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17/02/2011

Toubon, tout faux

C'est souvent un cheval de bataille des syndicalistes qui y voient un acte de résistance. Il est vrai qu'Astérix a beaucoup façonné la mémoire collective et donc les comportements. Il s'agit de l'emploi du français dans l'entreprise. A l'appui, la loi Toubon de 1994  qui impose l'usage du français pour la rédaction du contrat de travail et tout document nécessaire au salarié pour l'exécution de son travail, notamment ceux qui comprennent une obligation. La Cour d'appel de Versailles a assuré la promotion de la loi Toubon en condamnant le 2 mars 2006 la société GE Medical Systems à 580 000 euros de dommages intérêts pour usage de documents en anglais. Visant à protéger à la fois la langue française et les salariés, la loi Toubon a choisi de prescrire les moyens et non le résultat et ce faisant, il est possible qu'elle ait tout faux en s'inscrivant dans cette tradition française de la prescription/sanction qui est décidément prégnante. Pour avoir une idée de la voie à suivre, on ne peut qu'inviter le législateur a aller faire un tour à la Prima de las lengas, ou Forom des langues, qui se tient tous les ans à Toulouse, et en 2011 le 29 mai prochain.

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Pour atteindre l'objectif de protéger les salariés contre un texte qu'ils comprennent peu ou mal, plutôt que d'imposer le français, ce qui ne garantit rien on en conviendra, il aurait été possible de poser la condition que toute entreprise doit s'assurer de la compréhension par les salariés des documents qu'elle leur transmet. Peu importe que les dits documents soient rédigés en français, anglais, chinois, arabe, wolof ou swaïli. Mais l'entreprise doit s'assurer que la langue utilisée est comprise par le salarié. Ce qui laisserait aux entreprises la possibilité d'utiliser toute langue, sous réserve de former les salariés à sa connaissance. Plutôt que des obligations fiscales désuètes qui n'obligent à rien, l'obligation de s'assurer d'une compétence garantit mieux la situation du salarié. A l'heure où l'on s'interroge sur la pratique de l'anglais en maternelle, il est curieux de s'assurer que dans l'entreprise seul le Français est usité. Imposer une langue unique pour la préserver plutôt que d'ouvrir la possibilité d'en apprendre plusieurs, c'est ce qui s'appelle agir à contre courant. Presque 20 ans plus tard, Toubon a toujours tout faux.

05/01/2011

De l'ennui

Il y a un bel ennui. Celui qui vous emporte vers le rivage des rêves, qui sollicite en douceur votre imagination et débride votre créativité. Cet ennui lent et plaisant du "rien faire" qui est un paravent bien mince puisque vous vous construisez vous-même et parfois les projets les plus audacieux. Proche de l'état hypnotique, cet ennui-là peut en avoir les vertus. Il est l'ennui de l'enfance, celui dont le petit d'homme a besoin pour devenir un être conscient de lui-même, des autres et du monde. Cet ennui là, il faut le préserver des sollicitations permanentes, du zapping, de l'activisme, du bruit aussi et laisser cette zone grise étendre ses horizons entre le sommeil inactif et le réveil actif.

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Et puis il y a un ennui ravageur. Celui qui est empli de temps perdu, d'occasions manquées, de temps passé qui ne passe pas vraiment, de temps consacré à des activités laborieuses en tous les sens du terme. Cet ennui qui est la première cause d'insatisfaction des élèves en France. A l'occasion des 40 ans de la loi sur la formation de 1971, Jacques Delors, interrogé par Liaisons Sociales exprime un regret majeur : "J'espérais, notamment, que l'Education nationale allait s'inspirer de l'esprit de la formation continue, fondée sur le face-à-face, l'individualisation des parcours et l'accompagnement. L'espoir a été déçu". Qui connaît ou a pratiqué les méthodes de formation continue, sait que l'on peut aller très vite dans des apprentissages divers. Au regard de ces rythmes et méthodes,  s'inscrit le souvenir des années passées à "faire le programme" et à travailler de manière exclusivement mémorielle sur des connaissances formelles dont il reste quoi aujourd'hui ? que retenez vous des millers d'heures passées sur les bancs du collège et du lycée ? le plaisir d'apprendre ? l'excitation des activités que vous avez eu l'occasion d'exercer ? les découvertes vers lesquelles on vous a guidé ? ou bien un certain uniforme ennui qui fait que toutes ces journées ne semblent au final faire qu'une ?

Et voilà comment faute d'avoir transformé la formation initiale, la formation continue est condamnée à être une longue recherche du temps perdu. Sans désespoir toutefois puisque Proust nous garantit que vient le moment du temps retrouvé.

03/01/2011

2011, première !

2011 est un nombre premier. Le prochain sera 2017. Six ans, c’est long. Alors 2011 année des premières ?

Que ferez-vous pour la première fois en 2011 ? contrairement aux bonnes résolutions, pas nécessaire, et pas souhaitable, d’en dresser la liste a priori. Il suffit juste de se rappeler que c’est en faisant ce que l’on a jamais fait que l’on apprend et que la volonté n’est ni suffisante ni toujours nécessaire, en tous les cas moins que de rester disponible pour les heureux hasards.

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Fragonard - Les hasards heureux de l'escarpolette - 1767

 

Que l'année 2011 soit donc riche pour vous en premières fois et en heureux hasards.

