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28/11/2008

La technique et les valeurs

Le droit du travail est historiquement un droit de protection du salarié. Est-ce toujours le cas ? non pas que le droit du travail serait devenu un droit de l’employeur et non du salarié, mais il constitue, selon l’expression de Jacques Barthélémy, une « Technique d’organisation de l’entreprise » davantage qu’une règle visant expressément à protéger le salarié. Protection du salarié le forfait jour ? la modulation ? les règles relatives au CDD ? au temps partiel ?....difficile de se prononcer de manière binaire. Le droit devient de plus en plus une technique, qui n’est plus par elle-même porteuse de valeurs. Il convient de ne plus confondre droit et morale. Voilà peut être une bonne nouvelle : c’est aux utilisateurs de prendre leurs responsabilités par rapport à l’éthique et à la morale, elle n’est plus incluse dans la règle de droit.

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Cette réversibilité du droit du travail peut se constater en d’autres domaines. A l’heure où l’occident voit se multiplier les salariés nomades, les peuples nomades se sédentarisent tels les mongols qui viennent se regrouper autour d’Oulan-Bator. On ne saurait trop conseiller au lecteur de cette chronique de consulter le magnifique ouvrage de Sophie Zenon sur la Mongolie. Peut être y trouvera-t-il l’inspiration qui lui permettra de mettre quelques valeurs dans ses pratiques juridiques.

27/11/2008

Corps et âme

La santé physique et mentale du salarié a fait son entrée dans le Code du travail en 2002. Par cette formule duale, le législateur entérine la division dont l’occident ne peut se départir entre corps et esprit ou matériel et spirituel. Les médecins du corps, en France, ne sont pas les médecins de l’âme. Cette dichotomie binaire nous vient de Platon et a ensuite été généralisée par la doctrine chrétienne. Elle imprègne durablement nos modes de pensées et représentations.

Pourtant les médecins savent aujourd’hui que la remise en état du corps après un accident ou une maladie ne met pas fin aux séquelles et qu’un état dépressif a des répercussions physiques majeures. La distinction entre santé physique et santé mentale au mieux a peu de sens et au pire nous conduit sur des fausses voies en matière d’appréhension des risques professionnels.

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Le Bernin - Transverbération de Sainte-Thérèse - 1652

Lorsque le Bernin représente le visage transfigurée de Sainte-Thérèse, soumis à la fois à la douleur lorsque l’angelot lui arrache du cœur la flèche et à l’extase mystique générée par l’amour de Dieu, il nous offre l’image d’une fusion totale des sens, du corps et de l’esprit. On pourra disserter entre ceux qui voient la douleur ou le plaisir sur le visage de Thérèse, mais nous pourrons nous accorder sur le fait que l’émotion ressentie ne différencie guère le corps et l’esprit. Catholique Le Bernin ? oui, bien sur…et plus moderne au XVIIème siècle que le législateur du XXIème.


26/11/2008

On ne produit jamais seul

Qui n'a entendu un dirigeant dire : "j'ai développé l'entreprise pendant mon mandat" ou un manager déclarer : "j'ai fait progresser le chiffre d'affaires du service de 20 %". Qui est je ? ici non pas un autre, comme le dirait Rimbaud, mais plutôt les autres.

Lorsque Rodin sculpte ses grands marbres, il a d'abord pétri et modelé une ébauche de plâtre puis laissé divers sculpteurs s'attaquer au bloc de marbre. Il donnera la touche finale. Au fil des ans il cessera d'ailleurs d'élaborer des modèles pour se consacrer davantage au suivi et à la guidance du travail des sculpteurs de son atelier.

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Rodin - Le baiser - 1890

Qui est l'auteur de l'oeuvre : le marteau et le ciseau, les sculpteurs de l'atelier, Rodin, les modèles, ceux dont Rodin s'inspira dont Camille Claudel ? renonçons à la personnalisation excessive et considérons que toute oeuvre, et tout résultat, sont collectifs sans que cela n'enlève rien à la gloire de Rodin ni à la grace du baiser.

25/11/2008

Plaisir au travail

Suicides au travail, mal-être, stress, souffrance…telle semble être l’actualité du travail. Au début du 21ème siècle, le travail-aliénation aurait donc pris le pas sur le travail libérateur et émancipateur. Ne doutons pas que le sinistre « Arbeit macht frei » des camps de concentration n’ait durablement rendue tabou l’idée de faire du travail une source de liberté ou de plaisir et non de contrainte ou de souffrance.

