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13/01/2016

C comme...CONNAISSANCE

La connaissance est une vieille erreur qui pense à sa jeunesse

(Francis Picabia)

 Michel Serres, à 80 ans passés, est-il retombé en enfance ? Gageons plutôt qu'il n'en soit jamais totalement sorti et que cette survivance de l'enfant en lui le fait aimer les contes et garder le goût de l’enseignement.

En une période où fleurissent les déclinistes de tout poil, ceux qui confondent leur lente disparition annoncée avec celle du monde dans lequel ils vivent, ceux qui n'ont de cesse de peindre à leur image décrépite leur environnement, Michel Serres offre un petit opuscule rédigé sous forme de lettre à Petite Poucette. Pourquoi ce nom ? Pour la dextérité avec laquelle la jeune fille se sert de ses pouces sur son smartphone, mais également parce qu'il appartient à cette jeune génération d'inventer elle-même les moyens de trouver son chemin dans ce monde nouveau que la technologie bouleverse à chaque instant. Pas question de crier "Pouce" pour Petite Poucette qui tracera sa route.

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In Memoriam

A disposition de Petite Poucette, une accessibilité au savoir inégalée dans l’histoire, des bibliothèques, des œuvres d’art, des expériences, des images, mais aussi des villes, des rues des campagnes que l’on peut parcourir à distance, bref le monde à une portée de clic. Petite Poucette tient désormais sa mémoire entre ses mains.

 Mais petite Poucette a également à sa disposition des enseignants, des experts, des praticiens, qui lui apporteront méthodes de travail, usages possibles du savoir, expériences et retours d’expériences. Et aussi tous ceux qui voudront bien échanger, discuter, contredire, questionner ce que petite Poucette acceptera de partager.

Reste la question clé : « pour quoi faire ? ». Car tout le savoir du monde n’a jamais fourni de réponse au mystère de la condition humaine, devant laquelle petite Poucette n’est pas plus avancée que ses devanciers. Et ça donne quoi « mystère de la condition humaine » sur Google ?

12/01/2016

C comme...COMPETENCE COLLECTIVE

On n’agit jamais seul

 L’individualisation des pratiques manageriales et de gestion des ressources humaines fait souvent de la compétence une question strictement individuelle. Or, la performance d’une organisation, comme celle d’une équipe sportive, tient en grande partie à la qualité des collaborations qui s’établissent entre chacun de ses membres. Les talents individuels, mais en cohérence et avec la force de l’action collective.

Et puisqu’il est toujours question de compétence, restons avec Pierre Villepreux et la manière dont il conçoit le développement de compétences collectives :

Première étape, la compétence individuelle est une capacité à mobiliser des ressources en situation.

 « Le but, c’est de s’adapter aux contraintes et exigences de la situation en recherchant le résultat le plus efficace possible puisque la réussite dépend, pour le joueur, de ses ressources disponibles et de leurs qualités mais aussi de sa capacité à les mobiliser au moment voulu."

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Scat Cat's Band (Les Aristochats)

Deuxième étape, la compétence collective c’est avoir des référentiels communs pour la résolution de problèmes et pour l’action efficace.

"L’adaptation pour être efficace doit être active. La lecture du jeu n’est pas une banale prise d’information passive mais bien un moyen pour donner du sens à son action grâce à l’acquisition de repères et indices toujours plus nombreux et précis, conduisant à un référentiel commun à tous. Il s’agit bien donc de former les joueurs à lire le jeu en les plaçant dans des situations problèmes qui soient à la mesure de leur niveau de jeu."

Troisième étape, la prise de risque individuelle et collective est une condition du développement des compétences.

"Le joueur doit être mis en situation d’incertitude, on peut dire d’instabilité qui doit l’amener à fonctionner par prédiction et anticipation donc, à connaître et comprendre de plus en plus finement les mécanismes de jeu dans les situations successives et évolutives. »

 Voilà, vous avez le schéma pédagogique, il ne vous reste plus qu’à imaginer les formations correspondant à vos objectifs. On dit merci qui ?

09/01/2016

C comme...coaching

La vérité n’est pas dans un seul rêve, mais dans beaucoup de rêves

(Pier Paolo Pasolini)

Laissons les coachs à leurs débats pour savoir s’il est nécessaire ou non de psychanalyser le coaché pour faire un bon coaching. Faut-il entrer dans les rêves de la jeune fille, dans beaucoup de ses rêves, pour l’accompagner ? Laissons la question en suspens et remontons un peu le temps.

