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03/11/2011

Du collectif et de l'individuel

Le plus souvent, les expositions d'arts plastiques ressemblent à des assemblages un peu patchworks : les oeuvres que l'on a pu rassembler sont présentées suivant leur chronologie, parfois leurs thématiques. Au final, plusieurs dizaines d'oeuvres font une exposition. Au Palazzo Fortuny, à Venise, se tient une exposition intitulée TRA, comme à travers, et sous-titrée Edge of becoming, soit quelque chose comme "Au bord du commencement" ou "A la lisière du devenir". Dans le décor baroque du palais qu'habita Mariano Fortuny et qui abrite encore certaines de ses oeuvres, sont installées les créations de près de 300 artistes, comme dans un cabinet de curiosités.

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L'exposition s'étend sur quatre niveaux, chaque entrée dans une pièce procurant un sentiment de dépaysement nouveau, dans une grande familiarité qui vous conduit à penser : "C'est ici, et ainsi, qu'il faut vivre". Les portes sont très présentes et  vous ouvrent plutôt qu'elles ne s'ouvrent.

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Mais le plus étonnant, le plus rare, est la manière dont toutes les oeuvres rassemblées se subliment les unes les autres sans que leur singularité ne s'en trouve diminuée. L'exposition est une oeuvre dans son ensemble, dont chaque partie est une oeuvre magnifiée. Ainsi cette robe aux plumes de paon éclaire l'atelier de Fortuny tout en étant mise en valeur par les peintures murales qui l'entourent.

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L'exposition TRA fournit à qui en douterait, la preuve définitive que le collectif et l'individuel ne s'opposent pas, bien au contraire. D'une manière stupéfiante, l'on peut constater que des oeuvres d'une très grande diversité, depuis un torse de bouddha en passant par de l'art minimaliste ou conceptuel, des peintures religieuses du grand siècle ou des expérimentations visuelles et sensorielles contemporaines, peuvent non seulement dialoguer mais produire une oeuvre plus grande encore tout en prenant chacune une nouvelle dimension. Comme quoi l'individuel et le collectif peuvent être chacun au service de l'autre pour le profit de tous et notre plus grand plaisir. Et l'on se dit que l'on enverrait bien quelques dirigeants et managers faire un tour chez Fortuny, qui sait, peut être que l'esprit des lieux...

02/11/2011

Si proche ennemi

L'étranger fait peur, ce n'est pas nouveau. Le terme même d'étranger nous persuade que l'autre, que nous ne connaissons pas, est un peu bizarre. Des manières qui ne sont pas les notres, des réactions différentes, un mode de vie qui nous surprend ou nous déroute, l'étranger est une énigme souvent perçue comme une menace.

Pourtant, le danger vient rarement de l'étranger et plus souvent de la proximité. Le plus grand lieu de violence est la famille, 75 % des viols sont commis par des hommes qui connaissaient leur victime, le crime de hasard demeure minoritaire et les risques au final sont bien moindres d'être agressé par un étranger que par quelqu'un que l'on connaît. Eternelle histoire d'Abel et Caïn.

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Le Tintoret - Cain et Abel

Pourquoi, contre toute évidence, avoir si peur de l'étranger alors que la menace vient d'ailleurs ? pourquoi cette focalisation ? peut être justement pour oublier que la violence vient plus souvent de nos proches, sans doute par déni de reconnaître cette capacité de violence à ceux avec qui l'on a tissé des liens d'amitiés voire d'amour. Il est des évidences moins agréables que d'autres. Au final, tant pis pour l'étranger qui paiera sans avoir rien demandé le prix du déni.

26/08/2011

D'une culture l'autre

Il n'est pas un français pour contester que la cuisine est une tradition française. Peut être un peu moins pour reconnaître que cette tradition existe dans tous les pays et que le rapport à la nourriture, à la manière de la préparer et de la consommer, en dit aussi long sur l'état d'une société que la lecture de son Code pénal (non moins bon révélateur toutefois).