Dans l’entreprise elle-même le travail est peu souvent présenté de manière positive : renvoyé à des objectifs, à des processus, à des résultats, à des livrables, ….le travail n’est guère mis en valeur.

Prenons les entretiens d’évaluation : atteinte d’objectifs, projets de l’entreprise, projets du salarié (satané obligation de se projeter qui contribue à déposséder le salarié du présent) mesure de la compétence,… quantification et objectivation règnent en maîtresses sévères.

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Matisse - Le bonheur de vivre - 1905-1906

Quelle entreprise osera introduire le confort et le plaisir dans la discussion : confort au travail plutôt que sécurité au travail, confort dans les fonctions plutôt que capacité à maîtriser le poste, plaisirs à rechercher plutôt que projets à envisager, plaisir du résultat obtenu plutôt que sur-performance ou sous-performance, plaisir au travail plutôt qu’implication. Propos de doux rêveur ? c’est que l’époque doit s’y prêter !

24/11/2008

L'envol des apprentis

L’observation inopinée faite à l’accueil donnait un premier enseignement : au jeune garçon timide venu demander s’il était possible de s’inscrire dans une formation, il avait été répondu qu’il fallait qu’il aille d’abord chercher un employeur, qu’il trouve une entreprise, ensuite on pourrait s’occuper de son inscription.

Le consultant chargé d’auditer le centre de formation d’apprentis (CFA) qui attend que la responsable pédagogique avec qui il a rendez-vous vienne le chercher se dit que, décidément, les actes les plus simples sont porteurs de sens. Entretien donc avec la responsable pédagogique et question : « les enseignants du CFA considèrent-ils que leur mission première est de permettre aux apprentis l’accès au diplôme ou bien l’accès à l’emploi ? » surprise de la réponse spontanée qui ne figurait pas dans les hypothèses retenues à priori : « pour un enseignant sa mission première est l’enseignement, c’est dans la transmission qu’il trouve le sens de ce qu’il fait ».

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L'envol

Il ne restait plus à vérifier que cette option était véritablement partagée par les enseignants pour conclure que les chartes et systèmes qualité envisagés, les engagements de résultats et contrats de progrès seraient sans doute établis en vain. L’enseignant centré sur son savoir qui ne s’intéresse guère à ce qui se passe au-delà de la salle de cours et de la formation n’est sans doute pas, et le consultant assume le jugement de valeur, le modèle le plus performant pour permettre à des jeunes de prendre leur envol. L’humilité et l’ambition d’accompagner les jeunes vers l’inconnu, comme les oiseaux migrateurs acquièrent lors de leur premier voyage les repères des voyages futurs, est peut être une posture plus adaptée. L’enseignement conçu comme un voyage en commun plutôt que comme le récit de ses propres voyages.

21/11/2008

Pour quel métier êtes-vous fait ?

L'orientation professionnelle fait l'objet d'une des tables rondes mises en place par le Gouvernement dans le cadre de la réforme de la formation professionnelle. Le besoin d'orientation est immense en France et n'est pas satisfait. Le bilan de compétences n'a su occuper cette place vide, par défaut de diversification des prestations qui, trop souvent, travaillent sur le personnel et non véritablement sur le professionnel. La question "pour quel métier êtes-vous fait ?" prend souvent le pas sur la question : "quelles activités pouvez-vous ou souhaitez vous exercer ?". Dans le premier cas on part de la personne, dans le second cas on part de l'activité. S'agissant d'orientation professionnelle, la seconde démarche  paraît préférable en ce qu'elle n'établit pas un diagnostic définitif sur un individu. Comment gérer une personne qui a du mal à assumer des fonctions en ressources humaines dans une entreprise et qui vient vous voir en vous expliquant que le bilan de compétences a révélé qu'elle était faite pour les ressources humaines ?

Est-on véritablement fait pour une activité ?

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De Chirico - Le chant d'amour - 1914

Magritte a modifié totalement sa peinture en découvrant la toile de De Chirico "Le chant d'amour" : "Mes yeux ont vu la pensée pour la première fois" a-t-il dit en voyant l'oeuvre. Nos activités, et plus largement nos vies, sont faites de rencontres imprévues qui peuvent en modifier profondément le cours. Plutôt que de céder à la tentation de se rassurer en essayant vainement de mettre de la cohérence là où il n'y en a souvent pas, pourquoi ne pas accepter que les parcours de chacun ne soient pas linéaires et prédéterminés ? chacun de nous est atypique.