Nous sommes en 1818, Joseph Jacotot, révolutionnaire exilé devient lecteur à l'Université de Louvain, chargé d'enseigner la littérature française à des étudiants flamands. Il ne parle pas plus le flamand que ses étudiants n’entendent le français.

Pour dénouer la situation, Jacotot déniche une édition bilingue de Télémaque qu'il fait remettre aux étudiants, leur demandant d'apprendre le texte français en s'aidant de la traduction, puis de lire l'ensemble du livre pour être capable d’en faire le récit en français. Cette rédaction servit d’évaluation. Notons au passage qu’évaluer n’est pas refaire ce que l’on a appris mais peut prendre la forme d’une production jamais réalisée (ici, soupir désespéré et scandalisé des étudiants français : mais on ne peut pas avoir en évaluation quelque chose que l’on a jamais fait…).

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Le rêve de la jeune fille qui rêve qu'elle rêve

Le travail de rédaction se révéla d'un niveau comparable à celui d'étudiants français. Joseph Jacotot découvrit ainsi qu'il était possible d'enseigner sans donner d'explications, par un travail de questionnement, de mise en situation, de production. Là où le maître savant explique et déverse son savoir, le maître ignorant questionne et oblige l'élève à s'enseigner lui-même, postulant ainsi l’égalité des intelligences.

Pourquoi faire croire aux parents qu'ils ne peuvent accompagner leur enfant dans la préparation d’un examen s’ils ne connaissent pas eux-mêmes la discipline ? Il suffit de bien vouloir y consacrer du temps et de poser des questions. Il ne s’agira jamais que d’un renversement du « pourquoi ? » enfantin qui place les parents devant leur ignorance mais les pousse souvent à s’instruire pour apporter réponse. Le maître ignorant est celui qui rend l’autre savant en lui demandant de l’enseigner.

 Voilà pourquoi il est possible d’être un grand entraîneur sportif sans avoir été un grand sportif soi-même, ou un excellent coach pour permettre de développer des compétences que l’on ne possède guère.

Sur le sujet, on lira avec profit : Jacques Rancière, Le maître ignorant, 10/18, sept. 2004. 

05/01/2016

A comme...AUTOFORMATION

On est ce que l’on fait

 

Comme on le sait, on n’est pas formé, on se forme. Le verbe former est intransitif.

Mon père était cuisinier. Ou plutôt il était serveur, a racheté le restaurant à son patron et a embauché des cuisiniers. Des bons, et des moins bons. Jusqu’au jour où il a décidé de passer derrière les fourneaux. Il avait observé, bénéficié de quelques conseils, parcouru des livres de cuisine et il a pratiqué. C’était un excellent cuisinier.

Six mois avant de débuter mon activité de consultant, je ne savais pas de quoi ce métier était fait, et avait à peine conscience qu’il existait. J’ai été formé par mes clients, ils continuent et moi aussi.

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Où sont les femmes ?(Patrick Juvet)

Lorsque je vois mon gamin réaliser des activités nouvelles, je lui demande comment il a appris. Il me répond parfois « avec la maîtresse », ou « avec les copains » ou « en regardant la tablette », mais le plus souvent il lance un peu bravache : « tout seul ». Intransitif je vous dis.

10/11/2015

Savoir y faire

Comme la langue de l'ami Denimal a fourché pendant son intervention, une petite précision s'impose. Redisons-le donc une nouvelle fois, peut être pas la dernière : le savoir-être est un concept inepte et la trilogie savoir, savoir-faire, savoir-être une impasse opérationnelle. Autrement dit, il n'y a pas plus de savoir-être que d'intelligence situationnelle dans la dernière réforme de la formation. 

Reprenons : 

1) La compétence est définie comme la capacité à réaliser certaines activités. Elle se traduit donc toujours par du faire. Pas d'activité, pas de compétence. L'existence même de la compétence suppose donc toujours  une action de faire. 

2) Pour exercer une activité, tout individu mobilise des ressources : elles peuvent être "incorporées", c'est-à-dire internes à l'individu, ou bien "externes"c'est à dire obtenues de l'environnement au moment où on doit les utiliser.

3) La formation n'apporte pas des compétences. Elle apporte des ressources, qui sont autant de promesses de compétence. Elle peut aussi permettre de s'entraîner à combiner des ressources par la mise en situation, la résolution de problèmes, etc. 

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4) L'être ne relève pas du champ de la formation professionnelle mais au moins depuis Parménide, d'une philosophie de l'existence qui peine encore à en tracer les contours.

