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11/09/2012

Consultants autistes

Il n'était pas 20 heures. Les rideaux tirés, les rues vides, la nuit tombée, le silence, je me demandai, en parcourant les rues de Saint-Denis, si le moustique n'était pas de retour conduisant chacun à s'enfermer chez soi ou si j'avais raté l'alerte à une prochaine entrée en activité du volcan. Rien de tout cela apparemment, juste la vie d'ici. La recherche d'un restaurant ouvert fut un peu laborieuse mais un café avec quelques tables dans une cour tenant lieu de terrasse apparut enfin. Attablé, je parcourus la carte sur laquelle je dénichai un plat malgache aux herbes frétillantes, celles qui vous donnent l'impression d'avoir trempé votre langue dans de l'eau pétillante épicée, puis j'ouvris le monde. Enfin Le Monde, le journal. Car si Hegel disait que la lecture du journal doit être la prière du matin, pour moi ce serait plutôt celle du soir. J'en étais là de ma monomanie quand, après avoir parcouru rapidement l'article consacré à Bernard Arnault que j'avais cru reconnaître le matin même, un titre attira mon attention : les consultants autistes.

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Bernard Arnault  déguisé pour échapper au fisc,

mais démasqué par sa valise Vuitton bourrée de billets

Comme les marquises ne peuvent résister à se raconter des histoires de marquises, un article sur les consultants m'interdit de tourner la page en feignant l'indifférence. Abandonnant les herbes et les épices, je me consacrai donc à l'article en espérant comprendre pourquoi le journaliste considérait que les consultants étaient autistes. Tout simplement parce qu'il s'agit d'autistes. Une société suédoise de conseil embauche en effet des consultants autistes pour faire de l'audit en informatique. Les extraordinaires capacités de certains autistes en matière d'activités répétitives et de manipulation des chiffres en fait apparemment des consultants redoutables capables de déceler des micro-erreurs qui échapperaient aux plus brillants diplômés des grandes écoles, pourtant peu enclins à douter d'eux-mêmes et qui douteraient beaucoup plus spontanément des autistes. Et voilà un handicap qui devient une qualité. Je ne pouvai que constater, en me réattaquant aux feuilles frétillantes, que les consultants autistes n'avaient pas encore approché le conseil en ressources humaines. Je ne savais donc toujours pas s'il me fallait envisager de guérir ou non de mes monomanies. Sans répondre à la question, je me remis à lire Le Monde (le journal).

10/09/2012

Sur le volcan

Comme toujours, il faut partir tôt. Ces matins là, le réveil est inutile car c’est l’inconnu qui vous attend.

 

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Dans les montagnes, mais là plus encore, il faut s’attendre à voir apparaître des trognes qui surgissent pour vous délivrer un improbable message. Celle-ci, pour avoir choisi de s’incruster dans la lave, est peut être une gueule cassée des tranchées de 14 qui a aussi connu le feu et l’enfer. Comme il aimait voyager, pas exclu que ce soit Blaise Cendrars.

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Parmi toutes les surprises, celle de l’arc-en-ciel caché dans le cratère n’est pas la moindre.

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Mais il faut l’écarter pour aller contempler, pour la première fois de visu, le bouchon qui dissimule le formidable travail souterrain. C’est une des règles de l’art : on ne doit jamais voir le travail lorsque l’œuvre s’accomplit.

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Après le retour au point de départ, une dernière photo qui ressemble à une photo de synthèse. Il n’y pourtant rien de plus réel que le volcan. Il est temps d’aller boire un coup à la santé de Malcolm Lowry et du Consul !

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09/09/2012

Sous le volcan

Une mission me procure l’occasion de découvrir la Réunion que je ne connais pas. Je choisis d’anticiper un peu le déplacement pour aller marcher sur le volcan. Première surprise en arrivant, la mer est noire et grise dans la lumière du matin. Elle se colorera au fil de la journée mais cette première vision m’enchante. Car la couleur est la même que celle des coulées de lave dont l’apparition me saisit. Pas une coulée identique à une autre. De la matière venue du cœur de la terre et de la fusion qui prend des formes de hasard qui inscrivent le mouvement et le rythme de l’éruption dans des plissements, ondulations, failles, magmas et autres sculptures de la nature. Mieux que le test de Rorsach, mesdames et messieurs les recruteurs, présentez à vos candidats le magma originel et ses torsions méphistophéliques et vous verrez qu’il n’est guère possible de ne pas aller au fond de soi-même lorsque l’on est confronté à la matière qui surgit aujourd’hui comme elle a surgi il y a des millions d’années.