Bonne année à toutes et à tous.

29/12/2010

Faire c'est imaginer

Les sportifs ont souvent recours à la visualisation positive, c'est-à-dire à la projection mentale de leur image réalisant l'épreuve à laquelle ils se préparent. Cette visualisation a le double avantage de constituer une répétition des gestes, et donc un entraînement, et de conforter l'idée que l'acte est réalisable puisque l'on parvient à imaginer de quelle manière il doit être réalisé. Cet exercice n'est pas propre aux sportifs. Hélène Grimaud procède de la même manière pour travailler un morceau de piano et ce travail intérieur prend toute sa place à côté des exercices au piano.

Toute action est une invention et renvoie donc à notre capacité d'imagination. Comme le dit JF Billeter : "Les sciences humaines nous font croire que nous trouverons des réponses en accumulant des connaissances positives. La philosophie nous a habitué à penser que toute réponse à une question est du ressort de l'intellect. Les religions proposent des réponses en forme de révélation. Dans leur ensemble, ni les formes de pensée dont nous avons hérité, ni celles que nous avons développées ne nous préparent à saisir le rôle premier de l'imagination".

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Mike Worrall - Architecture d'un rêve

La connaissance n’est que le matériau dont se saisit parfois l’imagination pour inventer. Par des assemblages nouveaux nous créons des actes qui sont des synthèses nouvelles et singulières. Faire, c'est l'imagination en acte.

Apprendre à faire c’est donc développer sa capacité à imaginer, ce qui suppose de ne pas s'habituer à un comportement de consommateur (réception passive d’informations) mais au contraire à l’observation, à regarder, voir, distinguer, différencier, et à l’appropriation qui permet de dépasser la reproduction stéréotypée et créé les conditions de l’implication personnelle.

On peut également  écouter les conseils de Josette Rispal :

« Je préfère avec du rien faire du beau…j’ai besoin de transcender de rien…j’ai donné le change avec du rien…j’ai pris le réflexe de me débrouiller…je suis incapable de dire comment je fais…je ne sais rien faire…mais je peux tout faire…je le fais par nécessité en réalité ».

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Josette Rispal - Chiffonnette

C'est parce qu'ils reconnaissent le rôle de l'imagination que les pédagogues considèrent parfois l'ennui comme nécessaire. En réalité ce n'est pas temps l'ennui mais la disponibilité de l'esprit pour l'errance et le vagabondage. C'est à dire l'exact inverse de l'ennui, mais une autre forme d'activité à laquelle les vacances sont tout à fait propices.

18/12/2010

Un oubli qui rend stupide

Classé dans les meilleures ventes de la rentrée des livres (n'allons pas jusqu'à parler de littérature) consacrés au management, "La pensée powerpoint : enquête sur un logiciel qui vous rend stupide" de Franck Frommer, respecte tous les ingrédients du genre : un thème qui parle à un large public, un titre provocateur et quelques révélations à sensations pour optimiser le lancement, du style si la navette Columbia a explosé, si la guerre en Irak a été possible c'est à cause de Powerpoint. Diable ! Sont mis en cause sans beaucoup de précautions méthodologiques : la novlangue, la réduction de la pensée, l'hypnotisation du spectateur, la primauté de la forme sur le fond, l'injonction n'admettant guère la contradiction, bref une véritable arme de destruction massive.

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Jean Despujols - La pensée - 1929

Franck Frommer n'oublie pas que Powerpoint n'est qu'un outil, au contraire sa thèse repose sur l'idée que l'outil induit l'usage que l'on en fait, aliénant l'utilisateur de manière inéluctable. Vous n'avez pas le choix, si vous utilisez Powerpoint vous DEVIENDREZ stupides.

Ce qu'oublie, par contre, Franck Frommer, c'est que Powerpoint n'est pas un outil qui est fait pour penser mais pour réaliser des présentations. Et que le risque de stupidité n'est encouru que si l'on s'en sert pour penser. Ce n'est qu'à ce moment là que la forme prendrait le pas sur le fond. Est-ce que le tableau blanc ou le tableau noir rendent stupide l'enseignant ou les élèves ?

Il est certain que si je me sers du mixer pour me coiffer, le risque d'afficher ma stupidité est maximal. Etait-il nécessaire de rappeler qu'il faut penser avant de se ruer sur Powerpoint pour formaliser les résultats de ses investigations ? pourquoi pas. Plutôt que de dépenser quelques euros pour arriver à cette conclusion, on suggèrera au lecteur d'en ajouter quelques autres et de se rendre à La Piscine, à Roubaix, magnifique lieu d'exposition où il pourra, enfin, contempler en face La  Pensée, constater qu'il n'y a pas de rapport avec Powerpoint et pousser la provocation jusqu'à inclure le tableau dans une présentation future.

