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22/11/2012

Fixer le prix du temps

On sait chiffrer le temps, que l'homme s'est ingénié à découper en unité toujours plus fines, des siècles aux nano-secondes. Mais sait-on fixer son prix ? le temps est-ce de l'argent ? pas forcément nous répond le Code du travail.  La loi Borloo du 18 janvier 2005, dite de cohésion sociale, a créé un article L. 3121-4 censé résoudre tous les litiges relatifs au temps de trajet, encore faut-il en faire une correcte application comme le rappelle la Cour de cassation dans une décision du 14 novembre 2012. Que nous dit cet article ? en substance que le temps de trajet domicile-travail est du temps personnel et que le temps de trajet entre deux lieux de travail est du travail. Classique. Mais aussi que le temps de trajet entre le domicile et un lieu inhabituel de travail doit, lorsqu'il est supérieur au trajet habituel, donner lieu à compensations en temps ou en argent. A charge pour l'entreprise, à défaut d'accord collectif, de fixer le prix du temps. Le prix, et pas la valeur, car tout ce qui a véritablement de la valeur n'a pas de prix, comme le savait sans doute Hiroshige et peut être encore plus que lui les voyageurs qui empruntaient le col de shiojiri et pouvaient admirer à loisir le Mont Fuji.

Le col shiojiri - Hiroshige - 1856.jpg

Hirosighe - Le col Shiojiri - 36 vues du Mont Fuji - 1856

Dans l'affaire soumise à la Cour de cassation, un formateur demandait le paiement d'heures de trajet pour se rendre sur différents lieux de formation. L'AFPA, employeur, estimait qu'en bénéficiant de jours de congés supplémentaires et de primes de compensation de l'itinérance, le salarié était rempli de ses droits. A tort pour les juges du fond, confortés en cela par la Cour de cassation car les avantages étaient expressément attachés à la compensation de l'itinérance et non au paiement du temps de trajet. Mais la Cour suprême invalide la solution retenue par la Cour d'appel à savoir un paiement du temps de trajet sous forme d'heures supplémentaires. En effet, la loi Borloo précise bien que le temps de trajet n'est pas du temps de travail effectif et il ne peut donc générer des heures supplémentaires. Aux juges donc de trouver la mesure du temps et d'en fixer le prix. Pour favoriser leur réflexion, on leur conseillera un petit tour par les sentiers du col Shiojiri.

Cass. soc. 14 novembre 2012 - Temps de trajet.pdf

21/10/2008

Le temps des nomades

L'entreprise est implantée à Paris mais son siège social se trouve à Vancouver, au Canada. Les réunions au siège sont nombreuses et nombreux également les salariés qui font le trajet Paris-Vancouver, lequel s'ajoute à quelques autres trajets en Europe et au-delà. Lorsque les salariés se rendent à Vancouver, l'entreprise prend  des billets d'avion au départ de Paris le Dimanche, avec un retour le samedi, ce qui permet une semaine de travail complet au Canada.

Il y a quelques mois, des mouvements d'humeur se sont fait jour : les salariés considéraient que l'aller-retour pris sur le dimanche et le samedi revenait à leur enlever un week-end de repos. Ils auraient souhaité un départ lundi et un retour vendredi, ou bien une indemnisation pour ces jours de repos en moins. Question récurrente de la part des salariés nomades dont la situation d'errance régulière pose de manière permanente la question du temps de travail.

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Mont Sinaï - Désert de l'errance