Le succès des émissions culinaires télévisées est à cet égard instructive. On pourrait penser que pour des passionnés de cuisine, la participation à un programme où il s'agit avant tout de cuisiner est une fête, dans la tradition française, mais aussi européenne : si le banquet marque la fin de toute aventure d'Astérix, archétype du héros Gaulois, il emprunte parfois aux maîtres flamands.

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Le Banquet de Bruegel revu par Uderzo

Mais surprise, les candidats tirent des têtes de six pieds de long, pleurent à tout instant, sont en permanence à fleur de nerfs et vivent névrotiquement le rapport au succès ou à l'échec. Toute mise à l'écart est plus terriblement vécu que le départ d'Eve et d'Adam du paradis. Traversant les siècles, la culpabilité aurait donc poursuivi son terrible office ? pourquoi ce rapport pathologique à l'échec ? problème éducatif ? reste judéo-chrétien ? infantilisme généralisé ? égos déployés à tout va ?

Un début de réponse peut être trouvé outre-atlantique. Dans le même type d'émission culinaire, des Québécois (libres évidemment), apprentis cuisiniers, concourent pour un titre de Chef. Compétition joyeuse, remerciements de ceux qui sont éliminés pour la participation, convivialité. Taux lacrymal quasi-nul, concentration n'excluant pas le sourire, sérieux mariné dans l'humour. Bref, pas encore la bacchanale de Picasso, mais pas loin.

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Picasso - Bacchanale

Pourquoi tant de décalage ? il vient peut être de loin et les peintres, comme souvent, peuvent nous aider. D'où le Caravage a-t-il sorti ce Bacchus triste devant l'abondance de chère ? d'une profonde mélancolie qui habite la vieille Europe et qui en fait la zone du monde à la fois la plus riche et la plus consommatrice d'anti-dépresseurs ?

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Caravage - Bacchus

Les Québecois ont fait leur cuisine avec une part de culture greco-latine et une part de culture anglo-saxonne. Le mélange est plutôt savoureux. Il nous permet de ne pas oublier ce que proclamait un grand ripailleur français, François Rabelais, que le rire, et non les larmes, est le propre de l'homme.

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Anthony Lelgouarch - Le rire de Gouarch

11/08/2011

A quoi sert l'art ?

C'est un classique des sujets de philosophie au bac, et des thématiques récurrentes qui permettent de combler les pages d'été des journaux lorsque l'actualité s'assoupit, à moins que ce ne soient les journalistes. La question se décline avec de multiples variantes : l'art est-il utile ? que vaut une oeuvre d'art ? faut-il subventionner l'art ? l'art pour quoi faire ? etc.

Au lecteur alangui par le soleil d'août, nous éviterons les longues dissertations au profit d'une démonstration par l'image. Si vous regardez ça :

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Vous risquez fort de devenir ça :

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Et si la démonstration ne vous suffit pas, vous pouvez comme dans tout bonne copie bachoteuse, ajouter l'indispensable citation de Nietzsche : "Il faut danser sa vie". La suite est dans le mouvement.

20/04/2011

Ce que l'art nous montre

Deux photographies de l’artiste américain Andres Serrano ont été détruites à Avignon, après avoir provoqué scandale. On se souvient des ligues d’extrême-droit tentant de brûler le film surréaliste de Luis Bunuel et Salvador Dali, L’Age d’or. Nous n’aurions pas avancé ? pas énormément non. Destruction des Bouddhas ici, fatwa sur un écrivain là, représailles pour des caricatures du Prophète plus loin, destruction de photographies d’un crucifix donc. Si l’on voulait une seule preuve que l’art n’est pas inutile, elle est fournie. Sa capacité à susciter la haine démontre largement sa puissance de révélation.

 Que nous révèle l’art ? que le regard que nous portons sur l’œuvre nous en apprend plus sur nous même que sur l’œuvre en question. Certaines œuvres vous choquent, vous exaspèrent, vous irritent, vous indignent, vous révulsent ? vous n’avez que l’embarras du choix : ignorez-les et ne perdez pas votre temps à parler de ce qui n’en vaut guère la peine, combattez-les par une critique bien sentie dont les arguments feront mouche, produisez-vous-même une œuvre qui ridiculisera celle que vous abhorrez, ou bien montrez-les à profusion pour discréditer leur auteur qui n’y résistera pas.

