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10/01/2013

Expérimentateur expérimenté

Il était question, cette semaine, de Simone de Beauvoir. Ecoutons la encore, en 1970, dans la Cérémonie des adieux : "Le prestige de la vieillesse a beaucoup diminué du fait que la notion d’expérience est discréditée. La société technocratique d’aujourd’hui n’estime pas qu’avec les années le savoir s’accumule, mais qu’il se périme. L’âge entraîne une disqualification. Ce sont les valeurs liées à la jeunesse qui sont appréciées.". Plus de 40 ans après, on ne peut pas dire que le constat ait vieilli, bien au contraire. L'expérience se périme encore plus vite qu'au début des années 70 et pourtant elle est nécessaire. Nécessaire ? oui, mais en la maintenant vivante. Comme l'ont fait les surréalistes.

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Georges Hugnet - La vie amoureuse des spumiphères

On aurait du mal à faire la liste des expérimentations que l'on doit aux surréalistes (les vrais et pas le pantin que l'on voit sur les affiches du métro et que Beaubourg a la mauvaise idée d'exposer, j'ai nommé le pathétique Dali), dans tous les domaines : écriture automatique, collages, frottages, fumages, rayogrammes, décalcomanies, etc. Les expériences étaient souvent collectives, elles nourrissaient les individus, et elles appellaient sans cesse de nouvelles expérimentations. Car l'expérience dont parle Simone de Beauvoir, c'est celle dans laquelle on reste figé. Mais l'expérience renouvelée, l'expérience qui ouvre sur de nouvelles expérimentations, l'expérience sur laquelle on s'appuie sans en rester prisonnier, c'est tout l'inverse de la vieillesse. Vous souhaitez acquérir de l'expérience ? ne vous contentez pas d'être expérimenté, restez  expérimentateur !

07/01/2013

Visage parle

Comme notre corps et notre pensée, notre visage se modèle au fil du temps. Sauf à passer un temps considérable devant son miroir, nous sommes souvent les plus mauvais témoins de ces évolutions que nous offrons à notre entourage. Notre visage vu par autrui est nécessairement une suprise. Juan Osborne, qui a sans doute lu la Bible et sait donc qu'au commencement était le Verbe, fait de nos phrases le constituant de notre visage. Pour réaliser ce portrait de Simone de Beauvoir, Juan Osborne a utilisé quatre citations du Castor : "On ne naît pas femme: on le devient ; Choisir la vie, c’est toujours choisir l’avenir ; L’art est une tentative pour intégrer le mal ; Se vouloir libre, c’est aussi vouloir les autres libres".

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Simone de Beauvoir par Juan Osborne

Le visage de Simone de Beauvoir s'en trouve allongé, affiné, moins rond, plus saillant, plus radical, plus conforme à ses engagements, plus ressemblant à l'énergie qui l'animait. Les lettres sont des flammes qui portent la pensée où alternent le sombre et le lumineux. Les mots disent. Et l'on finit toujours par ressembler à ce que l'on est. Simplement, avec Osborne et d'une manière plus générale avec l'art, on gagne du temps.

20/11/2012

La Cour enfonce le clou

Chaque décision de la Cour de cassation en matière de forfait en jours, est un clou supplémentaire sur le cercueil des espérances de ceux qui voyaient dans ce dispositif un forfait tous horaires permettant de s'affranchir de toute règle légale et de gérer la durée du travail comme bon leur semble.

Dans une décision du 31 octobre dernier, les magistrats rapellent une nouvelle fois que la loi a posé quatre conditions légales à la validité du forfait en jours : un accord collectif, un accord individuel, une réelle autonomie dans l'organisation du temps de travail et un dispositif de suivi et de régulation de la charge de travail, dont un entretien annuel spécifique. Tous ces points donnent lieu à litige mais, le management en France étant ce qu'il est, c'est bien souvent le motif de défaut d'autonomie qui est invoqué. Après la jurisprudence Décathlon, la Cour de cassation confirme son contrôle sur la réalité de l'autonomie du salarié et estime que lorsque l'entreprise fixe le planning de travail, elle ne peut prétendre que le salarié est autonome, même si elle ne prescrit pas ses horaires. Aïe, le clou.