En droit, la solution nous est fournie par l'article L. 3121-4 du Code du travail : "Le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur les lieux d'exécution du contrat de travail n'est pas un temps de travail effectif. Toutefois, s'il dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail, il fait l'objet d'une contrepartie soit sous forme de repos, soit financière."
Toute la question ici est donc de savoir si le  siège social à Vancouver peut être considéré comme un lieu habituel de travail. Pour l'entreprise oui, la nature des fonctions impliquant des passages réguliers par le siège. Dans ce cas, le salaire de la fonction indemnise déjà la sujétion représentée par les temps de trajet. Il en serait de même, par exemple, pour un responsable ressources humaines qui a en charge plusieurs établissements en France et qui s'y rend régulièrement : son temps de déplacement est habituel et ne donne pas lieu à contrepartie spécfique. Il en irait différemment pour un salarié dont les fonctions n'impliquent pas de se rendre régulièrement au siège social, mais qui exceptionnellement va y être envoyé pour participer à une réunion, une formation ou un séminaire interne. Dans ce cas, l'entreprise peut toujours préférer un départ le dimanche et un retour le samedi, mais elle devra indemniser le salarié pour ce temps pris sur son temps personnel de manière exceptionnelle et qui n'est donc pas déjà indemnisé par le salaire. Reste qu'à défaut d'accord, il appartient à l'employeur de fixer après consultation des représentants du personnel la valeur de ce temps de déplacement. Les salariés philosophes en déduiront que l'errance n'a pas de prix.

09/04/2008

Les déplacements habituels

La Cour de cassation a rendu le 12 mars 2008 un arrêt, non publié, concernant un litige entre l'AFPA et un formateur. Le salarié souhaitait que soient pris en compte en tant que travail effectif ses déplacements pour assurer des formations dans différents lieux. La demande du salarié était fondée sur le fait que ses déplacements correspondaient à un trajet supérieur à son trajet habituel pour se rendre de son domicile à son lieu de rattachement administratif. La Cour d'appel avait fait droit à la demande du salarié, suivant son argumentation. La Cour de cassation censure cette décision.

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Pierre Ducordeau - 1974 - Tableau en déplacement
 
 La réglementation sur les temps de déplacement a été modifiée par la loi Borloo du 18 janvier 2005. Suite à différentes décisions de la Cour de cassation reconnaissant que le temps de trajet d'un salarié pouvait constituer un temps de travail effectif, le législateur posa deux principes : 
- le temps de trajet domicile travail ne constitue pas du temps de travail effectif ;
- lorsque le temps de trajet du salarié pour se rendre sur son lieu de travail est supérieur à son temps de trajet habituel, le salarié doit bénéficier d'une contrepartie en temps ou en argent (C. trav., art. L. 212-4).
 
L'application de ce texte au formateur de l'AFPA conduit à une première conclusion : le temps de trajet en question ne peut constituer un temps de travail effectif. La question est de savoir s'il doit donner lieu à des contreparties ou non, au motif qu'il excède le  temps de trajet habituel.
 
Sur ce deuxième point, la Cour de cassation répond que la Cour d'appel doit rechercher si le temps passé à se rendre sur les différents lieux de travail constitue un temps de trajet supérieur au temps de trajet habituel. Ce faisant, la Cour invite les juges du fond à considérer que le trajet habituel n'est pas celui qui va du domicile au lieu de rattachement administratif mais celui qui va du domicile....au lieu, ou aux lieux, habituels de travail. La notion de lieu habituel doit donc s'entendre des lieux dans lesquels s'exercent régulièrement les fonctions. Et pour un formateur itinérant (qualification du salarié) il ne saurait s'agir d'un lieu fixe mais plutôt d'une zone géographique.  Le salarié est donc toujours dans son périmètre habituel de travail lorsqu'il se déplace pour réaliser les formations.
 
En généralisant cette solution, on peut conclure que lorsque les fonctions du salarié impliquent des déplacements fréquent sur une zone géographique, il n'a pas droit à une indemnisation particulière pour le temps passé à ces déplacements (du moins pour les départs et retours domicile). En effet, le déplacement faisant partie des fonctions, il est déjà pris en compte dans la rémunération.
 
Ce n'est donc que lors de trajets exceptionnels, non impliqués directement par les fonctions, que le droit à indemnisation est ouvert. Il en est ainsi, par exemple, d'un salarié qui travaille en un lieu unique et que l'entreprise envoie exceptionnellement en formation à 500 kms. Le temps passé à ce déplacement inhabituel doit faire l'objet d'une contrepartie en temps ou en argent. A l'évidence, tel n'est pas toujours le cas.