre. Symbole de la chute possible des statues commente l'air malin le gardien. Peut être aussi que dans les coulisses, tout n'est pas toujours rose, mais ce n'est certainement pas une raison pour ne pas aller y voir par soi-même.

 

01:40 Publié dans TABLEAUX PARLANT | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bourdelle

19/09/2010

Cloisonnement

Dans les différentes polémiques marquant cette rentrée, il y a plus de cohérence que l'on pourrait le penser de prime abord. Quel rapport en effet entre la chasse aux roms, les liens entre la politique et les affaires et la contestation d'oeuvres de Takashi Murakami au château de Versailles ? peut être celui d'une difficulté à poser au bon endroit certaines cloisons et à faire voler en éclat les autres. Au lendemain des journées du patrimoine, revenons sur Versailles et Murakami. Les cris d'orfraie retentissent, les pétitions tournent et  les duettistes réacs Zemmour et Naulleau transpirent pour donner un peu de hauteur à leur indignation : les japoniaiseries de Murakami n'ont définitivement pas leur place à Versailles.

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Trois arguments sont avancés le plus souvent : les oeuvres de Murakami c'est du Manga et pas de l'art, cela pollue donc Versailles et ses artistes, les vrais ; l'art contemporain, il y a des musées pour cela, pas la peine d'encombrer de véritables lieux de culture ; et pour finir Murakami c'est du buzz pour faire monter la côte de l'artiste largement représenté dans la collection Pinault, et Aillagon, directeur du château de Versailles, est un ancien collaborateur de Pinault et poursuit donc des objectifs inavouables.

Aucun de ces trois arguments n'est convaincant. Le problème n'est pas de savoir si Murakami plaît ou ne plaît pas, chacun se fera son opinion, mais de savoir si l'art contemporain et l'art classique peuvent cohabiter ou non ? le second argument créé une hiérarchie des valeurs qui voudrait que l'art classique soit intrinsèquement supérieur à l'art contemporain, réduit à une bouillie infantile pour décadents richissimes. Et l'on retrouve le dernier argument, la collusion et le copinage pour valoriser des artistes et les propriétaires de leurs oeuvres. Sur ce point, on signalera aux protestataires que la polémique née de leur action contribue largement à ce qu'ils dénoncent.

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Deux choses encore. N'est-il pas surprenant que quelques poupées et fleurs mangas puissent empêcher de voir la grande oeuvre versaillaise ? est-elle vraiment solide cette oeuvre grandiose si elle plie sans livrer combat devant le petit cousin hilare du playmobil ? est-elle si fragile la gravité statuaire des bustes pour ne pas résister à ces petits être rieurs et sans prétention, eux ?

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Et surtout, il est amusant de voir les dénonciateurs du communautarisme (Zemmour et consorts sus cités) plaider pour l'isolement et le cloisonnement des arts. La pétition Versailles mon amour énonce qu'il faut une écologie culturelle pour préserver l'art classique. On croirait entendre une oraison funèbre de ceux qui, ayant élevé sans cesse des murs autour d'eux s'aperçoivent un jour qu'ils ne peuvent plus vivre harmonieusement au sein de cette prison personnelle. Le sociologue Eric Maurin a montré en 2004 dans Le Ghetto français comment le séparatisme social structurait profondément la société française. S'il manquait une preuve que le repli communautaire est assez largement répandu, Takashi Murakami nous l'administre et remplit ainsi à la perfection une des fonctions de l'art contemporain : nous  permettre de mieux voir la société dans laquelle nous vivons.

Pour l'an prochain, suggérons au trop sage Aillagon d'aller au bout de ses intentions et de faire trôner le Lonesome Cowboy dans la galerie des glaces. Attendons nous dans ce cas là au pire car l'humour et le second degré sont depuis longtemps passés de mode.