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Amie Dicke

Dans une deuxième décision, la Cour de cassation devait se prononcer sur le cacul du forfait en jours lorsque le salarié bénéficie de jours de congés conventionnels. Faut-il déduire les congés conventionnels du forfait fixé à 217 jours comme le prétendait l'organisation syndicale à l'origine du recours, ou bien simplement les déduire du nombre de jours de travail théorique, comme le prévoit la convention de la métallurgie ? pour les tribunaux, qui suivent l'argumentation du syndicat, les congés conventionnels doivent être déduits du nombre de jours inclus dans le forfait, sinon cela reviendrait à priver le salarié de cet avantage supplémentaire. Ce qui confirme que les jours d'absence, comme les jours de maladie, ne doivent être déduits que des jours travaillés et sont sans incidence sur les jours non travaillés (en clair, les jours appelés à tort de RTT ne doivent pas être proratisés et sont fixés de manière définitives - voir ici). Beaucoup d'entreprises ont encore du mal à intégrer ces logiques de décompte des absences des jours travaillés, mais on peut faire confiance à la Cour de cassation pour continuer à enfoncer le clou.

Cass. soc. 31 octobre 2012 Forfait jours - Absence d'autonomie.pdf

Cass. soc., 11 juillet 2012, Forfaits en jours - Jours conventionnels de congés.pdf

07/11/2012

D'une halle, l'autre

Le samedi 23 juin 2012 la Région Midi-Pyrénées organisait une manifestation destinée à fêter les 10 ans de la Validation des Acquis de l'Expérience (VAE). Plusieurs centaines de lauréats étaient réunis à la Halle aux Grains de Toulouse, ancien marché devenu salle de spectacles lorsque l'on a découvert les qualités accoustiques insoupçonnées du lieu à l'occasion d'un concert donné par l'orchestre national du Capitole en 1974.

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La Halle aux Grains à Toulouse

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Invité à participer à la manifestation mais n'étant pas disponible, j'ai réalisé avec le concours de Jean-Pierre Maillet un film présentant l'histoire de la VAE. J'ai choisi de tourner ce film dans une autre Halle, la Halle Saint-Pierre à Paris qui abrite un musée consacré à l'art singulier. L'art singulier, parfois aussi dénommé art brut, est celui des artistes qui n'ont pas été formé à leur art qu'ils ont développé selon des techniques propres, sans références culturelles et sans avoir reçu aucun enseignement. Des être singuliers qui ont appris en faisant et auxquels la Halle Saint-Pierre apporte une reconnaissance.

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Le film est aujourd'hui disponible et plus largement toute la manifestation consacrée à la VAE. Concernant votre serviteur, l'intervention débute à 26'30 sur la première vidéo et se poursuit au début de la seconde vidéo. Les vidéos sont en ligne ici.

Et vous avez jusqu'au 6 janvier pour aller voir au pied de la butte Montmartre l'exposition Banditi dell'arte. Pour la VAE, vous avez toute la vie.

13/10/2012

Enigme du week-end : le bacchus moderne

En ce week-end automnal, voici une scène printanière. Mais que  fait donc ce Bacchus sur son banc entouré de jeunes filles ? et quel est cet enfant qui se cache dans la vigne et que l'on distingue difficilement ? allons y voir de plus près.

La grande détrempe fait de la toile un palimpseste. Les couleurs des temps anciens ont été lavées, épongées, noyées sous les flots déversés sur la peinture. Leur trace colorée s'est effacée mais leur souvenir demeure qui habite les personnages tirés de ce naufrage. Que faire après le déluge ? quelle attitude adopter ? l'enfant, comme à l'accoutumée, ne se pose guère de questions. Déjà, il a bondi dans la vigne qui le soustrait au regard et à la scène. Curieux de tout, il poursuit l'observation et ce faisant persiste en son état d'embryon attentif. L'oeil est vif, le geste assuré, la prise ferme. Le rouge aux joues est amour de la vie et plaisir de la contempler.

Bacchus, après le déluge, embrasse les siècles et s'amuse de celui qui s'offre à lui. Aux temps modernes, le corps est souple et disponible. C'est appréciable et apprécié. Le temps qui défile brouille le regard du Dieu lascif : en toutes époques il y a place pour la lassitude. Eve lui est familière. Jeune fille aux jambes fermes et légères, elle offre la coupe divine que Bacchus boira. Le paradis est loin, le plaisir à saisir, le temps n'est plus un ennemi : il n'est pas question de résister à l'invitation qui va être lancée. Bacchus songe en apercevant Eve qu'il faudra bien un jour écrire un Traité de la cheville, consacré à l'art de poser le pied à terre. Plus efficace que la psychanalyse.