5) Et si l'on utilise plus simplement connaissances, capacités et comportements, on a une trilogie plus efficiente. Les connaissances renvoient aux ressources (qu'elles proviennent de la formation, de l'expérience ou de l'environnement), les capacités à ce que l'on est capable de faire et les comportements à la manière dont on s'y prend pour mettre en oeuvre ses capacités. Et ici j'ose penser que l'expert en classifications Denimal appréciera la distinction entre ce que l'on sait faire et la manière dont on le fait. La première partie peut être collective (et donc relever de la définition de l'emploi) alors que la deuxième partie est nécessairement individuelle et relèvera d'un système d'appréciation.

Pour les sceptiques, petite épreuve : essayez le baiser de cinéma avec le savoir-être. Il risque de manquer de saveur sauf à être un adepte du tantrisme. Mieux vaut savoir y faire. 

08/07/2015

Table rase !

Directeur formation d'un grand groupe aux activités multiples, mais une bonne partie sur les technologies. Plutôt en bonne forme (le groupe, mais le Directeur formation également) :

"J'ai eu l'aval des dirigeants, ils ont testé, ils sont ok, à part les formations obligatoires, on arrête tout. Plus de formations  ;

- tu stoppes l'activité formation ? 

- non, je la transforme : échanges de pratiques, learning expédition, codéveloppement, digitalisation, créativité, productivité....fini le format traditionnel ;

 

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- ils en pensent quoi les salariés ? 

- sur les premières actions, ils sont poussés plus loin que d'habitude, plus impliqués et plus bousculés, mais positivement ;

- pourquoi tu fais ça maintenant ?

- j'avais déjà commencé, c'est l'occasion de tout revisiter, tu penses bien que j'allai pas laisser passer...et sinon j'ai une demande, tu connais quelqu'un qui peut m'accompagner sur l'innovation ? 

- et comment, va voir par là, tu ne seras pas déçu : http://il-di.com"

Isolé ou précurseur ? 

22/04/2015

C'est la FEST !

Le modèle est américain, développé par l'Université de Princeton, et connu sous l'appellation de 70-20-10, soit le pourcentage des compétences acquises par l'exercice d'une activité, par les collaborations professionnelles et par la formation formelle. En France, tout un pan des sciences humaines a travaillé sur cette notion d'apprentissage informel, dégageant les conditions de son existence, puisque l'on sait que la transformation de l'expérience en compétences n'est pas un processus automatique. Il ne faudrait pas oublier que l'une des finalités de la réforme de la formation était d'échapper...à la formation. C'est ainsi que doit se comprendre la défiscalisation des plans de formation : la reconnaissance qu'au-delà de la formation, d'autres formes de professionnalisation peuvent être développées et qu'il s'agit moins de se focaliser sur le volume de formation réalisé que sur l'articulation entre la formation et les autres modalités de professionnalisation. Il s'agit aussi, pour les responsables formation, de savoir quelles sont les compétences qui sont les mieux acquises par la formation et celles qui relèvent d'autres méthodes. Dans ce contexte, le Ministère du travail se prépare à lancer la FEST.

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Cie les Fêtes Galantes - Crédit photo : Jean-Pierre Maurin

Avant l'été, sera lancée une expérimentation sur les formations en situation de travail, notamment dans les TPE/PME. L'ambition du programme est de dégager les conditions de l'apprentissage en situation de travail dans des petites entreprises et d'identifier les possibilités de modélisation de ces formes d'apprentissage. Au-delà de l'ouverture du champ de la formation, de la reconnaissance des potentialités formatrices du travail, cette expérimentation pourrait également permettre de redéfinir l'action de formation et de la détacher enfin de cette conception étroite (objectifs, programme, modalités pédagogiques, suivi, évaluation) directement issue de la formation initiale. Si un tel résultat était atteint, la réforme n'aurait pas été vaine quels que soient ses résultats par ailleurs. 

20/10/2014

Un artisan singulier

Vieille question : quelle différence entre un artiste et un artisan ? certainement pas le talent, l’artisan peut d’ailleurs être plus talentueux que l’artiste. Pas plus le génie, auquel ni l’un ni l’autre ne sont tenus. Alors quoi ? d’un côté une capacité à faire, une maîtrise des conditions de production d’une œuvre, de l’autre une capacité à créer, c’est à dire à ne pas reproduire ce que l’on a appris à faire mais à inventer des méthodes nouvelles, des objets nouveaux, des représentations différentes de ce que l’on connaît jusque-là. L’artisan perpétue, l’artiste commence. C’est pourquoi le peintre copiste est un artisan et le bricoleur délirant est un artiste. Reproduction contre création, là se situe la ligne de partage.