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Roubaix - La Piscine

16/12/2010

Le boeuf, le nageur et l'opéra

La deuxième anecdote rapportée par Jean-François Billeter concerne un cuisinier qui explique comment il appris à découper un boeuf : "Quand j'ai commencé à pratiquer mon métier, je voyais tout le boeuf devant moi. Trois ans plus tard, je n'en voyais que des parties. Aujourd'hui, je le trouve par l'esprit, sans plus le voir de mes yeux. Mes sens n'interviennent plus, mon esprit agit comme il l'entend et suit lui-même les linéaments du boeuf". Voici donc trois phases dans l'apprentissage : la confrontation directe avec un problème dont on ne sait comment l'aborder, puis la connaissance analytique qui permet l'action raisonnée et enfin l'incorporation totale du geste qui fait que l'objet à disparu, que les parties n'existent plus et que l'acte de découper le boeuf prend une dimension nouvelle, bien au-delà de la matérialité de la découpe.

La troisième anecdote est le récit d'une rencontre. Celle de Confucius avec un homme qu'il croit voir se noyer dans de dangereux tourbillons d'un fleuve bouillonnant. Mais qui s'aperçoit qu'en fait l'homme nage là où personne ne se risquerait, puis sort tranquillement de l'eau pour se sécher. Confucius l'aborde :

- Quelle est votre méthode pour nager ainsi ?

- Je n'en ai pas. Je suis parti du donné, j'ai développé un naturel et j'ai atteint la nécessité ;

- Que voulez-vous dire ?

- Je suis né dans ces collines et je m'y suis senti chez moi : voilà le donné. J'ai grandi dans l'eau et je m'y suis peu à peu senti à l'aise : voilà le naturel. J'ignore pourquoi j'agis comme je le fais : voilà la nécessité". Partir de ce qui est, travailler le naturel, agir de manière nécessaire, c'est-à-dire de manière spontanée car les gestes s'imposent de façon immédiate et naturelle. Au  bout de la nécessité, la liberté. Voilà pourquoi Matisse, lorsqu'il abandonne l'intention au geste qui imagine le dessin devient un peintre musicien dont on peut écouter les tableaux.

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Matisse - Dessin à la plume - 1936

Loin de la vision doloriste du travail, voici donc un cuisinier et un nageur qui progressent dans l'exercice de leur métier par l'incorporation toujours plus grande du geste juste qui ne sera trouvé que lorsque l'action peut s'exercer sans aucune intention. L'apprentissage de la liberté dans l'activité au profit de l'oeuvre créée, mais également du plaisir de celui qui l'accomplit. Ecoutons le cuisinier après qu'il ait terminé la découpe : "Mon couteau à la main, je me redresse, je regarde autour de moi, amusé et satisfait, et après avoir nettoyé la lame, je le remets dans le fourreau". Voici un artisan qui est devenu le boeuf qu'il découpe et qui s'amuse de cette virtuosité légère qu'il a acquise. Etonnante Chine ? mais non. Voici Mozart : "Ma tête et mes mains sont tellement prises par le troisième acte qu'il n'y aurait rien de miraculeux si je devenais moi-même le troisième acte" et Rimbaud : "Je devins un opéra fabuleux".

Voici donc une bonne base de travail pour réformer véritablement la formation et l'emploi des jeunes. Rendez-vous au mois de mars pour voir le résultat du travail accompli par les partenaires sociaux et par l'Etat. On souhaite qu'ils puissent se redresser, regarder amusés et satisfaits autour d'eux et ranger leurs stylos après avoir conclu d'innovants accords qu'ils auront plaisir, et nous avec, à mettre en oeuvre.

15/12/2010

Pas de travail manuel, pas de transmission

Le début d'année verra s'ouvrir une négociation sur l'emploi des jeunes et les formations en alternance. Il sera question de professionnalisation, d'apprentissage, d'insertion, d'emploi et de quelques autres questions liées. Inévitablement, les confusions habituelles reparaîtront et l'on reparlera de revaloriser les métiers manuels, de formation pratique et théorique, de transmission aux plus jeunes, etc. Pour mettre un peu d'ordre dans ces réflexions, sollicitons Jean-François Billeter et ses "Leçons sur Tchouang-Tseu" dont on ne saurait que trop recommander la lecture (Editions Allia, 2002). Trois anecdotes sur l'enseignement sont rapportées. Dans la première un charron taille des roues malgré son âge. Il explique : "Quand je taille une roue et que j'attaque trop doucement, le coup ne mord pas. Quand j'attaque trop fort, il s'arrête dans le bois. Entre force et douceur, la main trouve et l'esprit répond. Il y a là un tour que je ne puis exprimer par des mots, de sorte que je n'ai pu le transmettre à mes fils, que mes fils n'ont pu le recevoir de moi et que je suis encore là à tailler des roues malgré mon grand âge". Henry Miller, vieux singe chinois, écoute avec attention la leçon au milieu de montagnes que sa main a tracé, nous livrant  les dispositions de son esprit.

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Henry Miller - Sans titre - 1940

Le charron livre deux enseignements. Le premier à destination des tenants du manuel et de l'intellectuel. Le tailleur de roue a la main qui cherche et l'esprit qui trouve. Allez lui expliquer que vous opposez la main et l'esprit et il vous regardera interloqué. Le second enseignement s'adresse à tous les formateurs, tuteurs et enseignants. L'apprentissage ne peut se transmettre par les mots, il ne peut non plus résulter uniquement de l'exemple. L'apprentissage suppose une acquisition personnelle, singulière, qui seule permet l'appropriation et qui ne s'effectue ni par les mots, ni par la démonstration. Elle suppose une conquête personnelle, des tatonnements, des erreurs, des victoires et au total la création d'un "geste" personnel. Le formateur ne transmet pas : il guide, il accompagne, il permet de tirer des leçons de l'activité, mais il laisse l'apprenti transformer son expérimentation en incorporation de l'activité.