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Martial Raysse - Heureux rivages - 2007

Accourues des collines, voici les belles cavales. Succubes en devenir, comme les Dieux elles veulent du sang. Mais elles ne feront rien pour qu'il coule. Le défi qu'elles lancent à la scène se suffit : elles n'interviendront pas, mais leur présence dit le scandale que constitue le véritable plaisir d'abandon en ce siècle. Mais d'ailleurs ces jeunes filles  sont-elles vraiment présentes ? êtes-vous certain que vos démons sont réels ? elles connaissent la puissance des jeunes filles en fleurs, matinées ici de feu et de fer, et l'affichent en toute crudité.

Bacchus est un Dieu que la modernité réduit au chômage. L'oisiveté et la solitude sont devenues des compagnes faciles. La troupe des pisseuses l'est un peu moins. Bacchus n'en a cure. Eve va bientôt lui tendre la coupe. Il boira le vin et s'établira dans la scène qui perdra peu à peu ses mauvaises spectatrices. Eve, la seule qui reste, aura droit au chapitre. Dans la vigne, un sourire éclaire le visage de l'enfant.

09/10/2012

L'étau se resserre

Au mois de juin 2011, après un suspens tout relatif et une grande frayeur bien orchestrée, les DRH soufflaient à la lecture de la décision de la Cour de cassation validant le forfait jours. Nous annoncions pourtant déjà qu'il ne fallait peut être pas tant se réjouir du côté des services RH et qu'un train pouvait en cacher un autre  (voir ici). Ce train n'a pas manqué de passer et son souffle risque de décoiffer quelques habitudes. Honneur au Sud : la Cour d'appel d'Aix-en-Provence a décidé le 23 mars 2012 qu'un chef de rayon de chez Décathlon, bombardé cadre et assujetti à un forfait jours, devait percevoir des heures supplémentaires car le forfait était nul. En effet, le chef de rayon était soumis à des horaires imposés et à des jours de présence le samedi et parfois le dimanche choisis par l'entreprise. Rien du cadre autonome donc. D'autre part, son salaire était fixé au tout premier niveau de rémunération des cadres. Rien qui soit en rapport avec les sujétions liées à sa fonction. Le forfait étant nul, le salarié aura droit à 11 h supplémentaires par semaine sur 2 ans, soit un total de plus de 16 000 euros. Et comme les corps de Martina Abramovic et son acolyte se resserrent sur le visiteur de musée qui doit choisir de passer ou pas, de frotter ou non et de faire face à l'homme ou à la femme, l'étau du juge se resserre sur les entreprises qui pensaient trouver dans le forfait un outil permettant d'habiller à bon compte des pratiques qui n'en relèvent manifestement pas, comme c'est le cas pour les chefs de rayon de la grande distribution.

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Marina Abramovic - Imponderabilia - 1977

Une deuxième couche vient d'être rajoutée par la Cour de cassation elle-même. Dans sa décision du 26 septembre dernier, elle annule le forfait jours d'un cadre qui consacrait un certain temps, et même un temps certain, à son activité professionnelle. La Cour de cassation rappelle que le forfait jours n'est ni un forfait jours et nuits, ni un forfait week-end, ni un forfait toute la journée. Et que l'accord collectif qui met en place le forfait jours doit prévoir des mesures de nature à faire respecter des temps de travail raisonnables. En l'espèce un entretien annuel et des rapports trimestriels de la hiérarchie sur la charge de travail, soit le minimum syndical qui n'existe pas dans toutes les entreprises, ne sont pas suffisants. Le forfait jours doit donc être annulé et des heures supplémentaires payées.

Lorsque l'étau commence à serrer à ce point, cela peut faire mal. Et nul doute que les juges ne s'arrêteront pas en si bon chemin. A tous ceux qui se félicitaient de la survie du forfait jours, il ne reste donc plus qu'à se mettre au travail pour en garantir la validité.

CA AIX 29 mars 2012.pdf

Cour Cass. 26 septembre 2012.pdf

07/10/2012

Ambivalence

Y aurait-il un art américain de l'ambivalence ? nous avions déjà eu l'occasion de relever l'ambiguïté d'un tableau de Burt Silvermann représentant une femme assise (voir ici). L'exposition consacrée à Edward Hooper au Grand Palais illustre de nouveau cette Amérique fascinante par ses contradictions et paradoxes. On peut, par exemple, prendre une autre femme assise de Hooper et entrer un peu dans le tableau. Comme souvent chez Hooper, les personnages lisent. Pied de nez à l'Europe littéraire et à cette Amérique réputée sans tradition ? désir d'évasion ? puissance de l'imagination dans un pays qui s'est auto-engendré ? il faudrait aller y voir de plus près, et notamment s'interroger sur ce que lisent ces figures solitaires. Ici, l'on sait par les notes d'Hooper qu'il s'agit d'un indicateur des chemins de fer.