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Mais évitez la destruction, l’autodafé, la censure, le mépris, l’injure et autres joyeusetés. Vous ne ferez que justifier ce qui déclenche votre courroux.

Un crucifix dans de l’urine, c'est sale ? injurieux ? blasphématoire ? Cela peut aussi se lire comme le témoignage qu’en toute circonstance, en tout lieu, au cœur même du sordide, il y a une place pour Dieu et que son éclat ne s’en trouve pas amoindri. Cela supposerait d’avoir un regard ouvert sur l’œuvre et de belles intentions à faire valoir. La destruction violente de la photo nous conforte dans l’idée que l’art est nécessaire et nous enseigne que, loin de leurs discours, le regard porté par les destructeurs sur l’œuvre n’a pas grand-chose de divin. Et que l’insulte faite à Dieu est sans doute plus grande de penser qu’il peut se noyer dans un peu d’urine que d’essayer de démontrer, serait-ce laborieusement, le contraire.

18/04/2011

De l'objectivité

Roland Penrose avait acquis auprès de Picasso ces portraits de Lee Miller, son épouse. Lorsque, pour la première fois, il les installa chez lui, leur fils Anthony, qui avait alors 5 ans, s'écria  plein de joie en voyant les tableaux : "Maman, Maman !".

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Picasso - Portraits de Lee Miller - 1937

 Avec deux peintures empruntant au génie de l'enfance, qui reconnaît les siens sans coup férir, Picasso met à bas plusieurs siècles d'effort du rationnalisme cartésien pour atteindre la vérité des choses par leur approche objective. Considérer les choses objectivement,  les établir telles qu'elles sont, rendre compte, saisir dans son immanente présence, sans filtre, sans interprétation ce que nous voyons. Sans rien y mettre de soi. Autant dire en  vidant de tout son sens le sujet observé, dans une tentative désespérée de négation de soi-même. Seule la subjectivité la plus engagée, la dimension personnelle la plus assumée et la plus revendiquée permet de révéler, car c'est de cela qu'il s'agit, les éléments de vérité qui habitent ce qui à notre regard s'offre. Ne pas oublier que l'on a un corps, et que cette incarnation doit être présente à l'acte d'analyse n'est pas se fourvoyer sur les terrains de la subjectivité. Seul le totalement personnel a quelque chance d'être universel.

23/03/2011

Beauté du travail-travail

Le conseil venait d'Ingres, il fut entendu par Degas : "Il faut produire des lignes, et encore des lignes, si vous voulez devenir un bon artiste". Degas produisit des lignes, dont celles-ci. La cuisse puissante, la hanche creusée, le ventre plat, le bras juvénile, la pudeur et l'abandon de l'attitude, le mouvement d'ensemble du dessin, comme une ligne de fuite bien présente. Pas de doute, Degas a du en tracer des lignes pour parvenir à celles-ci.

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Degas - Femme nue étendue

Joan Miro, dont on peut actuellement admirer les sculptures au Musée Maillol, déclarait que dans son travail il y avait le travail-travail, avec sa dimension artisanale, et puis la dimension fantasmatique qui lui donnait tout son sens. Le rêve habitant le travail.

Voilà un chemin possible pour la compétence et pour l'innovation. Du travail-travail, de la répétition, du rythme maintenu, du geste renouvelé, surgiront des lignes nouvelles, et ce d'autant plus que le rêve et le fantasme viendront, à leur heure, sans qu'ils ne soient forcés, dans la fluidité de l'acte répété, nourrir le travail. Beauté du quotidien répété, plaisir de la découverte des éclosions de la banalité. Ce qu'exprimait à sa manière Degas déclarant : "Je voudrai être illustre et inconnu".

Ce n'est pas un conseil, juste un message personnel, un soir de déplacement.