Pas de travail manuel et pas de transmission linéaire, voilà deux bonnes bases pour la formation des jeunes.

Pour les deux autres anecdotes, rendez-vous demain. Belle journée à vous.

26/11/2010

La courte échelle

Le principe de l’évaluation n’est pas discutable, en matière d’éducation comme dans beaucoup d’autres. Ou sinon, autant dire que nous n’accordons aucun sens à nos actions et que l’irresponsabilité est notre horizon indépassable.

C’est donc moins sur le principe de l’évaluation, débat stérile, que sur ses modalités que l’on doit s’interroger.

Il est d’usage de dire que les conditions de l’évaluation sont situées en amont de l’action et pas en aval. Ce qui oblige à travailler sur le sens justement : quelle fin poursuivons nous, quels sont les objectifs, dans quel ordre de priorité, quel résultat doit découler de l’action, etc. Il sera aisé ensuite de définir à quoi nous verrons si l’action a réussi ou non.

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P. Cassagnes - Courte échelle

Le débat sur la notation à l’école gagnerait à être simplifié, ou tout simplement mieux posé. La question n’est pas de savoir s’il est nécessaire de noter ou pas. Il est indispensable évidemment d’évaluer le travail et le niveau des élèves. La question est de savoir ce que nous souhaitons obtenir comme résultat et si l’outil utilisé est adapté. S’il s’agit de maîtriser des savoirs fondamentaux, alors évaluons des niveaux de maîtrise. S’il s’agit d’évaluer des compétences (conçues comme des capacités à conduire des actions réfléchies), évaluons le degré de maîtrise de la compétence à partir de 4 ou 5 niveaux. Ce qui permettra au passage de pouvoir valider entièrement le résultat et non d’avoir une note maximale inatteignable qui maintient l’enfant dans une position d’infériorité et de manque. Ce qui était une manière de maintenir la position dominante du maître doit aujourd’hui disparaître.

En d’autres termes, à quoi cela sert-il d’utiliser un système de notation sur 10, et encore plus sur 20 ? cela fait penser aux systèmes de classification : lorsque l’on veut différencier les salariés, on rajoute des barreaux à l’échelle. Et là le roi est nu : plus l’échelle est longue et plus sa finalité première n’est pas l’évaluation fine (la fable de l’évaluation juste, au demi-point près  n’est pas crédible) mais le classement des personnes. Si l’on veut véritablement accompagner un développement de compétences, une échelle courte suffit, et dieu sait si les enfants, la courte échelle ça les connaît.

23/11/2010

Point d'archimède

J'ai toujours été impressionné par l'image d'un enfant faisant voltiger un homme corpulent, par le seul effet d'un bras de levier. La découverte du point d'archimède a été une révélation a plusieurs égards.

En premier lieu, le point d'archimède vérifie que si la réflexion ne doit pas entraver l'action, le temps pris pour comprendre et analyser un problème n'est jamais du temps perdu. La qualité de l'action dépend souvent de la qualité du diagnostic.

En deuxième lieu, il ouvre des horizons et rend possible ce qui semblait ne pas l'être. Ce qui paraît naturellement impossible, qu'un bambin renverse un homme adulte, le devient dès lors qu'il agit de manière adéquate.

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En troisième lieu, le point d'archimède démontre que la sophistication de l'outil n'est pas une condition de son efficacité. Voilà de quoi soulever le monde pour peu que le point d'appui soit judicieusement choisi.

Et la quatrième leçon que je tirais du point d'archimède est une remise en question des hiérarchies dites naturelles. Pourquoi l'adulte aurait-il raison de l'enfant ? dans certaines situations, la balance penche du côté inattendu. Fi des statuts, des fonctions et des intentions, c'est au moment de la mise en action que l'on voit qui a choisi le bon côté et le meilleur levier pour agir.

Certes l'action en ressources humaines n'est pas mécanique, mais ce n'est pas une raison pour se priver de faire des bons diagnostics, de rendre possible ce qui semblait inatteignable et le tout en utilisant des outils simples. Mais alors, gare à l'ordre établi ! et c'est pourquoi l'on ne répéta pas trop qu'il suffisait d'un bon levier.

27/10/2010

Savoir d'expérience

« Moi je sais de quoi je parle, j’ai l’expérience ». Les sources de la légitimité personnelle sont nombreuses : dans notre pays la légitimité par le diplôme, ou plus encore par l’école fréquentée, est un peu envahissante. Il n’en reste pas moins qu’elle ne cède pas totalement à la légitimité par l’expérience. Bien plus ancienne, elle possède son icône : Saint-Thomas qui y met les doigts pour  constater que le Christ mort est bien ressuscité.

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Le Caravage - L'incrédulité de Saint-Thomas - 1602

Ainsi, seule la vérification « de visu » (« de manu » en l’occurrence pour Saint-Thomas), permettrait d’établir la vérité. L’expérience directe comme seule source valide du savoir. Cette légitimité admise est pourtant discutable car elle fait fi de la transmission et des limites de l’expérience directe, sans parler des autres manières d’accéder au savoir.