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09/09/2010

Cycle permanent

Ce n'est pas de l'éternel retour de Nietszche dont il est question, mais du cycle de la performance. J'ai beau feuilleter les bonnes revues de management, et faire l'effort d'y inclure celles de langue anglaise, point de repos dans les cycles de performance. Ah les beaux schémas de consultant qui conduisent inévitablement au succès :

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La performance selon l'Université de Berkeley

Ayant quelques réflexes sportifs, j'ai toujours conçu la performance comme des cycles comportant nécessairement des hauts et des bas, dans lesquels les phases d'entrainement sont valorisées par les phases de repos sans lesquelles ils ne produisent que de l'épuisement et donc amoindrissent la performance. J'ai remarqué que les managers sportifs étaient fort usités dans les conférences pour managers (Constantini, l'inévitable Herrero, Jacquet qui eut son temps, Bernard Laporte passé de mode ou Villepreux indémodable). Et j'ai remarqué également qu'aucune (?) entreprise n'en tire la conséquence qu'il faut prévoir des performances non linéaires et des temps de récupération pour optimiser le résultat. Mais voici que l'on me souffle une possible explication : l'homme est avec le cochon le seul animal à faire l'amour en toute saison. Peut être est-ce pour cela que le cycle de la performance n'intègre pas le repos. Mais chut, on pourrait croire que le rapport au travail a un lien avec la libido. Vite une image pieuse avant de dormir. Raté ! La tentation de Saint-Antoine aussi est permanente.

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Félicien Rops - La tentation de Saint-Antoine

08/09/2010

Hommage aux bricoleurs anonymes

Certes Jean Tynguely n'est pas un anonyme. Mais c'est un bricoleur. Qui ne peut s'empêcher d'assembler, de souder, de visser, de lier, de coordonner, d'harmoniser, de concrétiser le rêve inespéré des bouts de ferrailles et rebus de la technique. Jean Tinguely ne peut voir une pièce de bois, de caoutchouc, de métal, sans vibrer en songeant à la place qu'elle pourrait trouver dans une improbable machine.

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Mais à quoi donc servent les machines de Jean Tinguely. Les fontaines passent encore, mais ce grand oiseau de métal tout encombré de ses ailes brandies comme des bras impuissants ? Et ces roues qui tournent en tout sens dans une cacophonie baptisée Heureuse Utopia ?

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Tinguely, comme Calder ou Miro, ouvre en grand les portes et fenêtres de la vie et des enfants, des oiseaux, des avions, des trains, des millepattes, des cacatoès, des renards roux aux yeux rieurs, des lapins magnétiques et mille autres joyeux drilles s'engouffrent dans ces ouvertures. Tinguely montre que la vérité est dans l'évidence de l'enfance.

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Les petits bricolages de Jean Tinguely nous offrent au final des grandes machines qui parviennent à notre grande surprise à fonctionner défiant toute les lois de la probabilité. De la même manière que tous les bricoleurs au quotidien dans les organisations inventent des outils personnels, des excel de secours, des circuits non prévus de circulation de l'information, des réseaux informels de ressources, des démerdes aussi géniales que clandestines, des process non certifiés ni certifiables, des raccourcis procéduriers aux allures de chemins de traverses, des transgressions fulgurantes et mettent en oeuvre des compétences non répertoriées, échappant à tout référentiel, dépassant largement l'imagination des metteurs en fiche de la création et de l'inventivité humaine. Bref, tous ceux sans qui rien ne tiendrait  et qui peuvent voir dans les oeuvres de Tinguely un clin d'oeil qui leur est adressé en forme d'hommage.

07/09/2010

Force tranquille

Basquiat encore. Dans le cadre de l'exposition à Bale est présenté un film où l'on voit Basquiat peindre. Surprise : les gestes ne sont pas frénétiques, le bras est sûr, la main n'hésite pas, elle prend son temps. Les mouvements les plus rapides sont exécutés lentement, dans une apparente décontraction, avec la facilité de celui qui n'a pas besoin du plan de ville pour trouver son chemin. Comme Picasso, Basquiat ne cherche pas, il trouve, à son rythme. Tout ceci avait lieu au début des années 80 à New-York. On ne peut s'empêcher de penser qu'au même moment la force tranquille en France était incarnée par Mitterrand dans un paysage de terroir, de clocher, de province, de notable et d'enracinement un peu étriqué. Mais cela avait rassuré, c'était fait pour. Près de trente ans plus tard, avec Sarkozy, rien n'a changé : la seule forme de modernité dans la référence est que le paysage ressemble à un  fonds d'écran windows. C'est peu.