20/11/2008

Plus de bal au moulin de la Galette

Le Parlement devrait bientôt voter un élargissement des dérogations au repos dominical. La proposition de loi prévoit que dans les unités urbaines de plus d'un million d'habitants, le repos hebdomadaire pourra être donné par roulement pour tout ou partie du personnel pour les établissements de vente au détail qui mettent à disposition des biens et services situés dans les zones d'attractivité commerciale exceptionnelle après autorisation administrative. Ces dispositions sont évidemment assorties de garanties pour les salariés : des contreparties doivent être mises en place pour les salariés par accord collectif ou à défaut par voie référendaire, le refus de travailler le dimanche ne doit entraîner ni sanction ni licenciement (mais on ne parle pas de l'impact sur la carrière), et le préfet doit organiser une concertation locale avant de donner son autorisation.

Tout ceci en vue de permettre donc l'accès du consommateur aux magasins de vente au détail pendant la journée du dimanche.

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Renoir - Bal au Moulin de la Galette - 1876

En 1834, le Moulin de Montmartre se transforme en guinguette les dimanches et jours fériés et prend le nom de Moulin de la Galette. Renoir, mais  aussi Van Gogh ou Toulouse-Lautrec lui rendront hommage. Le lecteur pourra trouver la chronique un brin nostalgique voire passéiste, mais son auteur persiste à penser que les dimanches et jours fériés sont davantage propices aux rencontres improbables, aux sourires clairs et à la valse des corps qui dansent qu'à la déperdition du pouvoir d'achat dans des galeries marchandes à l'éclairage artificiel. Aux zones d'attractivité commerciale exceptionnelle on peut encore préférer les zones d'attractivité humaine singulière.

19/11/2008

Le voile et le dévoilement

La Cour d’Appel de Douai vient d’annuler l’annulation du mariage pour cause de virginité dissimulée, remettant ainsi en  cause la décision du TGI de Lille qui a suscité tant de commentaires. Cette volte face  démontre que le juge n’est pas toujours très à l’aise avec la religion, et le juge du travail n’échappe pas à la règle. En la matière il est partagé entre deux principes : celui de permettre à chacun le libre respect de ses opinions et de veiller à ce que la religion ne soit pas source de discrimination et celui de considérer que la religion à l’inverse ne peut permettre au salarié de revendiquer des avantages particuliers ou de se soustraire à certaines obligations et surtout qu'elle n'a pas sa place sur le lieu de travail.

Sur cette voie étroite, il a par exemple été décidé récemment par un juge belge que : « La liberté de manifester sa religion n'est pas absolue ; des restrictions sont possibles lorsque les pratiques religieuses sont de nature à provoquer le désordre. L'usage interne à une société commerciale, interdisant au personnel en contact avec la clientèle le port de certaines tenues vestimentaires ne cadrant pas avec la neutralité et plus précisément le port du voile religieux, repose sur des considérations objectives propres à l'image de marque de l'entreprise commerciale. Un tel usage, qui s'applique à l'ensemble des travailleurs ou d'une catégorie de travailleurs, n'est pas discriminatoire. » (Cour du travail de Bruxelles - 15 janvier 2008).

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Gustave Moreau - Salomé et la danse des sept voiles

Les juges, en France, ont une position similaire. Le licenciement d’une salariée portant le voile a été jugé légitime lorsqu’elle est en contact avec la clientèle ou lorsqu’il s’agit d’un signe ostentatoire assimilé à du prosélytisme, interdit sur les lieux de travail. A l’inverser, le porte du voile ne pose pas de problème particulier pour une salariée qui fait du télémarketing ou lorsque le port du voile était déjà effectif et a pu être constaté lors du recrutement sans susciter de réaction particulière de la part de l’employeur.

Et pour ceux qui pensent que, comme Salomé, il serait préférable de toujours enlever le voile, rappelons cette décision qui a fait les délices de générations d’étudiants : le licenciement pour faute d’une salarié travaillant en chemiser transparent et sans soutien-gorge pour cause de perturbation de la bonne marche de l’entreprise. Fragile entreprise !