 De la transmission il convient d’ailleurs de se moquer : n’est-il pas ridicule l’homme qui a vu l’homme, qui a vu l’homme, qui a vu l’ours, et qui n’a pas eu peur. Coupé de l’expérience sensible immédiate, le savoir s’étiole. L’idée de l’ours n’est pas plus l’ours que la représentation de la pipe par Magritte ne se fume. 

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Magritte - La trahison des images - 1929

Pourtant, la transmission loin d’être une déperdition du savoir peut contribuer à son enrichissement dès lors que l’enseignant n’abreuve pas l’enseigné mais construit un dialogue avec lui. Et à partir de ce cadre, il est possible de s’ouvrir à d’autres formes de savoir (la lecture, l’enquête, la recherche, l’échange, la réflexion, la méditation y compris la méditation poétique qui sont autant de sources de connaissance). C’est pour cette raison que les rugbymen font du tableau noir et des séances vidéos : parce que l’expérience du match est insuffisante à elle seule pour parfaire leur savoir. Merci à eux de nous apprendre que l'expérience est indispensable mais insuffisante. Et qu'un grand entraîneur n'a pas forcément été un grand joueur.

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Matta - O tableau noir - 1991

La seconde limite est dans le credo de nos sens. Ce que nous voyons, ce que nous percevons, ce que nous entendons, ce que nous touchons, ce que nous goutons passe à l’inévitable tamis de notre personnalité : tel palais éduqué au goût n’aura pas la même sensation que celui qui ne prend guère le temps d’apprécier les aliments rapidement engloutis. Et l’on comprend que l’expérience directe condamne au relativisme à l’infini et qu’il faut dépasser la perception individuelle pour parvenir à une quelconque vérité. En d’autres termes, la vérité de chacun  est le meilleur ennemi non seulement de l’établissement de quelques certitudes mais également de la production du savoir. La connaissance, en effet, ne peut croître et se développer que si chacun accepte d’amener son expérience personnelle dans le débat pour mieux apprendre à la dépasser. Jésus l’avait d’ailleurs compris qui répondit à Saint-Thomas l’incrédule : “Parce que tu m’as vu, tu as cru. Heureux ceux qui n’ont pas vu, et qui ont cru !” ».

16/09/2010

Coopération

Le mur d'André Breton a été préservé lors de la vente, et donc de la dispersion, de sa collection. Il peut être visité à Beaubourg, derrière une vitre qui interdit de s'approcher des objets exposés mais qui permet ainsi de les saisir dans leur globalité. Etonnante vision de ces peintures, sculptures, objets usuels ou rituels, coifffes, masques, poupées, objets de culte, de chamanes, oeuvres artisanales ou oeuvres artistiques. Chaque pièce est singulière et possède sa richesse propre. Et pourtant leur assemblage produit une oeuvre collective, dans laquelle aucune pièce ne se fond, au contraire même l'oeuvre collective permet à chacune des oeuvres de produire sa lumière propre.

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Ce jeudi 16 septembre est le jour d'ouverture du Master de Responsable Formation organisé par DEMOS et l'Université d'Evry. Jour de découverte des participants, au-delà de leur rencontre lors des épreuves d'admission, mais surtout jour de découverte du groupe. Le plaisir de découvrir des individus est un des moteurs les plus puissants pour un formateur. Mais dans un cursus de longue durée, s'y ajoute l'excitation de l'aventure collective, inscrite dans la durée, la sensation que le temps passé ensemble influencera la vie de chacun, la conviction que nous sommes à l'orée de belles découvertes. La condition de tout ceci est inscrite dans le mur de Breton : ici, aucune oeuvre ne concurrence l'autre et la beauté de chacune renvoie son éclat sur les autres, prises individuellement et collectivement. Car il est un moteur plus puissant que celui de la concurrence, c'est celui de la coopération.

15/09/2010

Transmettre les savoirs

Visite dans un centre expérimental de l'éducation nationale qui accueille des lycéens dont le comportement n'a pas permis leur maintien dans le système éducatif traditionnel. Il s'agit d'un internat. Encadrement, dialogue, activités culturelles et sportives, travail, tout semble aller pour le mieux. On sent bien des tensions individuelles sous-jacentes mais on a pas le temps de constater ce qu'elles produisent collectivement. Les discours tenus peuvent paraître de circonstances, ils traduisent un effort pour canaliser une énergie considérable qui  trouve mal à s'exprimer au sein de l'institution éducative. Tout cela paraît ne pas trop mal marcher. Question posée à un enseignant : pourquoi cela a l'air de marcher ici ? la réponse est directe : parce que nous travaillons avec des pédagogies actives et un dialogue permanent. Mais alors cette expérience va être généralisée : non, le coût est trop élevé, il y aura au maximum un centre de ce type par département. C'était trois minutes de reportage au JT.

