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09/11/2014

A l'Est

A l'époque, on avait pas un hamster (je veux dire un journaliste avec un bonnet en fourrure sur la tête pour montrer qu'il fait froid) en direct sur BFM TV, I-télé, LCI pour hurler : "Restez avec nous, ici il y a beaucoup d'émotion, les gens s'embrassent dans la rue, c'est extraordinaire...monsieur, monsieur, pourquoi ce moment est si important pour vous ?" et pour passer à un autre car le quidam choisi regardait fixement la caméra, sans même pleurer ce qui aurait été un minimum. Ce soir là,  toutes les fissures et lézardes du mur de Berlin craquaient et laissaient passer des mains, des bras, des jambes, des têtes, des cris, des chants qui ouvraient une nouvelle page d'histoire. 

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La Spree se préparait à redevenir un lieu de promenade amoureuse, où peu à peu les amants allaient oublier les noyés, les pourchassés, les tirés à vue. 

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L'Ouest allait découvrir qu'à l'Est le temps s'était figé. Que les traces de la guerre étaient soigneusement préservées pour maintenir le moral des troupes et persuader les plus récalcitrants que les nazis étaient à l'Ouest, lequel reconstruisait à tout va pour démontrer exactement le contraire. 

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Encore un peu plus à l'Est, à Dresde, il avait bien fallu reconstruire, puisqu'il ne restait plus rien à montrer ou presque. Et la manière dont on avait reconstruit ne laissait aucun espoir de retrouver un jour le paradis perdu. 

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Des voitures minuscules et la grande tour de télévision de Berlin Est, comment mieux faire sentir aux individus leur petitesse face à la grandeur de l'Etat ? 

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L'Alexanderplatz d'Alfred Döblin a laissé place à une agora sur laquelle quelques ambulants vendent d'ignobles saucisses aux égarés qui ont franchi Check Point Charly et cherchent en vain un bistro au coeur de la ville. 

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Celui qui marche sait-il que dans quelques mois, la reconstruction allait commencer ? c'était il y a 25 ans, c'était le monde d'avant. 

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08/01/2011

Chronique de week-end : l'énigme de la jeune fille

Le week-end est temps de mise en disponibilité, de ballades, de visites, de découvertes, de rencontres. En 2011, je vous propose une rencontre chaque week-end sous forme d'énigme. La peinture, l'art d'une manière générale, a souvent proposé des oeuvres qui sont des réponses : une histoire est racontée, une fable ou une morale illustrée, une scène historique représentée. Certes l'art contemporain a fait basculer cette logique en proposant des oeuvres qui questionnent l'individu et ne lui proposent pas de réponse. D'où parfois les violentes réactions de rejet dont il est l'objet. Mais entre ces deux pôles, il est des oeuvres qui ne sont ni des réponses ni des questions mais des énigmes. Enigme pour celui qui regarde, mais peut être pour l'auteur lui même, pour qui sa propre oeuvre peut être un mystère. Chaque week-end donc au cours de cette année, un tableau en forme d'énigme avec, comme pour toute énigme, une hypothèse à la clé. N'hésitez pas à livrer les votres. Pour ouvrir l'année, l'énigme de la jeune fille.

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Petrus Christus - Portrait d'une jeune fille - 1470

La jeune fille est une énigme dont Proust proposa une éphémère résolution. La jeune fille fait peur, sa liberté est son pouvoir devant lequel tout adulte empêtré dans ses inhibitions ou au contraire déterminé par ses obsessions, cède. Jalousée des femmes, désirée et donc haïe des hommes, porteuse d'une vérité que jamais le jeune homme n'approchera, la jeune fille est un mythe que les jeunes filles habitent un instant, ou quelques uns, et puis dont elles se déprennent pour ne jamais plus le retrouver. Pour l'homme, le mythe est un mystère, l'énigme insurmontable. Certains, toutefois, l'approchent et trouvent grâce à ses yeux. Proust donc qui alla directement au coeur de l'énigme, Nabokov qui en raconta l'histoire, Lewis Caroll qui joua avec lui, Patrick Grainville qui le vénéra dans son très beau "Paradis des orages", et quelques autres dont Petrus Christus.

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La toile est de petite taille. Elle est visible  dans une vitrine de la Gemaldegalerie à Berlin. Elle a fait l'objet d'analyses, d'exégèses, d'expertises scientifiques, mais n'a rien livré. Ni sur les questions de surface, qui était le modèle, quand fut peinte la toile..., ni sur les questions plus profondes, pourquoi ces yeux asiatiques, pourquoi ce teint de porcelaine, à quelle fin ce regard détourné mais qui ne manque ni de détermination, ni d'audace, et encore moins sur la question essentielle de savoir ce que la jeune femme du peintre de Bruges nous dit d'elle-même et de ses semblables. Mona Lisa est une pâle représentation féminine comparée à cette beauté surnaturelle qui pourtant fût. Mais la peinture ne se compare pas. Tant mieux si Mona Lisa concentre l'attention et les flux touristiques. Les affinités électives vont mieux au teint des jeunes filles que les processions religieuses. Et la jeune femme de Bruges a toujours le teint d'une jeune fille en fleur.

06/11/2009

Le Gossplan réinventé

Lorsqu'il y a vingt ans le mur de Berlin est tombé, l'herbe et les fleurs se sont mises à pousser dans les Trabants. Pour certains, la fin de la guerre froide était quasiment la fin de l'histoire, ce qui n'avait guère de sens. De l'Ouest triomphant le mur était la victime, et bien avant que l'on ne parle d'ostalgie, il s'agissait d'exporter au plus vite les méthodes qui avaient fait leur preuve. On pouvait moquer à loisir le Gossplan et la bureaucratisation de la gestion des activités économiques.

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Trabant à Berlin en 1991 - Photo : jp willems

La manière dont le marché occidental absorba l'économie planifiée n'est pas sans rappeler la manière dont les méthodes de gestion du privé s'imposent aux administrations publiques. On en veut pour preuve la substitution depuis 2007 d'un entretien professionnel à la traditionnelle notation des fonctionnaires mise en place en 1946 à l'initiative d'Ambroise Croizat, ministre communiste du Gouvernement de la Libération et créateur de la Sécurité sociale. La notation avait pour objectif de faire échapper le fonctionnaire au régime des "petits chefs" en objectivant sa situation. La pratique ne fut pas à la hauteur des attentes. On remplaça donc la notation par l'évaluation. Les charmes de l'Ouest sont irrésistibles.
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Staline-Monroe - L. Stokov - 1991

Mais voici qu'insidieusement, réapparaît le Gossplan : sous couvert de management par objectifs dans le privé et de culture du résultat dans le public, on voit ressurgir des indicateurs chiffrés qui tiennent lieu de Graal à atteindre. Non pas de sens à donner à l'action mais de quantité à obtenir coûte que coûte. Et l'on retrouve toutes les dérives du Gossplan : travailler pour l'indicateur et non pour la finalité de l'action, se fixer sur  le chiffre et non sur le sens. Et vingt ans après la chute du mur l'on se dit que plus les choses changent...et plus c'est la même chose.