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Vermeer est un remarquable artisan. Sa virtuosité technique lui aurait permis de créer à l’infini ces tableaux que la Flandres a produit avec la même profusion que celle que l’on retrouve sur les toiles : bouquet de mille fleurs, banquets de mille mets, fêtes de mille gens ou mers de mille vagues, en ces terres austères l’abondance est une seconde nature.  Mais Vermeer est surtout un artiste, par sa capacité à rendre la lumière, à créer une atmosphère, à intégrer le spectateur à la scène, à faire redécouvrir ce que nous pensions connaître pour l’avoir vu déjà. Et à être le seul à le faire de cette manière.

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Au final, on pourrait dire que l’artiste, c’est un artisan plus une singularité. Celui qui parle de sa propre voix et non avec celle des autres qu’il se contenterait de répéter, quelle que soit la qualité de son élocution. C’est pourquoi il est possible de former des artisans, dès lors que les personnes veulent bien s’inscrire dans l’apprentissage des modes opératoires qu’elles pourront ensuite utiliser. Et c’est pourquoi il n’est pas possible de former des artistes, car c’est leur propre langage, et non celui des autres, qu’il leur faut trouver. 

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Faisons le parallèle avec la compétence : s'il s'agit d'acquérir des modes opératoires, alors référentiels et outils d'évaluations des pratiques seront pertinents. S'il s'agit de savoir quelle contribution singulière chacun peut apporter à une entreprise commune, alors il faudra travailler différemment : travailler plutôt sur le contexte et offrir un environnement propice à la créativité et accepter que toute oeuvre ne soit pas un chef-d'oeuvre, autrement dit comprendre qu'il faut beaucoup de travail et beaucoup d'esquisses pour que la singularité s'incarne dans une production de qualité. Comme les peintures de Vermeer que l'on peut détailler dans le Mauritshuis rénové. 

03/09/2013

Ricochet

Rentrée des classes sous le signe de l'été indien, qui annonce les lents changements de saison. En matière de rythmes scolaires, par contre, le changement est plutôt rapide. Sur le fond, travailler moins chaque jour et avoir d'autres activités que la classe, il n'y a pédagogiquement rien à redire et il n'était que temps de rompre avec les longues journées dont la linéarité s'accorde mal avec la sinusoïdale concentration humaine. Il est plus difficile de comprendre pourquoi, en maternelle, il faut aussi adopter le rythme nouveau qui impose un lever supplémentaire dans la semaine, alors qu'il ne s'agit pas d'alléger des enseignements mais d'ajouter des activités à d'autres activités. Pas d'autre explication que l'effet ricochet.

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Pierre Haeder -  Ricochet

L'effet ricochet c'est que dans une école primaire, difficile de gérer les différentes classes sur des rythmes non homogènes, et le temps de travail des enseignants avec. Donc, les petits comme les plus grands, et en avant ! le problème avec les ricochets c'est que ça se termine toujours par un plouf. Mais faisons confiance aux intéressés pour franchir allègrement tous ces petits obstacles et foncer droit devant.

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29/08/2013

La parole est à...

Inaugurons une nouvelle rubrique : La parole est à... qui évite de tenter de répéter ce que d'autres ont déjà beaucoup mieux formulé. Pour la première, ne lésinons pas et voyons avec Tchouang-Tseu, dans une traduction de Jean-François Billeter, pourquoi l'enseignant ne transmet pas mais peut éventuellement faire acquérir.

Le duc Houan lisait dans la salle, le charron Pien taillait une roue en bas des marches. Le charron posa son ciseau et son maillet, monta les marches et demanda au duc :

-Puis-je vous demander ce que vous lisez ?

-Les paroles des grands hommes, répondit le duc.

-Sont-ils encore en vie ?

-Non, ils sont morts.

-Alors ce que vous lisez là, ce sont les déjections des Anciens !

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-Comment un charron ose-t-il discuter ce que je lis ? répliqua le duc ; si tu as une explication, je te ferai grâce ; sinon, tu mourras !

- J’en juge d’après mon expérience, répondit le charron. Quand je taille une roue et que j’attaque trop doucement, mon coup ne mord pas. Quand j’attaque trop fort, il s’arrête (dans le bois). Entre force et douceur, la main trouve et l’esprit répond. Il y a là un tour que je ne puis transmettre par des mots, de sorte que je n’ai pu le transmettre à mes fils, que mes fils n’ont pu le recevoir de moi et que, passé la septantaine, je suis encore là à tailler des roues malgré mon grand âge. Ce qu’ils ne pouvaient transmettre, les Anciens l’ont emporté dans la mort. Ce ne sont que leurs déjections que vous lisez là.