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Gilbert Garcin - La transmission du savoir

Double surprise : on nous répète pourtant que l'éducation nationale ce n'est pas un problème de moyens, mais là s'il y en avait plus on pourrait faire mieux ? et le c'est trop coûteux concerne on l'imagine le prix immédiat, mais le prix différé du non-investissement éducatif, il est chiffré ? La deuxième surprise concerne la pédagogie : les résultats de la pédagogie active sont non seulement satisfaisants mais ils sont mieux adaptés aux caractéristiques de la société telle qu'elle fonctionne aujourd'hui : capacité à agir, à prendre des décisions rapides, à traiter une information foisonnante, à travailler en groupe, à gérer des contradictions et oppositions, etc. Pourquoi alors s'échiner sur le retour de l'autorité, le b-a ba, ou encore les contenus au détriment de la pédagogie ? lorsque les allemands ont constaté, dans les années 80, le retard de niveau des jeunes allemands par rapport à d'autres pays nordiques européens, ils ont massivement introduit la pédagogie active à tous les niveaux de l'enseignement. En France, de multiples expériences, expérimentations et innovation existent, le système ne les reconnaît que marginalement et ne les tolère que pour mieux les cantonner sans jamais se poser la question vitale : quand est-ce qu'on généralise ?

25/08/2010

Sid et Johnny formateurs

Une des expositions les plus réussies des Rencontres photographiques d'Arles s'intitule "I am a cliché", titre d'une chanson du groupe X Ray Spex. La première fois que j'ai lu le mot "Punk" ce devait être en 1977 dans le Dépêche du Midi (petite digression : la Dépêche était le Journal de Jaurès,  puis elle eut René Bousquet comme administrateur, elle est aujourd'hui dirigée par Jean-Michel Baylet, voyez la trajectoire). Il était question d'un mouvement de jeunes violents et qui faisaient peur. Déjà. Pour beaucoup, le punk renvoie à l'épingle à nourrice. Pour encore plus le punk c'est des fringues et de la musique qui n'en est pas, à ceux-là on conseillera les raves party. Et pour quasiment tous les autres le punk ce sont des jeunes clodos cloutés avec des crêtes. Quelques spécialistes émettent l'idée qu'il y des punks fascistes et des punks gauchistes.

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Sid Vicious et Johnny Rotten en 1977
L'exposition rend justice de ces représentations. Le Punk c'est un mouvement social, de l'énergie, de la jeunesse et un brin de marketing et de communication comme le veut l'époque. Le No Future auquel on le résume parfois est, pour le coup, un cliché. Le message est plutôt Do it yoursel, défie toi du jeu et du théâtre social et prend la main sur ta vie.
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Sid et Johnny avaient 22 ans, ils choquaient et faisaient peur, mais ils appelaient à l'autonomie comme tout bon formateur. Et comme cela était prévisible ils n'ont véritablement détruit qu'eux-mêmes. Et puis l'on changea d'époque. Mais quand même, quelle énergie !
En bonus, l'indépassable version de My Way chantée par Sid Vicious :

29/07/2010

Leçon de choses

La gambade ne se conçoit sans les visites aux cavernes d'Ali Baba que sont les bouquinistes. Fureter dans les rayonnages qui sentent le vieux papier à la recherche de l'ouvrage qui fera le miel de la journée est un plaisir total : corporel (les odeurs, la vue, le toucher...), esthétique (le goût), intellectuel (les mondes contenus dans les livres qui vous engloutissent lorsque vous les ouvrez). Ce jour-là, un de ces livres que l'on peut trouver assez facilement, car il s'en est imprimé beaucoup et qu'il ne s'en est pas jeté trop. On comprend pourquoi en les feuilletant.

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Le livre s'ouvre sur une préface qui nous donne la méthode "fondée sur l'observation et l'expérience". Pour cela, l'emploi de méthodes actives : "Agir, réfléchir, conclure, retenir". Agir parce que tout commence par l'expérience directe. Le livre préconise que le plus souvent ce soit l'élève qui expérimente et non le maître.
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Réfléchir ensuite parce que la réflexion s'appuie sur l'expérimentation, l'observation des faits et se conduit à l'aide d'un questionnement. Pas de logique hypothético-déductive mais un questionnement basé sur des faits choisis car "Quelques observations bien conduites valent mieux que l'examen superficiel de nombreux faits".

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Des représentations graphiques systématiques pour initer à la représentation schématique des faits et éveiller la curiosité de l'élève. Mais ne concluons pas que le poulet est réduit à sa fonction digestive, la poésie n'est pas absente de la leçon de choses, pour preuve ce bouquet final. L'ouvrage date de 1954, la pédagogie ne date pas.
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13/07/2010

Du virtuel

La notion de virtuel est parfois opposée à celle de réel, notamment quand elle vise à stigmatiser des  jeunes (mais ne nous étonnons pas qu'une société vieillissante et vivant mal son vieillissement exprime diverses rancoeurs envers la jeunesse) qui seraient coupés du réel pour ne vivre qu'une no life sur second life. Ce qui renverrait la réalité virtuelle ou les mondes virtuels à des espaces n'ayant aucune espèce de réalité. Or, ni au plan sémantique, ni au plan philosophique ni dans l'informatique le terme de virtuel n'est défini comme le contraire de réel. Virtuel est davantage opposé à actuel. Selon Maurice Benayoun, le virtuel est le réel avant qu'il ne passe à l'acte. Antonin Artaud illustrait cela par la réalité virtuelle du théâtre. Le virtuel n'est donc qu'une extension de la réalité, dont il n'est pas déconnecté par les émotions qu'il procure, lesquelles peuvent également avoir une dimension corporelle. Opposer le virtuel au réel reviendrait donc à dénier que le rêve et l'imaginaire soit partie intégrante de la vie.