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Pourtant, la véritable force tranquille, elle n'est pas dans ces paysages datés et passéistes. Elle s'incarne dans un mouvement multiculturel, polyphonique et polyglotte. Elle s'incarne dans New-York. Comme disait Michel Serres, contrairement à ce qu'ils pensent, nos gouvernants ont toujours un temps de retard sur le peuple.

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06/09/2010

De la créativité

La Fondation Beyeler, à Bale, proposait jusqu'au 5 septembre une rétrospective consacrée à Jean-Michel Basquiat, mort en 1987 à 28 ans, dont le premier article qui lui fut consacré dans une revue d'art s'intitulait : "L'enfant radieux". En quelques années, Basquiat a produit plus d'un millier de toiles et un nombre plus important encore de dessins, collages ou graffitis. Dans chacune de ses oeuvres, la quantité d'énergie est inouïe. C'est ce qui frappe au premier abord. Et puis on peut entrer dans le détail. Des couleurs, des mots qui structurent les toiles, des figures, des supports, des techniques. Et l'on s'aperçoit que Basquiat peint à la fois l'Afrique, les caraïbes, la culture occidentale, l'Asie émergente (on est en 1981), les hispanos, les latinos, les negros et les WASP. Il associe la BD, le graffiti, le cinéma, la peinture, la publicité, la politique, le sport, les intellectuels de la vieille europe, la pensée à l'état sauvage. Prodigieuse synthèse d'un jeune homme au doux sourire qui dessine les mains en regardant sa main.

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Basquiat - Skull - 1981


Les historiens le rappellent souvent : pour qu'une époque ou un territoire soit dynamique, il est nécessaire que les foyers d'innovation soient multiples, que les échanges entre eux soient intenses et que ces lieux soient ouverts aux apports extérieurs. Multiplicité, vitesse, curiosité, a priori favorable pour l'étranger, souci de transformation permanente, production continue. Quelques règles de base de l'innovation auxquelles nous continuons, sous prétexte du TGV, de l'Airbus et des centrales nucléaires, et en prenant soin d'oublier le France, le Concorde, le Rafale ou le char Leclerc, de préférer le modèle élitiste cenralisé et descendant. Basquiat, il était plutôt ascendant.

NB: L'exposition Basquiat sera présentée à Paris à partir du 20 octobre.

31/08/2010

Prendre de la hauteur

Julio Tomas Leal de Camara est un caricaturiste né au 19ème siècle, qui vécut longtemps en France et dessina, notamment, dans l'Assiette au Beurre. Il est mort en 1948 à Lisbonne mais avait pris le temps de dessiner les dirigeants des pays qui venaient de traverser la guerre. On pouvait découvrir ses dessins au Musée d'art moderne de Sintra. Avec une surprise : les caricatures de Churchill, l'homme au cigare, de Staline, l'ogre rouge menaçant ou de Roosevelt, le Yankee optimiste et heureux, pouvaient paraître de facture assez conventionnelle.

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Mais la caricature du Général De Gaulle présentait une dimension un peu différente. Certes l'uniforme, la rigidité de l'homme et la très française Tour Eiffel étaient attendus. Mais la surprise venait du haut du tableau : De Gaulle a la tête dans les étoiles. Le regard à hauteur de planète il est à la mesure de l'univers ou perdu dans ses rêves, et peut être bien les deux à la fois. L'inscription des trois autres dans une réalité matérielle immédiate n'en est que plus évidente. Et l'on mesure une fois de plus que tout dirigeant ne l'est véritablement que s'il est porteur d'une part de rêve et s'il sait, après tout c'est sa fonction, prendre de la hauteur.

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Petite observation complémentaire : la phallique Tour Eiffel qui accompagne le Général est un symbole amusant pour celui qui fut sans doute le dernier Président de la République à ne pas courir le jupon Pour mémoire : Pompidou et les ballets roses, Giscard et les jambes d'Alice, Mitterrand avec sa femme et ses maitresses à son enterrement et Chirac ou les multiples désespoirs de Bernadette. J'ai oublié quelqu'un ? non je ne crois pas. Sarkozy il n'est pas président il est DRH de la France.