En conséquence de quoi, il est recommandé de se méfier des enseignants de tout poil qui vous disent, les yeux mouillés, que leur mission est de transmettre. Il n'est pas impossible, par contre, d'apporter son utile contribution aux acquisitions.

26/08/2013

Etre de savoir

Marronnier de l’été, le thème de la connexion maintenue pendant les vacances fait le tour des journaux et télés. Chronique d’une psychanalyste, il faut au moins ça, sur une radio expliquant que l’incapacité à rompre totalement avec son job tenait à la fois à des facteurs psychologiques, la peur du vide, du face à face avec soi-même et avec ses désirs, et à des facteurs sociaux, la pression au travail et la crise. Soit la peur et l’angoisse, les deux mamelles du psychologue. Rien sur le rapport à la technologie, la rupture des  frontières traditionnelles dans la vie postmoderne et encore moins sur le plaisir, puisque pour certains c’est au travail que cela se passe. Mais passons. Ce qui retenait l’attention, c’est que la chronique s’appelait « savoir-être ». Il faut déjà subir le jargon pseudo-pédagogique dans le milieu, si en plus il se banalise…

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Savoir être deux

Savoir être n’est finalement que la reprise d’une vieille formule, lorsqu’il s’agissait « d’apprendre à vivre », avec les mêmes présupposés du savoir qui précède l’être et du comportement qu’il importe de normer. Pas besoin d’y réfléchir très longtemps pour juger de la prétention de celui qui voudrait  apprendre à être à autrui. Il est vrai qu’il est plus facile de tenter de manager les savoir être que les êtres de savoir que nous sommes.  Quant à admettre que la plupart des savoirs sont inconscients et incorporés, autant vouloir nier deux siècles de scientisme. Et voilà pourquoi, hélas, on en a certainement pas fini avec la tarte à la crème frelatée du savoir être.

02/07/2013

Tours et détours

Le détour pédagogique est une méthode selon laquelle le plus court chemin pour aller de A à B est de passer par C. Elle permet de déconstruire les représentations, de fréquenter de nouveaux territoires et d'aborder sous un angle nouveau de vieilles questions. La méthode n'est pas sans risque. A faire des détours on peut se perdre en route, je jamais retrouver le but ou bien faire un voyage pour rien, si à l'arrivée le regard n'a pas évolué. Existe aussi le risque que le détour ne soit qu'un tour, un artifice sans profondeur et sans valeur.

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Akram Khan, à qui on a demandé de revisiter le Sacre du Printemps, de Stravinsky, a choisi le détour. Il a fait composer une nouvelle musique à trois compositeurs et s'est éloigné du Sacre pour s'installer dans la tête de Stravinsky, d'où le titre de son spectacle  : iTMOi (in the mind of Igor). Qui aura pris le détour d'Akram Khan ne peut plus voir, ou revoir, le Sacre du printemps, sans penser au sacrifice, au gong lancinant, au diable qui rôde, à la mariée, à l'homme pris dans les rets de la vie ou à la jeune femme qui virevolte vers la libération finale et printanière, sans que ne s'efface totalement le long cheminement hivernal. Un vrai détour qui vaut le détour.

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17/01/2013

L'amour du métier (II), et un peu de pédagogie aussi

Pour cette seconde chronique consacrée à l'amour du métier, il est toujours question d'Alain Garrigue et d'Alechinsky, mais je laisse la parole au premier :

"Je songe un instant à cet atelier des Beaux Arts en 1984 où Alechinsky regarde mes premiers barbouillages, tous les mercredis après-midi. Je ne perds pas un mot de ce qu’il me dit. Je me fous des profs comme de l’an 10, mais là je suis très ému de parler avec quelqu’un dont la vie de travail et de création ancre en moi un très fort sentiment de respect et de motivation. Cher Pierre Alechinsky, je me souviens d’un jour précis, d’un matin, où je suis dans mon atelier voisin du vôtre, certainement présent de si bonne heure après avoir passé une nuit blanche à traîner dans Paris, et où je me mets alors à tendre mon kraft contre mon mur. Je n’ai plus de craie pastel noire pour tracer mon dessin. Je regarde autour. Je pique un horrible vieux pinceau déplumé à mon pote Thierry, et je commence à dessiner, du coup, quasiment avec le manche que je trempe dans l’encre de chine, en raclant le papier. Soudain j’entends une voix derrière moi : « Jeune homme ! … Je vous écoute peindre plutôt que je ne vous regarde !!!… » Je me retourne : Alechinsky !... En pardingue mastic, mains aux poches, le sourcil froncé."