21/02/2011

D'une main de maître

Un artiste a nécessairement une technique, si ce n'est de la technique. Il maîtrise des manières de faire qu'il a mises au point par apprentissage, copie, emprunt, recherche, découverte,...Il créé son propre alphabet. Mais cela ne suffit pas à faire un langage. Toute la question est dans l'utilisation de cet alphabet. Pour quoi faire et pas seulement comment faire. Car le comment n'est pas ce qui caractérise le plus l'artiste, dont les techniques sont reproductibles. Quel que soit le talent du maître, l'oeuvre est reproductible dès lors qu'elle est produite. Vous en doutez ? regardez plutôt :

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Artiste chinoise et la reproduction du Pape de Bacon

Photo : Michael Wolf

Qui a peur de l'ogre chinois,  appréciera les thèmes choisis par ces jeunes filles de Pékin pour exercer leur art de la copie.

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Artiste chinoise et copie de Saturne dévorant ses enfants de Goya

Photo : Michael Wolf

Si le travail des jeunes copistes est un travail d'artiste, celui de l'artiste est donc autre chose, au-delà de la technique. Quoi ? ce qui est à la base de toute création dans tout domaine, la condition sine qua non pour que surgisse la vie, je veux parler de la capacité d'imagination. Produire, reproduire, apprendre à faire, tout cela est parfait, mais ce qui fait l'individu ainsi que ce qui fait, au plan collectif, une société, c'est sa capacité d'imagination. Et cela, la main de maître n'y suffit pas.

15/02/2011

Etes vous vieux ?

Des chercheurs américains un peu taquins ont proposé à des volontaires d'âge différent de tester un nouveau journal en ligne sur internet. Les testeurs devaient indiquer les articles qu'ils aimaient le plus. Ainsi fut fait. Mais en réalité, il ne s'agissait nullement d'un nouveau media. Simplement d'analyser les rapports entre les classes d'âge. Aussi, des articles positifs et négatifs, sur les jeunes et sur les vieux (appelons un chat un chat) étaient proposés à la lecture. Les jeunes retinrent comme articles dignes d'intérêt...les articles positifs sur les jeunes. S'intéresser à ce qui parle de soi en bien n'est pas si surprenant. Ce qui l'est davantage, quoi que, c'est que les vieux ont principalement retenu les articles négatifs sur la jeunesse. Nous sommes loin du réciproque regard bienveillant que se portent l'enfant et le vieillard de Ghirlandaio.

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Ghirlandaio - Le vieil homme et l'enfant - 1490

Les conflits de génération ne sont pas nouveaux, ce n'est pas pour autant qu'ils ont toujours la même nature. La plus grande liberté de la jeunesse (de ton, de moeurs, dans le rapport aux institutions, à l'autorité,...) semble constituer pour les générations précédentes un miroir insupportable. Pourtant,  chacun sait ou devrait savoir, que comparer les générations est absurde et que nul ne doit se sentir remis en cause par le fait que, en quelques années, la vérité s'est parée de nouveaux atours. Mais la haine d'autrui ne renvoie-t-elle pas à la haine de soi, comme on le dit souvent au zinc des bistros et dans les journaux féminins, preuve de l'unanimité sur la question ? toujours est-il que vous disposez à présent d'un indicateur pour mieux approcher votre âge réel. Gare à la prochaine lecture du journal.

14/02/2011

A défaut d'imagination, reste la sanction

Une rue de Paris. Soleil de fin d’après-midi d’été. Torpeur, silence, banalité du quotidien. Que peut faire le peintre de ce tableau ? il peut introduire le mystère, l’étrangeté, le doute, l’interrogation. Son imagination ne fonctionne que pour mieux solliciter la votre. Voici une carriole lourdement chargée et son paquetage masqué. Voilà de hauts murs que l’on rêve de percer. Ajoutons des arbres témoins de la scène, trop correctement taillés pour être honnêtes. Et remarquez ces nuages qui n'ont d'autre objet que de perturber un ciel bien lisse. Il y a manifestement des zones d’ombre dans ce tableau qui pousse la porte de la banalité pour vous laisser entrer dans le mystère et l’aventure.