20/08/2010

Mafia, Mama, Maradona

L'énigme n'en est pas vraiment une. Quelle ville se cache derrière les trois mots Mafia, Mama, Maradona ? Mafia, nous pouvons être en Italie, aux Usa, en Russie, Mama, nous nous rapprochons de l'Italie, Maradona, nous sommes au Sud, à Naples précisément. On connait la formule d'Edouard Herriot emprunté à un moraliste oriental : "La culture, c'est ce qui reste dans l'esprit quand on a tout oublié". On peut ne pas connaître les mamas italiennes, ni le football, ni le crime organisé (difficile d'échapper à Coppola et au Parrain quand même) et pourtant avoir une représentation de la ville de Naples. C'est que la culture, qui fait l'identité, ce dont ne se sont toujours pas aperçu ceux qui désespèrent de trouver sous un coin de tapis la définition de l'identité nationale, est suffisamment forte pour ne plus dépendre de la connaissance formelle. Même ceux qui ne savent pas, savent.

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Sur un mur de Naples
Plutôt que de créer d'artificielles chartes manageriales ou d'afficher des valeurs publicitaires, les entreprises pourraient se demander, ou mieux encore demander à leurs salariés, quels sont les trois mots qui leur paraissent le mieux caractériser leur identité ou leur culture. Et bien sur ne pas proposer une liste prédéterminée de mots valises. Essayez pour voir ce qui vous vient spontanément à l'esprit s'agissant de votre organisation. Vous pensez que l'on peut communiquer là dessus ? allez il vous reste le week-end pour préparer vos arguments. Vous voulez que j'y joue aussi ? alors allons y, pour le Cabinet Willems Consultant spontanément : artisanal, rapide, toulousain. L'acronyme mégalo donne ART mais l'enthousiasme est refroidi quand on aperçoit le RAT ! (napolitain sans doute).

18/08/2010

Transmission

Antiochus se meurt d'amour pour sa marâtre Stratonice. Le médecin a compris la nature du mal qui l'habite. Stratonice également qu'Ingres présente avec une modernité stupéfiante, dans une pose que Picasso, entre autres, étudiera longuement. Au milieu d'une pièce encombrée d'histoire et d'un lourd passé figuré par les colonnes, les statues ou encore les peintures, elle rayonne telle une apparition qui tranche avec la romantique et un peu mièvre scène de la maladie d'Antochius. Elle sait déjà que son mari, Seleucus, l'offrira à son fils pour qu'il guérisse et que perdure la dynastie. C'est moins l'amour qui triomphe que le poids de l'histoire et du destin. Dans cette pesante et pénible histoire d'hommes, Ingres, par la représentation de Stratonice, nous fait comprendre en un instant pourquoi la compagnie des femmes doit systématiquement être préférée aux communautés masculines.

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Ingres - Antiochus et Stratonice - 1840
L'histoire de Seleucus pourrait être rappelée aux dirigeants qui n'ont de cesse de n'être oublié après leur départ : voici un souverain qui s'efface au profit de son successeur et qui fait prévaloir la dynastie sur son bonheur. Plutôt que de consacrer beaucoup de temps à être un dirigeant inoubliable, quitte d'ailleurs à pratiquer la politique de la terre brûlée pour aviver les regrets, peut être conviendrait-il d'en consacrer un peu à organiser la suite.

06/08/2010

Regarder, voir

L'apologue zen est rapporté par André Breton dans Signe Ascendant (1947) : "Par bonté bouddhique, Bashô modifia un jour, avec ingéniosité, un haïkaï cruel composé par son humoristique disciple Kikakou. Celui-ci ayant dit : "Une libellule rouge - arrachez-lui les ailes - un piment", Bashô y substitua : "Un piment - mettez lui des ailes- une libellule rouge". Il appartient à chacun de nous de se façonner un regard qui voit des piments dans les libellules ou des libellules dans les piments.

