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11/11/2015

Multidimensionnel

Avec l'art contemporain, on a parfois l'impression de redécouvrir l'évidence, mais comme ce qui est évident est souvent ce qui est perdu de vue, ce n'est pas plus mal. A l'entrée de la Biennale de Venise, un panneau expose le récit d'une expérimentation réalisée avec la Clinique de San Diego (Etats-Unis comme son nom l'indique). Des adolescents ont été initiés, lors d'un camp d'été, à la chirurgie robotisée. A la fin du camp, la plupart étaient capables de piloter une hystérectomie, une cystostomie ou de réparer une valve artérielle. Deux sont parvenus à pratiquer une revascularisation cardiaque. 

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Voici donc des robots, construits après de longues années d'études, qui mettent à disposition d'enfants des gestes professionnels normalement acquis après de longues années d'études. On en conclura une certaine déprofessionnalisation des chirurgiens,  non pas "sèche" comme disent les sociologues mais s'accompagnant d'un déplacement de la professionnalité : maîtrise de nouveaux outils, participation à l'invention de ces nouveaux outils, imagination de nouvelles applications, etc. Bref, la redécouverte que depuis que l'homme s'est saisi d'un caillou pour en faire un marteau, il interagit avec la technique pour aller vers de nouvelles inventions. Sauf, comme disait Marcuse dans l'homme unidimensionnel, s'il est totalement soumis à la technique, dominé par elle et dans l'incapacité de toute interaction. Surgit dans ce cas l'homme dissocié replongé dans la caverne de Platon. 

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On pourrait transposer le constat à la différence entre la capacité à faire (maîtrise de la duplication) et la compétence (capacité à comprendre ce que l'on fait, à le mettre à oeuvre, à le corriger éventuellement, à le faire évoluer). Bref toute la différence entre être dominé par la technique ou la dominer. A ceux qui seraient surpris par ce langage guerrier, soulignons qu'il n'est pas le fruit du hasard : c'est bien d'un combat qu'il s'agit. Et comme nous voici armés par la réflexion, on peut se mettre en route vers le futur. 

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04/11/2013

Encyclopédique

C'est le visage de cire  d'André Breton qui vous accueille à l'entrée du Pavillon central de la Biennale de Venise placée cette année sous le thème du Palais Encyclopédique. Les yeux fermés car pour Breton le rêve, l'onirisme, constituent des chemins d'accès à la connaissance que ne fréquente guère la conscience.

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Ce qui frappe dans les oeuvres présentées lors de la biennale, c'est l'omniprésence de trois thèmes : l'accumulation, l'enfermement et l'éros. L'accumulation car le savoir, la connaissance est un empilement, une profusion, une curiosité incessante qui avait conduit Cendrars à regretter qu'une vie entière de lecture ne suffirait pas à épuiser la plus grande des bibliothèques.

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Mais cette accumulation débridée de savoir peut finir par perdre son sens, à saturer l'espace et à provoquer l'étouffement par l'encombrement, tout comme le cancer conduit à la mort par excès de vie et prolifération des cellules. 

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C'est pourquoi le souci de classer, d'ordonner, de hiérarchiser, de compiler méthodiquement le savoir a toujours existé. Ce souci d'ordonnancement est d'ailleurs le propre de l'Encyclopédie qui permet de remettre de manière intelligible la connaissance à disposition. Mais en choisissant une manière de structurer le savoir, on l'enferme dans un cadre d'analyse, on le réduit à un projet particulier, on l'oriente idéologiquement et finalement on enferme également l'individu dans ce quadrillage de la connaissance.

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C'est ici qu'intervient l'éros, car l'éros c'est la vie comme le proclamait Marcel Duchamp, alias Rrose Sélavy. Il n'aura échappé à personne, depuis Adam et Eve, que la soif de connaissance est une curiosité qui relève de l'érotique et que la pulsion de vie ne saurait se réduire aux pulsions sexuelles. Qui en doute pourra consulter longuement les innombrables cahiers du bien nommé Othake qui associent photos, couleurs, passions, érotisme, politique, science, arts, passé, présent et tout ceci à la manière d'un enfant coloriant les livres comme il peint le monde aux couleurs nouvelles de sa singularité.

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Au sortir de ce tourbillon d'images, de créations, de collections, de déferlements anarchiques, on peut se demander comment sortir de ce dilemme : l'appétit sans limite de tout et la folie qui inévitablement en résultera. Une solution possible est de s'en remettre aux muses qui allègeront l'envie, satisferont l'éros et éloigneront les prisons. Comme il se doit, celles qui se présentent pour ce faire sont japonaises.

