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07/08/2012

Welcome in Vienna (3)

Comme le chantait Bijou dans les années 80, à la guerre il y a parfois des vainqueurs mais jamais de gagnant. Les après guerre ont souvent un goût amer. Pour tout le monde. Lorsqu'il y a eu occupation, comme ce fut le cas en Autriche même si elle fût largement consentie, le noir et blanc devient l'exception. Le gris devient la norme : entre ceux qui tardent à choisir leur camp, ceux qui ne choisiront jamais, ceux qui changent de camp, dans le bon ou le mauvais sens, les trajectoires se croisent et finissent par rendre illisible le monde gris dans lequel certains pensaient se battre pour le bien et  contre le mal.

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Comme en France, les américains enrôlèrent très rapidement d'anciens nazis pour entamer la nouvelle guerre qui se préparait et durerait plus de quarante ans. La guerre froide a débuté bien avant le 8 mai 1945. Et les recyclages furent aussi rapides que les exécutions qui donnent l'impression d'avoir soldé des comptes qui seront en fait bien difficile à clôturer. Que reste-t-il à Freddy dans ce champ de ruines sur lequel même l'amour a du mal à trouver sa place ? qu'espérer rebâtir sur un tel carnage ? la fragilité du monde, et plus encore de sa beauté, n'est plus à démontrer. Les russes, la realpolitik, les pogroms qui reprennent dans les villages où l'on ne souhaitait pas voir revenir ceux qui pourraient rappeler un passé que l'on veut oublier ou tout simplément à qui on ne souhaitait guère remettre ce qu'ils avaient abandonné. Pour beaucoup, le monde est devenu incompréhensible.

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Toyen - L'heure dangereuse - 1942

Vivre bien sur, pour les mêmes raisons que celles pour lesquelles on a combattu, mais avec en soi un sentiment de défaite que rien ne pourra effacer. L'écriture ou la vie écrira Jorge Semprun qui n'oubliera pas de vivre. Primo Levi y parviendra longtemps et puis plus. L'enfer c'est là où il n'y a pas de pourquoi. La force de Welcome in Vienna est de montrer à quel point, en Europe, le pourquoi a disparu pendant de longues années.

 

Note: le coffret DVD avec les trois parties sera mis en vente le 5 septembre prochain.

11/11/2011

De la connaissance

Dans L'écriture ou la vie, Jorge Semprun rapporte qu'il récita en 1992 sur la place d'appel de Buchenwald, le poème d'Aragon "Chanson pour oublier Dachau". Travaillé par la possibilité de dire et d'exprimer  la déportation, les camps, Jorge Semprun s'est longtemps interrogé sur la manière dont il pouvait être rendu compte de cette expérience humaine. Comment rendre intelligible pour qui n'a pas vécu cela, l'enfer des camps ? l'écriture clinique, scientifique de Primo Levi est sans doute celle qui parvient le mieux à rendre les logiques selon lesquelles chacun agissait. Mais quant à l'émotion, l'intime, l'expérience intérieure ? comment faire ? Et si ceux qui avaient vécu cette expérience ne pouvaient en exprimer l'essence, comment simplement envisager que celui qui est resté extérieur à l'horreur puisse dire l'indicible. Jusqu'à la découverte du poème d'Aragon à propos duquel Semprun déclara : "Il a écrit un des rares poèmes vrais sur les camps...on se demande comment un poète qui n'a jamais connu ça a pu retrouver les sentiments, la vérité".

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L'expérience est l'une des formes de la connaissance. La plus immédiate sans doute. A condition toutefois de s'en distancier. Ceux qui n'ont pu ou su, et on imagine la difficulté, traduire l'expérience des camps en connaissance, et parfois même ceux qui l'ont fait, n'en sont véritablement jamais sorti. Le suicide de Primo Levi, si tant est que l'on puisse assigner un sens à un tel geste, en porte témoignage. Sans travail sur l'expérience, pas de mutation en connaissance. Et il ne faut pas oublier non plus que l'expérience n'est pas la seule voie de connaissance. Qu'il est d'autres voies pour y parvenir. Si vous en doutez, vous pouvez lire ou relire le poème d'Aragon.

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