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Ici, c’est l’hiver. Le soleil a des rayons discrets, le vent  envoie les vagues affronter les côtes découpées.

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Et comme dans les Antilles, la religion a ses adaptations locales. Ici, la Vierge Parasol, qui apparaît entre lave et forêt, veille sur vous.

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Mais finalement la plus grande surprise c’est peut être qu’après 11 heures d’avion, avoir survolé l’Europe puis l’Afrique pour aller découvrir l’Océan Indien, tout le monde s’adresse à moi…en Français !

04/09/2012

Anniversaire (2)

En 1988, le FONGECIF Midi-Pyrénées organise une conférence pour fêter ses 5 ans. A cette occasion qui réunit plusieurs centaines de personnes de prestigieux intervenants parisiens sont invités. Tout jeune consultant dans le domaine de la formation je suis présent. Il faut bien apprendre son métier si l’on veut le développer. Dans les débats, je fais un effort surhumain pour poser une question. Ma voix part dans les aigus dès la deuxième phrase et à la cinquième et dernière je suis à bout de souffle. Je pense être ridicule mais personne ne réagit et Michèle Boumendil, alors directrice du département juridique du Centre INFFO, répond à la question. Encore empreint de confusion, je quitte la manifestation dès la fin des débats et prend la route de mon bureau. Et puis un doute me vient. Quand on est consultant, jeune, sans relations et que l’on souhaite persévérer dans la profession, peut être faut-il profiter des occasions pour parler aux gens. Un demi-tour, et une ligne blanche, plus tard, je suis de retour avec les participants qui sont passés à table. Je rejoins le directeur du CARIF qui me confie quelques missions, attablé avec Jean-François Nallet et Michèle Boumendil, laquelle m’interpelle en me disant que ma question était pertinente. Je dénie et remercie à la fois, dans un bredouillement mal maîtrisé ce qui ne l’empêche pas de me questionner sur mes activités puis de me proposer de travailler pour le Centre INFFO. Et c’est ainsi que quelques mois plus tard, je réalisai un document sur la formation des demandeurs d’emploi pour les premiers Entretiens Condorcet.

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Je poursuivis mes relations avec le Centre INFFO où je rencontrai la petite-fille du créateur du concours Lépine qui me fit rapidement une honnête proposition : la remplacer pour animer des formations dans un organisme que je ne connaissais pas du nom de DEMOS. Mon principe étant de toujours dire oui en première intention j’acceptai. A l’époque, au tout début de l’année 1992, DEMOS comptait 30 salariés et réalisai un chiffre d’affaires de 30 millions de francs (aujourd’hui c’est 800 collaborateurs, 103 millions d’euros et une présence dans 17 pays). Je rencontrai Jean Wemaere qui m’accorda immédiatement une confiance qui demeure. Et comme la fidélité est un plaisir qui se partage, je me retrouve ce matin à animer avec Jean une conférence de presse à l’occasion des 40 ans de la création de DEMOS. Car maintenant, j'arrive à parler en public sans monter trop haut dans les aigus.

Demos 40 ans Dossier de Presse.pdf

03/09/2012

Anniversaire (1)

Au début de l’année 1987, je venais de terminer mes études. J’envoyai consciencieusement des CV, puisque c’est ainsi qu’il convenait de procéder pour entrer dans ce fameux monde du travail dont on me rebattait les oreilles, et qui ne m’était pas tout à fait étranger puisque j’avais souvent mis la main à la pâte dans le restaurant familial. Je passai un entretien désastreux dans un cabinet de conseil juridique : l’univers que me présentait le patron du cabinet qui me recevait me paraissait tellement lointain que je m’exprimai quasiment par monosyllabes, avec une jambe coincée sous la chaise dans une posture qui me déclencha des fourmis et me fit m’affaler sur la porte du bureau lorsque je voulus me lever pour conclure l’entretien. Il fallut à mon interlocuteur réunir l’intégralité de sa bienveillance pour considérer que ce jeune homme hébété était celui qui s’était présenté, dans le CV rédigé avec application, mais l’application ne fait pas la conviction, comme un étudiant aux bons résultats, un sportif de bon niveau et globalement un jeune homme plein d’entrain. Il me dit que je n'étais sans doute pas en grande forme et qu'il était tenté de me prendre tout de même à l'essai, avant de me téléphoner trois jours plus tard que finalement ce n'était pas possible. 