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Stefano di Stasio - A Sud del Tempo - 1999
En pédagogie, la création d'univers virtuels permet, à l'aide  de serious game ou de simulations, de développer des capacités cognitives. Il fut un temps où l'on tentait d'apprendre les langues étrangères en écoutant des cassettes la nuit. Voici venu le temps de la plongée dans des espaces oniriques dont on redoutera moins qu'ils nous éloignent de la réalité que de nos rêves.

07/07/2010

Manger

Il est souvent question d'appétence pour la formation ou d'appétit de formation. Autrement dit de désir dont le rapport à la nourriture est souvent une traduction manifeste. Mais la formation elle-même est-elle susceptible de susciter le désir ? de donner de l'appétit ? sur ce champ nourricier, osons une analogie. Il est des formations qui livrent des recettes et d'autres qui apprennent à cuisiner. Les premières sont souvent très appréciées et ont des résultats immédiats mais une péremption rapide. Les secondes sont plus frustrantes sur l'instant mais à effets durables. Détails.

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Nicolas Poussin - La nourriture de Bacchus
La formation recette est celle qui apprend à sélectionner les ingrédients, livre les secrets de la préparation, fournit les temps de cuisson, donne les variantes possibles et enseigne la reproduction. Elle séduit par l'immédiateté de son résultat. Elle est montrable et valorise celui qui apprend. Toutefois, à la troisième invitation, le convive peut se lasser et le cuisinier aussi. Il faut d'autres recettes. La formation, à terme, créé donc la dépendance et non l'autonomie. Vite, que le cuisinier me montre autre chose.
La formation qui apprend la cuisine prend son temps. Elle parle des mets : légumes, condiments, viandes, poissons, coquillages, agrumes, arômes, piments, épices, herbes...Elle parle des méthodes : cuissons, macérations, émulsions, saisies, marinades...Elle parle de mélanges : assortiments, goûts, saveurs, correspondances, oppositions, mariages. Elle vous livre les conditions de la production, vous ouvre les voies et chemins, vous outille pour l'aventure mais ne vous tient pas la main et refuse de vous inviter à reproduire. Elle a, comme le cuisinier, l'exigence de la création. Le goût de l'autonomie et de la liberté. Elle ne garantit pas la satisfaction immédiate de l'invité mais créé les conditions de la surprise.
Mais foin d'oppositions : pour libérer tous les désirs, la formation prendra soin d'apprendre la cuisine tout en suggérant quelques recettes. Bon appétit !

02/06/2010

Refusez les audioguides !

Leur succès est, hélas, grandissant. Prothèses de portables, les audioguides permettent aux humains de conserver collée à leur oreille une voix rassurante. Voilà ce qu'il faut voir, comprendre, penser d'un tableau. Mais l'audioguide est éducatif nous dira-t-on. Il permet de mieux comprendre l'oeuvre, d'identifier ses détails, de faire le lien avec la volonté de l'artiste. Belle supercherie d'ailleurs que la formule "Ce qu'a voulu dire l'artiste" ": ce qu'il a voulu dire il l'a exprimé sous la forme de l'oeuvre. Le reste appartient à chacun de nous. L'audioguide est une prothèse donc mais qui créé le handicap plus qu'elle ne le répare. Il est impossible d'écouter et de voir, d'être enseigné et de penser. Vous êtes devant une oeuvre ? vous avez cinq sens, faites leur confiance et à vous aussi.

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Hans Makart - Les cinq sens : Toucher, Entendre, Voir, Sentir, Goûter - 1772-1779

Vous pouvez approcher l'oeuvre par trois chemins, tous sens au vent : le premier est le chemin corporel. Celui de la sensation, de l'émotion, du frisson, ou pas, de ce que votre corps vous renvoie de ce que vous voyez. Le second chemin est intellectuel. Il vous conduit à donner du sens à l'oeuvre, à la lier à l'artiste et à l'époque, à lui faire raconter son histoire. Bien sur ce second chemin nécessite de la connaissance. Mais il n'est pire moment que lorsque vous êtes devant l'oeuvre pour l'acquérir. Elle vous fait défaut ? vous lirez le catalogue plus tard si cela vous intéresse vraiment. Le troisième chemin est fantasmatique. L'oeuvre vous fait rêver, elle vous ouvre des portes, elle dévoile, elle vous emporte et vous cheminez avec elle vers le quatrième chemin qui n'est autre que vous même. Conservateurs de musées, commissaires d'expositions, supprimez les audioguides ! Ami(e) lecteur(trice), tu es un être singulier, ne renonce pas à l'être corporellement, intellectuellement et fantasmatiquement.