 

18/11/2008

Signaux faibles avant tempête

L’éducation nationale vient de lancer un appel d’offre pour la mise en place d’une veille sociale. A l’instar de nombre de grandes entreprises, il s’agit de détecter de manière anticipée les menaces, certains optimistes invétérés incluent parfois dans la commande les opportunités, pouvant affecter l’organisation : mouvements d’opinions, mouvements sociaux, débats de société, etc. Ce type de veille peut être sociale, mais aussi technologique, environnementale, concurrentielle…

Il est souvent demandé au prestataire de porter son attention principalement sur les signaux faibles. Il s’agit d’informations fragmentaires qui, remises en perspective, permettent de donner du sens à des situations et d’anticiper l’avenir. Redoutable question : comment réduire l’incertitude inhérente à l’avenir, qui n’est donc définitivement pas écrit ? L’action est délicate, car il s’agit à la fois de sélectionner les bons indicateurs, de ne retenir que les informations pertinentes et de les interpréter en demeurant dans un degré de paranoïa raisonnable s’agissant des risques, et d’enthousiasme lucide pour les opportunités. On devine la difficulté de l’exercice.

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Giorgione - La tempête - 1510

Pour mieux la mesurer, on peut s’intéresser au mystérieux tableau de Giorgione, la tempête. Les informations fragmentaires ne manquent pas : une gitane allaitant et vaguement inquiète, un jeune homme attentif voire attentionné, un début de vent dans les arbres, un éclair au loin qui éclaircit le ciel, une ville faite de ruines et de bâtisses nouvelles, un ruisseau entre les personnages mais un pont à l’arrière et peut être un gué devant eux….qui peut donner du sens à ce tableau qui a résisté à tous les exégètes, ou simplement dire si la tempête est une menace ou une opportunité, est certainement en capacité de répondre à l’appel d’offres de l’éducation nationale et de surveiller les signaux faibles !

17/11/2008

Voir les évidences

Lors de la réalisation d’un audit, il est d’usage de mettre en évidence les dysfonctionnements, les ratés, les défaillances, bref, de s’intéresser à ce qui ne fonctionne pas…en vue bien évidemment de proposer des améliorations. Gloire du consultant-mécanicien qui répare les organisations. Cette démarche est par trop limitée. Deux autres voies pourraient être explorées. La première s'intéresse à ce qui va bien : comprendre les raisons du succès n’est pas moins important que d’identifier les causes des échecs. Si Nietzsche proclamait que tout ce qui ne tue pas fortifie, on ne peut renverser la proposition et en conclure que seul ce qui a failli tuer fait avancer : le succès, la réussite et le plaisir sont également sources de connaissances et de progrès.

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Fragonard - La lettre d'amour

La deuxième voie qui peut être explorée nous renvoie à Edgar Allan Poe et à la lettre volée : dans cette nouvelle tirée des « Histoires extraordinaires » le voleur d’une lettre compromettante pour la reine, une lettre de son amant dérobée dans son boudoir, la dissimule aux recherches de la police en la laissant négligemment trainer sur son bureau dans une enveloppe banalisée. Les policiers s’épuiseront à sonder toutes les caches de la maison sans parvenir à trouver ce qu’ils ont sous les yeux.

L’audit, outre ce qui ne marche pas et ce qui marche bien, peut ainsi s’intéresser à ce que nul ne voit plus, pour au moins deux raisons. La première est la perte du regard sous l’influence de la banalité du quotidien. Qui est capable d’avoir un regard neuf sur ce qu’il voit tous les jours ? La seconde est la volonté, inconsciente peut être, de ne pas vouloir voir l’évidence alors qu’elle éclabousse notre réalité, parce qu’elle nous dérange ou nous bouscule. Ainsi, peut-on se mentir à soi-même. Deux bonnes raisons de travailler la fraîcheur et la liberté du regard.

14/11/2008

Des racines et des jambes

L’individu a besoin de repères, de racines, de fondations, de structures. Il est inscrit dans une histoire familiale, locale, nationale qui constitue son identité, pour laquelle il semble désormais nécessaire de disposer d’un ministère. Les entreprises n’échappent pas à cette antienne : culture d’entreprise, valeurs d’entreprise, chartes manageriales, codes déontologiques, systèmes qualités,…autant de manière de contribuer à l’instauration d’un collectif qui fait sens et qui conduit l’individu à l’implication et à la coopération. Autant de repères collectifs qui permettent l’intégration et le travail en commun. Oui, bien sur, mais…

 

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Palétuvier en nouvelle-calédonie - L'arbre qui se déplace dans les mangroves