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Edward Hooper - Chambre d'hôtel - 1934

Les valises au pied du mur, la chambre d'hôtel, tout nous signale le transitoire. Cette femme est de passage. Le dos voûté, le corps sans tonicité semblent souligner une fatigue que la nuit ne réparera pas. La consultation des horaires de chemin de fer, et surtout le fait de voyager avec un tel ouvrage, laisse penser que le voyage est une errance. Le tableau pourrait illustrer cette chanson des gardes suisses que Céline plaça en exergue du Voyage au bout de la nuit :

Notre vie est un voyage

Dans l'hiver et dans la nuit

Nous cherchons notre passage

Dans le ciel où rien ne luit

Hooper serait-il le peintre du désenchantement ? le contrepoint du rêve américain et le rappel à la réalité, souvent moins glorieuse que l'épopée des pionniers, des self-made men et de la terre de tous les possibles ? oui mais pas seulement. Car tout voyage est un nouveau départ, tout départ est une volonté, et la solitude est une manière de se rencontrer soi-même qui peut être un préalable à la rencontre d'autrui. Cette femme, manifestement, n'est pas une voyageuse, ses chaussures n'y résisteraient pas. Et pourtant elle a entrepris ce voyage, ses valises sont ordonnées, et elle s'apprête à choisir sa nouvelle destination. Derrière l'apparence de la désespérance, surgissent les marques d'une volonté. Les marques de notre ambivalence.

01/10/2012

Bisounours dans la vraie vie

La période estivale, et les vacances qui vont avec, sont propices à changer non seulement d'horizon mais également de milieu, de féquentations et d'habitudes. Autres lieux, autres temps, autres repères. Le retour dans l'environnement professionnel après une telle césure rend plus visible les petits travers du quotidien auxquels on finit par ne plus prêter attention lorsqu'on les côtoie trop fréquemment. Ainsi des tics de langage. J'ai donc réentendu depuis le début du mois des expressions que j'avais déjà oubliées : "T'en as dans le pipe (prononcez païpe) en ce moment ?", élégante manière de demander si en cette rentrée morose l'activité est régulièrement alimentée, ou encore "Je lui ai fait comprendre qu'on était pas chez les bisounours", censé rappeler que l'entreprise est invariablement une jungle dans laquelle tout bon sentiment constitue une tare irrémédiable. Et puis il y a l'inévitable : "Dans la vraie vie". Ah, la vraie vie brandie comme un argument ultime qui vous dénie le droit de vous inscrire en faux. D'abord parce que vous seriez inévitablement dans la "fausse vie" ou, plaisir de l'allitération, dans la "vie virtuelle",  et ensuite parce que l'expression "dans la vraie vie" est toujours suivie de l'exposition d'un exemple, d'une pratique ou d'une anecdote censé vous démontrer que "c'est comme cela que ça se passe et puis c'est tout". Dans ce cas, plutôt que de penser que le premier bisounours s'appellait droguer (avant de devenir Grognours) et qu'il portait une feuille de cannabis sur son petit ventre replet, je me souviens de la phrase de Picasso : "Tout ce que nous pouvons imaginer est réel".

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Picasso - Le rêve - 1932

Pour qui est un adepte de l'expression "Dans la vraie vie", la phrase de Picasso est sans doute incompréhensible ou fausse, ce qui revient au même. Pour qui ne l'utilise jamais, ne voyant pas très bien quelle vie ou partie de vie est plus "vraie" que d'autres, elle paraîtra plus évidente. D'autant plus évidente que, comme à son habitude, Picasso va directement à l'essentiel : à trop se placer "dans la vraie vie" on ne fait jamais que révéler son manque d'imagination.

Bisounours, la vraie vie, picasso, imagination, art, peinture, cannabis

24/08/2012

Soudain, la nuit

Un jour, ils ont perdu la vue. Soudainement, par accident, maladie, opération ratée, aggression et autres moments qui constituèrent la bascule entre leur vie d'avant et leur vie d'aujourd'hui. Sophie Calle les a rencontrés en Turquie et leur a demandé de se souvenir de la dernière image qu'ils ont vu avant de devenir aveugles. Et elle a photographié cette image, associée à ces visages dont les yeux vous regardent mais ne vous voient pas.