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Man Ray - Rue Férou - 1952

Nos gouvernants pourraient consacrer un peu de temps aux tableaux de Man Ray, ce ne serait pas temps perdu si cela pouvait remettre en mouvement leur imagination. Car la méthode de traitement des questions d’emploi et de formation est, depuis quelques années, uniforme : contraintes et sanctions s’associent invariablement dans un management d’un autre temps. Quelques exemples ?

Pour régler la complexe question de l’emploi des seniors, adoptez un plan emploi senior sinon pénalité. Pour égaliser les situations des femmes et des hommes, négociez sinon pénalité. Pour l’emploi des travailleurs handicapés, recrutez ou achetez sinon pénalité. Pour gérer la pénibilité, négociez sinon pénalité. Et voici que l’on nous annonce l’idée maîtresse du plan emploi des jeunes : un bonus-malus selon que les entreprises recrutent ou non. Dans un vigoureux effort de créativité, on rajoute la carotte au bâton.

Manifestement nos dirigeants ne voient d’autre source de motivation que l’argent. Pour susciter les comportements voulus, on sanctionne ou on  récompense au porte-monnaie. Voilà qui rend inutile toutes les théories de la motivation, hors l’argent point de salut. Constatons toutefois que l’emploi et la formation ne sont pas les seuls concernés puisque la sanction financière est la réponse choisie pour traiter l’absentéisme scolaire et que la sanction pénale est plus globalement la réponse proposée à toutes les questions de société.

Et voilà comment l’injonction « Obéissez ou payez »  est  devenue pour le citoyen l’invariable sanction du défaut d’imagination de ses dirigeants.    

04/02/2011

Citation du jour

Par l'art seulement nous pouvons sortir de nous même

 

Marcel Proust

 

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28/01/2011

Acteur dirigé

L'exposition Basquiat, initialement présentée à Bale, est visible au Musée d'art moderne  de Paris jusqu'au lundi 30 janvier. On peut y apprécier la redoutable créativité d'un jeune homme qui fut un véritable citoyen du monde tant la mixité culturelle lui est naturelle. Aux frelatés de l'identité nationale on conseillera de réserver une paire d'heures ce week-end pour s'ouvrir les chakras.

La visite de chaque toile est un voyage dans les couleurs, le mouvement, les symboles, les associations, comme l'on avancerait dans un livre avec le plaisir d'en parcourir les pages et le désir qu'il ne finisse jamais.

Parmi les surprises qui ne manquent jamais de surgir en de telles occasions, celle-ci. Au détour d'une toile une caméra qui filme un "subject". La surprise vient du fait que la caméra doit plutôt filmer des acteurs, mais voici que le dit acteur est ici réduit au rang de sujet.

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Jean-Michel Basquiat - Zydeco - 1984

Cette position de l'acteur devenu marionnette-sujet sous le pinceau de Basquiat interroge alors que depuis 2003-2004, il n'est question dans les textes législatifs ou conventionnels consacrés à la formation que de "salarié acteur". Que fait l'acteur dans un film ? ce que lui demande le metteur en scène, qu'en anglais on nomme le Directeur d'acteurs. Etre acteur c'est évidemment être dirigé et jouer un rôle. Pour ceux qui pensaient qu'être acteur renvoyait à plus d'autonomie traduite par une prise en compte des motivations personnelles et la reconnaissance de chacun, il est vraiment nécessaire de faire un détour par l'exposition Basquiat avant lundi pour apprécier le lapsus sémantique qui se cache derrière la notion de salarié acteur.

22/01/2011

Chronique du week-end : l'énigme de Rambouillet

Des rires festifs vous parviennent depuis l'embarcation, mais le vent qui agite les grands arbres les rend confus, lointains, effacés, et pourtant tellement présents. Vous souriez à la scène et l'envie vous prend d'être parmi ceux qui se rient du mouvement de l'eau. Mouvement ? n'est-il pas étrange que l'eau du lac soit si agitée ? cette infime question pourrait être écartée sans y prendre garde : le vent bien sûr, le vent. Mais l'angoisse a pris appui sur le questionnement et gagne du terrain. Vous remarquez l'arbre mort au milieu de la nature généreuse, vous distinguez une lumière dont la source est à la fois devant vous, au dessus de vous et à l'est, derrière les arbres. Cette lumière ne peut exister. Et soudain les arbres prennent la figure de colosses prédateurs dont l'immobilité dissimule mal la promptitude. Au devant de quelles catastrophes s'avancent les inconscients navigateurs ? 