Mais l’individu n’est pas un arbre, doté de racines et immobile à l’exception notable du palétuvier capable de se déplacer de quelques mètres chaque année, il n’est pas une maison aux fondations établies dans le sol, il est doté de deux jambes qui font de lui un nomade par nature, pour qui la sédentarisation n’est peut être qu’un moment de l’histoire. Bien sur seulement 10 % des salariés changent d’entreprise chaque année, même si un quart connaissent une mobilité professionnelle (ce qui fait 15 % des salariés qui changent de fonction dans l’entreprise). Mais toutes les enquêtes démontrent que ce chiffre serait supérieur si le salarié ne se heurtait à des problèmes financiers (coût du logement, faiblesse du salaire imposant de rester dans un réseau de solidarités familiales et amicales, etc.). Dès lors, est-ce bien par la construction d'une histoire et de racines communes que l'on peut fidéliser ? combien de salariés demeurent dans l'entreprise uniquement par besoin de sécurité et non pour les valeurs ou le sens qu'elle porte ? La liberté opposée à la sécurité : l’équilibre entre les deux notions est toujours fragile. Laissons la conclusion à Neil Bissoondath, écrivain originaire de Trinidad vivant au Québec : « je porte mes racines dans mes poches » et pour ceux qui goûtent la poésie, rappelons-nous que les poches de Rimbaud étaient crevées.

13/11/2008

Salariés de passage

L’entreprise est une prestigieuse SSII, parmi les premières dans son domaine. Du coup elle mène ce qu’il est convenu d’appeler la guerre des talents : une bataille féroce pour attirer chez soi les meilleurs jeunes ingénieurs sortis des grandes écoles. Campagnes de promotion, mise en avant des avantages offerts par l’entreprise, relations écoles, sponsoring et mécénat, salons de recrutement, plaquettes luxueuses, présence tous azimut sur le net dans les réseaux d’échange et sur second life, rien n’est négligé pour attirer, recruter et fidéliser les talents. Fidéliser ? faisons un zoom sur les pratiques.

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"A une passante" - Jean-Marie Dommeizel, 2006.

Le turn-over moyen pour les nouveaux embauchés est de 15 % par an, soit une population entièrement renouvelée en 7 ans et une durée de présence moyenne de 3,5 ans. Pour attirer l’entreprise pratique un sursalaire à l’embauche ce qui rend le salarié peu rentable la première année. Dès la deuxième année, le rapport s’inverse : le salaire évolue peu et la rentabilité grimpe en flèche. L’investissement promotionnel est amorti. La troisième année, le décalage s’accroit encore et le salarié est au meilleur du rapport entre productivité et coût salarial. En effet, l’entreprise si elle affiche des salaires supérieurs aux concurrents à l’embauche ne fait que peu évoluer les rémunérations par la suite. Le point neutre étant atteint après une année, les années suivantes sont donc des années bénéficiaires voire largement bénéficiaires. L’objectif de fidélisation réel ne va pas au-delà de la quatrième année, stade à partir duquel on considère que la motivation du salarié va chuter du fait de l’absence d’évolution et qu’il partira ailleurs. Sans regret. Mais cela, ni les plaquettes ni les recruteurs ne l’annoncent considérant qu’en mariage comme en affaires ou en recrutement, trompe qui peut (vieil adage juridique de Loysel signifiant que le mariage ne peut être remis en cause pour dol, c’est-à-dire des manœuvres mensongères liées à la séduction, mais uniquement pour violence ou erreur sur les qualités essentielles de la personne).

12/11/2008

Autonome et dépendant

La compétence c’est l’accès à l’autonomie, à la maîtrise des situations professionnelles. Cette autonomie ne doit pas être confondue avec l’indépendance. On est rarement, pour ne pas dire jamais, compétent seul. Subsiste de manière permanente une dépendance à l’environnement, aux conditions de production de l’activité et…aux autres. De ce fait, le travail sur la compétence individuelle devient à un moment donné une impasse, car il repose sur l’idée que l’individu peut être indépendant alors qu’il s’agit de le rendre avant tout autonome, c’est-à-dire à la fois certain de son savoir et de ses capacités et conscient de la nécessité de la coopération. Le travail sur la compétence collective et les interdépendances est donc une étape indispensable de la construction de la compétence individuelle, c’est-à-dire de la véritable autonomie.