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Dans une pièce obscure, sur des grands écrans, des personnes devenues aveugles font face à la mer, vous les voyez de dos. Puis elles se retournent et vous font face. Le vieux pleure. Les larmes ne voient pas, elles sont indifférentes à la lumière. Sophie Calle nous entraîne sur bien des chemins avec ce travail, et notamment celui des moments où tout bascule alors que les choses auraient pu, auraient du, se passer autrement. C'est le terrible chemin de l'irrémédiable et de la perte infinie.

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13/08/2012

Victor Hugo (2)

N'imitez rien, ni personne.

Un lion qui copie un lion devient un singe

Victor Hugo

 

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Le lion amoureux - Jean Barral

08/08/2012

Empathie

Dans les romans de Philip K. Dick, le blade runner distingue les humains des androïdes par leur capacité d'empathie. La capacité à comprendre les émotions ou états mentaux d'autrui, sans pour autant les partager, serait donc un des propres de l'homme. Rien d'étonnant si l'on se souvient que le terme d'empathie a initialement été utilisé en esthétique pour définir la relation que l'on entretient avec une oeuvre d'art pour accéder à son sens. Pour ma part, j'ai toujours considéré, qu'en peinture comme en littérature, il était impossible d'accéder à la volonté de l'auteur, à supposer d'ailleurs que lui-même ait conscience d'une telle volonté. Jugez pourtant des efforts d'empathie pour apprécier cette peinture de Gerhardt Richter, actuellement exposée à Beaucourg.

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L'empathie a quitté le monde de l'art pour intégrer celui du commerce et du management. Pas un référentiel de compétences de vendeur ou de manager dans lequel ne figure le fameux "Etre empathique". Mais ici, comprendre les émotions ou comportements d'autrui ne vise qu'à mieux identifier les leviers de manipulation, pardon, de management.

Et nous vérifions une fois de plus que ce n'est guère la compétence qui donne le sens, mais l'usage que l'on en fait.

02/08/2012

Voler, atterrir

Toujours aussi beau les avions d'American Airlines, des cylindres d'argent que le soleil arrose comme dirait Nougaro qui aurait noté que les couleurs de Chicago sont le rouge et le noir.

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Pour cet été partagé entre le Pays Basque et les bord du Lac Michigan, l'ouvrage de Kirmen Uribe paraissait s'imposer. Il accompagna le passage du jour à la nuit. Des ports de la Biscaye aux rues de New-york, le voyage d'un fils qui voudrait se mettre dans les pas de son père. Si le livre contient de belles pages sur les pêcheurs basques qui partent pêcher au large de l'Irlande, jusqu'au Nord de l'Ecosse, le parallèle avec le voyage en avion de l'auteur est pauvre et manque de saveur.

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Kirmen Uribe n'a manifestement pas trouvé la manière de construire le récit de l'histoire familiale et la structuration de la narration autour d'un vol Bilbao-NewYork est trop artificielle pour tenir le choc face aux marins. Cela permit de se souvenir qu'il est un autre espagnol,Antonio Altarriba, qui a trouvé lui l'art de voler et de conter l'histoire de son père et à travers lui à la fois celle de l'Espagne et celle de ces moments où il faut faire des choix qui engagent définitivement et font que la vie prend une orientation et des chemins inattendus et, forcément, sans retour.

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Heureusement, pour repasser du jour à la nuit, avant d'atterrir, il y eût Laia Fabregas, qui prend elle des avions entre la Catalogne et les Pays-Bas. Et c'est dans un avion que débute Atterrir, lorsque s'entremêlent les destins d'une jeune hollandaise qui a fait l'expérience de la rencontre d'un ange et ne parvient à s'en détacher, et d'un vieil andalou qui émigra longtemps auparavant aux Pays-Bas où il fit lui aussi l'expérience de la rencontre de la grâce.

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De ce livre là on ne sort pas vraiment, même après avoir atterri.

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01/08/2012

Back to Paris

Pas un jour sans qu'il ne se trouve un chicagolais pour poser la question : "Vous venez d'où ?" et lorsque l'on annonce "Paris, France" immanquablement, et quel que soit l'interlocuteur, la réaction a toujours été :"Mais en ayant la chance d'habiter à Paris, qu'est-ce que vous venez faire à Chicago ?".

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Se plonger dans la ville, en faire le tour, la mettre à distance, puis s'y replonger. S'étonner que dans la troisième plus grande ville des Etats-Unis la campagne soit si proche, la nature si présente et que l'atmosphère soit si provinciale avec ses quartiers si différents.