14/05/2010

Apprendre c'est faire

Peut être faut-il attribuer à un certain scientisme ou positivisme propres au 19ème siècle, cette phrase de Paul Valéry  : "Tu ne m'apprends rien si tu ne m'apprends à faire quelque chose". Mais si cette phrase avait été dite par Tchouang-Tseu on y aurait  vu l'illustration  de ce que l'homme n'est qu'activité et que celle-ci associe indissolublement corps et esprit. Ailleurs, en Afrique par exemple, on pourrait y voir la traduction que tout savoir a une traduction directe, de la même manière qu'une amulette de mauvaise augure peut véritablement provoquer la mort de celui qui la reçoit. La résistance est peut être plus forte pour qui a été nourri, directement ou non, de Platon et/ou de religion et qui est habitué à distinguer le monde des idées et la vie matérielle ou encore la vie terrestre et la vie céleste. Pourtant, qu'est-ce qu'une connaissance qui jamais ne se traduit en acte ? quid du rêve que l'on tient pour une simple rêverie sans lendemain (heureusement, l'inconscient veille !).

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Odile Redon - Le rêve

La fameuse trilogie savoir, savoir-faire, savoir-être a peu de sens au regard de l'affirmation de Valéry. Le savoir sans le faire n'existe pas et le savoir être est une tautologie puisque être c'est déjà faire. Bref, rien à tirer de ce trio et on défie quiconque de démontrer l'intérêt pratique de cette distinction.
Pour élargir un peu le propos, à quoi bon la vie sociale, la vie culturelle, les voyages si toute expérience n'agit pas sur le cours de votre vie ? Paul Valéry encore : "Mon âme a plus de soif d'être étonnée que de toute autre chose. L'attente, le risque, un peu de doute, la vivifient bien plus que ne le fait la possession du certain". Pouvez-vous lire ce quatrain de Mallarmé sans que votre manière d'aimer ne s'en trouve modifiée ?
Nous promenions notre visage,
(Nous fumes deux, je le maintiens)
Sur maints charmes de paysages,
O soeur, y comparant les tiens.

(Mallarmé - Prose pour Des Esseintes)
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31/03/2010

Lumières

Le tableau est souvent présenté comme l'un des plus mystérieux qui soit. Que regarde le Gilles de Watteau ? que vous dit l'oeil de l'âne ? pourquoi les quatre personnages ont-ils tous une expression différente ? d'où vient cette profondeur de Gilles dont le visage tout entier a la qualité du sourire de la Joconde ? Si vous passez par le Louvre, oubliez la Joconde, mais visitez la belle ferronière puis dirigez-vous vers le Gilles, vous ne serez pas dérangé. Le tableau exprime tout l'art du 18ème siècle et des Lumières : de la peinture, du théâtre, de la philosophie, du roman, tout ceci est présent dans ce tableau tragique et joueur, profond et léger, lumineux et obscur. Ce tableau qui réunit tous les contraires en un éclat de génie bouleversant.

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Watteau - Gilles - 1712

Pour peindre un tel tableau, il faut être encyclopédiste, résolument, profondément et définitivement. Encyclopédiste cela signifie avoir la volonté de faire des liens entre ce qui habituellement n'est pas relié. Mais l'encyclopédisme se perd. Pierre Lacame, Directeur Général de la Fondation Charles Léopold Mayer dresse ce constat sur l'Université à l'occasion de la parution des thèses primées par le journal Le Monde et ses partenaires : "donnez des moyens à la recherche publique et nous fabriquerons les élites dont la société a besoin pour se comprendre et se développer. Personne n'y croit plus sérieusement. Il faudrait que l'université soit en mesure de produire des élites capables de s'affronter à la complexité des défis des sociétés du XXIe siècle, et c'est largement incompatible avec un enseignement à dominante disciplinaire ; capables d'un aller et retour constant entre pratique et théorie, et l'enseignement n'y pousse guère ; capables de contester la pensée de leurs professeurs et c'est risqué pour un jeune thésard".
Bref, il y a urgence pour un retour à l'encyclopédisme et aux Lumières afin d'éviter que chaque nouvelle thèse ne soit, comme le disait Raymond Aron, un moyen de tout savoir sur quasi  rien à force de n'être qu'un traitement purement disciplinaire de spécialiste d'une question n'intéressant que les spécialistes. Réfléchir sur des questions posées par la société, aborder ces questions de manière pluridisciplinaire, penser contre ses maîtres et contre soi-même, voilà le projet. Vite, Fiat Lux.

En complément, une interview d'Egar Morin sur le même sujet, parue dans Le Monde.

24/03/2010

Pédagogie de la contradiction

Certains s'émeuvent d'entendre siffler la Marseillaise ou insulter le drapeau français. Jamais en retard d'une réaction au fait divers monté en épingle, le Gouvernement fait voter une loi réprimant pénalement l'outrage au drapeau. Signalons à ces pourfendeurs que de l'autre côté de l'Atlantique, si l'on s'enorgueillit du drapeau national que l'on affiche volontiers à sa fenêtre, on s'enorgueillit également de la liberté de chacun de le brûler s'il le souhaite, comme le défend la Cour suprême qui a régulièrement invalidé les lois des Etats visant à interdire de brûler la Star Spangled Banner.

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Keith Haring - Drapeau américain

Autre conception de l'identité, basée sur la liberté et la responsabilité et non sur l'identité de comportements. Il pourrait pourtant en aller autrement dans le pays de Voltaire qui affirmait : "Je ne suis pas d'accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu'au bout pour que vous puissiez le dire". Il faudrait pour cela considérer que mon contradicteur n'est pas forcément mon négateur et que la rhétorique et la dialectique balisent le chemin de la connaissance mais aussi la voie de la négociation individuelle et collective.