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Edward Hooper - Station Essence - 1940

Ce premier entretien ne fut, heureusement, suivi que d’un seul autre dans un contexte mieux adapté, en tout cas pour ce qui me concerne. Après avoir raccompagné, à la nuit plus que tombée, une amie chez elle, je rodai lentement en voiture dans Toulouse, à la recherche, période bénie où les containers n’avaient pas encore été inventés, de livres abandonnés sur les trottoirs car il fût une époque où l’on pouvait se constituer une bibliothèque gratuitement et en se promenant au hasard des rues. Toute chose ayant sa nécessité, mes pas, ou plutôt mes roues, me conduisirent à une de ces stations service qui composent un paysage baroque au cœur des centres ville. Tandis que je remplissais le réservoir, car s’il existait encore des pompistes ils restaient déjà la nuit dans leur guérite, un individu s’escrimait à côté de moi à pomper sur la borne du mélange pour remplir le réservoir de sa mobylette orange. Lorsqu’il se tourna vers moi, j’eus la surprise de l’entendre dire : « Ah Mr Willems, comment allez-vous ? ». Malgré la nuit et le casque, je reconnus mon prof de Droit de la formation, que je n’avais pas revu depuis la fin de mon cursus. Et c’est à cette pompe à essence qu’il me proposa de travailler quelques mois avec lui au Centre de Recherche et d’Information sur le Droit à la Formation à l’Université, laquelle m'invitera ensuite à poursuivre la collaboration à condition que je facture mes prestations. C’est ainsi que le 1er septembre 1987 je créai le cabinet Willems Consultant qui fête donc en ce début de semaine ses 25 ans.

24/07/2012

Le temps suspendu

La voiture m'ennuie et me fatigue. La marche ou le vélo m'excitent, parce que l'on se rapproche du rythme du paysage et qu'il n'y a pas d'autres moyens de l'apprécier vraiment. Mais ma préférence va aux voyages en train et plus encore en avion. Des voyages longs pendant lesquels le temps est totalement suspendu. Vous vous surprenez même, si vous traversez l'atlantique, à reculer dans le temps au fur et à mesure que l'avion avance. La technologie n'ayant pas (encore) franchi toutes les limites, pendant le temps du vol vous disparaissez totalement. Injoignable, inraccordable, incommunicable. Vous pouvez vous dédier entièrement à qui voyage avec vous et vous plonger dans les livres dont vous avez goulument empli votre besace, avec la gourmandise des heures à venir qui vous offrent leur immobilité bienveillante.

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Et puis j'aime les avions gris argentés d'American Airlines. Ils me rappellent les caravelles qui me fascinaient. Ce qui fut fascinant également ce jour c'est la moyenne d'âge de l'équipage de cabine : au moins la moitié des 6 stewards et hôtesses avaient largement atteint l'âge auquel on peut faire liquider sa retraite. Jamais vu un tel équipage. Signe que la crise frappe à tout va et que le niveau des pensions s'en ressent ? ou vieillissement prématuré par l'absorption répétée de décalages horaires ? difficile à dire, mais ces navigants aux rides prononcées et aux yeux rieurs mériteraient aussi que pour eux, le temps soit suspendu.

03/07/2012

Du bon usage de l'examen

En cette période de baccalauréat, un conseil tardif aux impétrants, qui n'en ont que faire et qui ont bien raison. La première épreuve du baccalauréat est celle du français qui, par l'ingénieuse idée d'un gestionnaire de l'éducation de nos enfants, se passe en fin de première ce qui est le plus certain moyen de désintéresser totalement les élèves de la matière pour l'année de terminale. Mais là n'est pas le propos. A cette première épreuve donc, je me présentai fort d'honnêtes résultats obtenus en cours d'année ce qui pouvait contribuer à calmer un peu mon inquiétude. Celle-ci disparut totalement lorsque l'examinatrice, qui constituait un étonnant cumul d'absences - de beauté, d'entrain, de jeunesse, d'amabilité, de présence- tira au sort le sujet qui me revenait : un commentaire du passage du Rouge et le noir dans lequel Julien Sorel fait feu, dans l'Eglise au moment de l'office, sur Mme de Rénal. Joie, bonheur et félicité ! Mon texte préféré et tant de choses à dire. La préparation fut enthousiaste et l'oral quasiment une déclamation ; tout y passa : la passion qui broie ce qu'elle vénère, le destin implacable des êtres qui n'échappent jamais à leur condition, la volonté inconsciente que ce qui paraît être folie advienne, l'amour qui vient bouleverser les calculs les plus rationnels et les plans les plus solidement établis, bref je m'enflammai.