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Oder - Rapaz inteligente (Garçon intelligent)
Le monde comme volonté et représentation disait Schopenhauer ou bien préférez vous le monde comme volonté est représentation. Pour rester germanique, ce qui n'exclut pas la poésie, et en cette période de quête du soleil, cette phrase de Goethe sur la force du désir : "Si l'oeil n'était pas soleillant, comment verrions-nous la lumière ?". Dis moi ce que tu vois, je te dirai qui tu es.

24/06/2010

Légal n'est pas moral

A première vue, le tableau est tout à fait licencieux, délicieusement érotique. Le lit est ouvert, le rideau rouge déborde de sensualité, les mollets du jeune homme sont bien tendus et galbés, la belle ne résiste guère que pour rajouter du piment à la situation. La morale n'a pas sa place ici. Pourtant, un détail attire l'oeil. La pomme rouge sur la table n'est pas que le fruit de l'amour, elle renvoie également au pêché originel. Et le verrou qui se ferme clos le paradis dont les amoureux sont chassés. Voici un rappel à l'ordre bien moral.

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Fragonard - Le verrou - 1778
Ainsi la morale peut se nicher où on ne l'attend pas. A l'inverse, elle peut s'absenter de là où l'on pourrait s'attendre à la trouver. La déclaration de Christine Boutin renonçant à ses 9500 euros mensuels pour réfléchir aux conséquences de la mondialisation nous en livre un exemple. Elle déclare en substance : "Cette rémunération est légale, mais j'y renonce parce que les gens peu payés ont été troublés" (en substance vraiment car le personnel politique ne parle jamais de gens peu payés, il est question de revenus modestes pour des personnes modestes auxquelles bien évidemment le qualificatif vaut injonction d'humilité : quand on est modeste on ne revendique pas, ce qui n'est pas toujours le cas lorsque l'on est peu payé). Cette déclaration nous livre deux informations : peu importe que la rémunération soit immorale, elle peut être légale. Et ce n'est pas à l'immoralité que l'on se réfère pour y renoncer (impossible car elle avait d'abord été acceptée) mais au calcul : l'électeur ne l'acceptera pas. Si certains doutaient encore que le droit et la morale ne sont pas synonymes, la déclaration de Christine Boutin pourra leur donner matière à réflexion. Mais sans doute Christine Boutin trouverait-elle Le verrou immoral.

04/05/2010

Voir c'est croire

La formule est fréquente, je l'ai toujours trouvée indigente : "Je suis comme Saint-Thomas, je ne crois que ce que je vois". La phrase recèle deux fausses évidences et une vérité non assumée. La première fausse évidence est de limiter la réalité à  ce que l'on voit. La vue n'est qu'un de nos sens et pas toujours le plus fiable. Proust, qui avait la subtile connaissance des cinq sens, nous le montre en une phrase :

"Quand par les soirs d'été le ciel harmonieux gronde comme une bête fauve et que chacun boude l'orage, c'est au côté de Méséglise que je dois de rester seul en extase à respirer, à travers le bruit de la pluie qui tombe, l'odeur d'invisibles et persistants lilas."

Sont ici sollicités l'ouïe, l'odorat, le temps, le goût et l'esprit. Quoi de plus réel que ces invisibles lilas.

La seconde fausse évidence est de se fier à l'expérience personnelle plus qu'à toute autre. C'est pourtant celle avec laquelle nous avons le moins de distance, celle qui comporte le plus de risques de biais. Il est facile de constater qu'il est plus simple d'éduqer les enfants d'autrui que les siens. Accessoirement, c'est aussi ce regard extérieur et distancié qui justifie, outre son expertise, le recours à un consultant.

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Roland Penrose - L'île invisible (voir c'est croire) - 1937

La vérité non assumée, tient à la formule je ne "crois" que ce que je vois. Elle affirme donc que voir est une croyance. Et avec raison car si nous ne faisions que voir, nous ne pourrions jamais connaître mais seulement reconnaître. La vision d'une pyramide si je n'en ai jamais vu et si l'on ne m'explique ce qu'elle est ne m'apprendra rien, pas même qu'il s'agit d'une pyramide. Si je ne fais que voir, il s'agit donc bien de croire.
Et l'on pourrait alors prendre le contrepied de Saint-Thomas et considérer que pour connaître, il faut d'abord observer en tentant de se libérer de toute croyance, en se défiant de soi-même, en sollicitant autrui et en faisant travailler tous ses sens. En réalité, Saint-Thomas est un feignant.