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«  Montrez- moi votre outil !… » Il était venu dès l’ouverture de l’Ecole et, faute d’élève dans son atelier, avait passé la petite porte de communication entre nos deux ateliers, et était tombé sur un crétin qui s’évertuait à dessiner avec un manche de bois. Surpris, je lui tends la saloperie dont Thierry se servait pour mélanger ses pots de Ripolin. Je le revois encore prendre une feuille et commencer à dessiner, avec un pinceau bien plus approprié, des courbes, des arabesques, quelques pleins et déliés, des petits personnages têtus, en m’expliquant bien patiemment l’importance de chaque trait, la puissance de chaque intention, l’adéquation entre l’outil et le geste, la liberté que donne la maîtrise de son pinceau… lorsque pinceau il y a,bien sur !!!… En temps normal je l’aurais écouté révérencieusement, mais à ce moment, en regardant dessiner un des artistes que, du haut de mes 21 ans, j’admirais le plus, je me rends compte d’une chose, d’une seule et unique chose : il m’emmerde !…

Je l’écoute parler ! Je suis tout ouïe ! De plus, je suis complètement d’accord avec la moindre de ses paroles. Je suis presque ému jusqu’aux larmes de constater que ce type qui ne passait pas pour un tendre avec tous les potaches des Beaux Arts, me parle si gentiment, si patiemment, et qui dans le même temps… m’emmerde !…

Picasso venant corriger un de mes dessins, Matisse, Uccello, Michel-Ange soudain m’emmerderaient tout autant !…Je suis en train de peindre ! Voilà ce qui me traverse soudain la tête ! Oui Mesdames ! Je suis en train de peindre et je  ne supporte pas que l’on me dérange !!!… Voilà ce que je dois à ce mec-là. Ce que je ne pourrais jamais lui dire. Avoir cristallisé ce matin-là en moi cette évidence : je préfère peindre plus que tout au monde !…Je l’ai vérifié ce jour-là, cher Pierre Alechinsky, …et je ne vous saurais jamais assez gré du plus grand des conseils que puisse donner un artiste à un autre : PEINS !!! »

09/12/2012

Transmission versus acquisition

En 1907, Picasso a 26 ans, il a déjà peint un des tableaux les plus importants de l'art moderne et de toute sa production, qui sera encore longue. En 1862, Ingres a 82 ans, il peint  5 ans avant sa mort un chef d'oeuvre qui est une synthèse de tout son art et dont la modernité est époustouflante. Si les deux hommes s'étaient rencontrés, qui aurait été le tuteur de l'autre ? aucun bien évidemment, mais ils auraient échangé ou plus surement encore, ils se seraient montré leurs productions et auraient bu des coups ensemble. Peut être auraient-ils commentés cette phrase de Picasso : "A dix ans, je peignais comme Raphaël, mais cela m'a pris toute ma vie de dessiner comme un enfant".

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Picasso - Les demoiselles d'Avignon - 1907

Les partenaires sociaux ont signé le 19 octobre 2012 un accord sur les contrats de génération. Dans ce texte, est abordée la question de la transmission des compétences. La modernité est ici présente dans le refus de la figure traditionnelle de l'ancien qui initie le plus jeune. Le texte invite à mettre en place des actions organisant la transmission des compétences, qui concerne sans hiérarchie préétablie les deux acteurs principaux du dispositif. Encore mieux, le texte invite à créer des situations de travail qualifiantes, car c'est bien là que se situe la véritable question : plutôt que de transmission linéaire, il s'agit de créer les conditions de nouvelles acquisitions, le plus souvent partagées. Apprendre ensemble plutôt qu'apprendre de l'autre. Faciliter l'acquisition sans transmission, c'est sans doute la condition d'une véritable qualification de tous. Pour en savoir plus, vous pouvez lire ci-dessous la chronique écrite avec Jean-Marie Luttringer pour l'AEF qui commente plus en détail l'ANI du 19 octobre 2012. Mais n'oubliez pas auparavant de passer par le bain turc. Bon lundi à tous.

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Le Bain Turc - Ingres - 1862

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31/05/2012

Le temps des enfants

Tous les enfants, ou presque, s'ennuient en classe. Mais cet ennui n'est guère pris en compte lorsqu'il s'agit de s'attaquer aux fameux rythmes scolaires. En reposant, dès sa nomination, la question de la semaine de 5 jours, Vincent Peillon a réouvert un débat récurrent. En ce domaine, une exigence devrait primer : adopter la solution la plus adaptée sur le plan pédagogique. Or, comme le rappelle Antoine Prost, la capacité d'apprentissage des enfants sur une journée est de 5 heures. Le temps utile maximal est donc de 25 heures par semaine, soit 5 x 5 heures. Mais dans le débat sur la semaine de 4 ou 5 jours, il est surtout question du temps...des parents. Temps de week-end, temps de congés, horaires de  travail, temps de garde, entre autres, sont passés au crible. Et l'on prend en compte également  l'impact éventuel d'une future réforme sur l'activité du secteur du tourisme, sur les coûts de transport, etc. Bref, il y a bien longtemps que la question clé qui est de nature pédagogique s'est effacée derrière les préoccupations des ministres, des profs, des parents, des collectivités locales, etc. Et pendant ce temps, le chahut continue.