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Jean-Honoré Fragonard - La fête à Rambouillet - 1780

Et ces ombres dans les sous-bois qui ont forme humaine ne sont-elles que des statues ayant investi des abris naturels, s'agit-il d'une végétation anthropomorphe ou bien quoi ? Le tableau est un défi à la nature. L'innocence, la gaité, la joie, le plaisir vous seront les meilleurs atouts pour l'affronter le moment venu. Si l'énigme avait une clé, peut être pourrions nous la chercher dans cette déclaration de Fragonard : "Tire toi d'affaires comme tu pourras m'a dit la nature en me poussant à la vie". La nature vous éjecte dans les flots tumultueux de la vie, avant de vous ingérer sans coup férir. Entre les deux ? la volonté de parcourir l'espace ainsi offert, d'y goûter les plaisirs que vous jugerez loisible de vous autoriser et le jeu comme une volonté de bonheur. Ne réfléchissez pas, votre place n'est pas à réserver, il vous suffit juste d'embarquer...ah c'est déjà fait...alors bon vent !

Et si vous voulez une autre version de l'énigme, essayez Nougaro :

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03/01/2011

2011, première !

2011 est un nombre premier. Le prochain sera 2017. Six ans, c’est long. Alors 2011 année des premières ?

Que ferez-vous pour la première fois en 2011 ? contrairement aux bonnes résolutions, pas nécessaire, et pas souhaitable, d’en dresser la liste a priori. Il suffit juste de se rappeler que c’est en faisant ce que l’on a jamais fait que l’on apprend et que la volonté n’est ni suffisante ni toujours nécessaire, en tous les cas moins que de rester disponible pour les heureux hasards.

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Fragonard - Les hasards heureux de l'escarpolette - 1767

 

Que l'année 2011 soit donc riche pour vous en premières fois et en heureux hasards.

Bonne année à toutes et à tous.

01/01/2011

Valse

 

Le Cabinet Willems Consultant

vous souhaite pour l'année 2011

une valse à mille temps

et d'envoyer valser tous vos emmerdements

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Renée Clavet - La valse marine

 

Et j'entre au paradis, fleuri de rêves clairs
Où l'on voit se mêler en valses fantastiques
Des éléphants en rut à des chœurs de moustiques

Jules Laforgue

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Renée Clavet - La Valse Marine

 

Les mille clairons du désir,

les milles tam-tams du sang résonnèrent dans mes veines,

et les mille violons du plaisir attaquèrent leur valse pour nous

Françoise Sagan

31/12/2010

Engagez-vous !

Selon Sartre, on a jamais été aussi libre que pendant la guerre. Paradoxe ? non, tout dépend de la définition que l’on donne de la liberté. Pour Sartre, la liberté correspond à la capacité de l’homme à faire des choix, à s’engager. Quel meilleur moment pour  s’engager que celui où il est nécessaire de choisir son camp : la collaboration, la passivité, la résistance. L'importance du choix fait éprouver de manière fondamentale la sphère de liberté.

En des périodes, heureusement, moins troublées, la liberté ne disparaît pas mais les choix s'exercent peut être de manière moins radicale. Que cela ne nous fasse pas oublier que si choisir c'est renoncer, c'est également affirmer et s'affirmer.

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Raphaël - Spozalizio (L'engagement de la Vierge Marie) - 1504

Alors que se profilent les (bonnes) résolutions de début d'année, voici l'occasion de leur donner un peu de poids : en 2011, quels sont les engagements autour desquels se construira votre liberté ?