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Chicago où la forte ségrégation raciale n'a pas géographiquement disparue. Au nord, les quartiers bourgeois et les villas cossues.

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La classe bourgeoise blanche qui le week-end équipe de sonos les bateaux pour transformer la marina en gigantesque discothèque upper-class mais pas vraiment upper-goût.

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Plus on va vers le Sud, plus la population est noire. Et les barbecues dans les parks remplacent les partys sur les bateaux.

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En déambulant sur les bords du lac Michigan, la lumière peut vous donnner l'illusion l'espace d'un instant, un court instant, d'avoir les yeux de Saul Leiter pour prendre quelques photos.

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Il faut dire que Chicago est une ville d'art, où même les buildings font écho aux tableaux de Magritte, très présents à l'Institute of Art.

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Etrange impression, comme souvent aux Etats-Unis, d'être à la fois dans un lieu d'histoire mais également dans un lieu où seul importe le présent. La nostalgie est une marque de la vieille europe. N'oublions pas qu'aux JO, les deux nations trustant les médailles sont la Chine et les Etats-Unis.

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Fin de l'intervalle chicagolais donc et retour au duomicile, dans un lapsus publicitaire qui n'aurait pas déplu à Lacan, preuve que rien n'est vraiment inconciliable.

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26/07/2012

Mexico !

L'individu le plus démuni ne migre jamais sans emporter au moins sa culture. Les mouvements de population qu'a connu l'amérique centrale ont contribué à faire du Mexique une terre de syncrétisme culturel. Des aztèques aux afro-caraibbéens en passant par les colons espagnols, les influences ne manquent pas qui ont façonné des références et traditions qui, loin de s'opposer, se retrouvent mêlées en un de ces joyeux assemblages dont sont friands les pays latins. Le Musée national d'art mexicain de Chicago, situé au coeur du quartier hispanique, illustre une nouvelle fois la phrase d'André Breton : "Le Mexique est le pays le plus surréaliste qui soit". Les photos de Flor Garduno, présentée l'an dernier aux Rencontres photographiques d'Arles, en rendent compte par leur mystère et leur poésie.

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Les femmes sont d'ailleurs à l'honneur, avec notamment cette oeuvre d'Alma Lopez qui associe la culture libertaire californienne et la religiosité mexicaine en une peinture qui doit son titre à l'émoi qu'elle suscita parmi les associations catholigues de voir ainsi la Vierge de Guadaloupe revêtir une combative et féministe attitude.

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Alma Lopez - Notre Dame de la controverse - 2002

Et comme il se doit, l'art n'est pas que dans les musées. En parcourant le quartier hispanique, sous un soleil tout mexicain qui rend approximative la réalité des lieux, on peut apercevoir une cadillac noire au rythme lent.

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Mais l'on croise aussi, dans la tradition  des peintures murales mexicaines, ces femmes parées pour la fête du jour des morts qui, à l'instar des vanités flamandes, vous rappellent que le soleil ne brille qu'un temps.

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Mais ne vous inquiétez pas outre mesure, le jour des morts, c'est une fois par an et surtout ce n'est qu'une des 5 000 fêtes annuelles mexicaines. Et voilà comment le Mexique fait mieux, bien mieux, qu'Alice et ses annaniversaires !

25/07/2012

Double regard

Il est toujours possible de voir une ville à la manière dont Yann Arthus-Bertrand voit le monde : de haut, en couleur, avec effet spectacultaire garanti et en guise de commentaire quelques statistiques qui achèvent de faire disparaître l'humain du paysage. Ici par exemple, vous êtes monté en 40 secondes au 94ème étage et vous pouvez apercevoir l'ancienne plus haute tour du monde, avant que la Chine et le Moyen-Orient n'entrent dans la compétition, sachant que vous êtes vous même au sommet de la plus haute tour du monde d'appartements.

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Une fois redescendu, le spectacle est un peu différent. Vous pourrez par exemple constater qu'en 2012 il y a toujours des noirs avec des chapeaux coloniaux qui chargent les valises des blancs et ferment pour eux la portière.

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Vous pouvez également être frappé par le nombre d'obèses dans les rues, de tous âges y compris très jeunes. Dans ce temple de la consommation qu'est Chicago, et plus globalement les Etats-Unis, l'obésité est un symbole facile mais bien réel de ce trop plein de tout qui finit par vous déposséder de vous même et devient un handicap.