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Ingres - Raphaël et la Fornarina -
L'interdépendance du peintre et du modèle

Le peintre est autonome dans sa technique, dans la maîtrise de son œuvre, dans la production du tableau. Il est pourtant dans une dépendance mure, choisie et mesurée, pour peu que la passion ne s'en mêle, vis-à-vis du modèle. Cette interdépendance assumée est une véritable source de créativité, de la même manière que Picasso travaille longuement à partir d’Ingres, de Velazquez ou de Poussin pour produire des chefs d’œuvre uniques. Picasso n’est pas indépendant, il est sacrément autonome et a construit son autonomie dans une interdépendance librement choisie. Si personne ne doute de la compétence individuelle de Picasso, il est bon de se souvenir qu’elle a été construite et s’est exercée dans un dialogue permanent avec d’autres compétences.

11/11/2008

Formation différée

Le Code de l'Education et le Code du travail prévoient tous deux le droit à la qualification pour toute personne. Ce droit à la qualification est, de fait, souvent virtuel faute de donner une traduction concrète à ce que les partenaires sociaux appellent de leurs voeux depuis 2003 : la reconnaissance du droit pour tout individu d'accéder à un premier niveau de qualification. Faute de moyens et de volonté politique, ce droit n'a jamais dépassé le stade de l'invocation incantatoire.

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La Sagrada Familia - Barcelone - Cathédrale à achèvement différé

La chronique réalisée avec Jean-Marie Luttringer pour l'AEF montre comment le droit peut utilement se saisir de la notion de droit à la qualification et tenter de lui donner un avenir. Plus que jamais, l'effectivité du droit à la qualification est en effet posée. Les partenaires sociaux, dans le cadre de leur travail préparatoire à la conclusion d'un accord réformant la formation professionnelle doivent de nouveau se poser la question, mais de manière opérationnelle cette fois-ci, de déterminer les conditions dans lesquelles le droit à la qualification peut acquérir une réalité. La présente chronique a pour ambition de contribuer à cette définition.

10/11/2008

Accueillir l'improbable

A vouloir faire de l’ingenierie de la formation et des compétences, les responsables formation en arrivent parfois à ne plus faire que de la mécanique. Combien de démarches compétences se sont réduites à de la mise en cases de la compétence qui conduit à une fragmentation virtuelle et ingérable des individus et que dire de cette démarche adéquationiste qui consiste à comparer les compétences attendues demain dans l’emploi (le requis) aux compétences actuelles des individus (l’existant) pour tracer ensuite des comblements d’écarts dont on mesure sans peine combien ils placent le salarié dans une course sans fin vers une compétence fuyante qui n’est jamais la sienne. Les grilles d’évaluation des compétences que l’on trouve le plus souvent dans les entretiens d’évaluation sont des matrices de la mise en rationalité de ce qui ne saurait être purement rationnel, c’est-à-dire l’humain.

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Une rencontre improbable

Cet oubli de l’humain est généré par un autre oubli : il faut se souvenir que l’action en ressources humaines est par nature probabiliste et non mécaniste. Si l’on peut créer toutes les conditions pour que les choses se passent telles qu’on les souhaite, rien ne nous garantit que l’effet recherché résultera automatiquement de la maîtrise des causalités. Bien pire, l’approche mécaniste conduit à ne plus penser qu’il puisse se produire des effets non prévus. Combien de processus d’évaluation des formations interrogent les salariés sur les effets imprévus de la formation suivie, qui s’avèrent pourtant parfois beaucoup plus intéressants que les objectifs initiaux.

En d’autres termes, si l’action RH doit créer les conditions du probable et du souhaitable, elle doit également laisser une place pour faire surgir ou accueillir l’improbable, c’est-à-dire, au final, ce qui est. En ce sens, une démarche prévisionnelle c’est moins écrire l’avenir pour le rendre linéaire que de se rendre disponible à ce qui peut advenir.

07/11/2008

L'orientation, de quel droit ?

L'orientation professionnelle est à la fois le thème d'un groupe de travail mis en place par le Gouvernement et un sujet qui sera traité lors de la négociation entre les partenaires sociaux en matière de formation professionnelle. L'orientation professionnelle, en France, n'a jamais véritablement été mise à l'honneur. Réduite pour l'essentiel à de l'orientation scolaire et universitaire pour les élèves et étudiants, morcelée entre différentes institutions et publics dans le domaine de la formation continue, elle n'a pu s'établir ni dans son contenu ni institutionnellement. La chronique réalisée avec Jean-Marie Luttringer pour l'AEF montre comment le bilan de compétences n'a pas su ou pu générer un véritable droit à l'orientation et pourquoi l'entreprise ne peut assumer cette fonction.