28/12/2010

Identités rapprochées multiples

L'expérience se renouvelle sans cesse. Lors des présentations en début de formation, il se trouve toujours une ou un participant pour dire :"Oh vous savez moi j'ai un parcours atypique...". Comme chacun, serait-on tenté de répondre. Les trajectoires individuelles se différencient et loin de l'uniformisation ou du communautarisme caricatural, mais plus souvent encore caricaturé, c'est plutôt l'appartenance à des univers différents, à des communautés multiples, à des mondes qui s'ignorent mais que les mêmes individus traversent qui deviennent monnaie courante. Avoir plusieurs visages n'est plus une utopie.

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Philippe Sollers nomme Identités rapprochées multiples ces différentes facettes d'un même individu qui le rendent moins facile à ranger dans un case, moins aisé à appréhender, plus difficile à catégoriser. Il ne faut pas s'étonner que ce phénomène dérange : le simplisme de l'individu ramené à un essentiel préexistant est une référence mieux partagée que la complexité de l'être aux mille facettes. Le premier est réduit à une image grossière alors que le second se refuse sans cesse et ne vous offre un visage que pour mieux dissimuler l'autre. Reconnaître les identités rapprochées multiples (IRM), c'est accepter que l'autre dispose d'une liberté inaliénable que la plupart trouveront insupportable mais que d'autres considèreront comme le sel même de la vie.

09/12/2010

Oiseau rare

Les recruteurs font un métier difficile. Submergés de candidatures, poursuivis au téléphone, harcelés de mail, encombrés de commande contradictoires de la part de la DG, de la DRH et des managers, sommés de s’expliquer sur une candidature non retenue, insultés par les postulants écartés, mal vus par les candidats intégrés qui leur font longuement payer  le pouvoir qu’ils ont un instant exercé sur eux, ou la question jugé insolente ou déplacée, peu considérés des managers qui veulent revoir tous les candidats, envoyés à l’abattage par la DRH qui exige que les 300 CV soient traités dans la journée, les 50 entretiens qui suivent planifiés dans la soirée et réalisés en deux jours, ils sont également sommés de trouver l’oiseau rare, autrement dit le mouton à cinq pattes.

Une telle situation appelant la solidarité et la virile fraternité, quoi que bien des recruteurs soient des recruteuses, voici une modeste contribution à la recherche du candidat idéal.

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Maxence Scherf – Chat migrateur

Avouez que le profil est séduisant : malin comme un chat, vif comme l’oiseau, rapide comme le poisson, une tête et des ailes d’ange, une aptitude à la mobilité, un regard franc et direct, ses capacités ne font guère de doute. Et pourtant, l’animal fut recalé sur photo sans même être convoqué à l’entretien. Le motif ? pas l’ombre du début d’une patte et encore moins de cinq. Je ne suis pas un mouton cria le chat migrateur. Rien à faire. Décidément, véritablement indécrottables les recruteurs.

15/11/2010

Vive la complexité !

Tout dans l'image invite à la rêverie : la mer, le sommeil, la langueur infinie de la fin d'après-midi, la douceur des couleurs. La géométrie des formes est invraisemblable : table ronde, angles droits, mer ourlée, courbes du corps, lignes horizontales du paysage, lignes verticales de la véranda. Le dégradé des couleurs est une féérie hasardeuse, comme souvent les fééries : bleu de la mer et de l'automobile, vert des arbres et de l'herbe, jaune orangé du pré et corps moiré qui fait pénétrer le soleil dans l'image. Et puis l'histoire ou plutôt les histoires. La jeune femme attend-elle celui que l'automobile annonce ? fait-elle repos au contraire après une conduite à vive allure sur les routes sinueuses de la côté ? son corps de sportive anglo-saxonne emprunte une toute orientale lascivité : où sommes-nous véritablement ? ici, on peut penser à Paul Morand, Paul Bowles ou se croire dans une BD de Loustal. Je tiens cette image pour l'équivalent de la tempête de Giorgione. Un chef d'oeuvre.