03/05/2010

Une oeuvre jamais terminée

Ingres dessinait pafaitement. Et décalquait beaucoup aussi. Comme l'écrivain lit et cite, le peintre décalque et copie. C'est ainsi qu'il se forme, c'est ainsi qu'il créé, c'est ainsi qu'il innove et invente. Car l'on ne créé jamais seul et loin du plagiat, la citation, la reprise, la copie, l'influence constituent des hommages à l'oeuvre électivement choisie. Le Musée Ingres de Montauban dispose d'un inestimable fond dans lequel on peut admirer les croquis préparatoires à l'un des plus grands chefs d'oeuvre de la peinture : Le bain turc.

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Ingres - Etudes préparatoires et Le bain turc - 1862

L'oeuvre est achevée alors qu'Ingres à 82 ans. Achevée ? non car la construction continue. Le bain turc passe en d'autres mains, celles de Picasso notamment qui toute sa vie le copiera.
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Picasso - 1968

Et si le Bain turc n'avait pas existé, Picasso aurait-il peint ce qui est également un des chefs d'oeuvre absolu de la peinture, à savoir Les demoiselles d'avignon ?

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Picasso - Les demoiselles d'Avignon - 1907

Ainsi Le bain turc est-il toujours fécond et produit ses effets au-delà de la toile elle-même et de son auteur. Notre échelle d'appréciation d'une oeuvre est parfois bien réduite par un double manque : le recul nécessaire à l'observation véritable et la mise en perspective dans le temps. C'est ainsi qu'il faut regarder le dispositif du DIF. Accepter qu'il s'agisse d'un dispositif en construction qui continuera d'évoluer, considérer qu'en matière sociale six ans c'est bien peu pour l'appropriation d'un tel dispositif qui tranche avec plus de trente ans de pratiques antérieures de formation et enfin, et peut être surtout pour les professionnels de la formation, admettre que la formation n'est pas le centre d'intérêt principal ni des entreprises, ni des salariés, ni des syndicats et que le fait d'être "de la profession" ne confère aucune qualité particulière pour le leur reprocher. Chacun est juge de ses priorités. Cela ne doit pas empêcher le débat sur à la fois les finalités et les modalités de mise en oeuvre d'un dispositif potentiellement révolutionnaire et factuellement progressiste. En guise de contribution à ce débat, une interview parue dans Entreprises et Carrières.


12/04/2010

Une exposition de son temps

Jusqu'au 1er Août 2010, le Musée Jacquemart présente l'exposition "Du Greco à Dali", 50 toiles d'artistes espagnols issues de la collection Perez Simon. Avouons que la visite n'a pas produit le plaisir attendu, certains travers de l'époque étant par trop présents. En premier lieu, le choix éditorial des commissaires est d'une pure artificialité. Là où Perez Simon a rassemblé des oeuvres différentes, uniques, singulières, contradictoires parfois, les responsables de l'exposition ont souhaité, à travers une présentation thématique (la peinture sacrée, la peinture de l'enfance, la peinture érotique...) donner un sens qui en réalité n'en a guère. Comme tous les peintres les espagnols ont peint des motifs religieux, naturalistes, érotiques, des portraits, des scènes de genre, des représentations sociales, etc. Voilà qui ne nous renseigne ni sur les oeuvres ni sur leurs auteurs et encore moins sur l'Espagne dont rend pourtant compte la magnifique cordouane de Julio Romero de Torres.

