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30/05/2008

Se sécuriser par le danger

Conférence à Bordeaux sur la sécurisation des parcours professionnels. Je redis combien sécurisation me paraît une notion défensive empreinte de crainte et de menace. La nécessité de basculer sur une approche positive du parcours professionnel (voir la chronique "vive l'O.O.P.P) m'apparaît comme une évidence.

 Question d'un participant : "Comment sécurisez-vous votre propre parcours ?". Réponse: "En essayant d'avoir toujours un coup d'avance, et en ayant le souci permanent de me donner les moyens de l'autonomie et de la liberté".

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Man Ray - Dancer/Danger
 
A la réflexion, la réponse aurait pu, et du, être beaucoup plus courte et lapidaire : "je me sécurise en me mettant en danger" et notamment en m'astreignant à faire ce que je ne sais pas faire. Avec le recul, il m'apparaît comme évident que se sécuriser ce n'est pas fuir le danger mais au contraire s'habituer à le traiter. 

 

09/05/2008

Le chef d'entreprise, le gestionnaire paie et l'ingénieur

Le chef d’entreprise est en colère. Des erreurs dans la paie lui ont été signalées par des salariés alors qu’il avait investi dans un outil de gestion de la paie et il doit ajouter  le coût du consultant qui vient rechercher les causes du mal…bref, du temps, de l’énergie et de l’argent pour rien.

Pour rien ? c’est l’objet de la discussion avec le consultant. L’emploi du gestionnaire paie est manifestement sous-dimensionné. Peu qualifiée et peu rémunérée, la personne qui gère la paie est dépassée et démotivée. Le consultant explique au chef d’entreprise que l’emploi doit être revalorisé et le profil revu. Cette préconisation n’améliore pas l’humeur du chef d’entreprise. D’où le dialogue qui suit :

« - je ne peux pas mettre plus de moyens sur un poste improductif. Je préfère augmenter mes gars sur les chantiers qui font tourner la boutique et dont je vends le travail ;

- que représente la masse salariale dans votre entreprise ?

- 60 % des charges de fonctionnement, qui se montent à quatre millions d’euros ;

- lorsque vous devez faire un devis qui dépasse 150 000 €, vous imposez que deux ingénieurs y travaillent, est-ce que vous trouvez cohérent de payer à peine plus que le SMIC quelqu’un qui gère 2,4 millions d’euros de dépenses ?

- vu comme cela, je pourrai y réfléchir, mais en gérant la paie, il ne me rapporte rien ;

- la satisfaction et la confiance des salariés sur la paie, la garantie que toutes les dépenses sont justifiées, l’absence de contentieux et de risque URSSAF, l’optimisation de la gestion des sommes exonérées socialement et fiscalement, la capacité à vous conseiller sur les moyens de distribuer le plus de revenu disponible à moindre coût, la veille réglementaire et votre tranquillité d’esprit qui vous permet de vous consacrer à votre métier …ce n’est pas rien, et si ce l’était, supprimez le poste ;

- …peut être que je vais y réfléchir ».

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Balthus - Le peintre et son modèle
 
Quelle est la part du modèle dans la production du tableau ? 

 

14/04/2008

La valeur ajoutée du porcher

Mais que fait donc le porcher toute la journée ? peut-on dire qu'il travaille ? il jette un oeil aux cochons, peut-être leur parle-t-il, mais les cochons semblent occupés par ailleurs, il s'ennuie ? il n'en a pas l'air, il pense, bien sur, mais à quoi ? comment parle-t-il en silence ? trop de question, allons c'est réglé, cet homme ne travaille pas.

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Enclos à cochons - Gauguin - 1888 
 
Le porcher de Gauguin me renvoie à un autre porcher. Celui-là travaillait dans un abbatoir. Il  était essentiellement chargé de l'accueil des camions apportant les cochons, réduits en l'occurence à une matière première, de les faire descendre et de les guider vers leur lieu d'abbatage. Comme beaucoup d'abbatoirs, celui-ci vivait en équilibre économique précaire. Dans ces situations, le consultant sollicité se mue en chasseur de coûts. Après un audit en règle de l'abbatoir, le verdict tombe : parmi les mesures d'économies figure la suppression de l'emploi du porcher. Le temps du social et de la gestion familiale est terminé. La rentabilité a ses exigences que les sentiments ne peuvent comprendre. Exit le porcher. Ainsi fut fait, et quelques autres choses également.
 
Las, non seulement le redressement ne fut point au rendez-vous, mais la rentabilité de l'abbatoir déclina. Le consultant déclara qu'il était trop tard et qu'il eut fallu le contacter bien plus tôt. Et puis un salarié fit remarquer que la dégradation de la rentabilité provenait des pertes importantes en cochons : c'est que l'animal est cardiaque et que le cochon mort hors-abbatage est impropre  à la consommation. Or le taux d'accident avant abbatage avait fortement progressé depuis quelques mois. Précisément depuis que le porcher avait quitté l'entreprise et que les chauffeurs suppléaient à sa fonction en accompagnant eux-mêmes les bêtes dans l'abbatoir. Et l'on se rendit compte que le porcher savait, avait appris à force de s'intéresser aux animaux qu'il accompagnait, reconnaître les cochons stressés, ceux qui devaient être mis de côté, ou ne devaient pas être descendus du camion tout de suite, où devaient prendre du temps avant de se mettre en mouvement, etc. Ces attentions diverses permettaient d'épargner de la crise cardiaque environ 5 % du cheptel. Mais ces compétences là, et cette valeur ajoutée du porcher, que chacun avait toujours vu accompagner les cochons sans se poser de question, personne ne s'en souciait.
 