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Carl Hertel - Classe pendant une leçon de géographie - 1874

Proposons donc à la Ministre de l'Education populaire (puisqu'il y en a une qui a aussi en charge la Jeunesse et les Sports), de venir en aide à son collègue Ministre de l'Education nationale (il y a donc deux Educations au Gouvernement, vous avez bien lu). Elle pourrait lui proposer le marché suivant : avec les associations du sport, de l'animation et de la culture, elle s'occupe des jeunes après leurs 5 heures de cours. Et le Ministre met à disposition Enseignants et locaux pour l'Education populaire des adultes, ainsi instaurée partout en France gratuitement et près des bénéficiaires, au-delà des 5 heures assurées auprès des enfants. Soit au moins 5 heures par semaine par enseignant pour les adultes. Et à ce moment là, on pourra se poser la question de l'articulation du temps des enfants avec celui des adultes.

Antoine Prost - Temps scolaire.pdf

20/05/2012

Evolution

C'est la surprise, l'étonnement qui nous oblige à évoluer.

 

Edgar Morin

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18/05/2012

En avoir ou pas

L'expérience a cette particularité de renvoyer à deux réalités opposées : faire une expérience, expérimenter, c'est tenter quelque chose de nouveau, faire ce que l'on a jamais fait, ou en tous les cas pas de cette manière. C'est innover. Avoir de l'expérience au contraire, être expérimenté, c'est avoir déjà fait et, en principe, être capable de refaire, de reproduire. L'expérience renvoie donc autant à la nouveauté qu'à la reproduction.

Le débat sur l'inexpérience du nouveau Président de la République est venu très tôt. Il ressurgit pour les ministres : 29 sur 34 n'ont jamais été ministre, pas plus que le premier d'entre eux. Voici donc majoritairement à la tête de l'Etat des gens sans expérience qui vont en faire une sacrée.

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Cathy Wilkes - More women never experience - 2004

L'expérience est-elle donc nécessaire pour être compétent ? tout dépend de quoi l'on parle. Car la compétence se construisant dans l'action, il n'y a  à proprement parler jamais de compétence sans expérience. La question est donc plutôt : quelles sont les expériences qui sont nécessaires à la compétence ? sans doute pas des expériences de stricte répétition qui, selon Confucius, sont des lanternes que l'on porte sur son dos et qui n'éclairent que le chemin parcouru. Mais toute expérience dont on a su tirer parti. Car plus que le cumul d'expériences, qui ne s'additionnent pas mécaniquement, la question de la compétence est celle de la capacité de chacun à diversifier ses expériences et à en faire des occasions d'apprendre. Et nul ne sait aujourd'hui ce que les nouveaux gouvernants ont appris au cours de leurs diverses expériences. Quant à leur compétence, elle ne s'appréciera par principe que dans l'action.

17/04/2012

J'y pense et puis j'oublie

Je me souviens d'une conférence d'Yves Navarre, cet homme-enfant qui ne sortit de l'enfance qu'à ses dépens, au cours de laquelle il expliqua qu'il ne prenait jamais de notes. Lui l'auteur de dizaines d'ouvrages, qui écrivait à souffle perdu, ne notait pas. Vous ne pouviez le voir assis à une table de café sortant le carnet de moleskine pour griffoner la matière du livre à venir. Au café, il partageait ses lectures mais surtout ses regards. Plutôt la vie. L'explication fût brutale : "Je ne note pas car ce que l'on note est mort". Cette phrase m'a profondément impressionné. J'y pense constamment lorsque je prends des notes que jamais je ne relis. On peut relire l'écriture, pas les notes. J'y pense lorsque je vois les participants aux formations que j'anime noircir des feuilles à l'improbable destin. Toutes ces notes pour quoi faire ?