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Julio Romero de Torres
La seconde source d'agacement se trouve dans l'insistance des agents du musée pour vous coller un audioguide à l'oreille. Argument suprême si vous déclinez : "Mais c'est gratuit...". Comme si le gratuit était nécessaire et ne pouvait vous encombrer. Comme si le désir de possession était tel que toute gratuité ne peut se refuser, comme pour les journaux "gratuits". Mais ce qui dans cette affaire est insupportable est qu'un musée s'efforce de vous empêcher de voir en vous forçant à écouter. La voix qui guide votre regard et votre esprit ne vous laisse en effet aucune liberté devant le tableau. Elle vous dit ce qu'il faut en penser. Elle vous remet devant le Musée TV avec à la fois l'image et le son. De ce fait, on ne s'étonne guère du nombre des Dali dans l'exposition, celui qu'André Breton surnommait Avida Dollars en un ravageur anagramme, car il figure totalement la peinture du spectaculaire qui ne recherche que l'effet et la superficialité du reflet. Guy Debord écrivait que dans le spectacle généralisé, le vrai devient un moment du faux. Chez Dali le faussaire on cherchera en vain le vrai qui éclate chez Picasso.
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Dali                                                   Picasso

On regrettera donc qu'en dépit de l'intitulé de l'exposition "Du Greco à Dali" nous soient proposés beaucoup de Dali et bien peu de Greco, si ce n'est une petite peinture du Christ pour laquelle on donnerait non seulement tout Dali mais également la mystique peinture par Murillo de l'immaculée conception qui renvoie les plaisirs de l'amour au pêché originel. La mystique véritable peut se passer de ces fariboles. Ici encore, la comparaison est éloquente.
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Le Greco                                                  Murillo


Si l'on veut véritablement s'intéresser aux femmes et à la poésie, préférons Miro également présent à Jacquemart.
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Miro - Femmes devant la lune - 1944

Résumons : du faux spectaculaire, du son pour brouiller l'image, une vaine recherche de cohérence thématique qui en affirmant sens et valeur nous en fait perdre le fil et nous égare. Voici donc une exposition bien de son temps. Ce qui n'exclut nullement les pépites.

15/03/2010

Motivation

Le Palais des Beaux-Arts à Bruxelles, les Bozarts selon la terminologie officielle, organise une splendide exposition consacrée au Greco qui fut aussi un des inventeurs de l'Europe :  peintre crétois initié en Grèce à la peinture Byzantine et formé à Venise, il installa son atelier à Tolède dans la deuxième moitié du 16ème siècle. Lequel atelier allait produire et reproduire des toiles du maître avec son concours. Le Greco, c'est souvent un collectif au service d'une singularité personnelle. Les chefs d'oeuvre sont nombreux dans l'exposition et plusieurs tableaux marquent. Mais sans conteste, c'est la présentation de la série des douze apôtres et de Jésus, soit treize tableaux conçus pour aller de concert, qui produit l'émotion la plus immédiate. Parmi les apôtres, un seul a le regard qui se plante dans celui du visiteur. Il s'agit de Judas, dont l'attitude n'est ni menaçante, ni hésitante. Judas qui vous regarde et semble vous dire ce qu'il n'a jamais dit.

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El Greco - Judas

On connaît l'histoire : Judas désignant Jésus d'un baiser aux troupes de Ponce Pilate pour trente deniers. Eternel schéma : l'argent emporte toute conviction et décide de chacun de nos actes. Regardons y de plus près : Judas était très proche de Jésus, trente deniers sont peu de choses, Jésus se savait condamné et n'a jamais cherché à fuir, le martyre était inscrit dans l'histoire qui sans cela n'aurait peut être pas été écrite. Cette thèse a déjà été soutenue. Elle fait de Judas le véritable crucifié, par deux fois : la première parce qu'il mourra peu après, suicidé ou tué selon les sources, et la seconde parce qu'il assume d'être pour l'éternité la figure du traître. Dans le portrait du Greco, pas de discours. Judas se tait toujours. Mais il vous regarde, seul apôtre à river ses yeux dans les vôtres. Trente deniers sont vraiment peu de choses et, il faudrait le rappeler parfois à ceux qui ne sauraient concevoir d'autre finalité à l'action que  l'argent, il peut être de plus grandes motivations. Mais des motivations profondes de chacun, nous ne savons rien. Le Greco et Judas contribuent à nous le rappeler.