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Mark Rothko - Noir, Rouge sur Noir sur Rouge - 1964

C'est peu de dire que mon excitation trouva peu d'écho. L'absence d'intérêt pour mon propos et l'absence de patience à mon endroit vinrent s'ajouter à toutes les autres. Le plus improbable survint lorsque l'examinatrice me demanda de compter les adverbes du texte et de lui indiquer les figures de style figurant dans le passage. L'hébétude et la stupidité s'installèrent définitivement sur mon visage. Elle me congédia en soupirant et dans un effort ultime marmonna : "Comme vous avez un bon dossier je vous mets 10/20".

De ce premier oral du baccalauréat je tirai la conclusion définitive qu'un examen est totalement dépourvu d'enjeu autre que le fait de l'obtenir. Foin de convictions, de fierté personnelle, de goût ou de reconnaissance d'un travail (et ne parlons pas d'une pensée personnelle). La capacité à reproduire très exactement l'attendu est l'horizon indépassable de ce genre d'épreuves. Je décidai donc, face à un tel néant intellectuel et moral et par esprit de réciprocité, d'une part de tricher autant que faire se peut (et cela se pût) et d'autre part de m'en tenir strictement à ce qui était demandé. Rien n'indique à ce jour que ces deux résolutions aient perdu de leur pertinence.

Note : Une pensée pour Sylvia Kristel plongée dans le coma, qui demeure comme un écho de l'Atlantide. Voir ici.

20/06/2012

Le poids du téléphone

Il travaille dans une de ces entreprises du CAC 40 qui figure régulièrement en tête des enquêtes sur les entreprises dans lesquelles on aimerait travailler. Il a des responsabilités importantes, un attachement fort à l'entreprise, au travail, au business. Et il sort en souriant un étrange objet de sa poche, qu'il me montre en me disant : "Mes enfants se foutent de moi lorsqu'ils voient avec quoi je travaille". L'objet est un modèle de téléphone portable qui est au Blackberry ou à l'Iphone ce que les dinosaures sont aux oiseaux, un ancêtre très lointain.

"C'est ton téléphone professionnel ?

- Oui, je viens d'informer mon boss et mes collègues que je souhaitai avoir un téléphone qui ne me serve qu'à téléphoner et j'ai trouvé ce modèle, il est un peu lourd mais au moins il n'a pas d'autre fonction que le téléphone ;

- tu fais une allergie à la modernité ? un coup  de blues ? une nostalgie soudaine devant le temps qui passe ? ou tu essaies de voir si ce petit engin peut servir de machine à remonter le temps ?

- non, j'ai juste souhaité débrancher.

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Eugène Gabritschevsky - Ce qui nous retient

- tu expérimentes le droit à la déconnection ?

- ce n'est plus une question de droit mais de santé. Plus de mail à traiter le dimanche pendant le repas familial, plus de relance étonnée qu'un message envoyé à 23 heures n'ait pas eu de réponse dans le quart d'heure, plus d'arrêt sur la route des vacances pour participer à une conf'call, plus de bruits d'oiseaux chaque fois qu'un mail ou un texto arrive, et de toute façon avec cet engin cela prend 20 minutes pour taper deux lignes donc je n'en envoie plus...

- tu fais ça depuis longtemps ?

- trois mois, depuis que j'ai changé de manager et que j'ai pu aborder cette question avec lui, ce qui n'était pas possible avec le précédent ?

- et ça va ?

- à ton avis ?

- à voir ton sourire, j'en conclus qu'il y a un créneau pour les téléphones rétros qui ne font que téléphone

- t'as raison, parce que dans tout ça il y a quand même une chose qui m'embête : il est un peu lourd."

19/05/2012

Mille et une nuits

A la fin du mois de février 2008, année bissextile, je déposai les premières chroniques sur ce blog puis la première illustration, Judith. Plus de 4 ans plus tard, la chronique du jour est la 1001ème. Du jour ou plutôt de la nuit, car les chroniques sont le plus souvent rédigées dans le silence nocturne, lorsque tout est retombé, reposé, que le temps s'amuse à oublier les rythmes collectifs, que la lune déploie ses improbables influences et que peuvent apparaître les belles de nuit.