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Arthur Tress - Mask

Parfois je tente un "pas la peine de noter, tout est dans le support", je n'ose pas le "arrêtez de noter, les notes c'est mort, laissez vivre votre pensée". On ne réfléchit pas en notant, au contraire on pose devant la pensée les barrières des mots figés alors qu'il aurait fallu préserver le mouvement. Mais je vois souvent cette fébrilité qui guide l'écriture : la peur d'oublier. Comme si l'on ne pouvait faire confiance à la sélectivité de la mémoire, comme si l'on avait oublié cette phrase d'Yves Navarre : "L'oubli est parfois aussi important que la mémoire". Arrêtez de noter vous vous souviendrez mieux de ce qu'il est important de ne pas oublier.

13/01/2012

Complet

Par nature, conviction ou habitude professionnelle, j'ai plutôt tendance à être constructiviste. Plutôt tendance à voir des individus aux prises avec une réalité qu'ils élaborent à l'aune de leur propre cheminement qu'à considérer la connaissance, la vérité scientifiquement établie, le savoir, comme des Graals qui divisent le monde en deux : ceux qui les possèdent et les autres. Cette attitude constructiviste ne conduit pas nécessairement à un relativisme sans fin : il y a des valeurs pour mettre de l'ordre dans les constructions de chacun.

C'est cette vision de la connaissance et des apprentissages qui m'a toujours rendu incompréhensible, et mystérieuse, la fameuse phrase d'Hemingway : "Nous naissons avec tout notre avoir et nous ne changeons jamais. Nous n'acquérons jamais rien de nouveau. Nous sommes complets dès le début". Peut être un abus de Daïquiri ou plus certainement encore, un manque. Et puis j'ai eu un fils.

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Hemingway au complet

La phrase d'Hemingway est alors devenue une évidence. Certes l'irréductible constructiviste en moi se dit que c'est une expérience nouvelle qui a conduit à l'éclaircie. Mais il s'agit moins d'une construction que d'une révélation, au sens de la visite comme dirait Hélène Grimaud. Est de l'ordre de l'accès au mystère en effet le constat quotidien qu'effectivement nous sommes complets. Car l'enfant n'est pas un adulte en devenir, mais un être de toutes facultés dont il use à loisir. Que cette complétude ait besoin du temps du déploiement est une chose. Qu'elle ne soit pas un déterminisme, en est une autre que l'on validera aisément en vérifiant que tous les arbres ne connaissent pas la même évolution suivant leur lieu d'implantation, et pourtant ils sont également complets dès le début. Reste à devenir ce que nous sommes, selon l'injonction Nietzschéenne, ce qui éclaire définitivement la phrase d'Hemingway qui finalement, avait peut être bu lorsqu'il l'a écrite, la dose de Daïquiri qui convient.

12/12/2011

De l'artisanat dans l'industriel

L'organisme de formation est un des poids lourds du marché. Une croissance à deux chiffres pendant des années et ce signe qui ne trompe pas : on ne connaît plus tous ceux qui travaillent pour le groupe et l'on ne sait jamais, dans les couloirs, si l'on croise un client ou un salarié. Mais celui que je rencontre ce jour là je le connais bien. Il a fait sa carrière professionnelle dans les plus prestigieuses entreprises, celles que tous les étudiants rêvent d'intégrer, et il poursuit son activité en animant, avec talent et brio, des formations manageriales. Il ne partage pas son expérience, il s'appuie sur son expérience pour permettre aux stagiaires de travailler sur la leur. Ce matin là, il a une grande poche à la main et voit mon regard surpris : "J'ai un groupe en intra. Comme on a pas prévu de café d'accueil, j'ai pris ma machine à café et je suis passé chercher des croissants. Le groupe est super". Je souris. J'ai dans ma sacoche les amandes enrobées de chocolat que j'ai achetées ce matin pour les participants à la formation que j'anime.

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"-Tu as toujours préservé un côté artisanal dans toutes tes fonctions ?

- Toujours ;

- En marge des process et sans systématisme ?

- Surtout pas de systématique. En fonction des moments, des situations, des individus. L'artisanal ce n'est pas l'industrie à petite échelle. C'est une autre manière de travailler."

Que les grandes organisations adoptent des procédures, quoi de plus normal : l'industriel ce n'est pas l'artisanal à grande échelle. Mais pour que la vie circule dans les méandres des méthodes et des process, il faut laisser l'espace pour que l'artisanal existe et surtout, surtout, s'il faut veiller à ne pas l'empêcher il faut encore plus résister à la tentation de l'organiser.

NB : Sinon, demain le groupe est plus que super et ce sera donc dégustation de foie gras (fourni par eux) et dégustation de Mauzac, Domaine de Plageoles (fourni par votre serviteur, pour les fêtes n'hésitez pas à goûter à ce Gaillac artisanalement élaboré).