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Monique Ballian - Table d'orientation de la planète Gagavir

S'il est un domaine dans lequel les conseils régionaux peuvent trouver leur place et être à l'initiative d'un véritable service public, c'est bien celui de l'orientation professionnelle. Reste à définir le contenu des prestations, les modalités d'accès et les conditions de coût de ce service public qui pourrait utilement associer les FONGECIF.

06/11/2008

De l'art de rédiger les accords

L’article 11 de l’accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2008, qui créé une indemnité de rupture interprofessionnelle unique pose un problème d’interprétation. Cette indemnité doit-elle s’appliquer également aux départs volontaires à la retraite ou bien ne concerne-t-elle que le licenciement ? Après l’extension de l’accord du 11 janvier 2008, ce qui le rend directement applicable, faut-il appliquer le mode de calcul de l’ANI ou celui prévu pour les indemnités de départ volontaire à la retraite ?

D’après les signataires, même si la rédaction n’est pas précise, ce ne sont que les indemnités de licenciement qui sont visées. Cette volonté fait peu de doute. Mais elle n’est pas écrite.

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Vassily Kandinsky - Accord réciproque - 1942

Et c’est là qu’intervient la logique juridique : faut-il interpréter les textes en fonction de ce que les parties disent avoir voulu faire, ou bien faut-il s’en tenir à ce qui est écrit ? au nom de la sécurité juridique les juges privilégient l’écrit et renvoient la balle aux signataires des accords. Si vous voulez dire autre chose que ce qui est écrit, faites un avenant. Dans l’attente, ce qui est signé s’applique. Cette règle là est générale et ne vaut pas que pour les accords collectifs de travail, mais également pour les contrats de travail…ou tout autre contrat.

05/11/2008

Les enfants au travail en France

Si le Code du travail ne connaît pas l'âge maximal de travail, il connaît l'âge minimal pour commencer à travailler qui est fixé à 16 ans. Toutefois de nombreuses dérogations permettent de faire travailler des enfants de moins de 16 ans : l'apprentissage peut débuter dès 15 ans si le cycle de scolarité est terminé, les activités dans  le cadre de stages sont possibles et surtout le droit du travail admet, même si une réglementation officielle n'existe que pour l'agriculture, le cadre juridique de l'entraide familiale. Un enfant peut ainsi participer à l'exploitation de l'entreprise de ses parents dès lors qu'il ne le fait pas dans un rapport salarial. Vous vous demandez si le petit serveur derrière le bar n'est pas un peu jeune, si la petite caissière joue à la marchande ou si l'enfant qui ramasse des pommes est en train de jouer ou d'aider ses parents ? peut être agissent-ils dans le cadre de l'entraide familiale, dispositif pour lequel aucune réglementation d'ensemble n'a jamais vu le jour.

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Si certains secteurs (commerces, hotellerie-restauration, artisanat, travail à domicile, agriculture...) semblent plus touchés que d'autres, on peut en fait trouver de la participation des enfants à l'activité économique dans de multiples secteurs. Même si une évaluation est difficile, il y aurait environ 50 000 enfants de moins de 16 ans travaillant légalement en France dans le cadre de l'entraide familiale. A rapprocher des 250 millions d'enfants travaillant dans le monde. Plutôt que de se préoccuper de faire travailler davantage les plus vieux, peut être faudrait-il s'inquiéter de faire travailler un peu moins les plus jeunes.

04/11/2008

Il n'y a pas d'âge limite pour la retraite

Les journaux en ont fait de gros titres : "Les salariés vont pouvoir travailler jusqu'à 70 ans" et mieux vaut passer sous silence les commentaires politiques. L'amendement en passe d'être voté par le Parlement sur la mise à la retraite d'office se prête à toutes les désinformations. En réalité de quoi s'agit-il ? il n'existe pas d'âge maximum pour travailler et le statut de salarié s'accomode fort bien de l'âge. Par contre, il existe depuis 1987 une loi qui prévoit deux modes de rupture du contrat de travail spécifiques à la retraite : la mise à la retraite d'office et le départ à la retraite. Cette loi de 1987 a privé d'effet, en les rendant nulles, les clauses dites "couperet" qui imposaient une rupture automatique du contrat de travail en fonction de l'âge du salarié. Depuis 1987 donc, le salarié peut prendre l'initiative de partir à la retraite dès lors qu'il est en âge de faire liquider une pension, soit à partir de 60 ans, et l'employeur peut mettre à la retraite d'office, c'est-à-dire sans motif, un salarié dès lors qu'il à 65 ans ou qu'il a entre 60 et 65 ans, tous ses trimestres et qu'un accord collectif le permet. Cette dernière possibilité devant expirer fin 2009.