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Ce blog raconte plusieurs histoires. L'actualité sociale, mais aussi l'actualité politique, économique, culturelle, des vies croisées plus ou moins régulièrement, et d'autres encore, qu'il faut aller chercher un peu au-delà des apparences, tant ce que nous vivons est une pierre à facettes. Mais les mille et une nuits ne procèdent-elles pas à la mise en miroir des personnages inventés par Schéhérazade ?

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Hegel disait que la lecture du journal est la prière du matin. L'écriture du blog me tient lieu de prière du soir. Et à ceux qui me demandent parfois comment je trouve le temps d'écrire, cette réponse d'Alexandre Vialatte : "Le temps perdu se rattrape toujours. Mais peut-on rattraper celui qu'on a pas perdu ?".

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René Magritte - La belle de nuit - 1932

14/05/2012

Innocence de l'autruche

La remarque est assez fréquente à la fin des formations et séminaires. Elle emprunte souvent la forme ironique dans sa formulation pour mieux dissimuler le sérieux embarras. Elle revient schématiquement à ceci : "Maintenant que je sais à quoi m'en tenir, que je dispose à la fois des clés de compréhension et des outils pour construire des solutions, je suis en fait plus embêté qu'avant car il me faut agir et choisir". Autrement dit, sorti de mon état d'innocence et plongé dans la conscience des situations, me voici chassé du paradis et condamné à vivre pleinement ma condition humaine. Habile manière de tenter la culpabilisation du formateur qui persiste à vouloir faire gagner en autonomie au risque de placer chacun devant ses responsabilités. Bien essayé mais c'est raté.

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Julien Spiedler - Innocence - 2011

Car en ce domaine comme tant d'autres, l'âge d'or de l'innocence n'est souvent qu'un mythe. Et d'ailleurs, si vous êtes venus c'est que le confort n'était sans doute pas si grand, non ? Bon lundi à tous.

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Maurizio Cattelan - Sans titre - 1997

11/05/2012

Egals et fraternaux

Reprise de l'activité de formation avec l'animation d'un séminaire consacré aux élections professionnelles. Décidément, on en sort pas. Le sujet n'est pas le plus passionnant. Certes il y a bien un peu de stratégie électorale, quelques occasions de faire du droit, de la technique et les trucs et astuces habituels qui rendent plaisant le juridique, mais c'est tout de même un peu Waterloo morne plaine. Heureusement, comme souvent, les participants mettent leur grain de sel et l'on peut enrichir le débat. Quels sont les critères pour voter ? l'âge, l'ancienneté, l'indépendance vis-à-vis de l'employeur, ne pas être privé de ses droits civiques. Pas la nationalité ? et non, les étrangers votent déjà en France, pour toutes les élections non politiques. Seules les élections politiques font un lien entre citoyenneté et nationalité. Mais alors ne serait-il pas logique que ce lien ne s'applique qu'aux élections nationales. Cela aurait sa cohérence.

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Shi Xiang - Liberté-Egalité-Fraternité - 2011

Mais alors on pourrait voter dans son pays d'origine pour les élections nationales et dans son pays de résidence pour les élections locales ? oui, un peu comme le salarié détaché qui peut voter sur son lieu de travail pour élire les représentants du personnel mais qui bénéficie du comité de son entreprise. Communauté de travail et communauté d'appartenance peuvent ne pas s'opposer. Et c'est ainsi qu'au détour d'un séminaire technique et pratique on peut redécouvrir, selon la formule du député Fournier prononcée devant la Chambre des Députés en 1914 que "Tous les citoyens sont égals et fraternaux".

19/03/2012

Le masque du bon sens

En réponse à une question posée lors de la soutenance de son mémoire, la candidate ose un : "C'est du bon sens !" qui lui paraît relever de l'évidence. Pour qui est persuadé que d'évidence il n'y a pas, la phrase sonne comme une provocation, alors qu'elle se voulait plutôt consensuelle. Le bon sens cela n'existe pas et lorsqu'on le nomme, c'est que l'on renonce à rechercher ce qui se cache derrière l'évidence et que l'on valide sans plus y réfléchir la première construction venue. Le bon sens, c'est un masque qui nous interdit l'accès aux ressorts de nos actions.