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Dans le dernier film de Leos Carax, Holy Motors, Michel Piccoli prononce cette phrase : "On dit que la beauté est dans l'oeil de celui qui regarde" à laquelle Denis Lavant répond : "Mais alors s'il n'y a plus personne pour voir ?".

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Rashid Johnson, exposé au Musée d'Art Contemporain de Chicago, y voit. Double. Parce que l'on se voit aussi à travers le regard des autres. Je vous fais face, mais mon côté droit est le gauche pour vous. Lequel est le vrai ? Le plus troublant est que ses doubles portraits sont parfois ceux d'une même personne, parfois pas. Une autre manière d'exprimer le Je est un autre de Rimbaud et de créer un lien entre un jeune français de province du 19ème siècle et un citadin noir américain. Comme quoi la singularité n'est pas fondamentalement incompatible avec la mondialisation. Il s'agit juste de savoir depuis où et sous quel angle on souhaite aller y voir.

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22/07/2012

Paradis

L'été s'installe enfin, le soleil ralentit les pas et le temps,les ombres disparaissent jusqu'à la fin de journée et avec elles la crise, la dette et autres joyeusetés qui les accompagnent ; bref, c'est le paradis. Et l'on apprend ce jour, que les paradis ne manquent pas sur terre. Ils ont même proliféré depuis la fin de la seconde guerre mondiale pour, paraît-il, maintenir la suprématie des banques londoniennes malgré la chute de l'Empire britannique. Selon un ancien économiste de chez Mc Kinsey, autrement dit un repenti ces paradis fiscaux abriteraient environ 25.000 milliards d'euros d'actifs financiers  qui échappent à toute imposition (on ne compte pas les actifs immobiliers ni les dépôts en or et autres métaux monétaires). Rappelons que le budget de la France est de 366 milliards d'euros, et donc  très loin du paradis.

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Germain Vandersteen - Oiseau de Paradis

Pour nous gâcher le paradis, il y avait déjà eu, la veille, cette effarante nouvelle : l'agence Moody's a dégradé la note des hôpitaux publics français. Vous avez bien lu : les hopitaux publics, qui relèvent de la politique de santé nationale et du choix que fait une nation d'y consacrer une partie de ses ressources, font l'objet d'une notation à l'instar d'entreprises cotées dont la notation a pour objet l'information des actionnaires. Ici, on se demande bien quelle est la finalité d'une telle notation, si ce n'est de tenter de nous chasser du paradis. Heureusement que c'est l'été et que nos pensées vagabondent, car sinon l'on trouverait que tout ceci ne nous annonce pas le paradis.

22/06/2012

En vacances, lâchez-vous !

Vous avez fait des folies pendant vos vacances, de manière tout à fait inconsidérée, et n'avez su évitez l'accident, sans dire que vous l'avez provoqué.  Conséquence : un beau plâtre vous fera un souvenir à présenter à vos amis. Vous pourrez peut être également le faire dédicacer par votre employeur à qui vous allez annoncer qu'ayant eu une semaine d'incapacité de travail pendant vos congés (ne riez pas), il vous doit encore une semaine de congés payés. Devant son regard incrédule, expliquez lui que c'est la Cour de Justice de l'Union Européenne (CJUE) qui vient d'en décider ainsi. Vous n'êtes pas obligé d'ajouter un commentaire du style : "Et après on dira que l'Europe n'est que libérale et pas sociale". Vous pourrez juste le penser très fort.

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Romain Slocombe - Medical Art

La décision de la CJUE datée du 21 juin 2012, remet en  cause une règle de gestion traditionnelle de l'articulation entre congés payés et congé maladie. Conformément à un principe juridique solidement établi, les tribunaux français ont toujours considéré que le régime d'une absence était déterminé par la première absence, quoi qu'il arrive ensuite. Un salarié en congé maladie ne pouvait donc être en congés payés, même si la maladie se poursuivait pendant la période prévue de congés payés. Il fallait reporter les congés. Par contre, un salarié parti en congés payés qui tombait malade n'avait pas de droit à récupération de ses congés. Il avait pourtant droit aux indemnités journalières de sécurité sociale (qu'il cumulait avec son indemnité de congés payés). C'est cette inégalité de situation que la CJUE vient de dénoncer : le statut du salarié par rapport au droit à congés payés ne doit pas dépendre de la date à laquelle survient l'incapacité de travail. Dès lors, un salarié qui tombe malade pendant ses congés doit pouvoir rattraper les jours de CP perdus, s'il lui a été établi un arrêt de travail. Reste à trouver les médecins qui feront des arrêts de travail pendant les congés payés, mais gageons que cela ne sera pas insoluble. En avant ensuite pour la dernière  étape : annoncer à votre boss lors du retour dans l'entreprise qu'il vous reste des jours de congés à prendre. Bonnes vacances et bon retour !

