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02/05/2008

Comment faire du droit ?

 Pour illustrer la chronique du jour, un cavalier bleu, qui traverse la campagne au galop. La lumière semble matinale : a-t-il aperçu de nouveaux horizons, de nouveaux chemins qui justifient la cavalcade ?

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Kandinsky - Le cavalier bleu - 1903  
 

Laissons un instant le cavalier à sa course et poursuivons la chronique du jour. Le nouveau Code du travail est donc arrivé. Mais pour pouvoir l'utiliser il faut faire du droit. Comme toute discipline le droit a ses méthodes, ou plutôt sa méthode puisqu'il n'y a qu'une seule manière de faire du droit. Cette méthode tient en quatre étapes :

- l'analyse des faits ;

Et non, faire du droit ce n'est pas se précipiter dans les textes pour chercher où peut bien se trouver la réponse à la question que l'on se pose. C'est d'abord répondre à la question : de quoi s'agit-il ? quels sont les faits caractéristiques de la situation que l'on souhaite traiter. A quoi peut se réduire la situation ? on l'aura compris, il s'agit d'analyser, de synthétiser et de caractériser. S'agissant de droit ou privilégiera les faits matériellement incontestables.

- la qualification ;

Opération de base du travail juridique. Le droit ne connaît pas la réalité et il ne l'appréhende qu'à travers des catégories ou qualifications dans lesquelles il est nécessaire de faire entrer les situations. Par exemple : pour rompre un contrat de travail pourra utiliser le licenciement, la démission, la rupture négociée, la mise à la retraite, etc. Pour faire évoluer la situation du salarié, deux qualifications possibles seulement : la modification du contrat ou la modification des conditions de travail. Etc. Toute situation entre nécessairement dans une qualification : il faut s'y faire le droit à réponse à tout. La preuve en est qu'aucun juge prud'homal ne refusera de juger en expliquant qu'aucun texte ne correspond à la situation. Si c'est le cas, il trouvera la qualification adéquate. Par exemple : pas d'internet dans les règles sociales ? on applique le droit de la correspondance privée. Le vide juridique, contrairement aux idées reçus, n'existe pas.

Pour cette deuxième étape de la méthode juridique, trois questions : quelles sont les qualifications possibles (ici il s'agit d'identifier leur liste exhaustive), à quoi correspond chaque qualification (qu'est-ce que c'est ?), quels en sont les indicateurs opérationnels (à quoi on la reconnaît ?). Par exemple : qu'est-ce que la modification du contrat de travail, à quoi la reconnaît-on ? ce qui permet ensuite de savoir si la situation de départ peut ou non entrer dans la qualification.

- le choix de la qualification ;

Ce choix peut avoir une double nature : il peut s'agir de choisir entre deux qualification qui pourraient toutes deux s'appliquer. Par exemple un salarié qui quitte l'entreprise pour prendre un emploi ailleurs sans prévenir l'employeur est à la fois démissionnaire et auteur d'une faute qui justifie un licenciement. Que vaut-il mieux ? prendre acte de la démission ou licencier pour faute grave ? le choix n'est pas qu'une affaire juridique. Il s'agit de peser, à tous points de vue, les avantages et inconvénients que l'on tirera de la situation. La seconde nature du choix est que la balance avantage/inconvénient peut parfois faire préférer la solution la moins assurée juridiquement, voire la solution qui n'est pas conforme au plan juridique mais qui va offrir plus d'intérêts que de désagréments pour des risques que l'on estime non rédhibitoires. Le droit n'est pas une science exacte qui conduit vers la bonne réponse : c'est une champ de liberté, et donc de responsabilité, qui exige de faire des choix.

- l'application de la règle correspondant à la situation ;

Cette dernière étape pourrait sembler la plus aisée. Il n'en est rien. Le droit étant de la littérature, la lecture de la règle, son interprétation et sa mise en oeuvre peuvent laisser place à des incertitudes que seul le juge est à même de lever. Faisons un raccourci : en droit du travail l'employeur a toujours raison dans sa manière d'appliquer la règle...jusqu'à ce qu'un juge lui dise qu'il a tort. Et si l'on prend la précaution de s'inquiéter de la position du juge par une analyse minutieuse de la jurisprudence, la faculté de celle-ci à opérer des revirements inattendus ne nous permettra pas de nous sécuriser à 100 %. Acceptons le, le droit ne nous offre que rarement des garanties totales en cas ce contentieux. Et le juge ne jugeant que des cas particuliers, le revirement ne lui posera guère de problème de conscience.

En conclusion nous constatons : que le droit a réponse à tout mais que l'on n'est sur de rien en choisissant une manière d'interpréter et d'appliquer les textes. Mais qu'il n'y aura que le juge pour dire, au final, si l'on avait tort ou raison.

Tout juriste doit respecter les quatre étapes ci-dessus pour garantir son raisonnement. Tout non juriste prendra soin de questionner l'expert sur cette base. Ne jamais demander : que dois-je faire ? mais toujours aller jusqu'aux 4 questions : comment caractériser la situation ? quelles qualifications envisageables ? quelle qualification conseillée et pourquoi ? quelle règle à appliquer avec quels risques d'interprétation différente en cas de contentieux ?

 Une fois la méthode acquise revenons au cavalier bleu de kandinsky : ce dernier était juriste. Il a donc du appliquer la méthode juridique  à de nombreuses reprises. En conclueriez-vous que, tel le cavalier bleu apercevant des horizons nouveaux, Kandinsky s'est détourné de sa carrière juridique pour emprunter les chemins de l'abstraction en peinture ? ou plutôt qu'il est possible de retrouver des éléments de la méthode dans le tableau ci-desous et que Kandinsky n'a pas totalement oublié sa culture de base  ?

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Kandinsky - Jaune rouge bleu - 1925 
 
Si l'on peut penser que dans ce tableau le soleil à rendez-vous avec la lune, il est aussi permis d'y voir avec la même rigueur que la méthode juridique, la démonstration que la peinture a réponse à tout, qu'elle peut être interprété de multiples manières et que le peintre a toujours raison...jusqu'à ce qu'un exégète lui démontre ce que lui même n'avait pas vu. Comme pour le droit, le risque est toujours présent. 

 

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