Dans toute organisation un (des) porcher(s) ? 

08/04/2008

Pour voir, il faut se taire

L'exercice fait toujours recette : l'animateur sort un oeuf de sa poche (ce n'est jamais sans risque, mais ainsi va la vie du consultant), le montre aux participants et leur demande ce qu'ils voient. Bien que pressentant le piège, il est trop difficile de résister et l'on entend toujours un, deux, trois ou plus crier : "un oeuf !".

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"Si vous voyez un oeuf, vous n'avez pas vu mais reconnu, si vous aviez simplement vu, vous m'auriez dit : je vois un objet de forme ovoïde qui a l'air dur et qui ne peut tenir en équilibre".
 
Wittgenstein le dit plus directement : "Quand je vois un objet, je ne peux pas me le représenter. Quand nous nous représentons quelque chose nous n'observons pas". Et si l'on veut plus concis encore, convoquons Tchouang-Tseu : "Quand on perçoit on ne parle pas, quand on parle on ne perçoit pas".
 
Tout responsable ressources humaines qui veut faire un diagnostic avant d'agir peut utilement se souvenir que le temps du diagnostic n'est pas encore celui de l'analyse ni du commentaire et que l'observation nécessite silence et écoute véritables sans projection hâtive.
 
 

 

29/03/2008

Le DRH sorcier

C’était le temps des start-up frénétiques. Des énergies groupées autour de tréteaux envahis d’anarchique informatique. C’était à la fin des années 90. Les business plans se faisaient et se défaisaient à toute heure du jour et de la nuit. Chaque idée était évaluée à l’aune du jackpot : était-ce celle  avec laquelle on allait rafler la mise ou bien ne s’agissait-il que d’une banalité érigée en martingale ? l’imagination n’était pas au pouvoir, elle était dans des bureaux étroits et encore enfumés peuplés de jeunes gens fiévreux. Sur France-Info, Jean-Pierre Gaillard s’étranglait en annonçant les cours de bourse : l’économie naissante de l’immatériel dépassait en capitalisation boursière l’économie industrieuse qui n’en pouvait mais.

En ces temps d’euphorie, nichés au cœur de la bulle internet, des DRH emportés par l’élan d’innovation ont voulu eux aussi s’essayer au jeu : on se souvient des tables de ping-pong dans les salles de réunion, des matelas par terre pour la sieste et la nuit, des fêtes au travail dans l’utopie du travail vécu comme une fête.

Lors d’une réunion, un DRH d’une start-up dont la croissance donnait le vertige,  me remit sa carte professionnelle. Sous son nom, à la place de sa fonction, je pus lire cette appellation : « sorcier ». Je pensai à Gauguin.

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Gauguin - Le sorcier d'Hiva Oa - 1902
 
 

Revenant à notre discussion, je ne résistai pas à lui demander le pourquoi de cette mention. Il me répondit qu’il avait invité les salariés à se définir à travers un totem animal, sans doute des réminiscences d’une enfance scout, et que les fonctions avaient été remplacées par des noms d’animaux. L’entreprise était donc peuplée de lions, de renards, d’aigles, de loups, de dauphins et autres fières bestioles. Bien évidemment, les poules, pintades, moutons, cochons ou ânes faisaient moins recette. Son tour venu, il n’avait pu identifier le totem de la fonction ressources humaines (vos idées sont les bienvenues en commentaire), et s’était replié sur l’image du sorcier. Sorte de Noé mythique régnant sur le monde animal dont lui seul possède les clés.

Je me suis alors souvenu de Magritte et de son autoportrait en sorcier.

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L’homme aux quatre bras, qui sait se démultiplier pour effectuer plusieurs tâches à la fois ou bien le silencieux sorcier tahitien qui fascine et dont le silence est lourd de secrets.

Sorcier ? et pourquoi pas ? après tout, les points de comparaison ne manquent pas : la solitude attachée à la fonction, son ambivalence (le sorcier est à la fois souhaité et craint), le recours à des recettes ou méthodes dans lesquelles la persuasion tient  toute sa place, des effets de gourou que l’on peut effectivement rencontrer …à première vue l’image semblait pertinente.

A première vue seulement. Car en matière de ressources humaines, point de recette mystérieuse infaillible, pas de potion magique ni d’onguents guérisseurs, peu de gourou si l’on veut des effets durables, pas de savoir mystérieux et exclusif, pas de manipulation mais du management, pas de solitude de la fonction bien au contraire un travail avec tous et le moins possible d’ambivalence dans le positionnement. A la réflexion, il n’est pas exclu que le sorcier soit le contre-modèle absolu du DRH : éviter la DRH magique, celle qui relève de l’incantation et de l'expertise secrète est sans conteste une des clés de la réussite.