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Saul Leiter - Lanesville

Pour produire cette merveille, Saul Leiter a appuyé sur le bouton d'une boîte photographique. L'appareil photo est une machine complexe qui peut s'utiliser très simplement et livrer d'admirables résultats. Certes, l'on peut faire des utilisations sophistiquées et il existe des experts. Mais l'appareil est accessible à tous, quelle que soit la complexité interne.

On a beaucoup reproché au système de formation professionnelle sa complexité. En mélangeant tout. Qu'un système soit complexe, la belle affaire. Comment ne le serait-il pas alors qu'il se propose d'éduquer, d'intégrer, de reclasser, de promouvoir, de professionnaliser, d'accompagner, de réinsérer, de développer ou encore de qualifier des millions d'individus avec des moyens nécessairement diversifiés  et en sollicitant le concours d'acteurs multiples. Que le système soit complexe est consubstantiel à sa nature et après tout c'est l'affaire des professionnels que de veiller à ce que seules les complexités nécessaires se développent. Par contre, comme l'appareil photo, le système doit être simple pour l'utilisateur. C'est au professionnel qu'il appartient de se débrouiller avec la complexité et il faillirait à sa tâche s'il la reportait sur ceux pour le compte desquels il travaille. Tout l'effort des acteurs doit tendre non pas à partager sa technicité avec les bénéficiaires, objectif absurde, mais à favoriser la prise de décision autonome. A l'aune de ce critère, nous aurons progressé lorsque les entreprises et les salariés ne seront plus encombrés d'informations institutionnelles, juridiques ou jargonnantes (et souvent les trois à la fois) pour leur expliquer tous les dispositifs de formation mais lorsqu'on les informera à partir de leurs propres préoccupations et à partir de solutions clés en main. Ouvrir la boîte noire, ce n'est utile que lorsqu'elle ne marche plus ou en cas d'accident. Le reste du temps, il faut juste s'en servir en appuyant sur le bouton.

08/11/2010

Le collectif, c'est moi

Le droit du travail peine souvent à appréhender le collectif. Bien sur la loi reconnaît les droits collectifs. Mais leur support est souvent le sujet individuel : ainsi le droit à la négociation collective est un droit individuel exercé collectivement. Pourquoi cette personnalisation du droit ? En grande partie parce que le sujet de droit est l'individu, le support du droit le contrat de travail et que le collectif n'atteint jamais ce niveau d'incarnation. La collectivité de travail est protéiforme, mouvante et jamais stabilisée. Comme l'on ne se baigne jamais dans le même fleuve, on n'est jamais, ou très rarement, face au même collectif, alors que l'individu est un sujet stable de droit.

Cette consécration juridique du sujet s'accorde à l'évolution historique des sociétés occidentales. Le XXème siècle a vu l'individu s'extraire du collectif, s'affirmer, s'autonomiser et demander reconnaissance pour lui-même et non pour son groupe d'appartenance. Il en est résulté une personnalisation plus forte des relations et une mise sous tension corrélative plus importante des individus. Peu de domaines ont échappé à ce mouvement, ainsi que nous le confirme Gérard Larcher.

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L'affiche est placardée sous les arcades de la rue de Vaugirard, face à l'entrée du Palais du Luxembourg. Double stupéfaction en la découvrant. Tout d'abord l'expression "coeur de métier" empruntée au langage managerial paraît bien peu appropriée pour le Sénat qui n'est ni une entreprise, ni une organisation composée de professionnels. La fonction élective n'est pas un contrat de travail et le Sénat n'est pas un site de production de ces choses curieuses que l'on appelle les lois. Le mandat sénatorial devrait plutôt être un métier de coeur qu'un coeur de métier, et l'on s'inquiète de cette inversion des valeurs. La deuxième surprise est que si l'on a pas le nez collé sur l'affiche, seuls sont lisibles les mots "Le coeur de métier du Sénat c'est : Gérard Larcher". La photo est d'ailleurs là pour nous le rappeler. Surprise car on pensait l'homme plus humble et plus soucieux de la nature de sa fonction. Et l'on se dit que si même lui en vient à s'auto-promouvoir dans la plus pure langue de bois manageriale, c'est qu'en matière de recul du collectif, on a sans doute pas encore tout vu.