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Bernard Edouard Swebach - Retraite de Russie

Par rapport au régime actuel, l'amendement supprime donc la retraite d'office, ou plutôt la subordonne à l'accord du salarié qui pourra pendant 5 ans s'opposer à sa mise à la retraite par l'employeur. Objectivement il s'agit donc d'un droit supplémentaire pour le salarié qui n'est plus soumis à la décision unilatérale de l'employeur. La CGPME ne s'y est pas trompé qui n'est pas favorable à la mesure. Pourquoi le MEDEF appuie-t-il cette disposition ? parce qu'il préfère une mesure qui prive le chef d'entreprise d'un pouvoir propre mais qui renforce l'idée que le travail est central. Pourquoi alors les oppositions syndicales ? moins pour la mesure elle même que pour les suites : la crainte d'un report du taux plein automatique de 65 à 70 ans et de la possibilité élargie de cumul emploi-retraite comme justificatif à la non revalorisation des retraites. Au final, comme souvent, des débats qui portent moins sur le contenu du texte que sur ses alentours.

03/11/2008

Faute grave pour la CNIL

La CNIL publie sur son site un guide du travail, comportant une fiche sur le recrutement, ainsi qu'un dossier de recrutement coélaboré avec le SYNTEC. Dans ces documents on peut lire que l'enquête de moralité est illégale, ce qui est exact : interroger des amis, parents ou relations privées à des fins professionnelles n'est pas justifiable au regard du droit du travail. Mais, la CNIL écrit également : « Le recueil de références auprès de l’environnement professionnel du candidat (supérieurs hiérarchiques, collègues, maîtres de stages, clients, fournisseurs…) est permis dès lors que le candidat en a été préalablement informé. » Une telle affirmation surprend au regard des dispositions des articles L. 1234-19 et D. 1234-6 du Code du travail relatifs au certificat de travail. Selon ces articles, l'employeur doit remettre à tout salarié à la fin de son contrat un certificat de travail comportant EXCLUSIVEMENT la date d'entrée et de sortie du salarié ainsi que la nature de l'emploi ou des emplois successivement ocupés et les périodes pendant lesquelles ces emplois ont été tenus. Il est  ainsi interdit à l'employeur de porter  une appréciation sur les qualités professionnelles du salarié qui le quitte.  Si la réglementation relative au certificat de travail a pour objet d'interdire toute appréciation c'est pour  que le salarié ne  soit pas pénalisé par une relation de travail  non satisfaisante mais qui, par définition, n'a  aucun rapport avec une nouvelle situation de travail. Rappelons qu'il est  assez unanimement reconnue que la compétence s'apprécie dans l'action et que le contexte y joue son rôle.  En  adoptant une telle position, la CNIL soumet le salarié au jugement  du précédent employeur et recréé ainsi le livret ouvrier, pourtant supprimé en 1890,  qui faisait dépendre de l'employeur la possibilité pour le salarié de voyager.

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Livret ouvrier - 1850

La simple information du candidat à un emploi ne peut suffire pour autoriser la prise de références professionnelles. D'une part il faut considérer que la prise de références ne peut avoir lieu qu'à la demande du salarié. D'autre part, il revient au salarié de prendre l'attache des personnes qui seront contactées pour la prise de références et des les autoriser à répondre aux questions qui leurs seront posées, lesquelles devront lui avoir été communiquées. Si ces conditions ne sont pas respectées, comment savoir, en cas de prise de références par téléphone, si l'interlocuteur a bien qualité de recruteur, comment savoir si le salarié a donné son autorisation à cette démarche, comment savoir si les questions posées sont légitimes ou non ? et comment savoir si des informations potentiellement discriminatoires (engagement syndical par exemple) n'ont pas été divulguées ?
Si du point de vue des principes, tels que traduits par la réglementation relative au certificat de travail, l'interdiction de la prise de références professionnelles doit être la règle, le minimum est qu'un organisme tel que la CNIL fasse respecter les conditions indiquées ci-dessus dont on jugera qu'elles sont parfois bien loin des pratiques et constitueraient donc déjà un progrès.