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Masque Eskimo - anc. coll. André Breton

Le bon sens a au moins deux défauts. Le premier est la brutalité qu'il renvoie à un contradicteur : "c'est du bon sens !" laisse penser que celui qui n'est pas d'accord est un abruti à peu près complet puisque, comme on le sait, le bon sens est chose la mieux partagée du monde. Le second est de ne pas aller au-delà de l'apparente évidence  et d'occulter le type de logique, de rationalité, de raisonnement qui fonde la solution. Plus de questions sur les soubassements idéologiques, les présupposés, les représentations qui conduisent à prendre pour argent comptant ce qu'impose le bon sens. Et c'est pourquoi, je me suis toujours méfié de ceux qui usaient un peu trop facilement de la référence au bon sens dont il est possible de se demander ce qu'ils entendent ainsi masquer.

11/02/2012

Radiation

Pas la peine d'en rajouter sur le référendum relatif à l'assurance-chômage qui n'a guère de sens au plan de la gouvernance du social, du droit du travail ou de la faisabilité technique. Juste l'occasion de rapporter une anecdote qui date de l'été dernier. Un ami DRH s'inscrit à POLE EMPLOI avant l'été. Fin juillet, coup de fil attentionné :

- vous savez que vous pouvez partir en congés si vous voulez ?

- je ne savais pas, mais je comptais partir quinze jours dans ma famille...

- il n'y a pas de raison que les demandeurs d'emploi ne puissent pas partir. Vous pouvez vous absenter pendant trois semaines sans impact sur votre situation...

- bon, voilà les dates auxquelles je serai absent...

- c'est enregistré, merci.

Dans la première semaine d'absence, convocation par mail à un entretien à POLE EMPLOI sous peine de radiation. Comme quoi, consulter ses mails pendant les congés n'est pas qu'un vice de work alcoholic et peut s'avérer utile. Coup de fil furibard :

- vous vous foutez de moi ? vous venez m'informer que je peux m'absenter et dès que je le fais vous me convoquez ?

- nous sommes désolés, c'est un envoi automatique, le robot qui envoie les mails n'a pas du prendre en compte les dates. Pourtant elles sont saisies, je ne comprends pas...

Ah ces radiations administratives incompréhensibles et innocentes.

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Innocent radiation

Le nombre de radiations administratives oscille en 40 et 50 000 par mois, soit plus de 500 000 par an. Il paraît qu'il y a peu d'erreurs. Mon ami n'a pas eu de chance, voilà tout. Ou plutôt si : pendant ses congés, il a croisé un vieux copain qui l'a mis sur un recrutement en cours. Il a été embauché en septembre. Du coup, grace aux congés, il est radieux et radié.

24/01/2012

Prendre le temps de la performance

Séminaire interne consacré à la performance de l'entreprise, soit les résultats et leurs conditions. Le sens de l'action et ses modalités. Questionnement autour de "Qu'est-ce qu'une entreprise performante ?" comment l'on peut travailler autour de "Qu'est-ce qu'un bon professionnel ?". Et puis dans le fil des travaux vient la question complémentaire "Qu'est-ce qu'une bonne organisation ?". Et la réponse d'une participante fuse aussi rapidement que la question a été posée : "C'est une organisation qui laisse le temps de réfléchir à ce que l'on fait". Diable, voilà une affirmation en forme de provocation. Alors que l'on débat de productivité et de temps de travail, il faudrait laisser du temps. Et pour réfléchir en plus. Mais que penserait le penseur d'une telle demande ?

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Munch - Le penseur de Rodin - 1907

Peut-être qu'il estimerait la proposition bienvenue pour tous ceux qui remplissent compulsivement les agendas, s'enorgueillissent des 320 mails reçus chaque jour (et paranoisent lorsqu'il y en a moins de 200), font la chasse au temps mort, ne peuvent supporter l'observation contemplative et sont occupés en permanence à  saturer leur temps et leur espace, tout en se demandant pourquoi ils saturent. Prendre le temps de la réfléxion, se déconnecter de la commande ou de l'injonction immédiate, réfléchir au sens de l'action et à ses modalités, bref prendre le temps de l'efficacité. Mais pour cela, il faut commencer par prendre le temps.