CJUE - 21 Juin - CP et Maladie.pdf

16/05/2012

Faire son miel

...de tout. Faire son miel de tout, c'est considérer qu'il y a toujours assez de légumes pour faire une soupe, suffisamment de bouts de ficelles pour tresser une corde, une rue à découvrir à chaque carrefour, une vie entière derrière chaque visage, une phrase importante dans chaque livre ouvert au hasard, un soleil caché derrière chaque nuage, c'est croire à sa chance et être convaincu que tout est à découvrir toujours. Faire son miel de tout, c'est du récup'art, du détournement, un joyeux mélange, pas mal de désordre et des découvertes à profusion. Faire son miel de tout c'est se faire la malle du vieux grenier.

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Vick Muniz - Autoportrait

Vick Muniz est un brésilien qui fait son miel de tout : papiers collés, confiture, chocolat, jouets d'enfants, pigments, tous les matériaux, tous les objets, toutes les feuilles des arbres sont autant de pinceaux pour composer des portraits, des paysages, des scènes urbaines. Cet autoportrait aux jouets d'enfants est un pied de nez à l'adulte, ce que tous les enfants comprendront. On peut voir ses oeuvres en Avignon.

Dominique Rolin faisait son miel de tout. Parfois le miel se dérobait mais elle savait qu'il reviendrait. Il est toujours revenu, jusqu'à hier où c'est elle qui s'en est allé.

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14/05/2012

Innocence de l'autruche

La remarque est assez fréquente à la fin des formations et séminaires. Elle emprunte souvent la forme ironique dans sa formulation pour mieux dissimuler le sérieux embarras. Elle revient schématiquement à ceci : "Maintenant que je sais à quoi m'en tenir, que je dispose à la fois des clés de compréhension et des outils pour construire des solutions, je suis en fait plus embêté qu'avant car il me faut agir et choisir". Autrement dit, sorti de mon état d'innocence et plongé dans la conscience des situations, me voici chassé du paradis et condamné à vivre pleinement ma condition humaine. Habile manière de tenter la culpabilisation du formateur qui persiste à vouloir faire gagner en autonomie au risque de placer chacun devant ses responsabilités. Bien essayé mais c'est raté.

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Julien Spiedler - Innocence - 2011

Car en ce domaine comme tant d'autres, l'âge d'or de l'innocence n'est souvent qu'un mythe. Et d'ailleurs, si vous êtes venus c'est que le confort n'était sans doute pas si grand, non ? Bon lundi à tous.

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Maurizio Cattelan - Sans titre - 1997

11/03/2012

Aller chercher ailleurs l'imagination

Marcel Storr vécut au 20ème siècle. Enfant abandonné, maltraité au point d'en être rendu presque sourd, souffrant de troubles psychiatriques, il a bâti des cathédrales. Sur le papier. Illettré, s'exprimant peu, travaillant comme cantonnier à la ville de Paris, affecté au Bois de Boulogne, Marcel Storr a dessiné et peint avec minutie des architectures flamboyantes mises au point avec une rare minutie et une technique toute personnelle que Storr appliqua méthodiquement à chacune de ses peintures. Qui eût croisé Marcel Storr n'aurait pu imaginer ce qu'était son imaginaire.

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Marcel Storr - Sans titre

Il y a bien longtemps que l'on sait que l'imagination n'est pas au pouvoir. Il serait temps que le pouvoir lui même en prenne acte et s'emploie davantage à créer les conditions pour que l'imagination de  chacun puisse s'exprimer plutôt que de s'échiner à rejouer, sous différentes formes, le recours à l'homme providentiel.

Dans le champ de la formation professionnelle, les propositions les plus sérieuses et qui mériteront d'être approfondies lorsque les feux de la campagne présidentielle seront éteints, n'auront sans doute pas été formulées par les aspirants au pouvoir mais par les acteurs sociaux. C'est ce que rappelle la secondre chronique des "Carnets de campagne" écrite avec Jean-Marie Luttringer pour l'AEF.

Sinon, vous avez jusqu'à la fin du mois pour aller admirer les oeuvres de Marcel Storr au Pavillon Carré de Baudoin dans le 20ème.

Carnets de campagne - 2.pdf

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