08/01/2012

Temps morts

C'est la fin de l'année. Les résultats sont corrects, mais le syndrôme des périodes heureuses aidant, ils génèrent tout de même de la frustration, surtout chez les dirigeants car les managers eux, estiment qu'ils ont plutôt tenu la barre par vents contraires. Le séminaire de fin d'année est important pour le COMEX car 2012 s'annonce délicate, au moins au premier semestre. Alors on a pas lésiné : cadre superbe, réception parfaite, nourriture et vins fins, attention constante du personnel de réception. Sur le programme non plus on a pas lésiné. Deux journées saturées d'interventions, des animateurs qui se relaient avec enthousiasme, des powerpoints flamboyants qui défilent à un rythme déconseillé aux épileptiques, des temps forts à tous les instants, des messages clés dans tous les messages et au final du très dense et peu de danse. Dans la salle, les participants se transforment peu à peu en présents puis en absents. Les iPhones et Blackberrys sont de moins en moins discrets, les appartés se multiplient, les comportements potaches saisissent une bonne partie des Top managers sans que l'ordonnancement méticuleusement prévu ne dévie d'un iota car tout a été planifié de 8h à 23h sans temps mort.

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Manule Alvarez Bravo - Conversation à côté d'une statue - 1933

Curieuse appellation d'ailleurs que ces "temps morts". Car dès que s'ouvre une fenêtre de liberté, une pause, un repas, une fin de soirée, ceux qui traitaient leurs mails persos, qui luttaient contre la somnolence, qui vagabondaient sur le net, tous ceux-là s'animent et entrent en conversation. Pour parler de quoi ? quasi-exclusivement de travail. De leurs activités, de leurs difficultés, de leurs réussites, ils se lancent à la recherche d'informations, d'avis, de conseils, d'approbations, de partages d'expérience, bref ils profitent du cadre de liberté pour traiter véritablement les questions qui les intéressent. C'est dans ces moments, plus que dans les injonctions communicantes, que se font, ou pas, les communautés de travail, d'intérêts et de fonctionnement. Et lorsque l'animateur fait le tour des couloirs et jardins dans lesquels se sont constitués les groupes de discussion en lançant : "Allez on reprend, au travail !", il ne semble pas percevoir que le vrai travail il vient d'y mettre fin.

03/01/2012

Futurisme

En 2012, le futur a toujours de l'avenir

 

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1907-2012

 

EN 2012

Le CABINET WILLEMS CONSULTANT

 

VOUS SOUHAITE DE BELLES DECOUVERTES

ET DE CONTINUER A APPRENDRE

02/01/2012

25 ANS

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En 1987

Gorbatchev publie « La Pérestroïka »

Le mur de Berlin commence à se fissurer

La movida espagnole enflamme l’Europe, elle a encore l’Atlantique à traverser pour renverser Pinochet,

Primo Levi s’échappe définitivement des camps

Nous sommes 5 milliards de terriens

Les super héros déprimés de Watchmen courent après leur jeunesse

Les All-Blacks sont champions du monde de rugby en battant la France en finale à Auckland

Le silicone n’est pas le passage obligé de la beauté

Je profite du ralentissement de la rotation de la Terre et du rallongement d’une seconde de l’année 1987 pour créer le Cabinet Willems Consultant qui fêtera ses 25 ans cette année.

09/12/2011

Au delà de la case rationnelle

Il y avait une formation dans la salle où doit se tenir la réunion à laquelle j'arrive en avance (hé oui !). Curieux par nature et par plaisir je regarde les dossiers qui sont restés sur les tables : le management et le leadership. J'ouvre le document et découvre que le "simple" manager fonctionne suivant une logique rationnelle qui le rend performant dans l'opérationnel et le quotidien. Mais que le manager leader fonctionne par intuitions qui naissent d'observations et de faits auxquels il donne du sens pour construire des solutions tournées vers l'avenir. Je repense à Diego Fasolis, l'exceptionnel chef d'orchestre découvert hier soir, qui déclare dans une interview : "Je tiens compte de l'aspect psychologique du travail de répétition. Les musiciens doivent se sentir bien. C'est fondamental. Plus que la direction d'orchestre qui s'apprend en un mois. Le chef doit être sûr de lui. S'il a peur, il se réfugiera derrière son autorité. La musique ne peut pas s'accomplir ainsi. Mon travail consiste à coordonner les artistes, à canaliser les énergies, à comprendre la pulsation pour se mettre au service du texte. "

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Bekha - Intuition - 2009

Comprendre la pulsation, s'appuyer sur ses intuitions. J'aborde le sujet avec une cliente qui réfléchit un instant et me dit : "Moi je cherche à ranger mes intuitions dans des cases rationnelles". Pardon ? "..des cases rationnelles". J'avais entendu des "castrationnelles". Je vais laisser un mot à l'animateur de la formation pour demain : Comment faire pour que les intuitions ne subissent pas la castration des cases rationnelles ? voilà qui pourrait faire un bon exercice pour un atelier pratique.

22/11/2011

Mauvais élève, bon formateur

L'anecdote est rapportée par mon expert-comptable et commissaire aux comptes, qui est également formateur en finances, comptabilité et stratégie. Un très bon formateur qui est aussi capable de faire travailler des dirigeants et DAF que de faire découvrir les mécanismes de la comptabilité et de la finance à des managers. Il me rapporte que lors de ses études universitaires, il ne parvenait absolument pas à intégrer les logiques de la comptabilité. Et qu'il répondait systématiquement à côté des questions posées, ce qui lui valut la note de 1 lors d'un oral avec un enseignant qui, sans le reconnaître et bien des années plus tard, le sollicita comme expert pour un dossier un peu compliqué. La roue tourne.

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Lou Dubois - La roue du temps - 2010

Tu comprends, me dit-il, il m'a fallu 7 ans pour comprendre les logiques et mécanismes comptables et financières. Une fois que j'ai eu compris, c'était simple, mais pendant 7 ans cela m'échappait.

Il n'est pas étonnant que celui qui a eu des difficultés d'apprentissage, qui s'est heurté à l'hermétisme d'un domaine avant d'en trouver la clé qui lui permet de s'y promener à loisir et avec plaisir, fasse un bon formateur. Ayant expérimenté lui-même les limites de pédagogies subies, ayant du tracer des chemins personnels pour accéder à la liberté que procure la connaissance, pour peu qu'il ait le goût du partage et n'ait pas à l'esprit de se réserver le contenu du coffre-fort qu'il a percé, il pourra faire un très bon formateur. C'est notamment pour cette raison que le meilleur professeur d'anglais que j'ai rencontré n'était pas un "native" mais....un espagnol. Diable, voilà qui ne simplifie pas la tâche de qui doit sélectionner ou recruter...un bon formateur.

Note : Lou Dubois expose du 9 décembre 2011 au 14 janvier 2011 à la Galerie Les Yeux Fertiles, 27 rue de seine, 75006 PARIS.

08/11/2011

Du temps au travail (3)

Nous sommes l'instant d'après. Ce qu'il vient de se passer, la nature réelle de l'évènement, importe peu. Ce que Jonathan Wateridge saisit dans ses toiles qui paraissent peintes à même la pellicule d'un film hollywoodien, c'est l'instant entre ce qui est advenu et cet ensuite qui ne sera plus jamais comme avant. Il peint une faille du temps, un basculement incrédule, ces quelques secondes qui arrivent rarement mais que l'on reconnaît immédiatement : celles où la vie se joue, celles de l'intrusion soudaine de l'irrémédiable, un éclair dans un ciel d'azur. Le temps devient vertical : le vide étend son vertige sous nos pieds figés tandis que l'ivresse de l'inattendu euphorise le froid manteau de l'angoisse qui s'est enroulé sur nos corps pétrifiés. Le temps suspendu marque le mouvement définitif de la vie.

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Jonathan Wateridge - Pool Party

Il y a quelques années, dans une de ces réunions de discours lénifiants auxquelles chacun ne va que pour croiser ceux qui y sont, et pouvoir dire à ce qui n'y sont pas qu'ils y étaient, un directeur de FONGECIF me glissa à l'oreille tandis que l'ennui glissait sur nos fauteuils : "Ce serait intéressant si peu à peu la lumière changeait, les perspectives se modifiaient, une musique un peu lancinante se faisait entendre faiblement puis de plus en plus fort et que l'ambiance basculait dans l'inconnu. On pourrait apprécier les réactions et s'amuser de voir les masques tomber". Chez Wateridge, les masques sont en train de tomber. Parfois il suffit d'écouter, là il s'agit juste de regarder le décorum voler en éclat et de se réjouir du détail qui nous confirme que c'est la liberté qui vient de s'inviter à grand fracas dans les conventions sociales. Et c'est ainsi que le pied de la jeune fille commença à s'évader de la ballerine.