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06/11/2011

Du temps au travail (1)

En cette période où les jours fériés viennent briser le rythme du temps reproductible que le passage à l’heure d’hiver avait déjà malmené, les repères temporels s’estompent dans les brumes d’un automne attentif à demeurer une saison de transition. Les chroniques de la semaine seront donc consacrées au temps, qui est tellement lové au cœur du travail que toute réponse sur votre rapport au temps vous apprendra autant sur votre rapport au travail.

 Prenons comme point de départ le Lion d’Or de la biennale de Venise attribué à Christian Marclay pour son film « The Clock ». Composé de plus de 3000 extraits de films, The Clock dure 24 heures égrénées minute par minute. Vous pouvez régler votre montre sur toutes celles qui défilent dans le film ainsi que les horloges, réveils, minuteurs, pendules qui tous marquent une minute différente…d’un jour fait de 1440 minutes.


Ce film ne raconte pas d’histoire, il enchaîne des séquences où les regards se portent sur l’heure, dans l’attente le plus souvent d’un évènement qui serait sur le point d’advenir et dont le surgissement a été programmé par le calcul, le hasard, la manipulation ou le destin. Le spectateur est tenu dans la main du réalisateur et ne peut s’arracher à cette fuite en avant dans laquelle chaque minute est une histoire à l’intérieur de l’histoire faite de toutes les minutes de la journée.

Qui s’installe devant le film devient la victime volontaire du piège de l’attente de la minute d’après. Savoir qu’elle aboutira à  la minute suivante avant que son énigme ne soit résolue ne décourage personne. Nul ne veut descendre de la grande roue du temps qui jamais n’aura tourné de manière aussi visible.

Il n’est pas exclu que le temps restitué par Marclay soit celui de l’enfance, celui où chaque seconde est vécue comme un temps autonome et long. Ceux qui ont su préserver ce temps, même sous couvert de sérieux comme Joyce dans Ulysse par exemple, auront un rapport au temps mêlant le jeu, l’exigence, la curiosité, le désir et l’envie. On leur souhaite d'avoir le même rapport au travail.

NB : Il est conseillé de visionner la vidéo à 12h04

22/10/2009

Point du jour

La Xème Biennale d'art contemporain de Lyon s'intitule "Le spectacle du quotidien". Porter un regard neuf sur le quotidien est  souvent une ambition de l'art. C'est aussi celle de l'innovation.  On peut rechercher l'innovation au quotidien. C'est le toyotisme et la méthode japonaise de l'amélioration continue. Que  surgissent les mille fleurs de l'innovation conjuguée par tous. Mais l'art contemporain emprunte aussi souvent à l'innovation à la française, c'est-à-dire au concept mis en oeuvre, à la recherche confiée au chercheur et expliquée aux autres. Qu'elle s'effectue par le haut ou par le bas, dans les deux cas on traque l'innovation.

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Days of ours lives - Hoy Cheong WONG - 2009

La recherche qui se perd dans les concepts n'a pas plus d'utilité que la stratégie des petits pas qui devient du piétinement. Le propre de l'homme étant d'opérer des mises en relation qui ne s'imposent pas a priori, il importe avant tout de concilier et d'articuler l'humilité du quotidien et l'ambition de la transcendance. Si rien n'est acquis, et qu'un échec efface mille succès, si la parole seule n'est que rarement le début de l'action, vivre la parole qui se déploie quotidiennement en acte est un bonheur et un accomplissement. Ne nous contentons pas d'être spectateurs du quotidien, soyons des acteurs pleinement investis d'un quotidien que nous n'aspirons qu'à dépasser.

19/10/2009

L'air du temps

La biennale de Venise offre un panorama international de l'art contemporain. Le lieu est splendide : les pavillons des jardins de Venise ou les ateliers de l'Arsenal constituent un cadre unique. Tous les continents sont représentés parmi les artistes. Hélas pourrait-on dire car les productions se ressemblent (trop) souvent. La sempiternelle dénonciation de tous les méfaits de notre société (consommation, violence, sexualité ramenée à la pornographie, inquisition, massification,....) conduit à un grand système dépressif dont toute joie est absente. Le pavillon français, représenté par Claude Levêque (sic) est emblématique : un univers caréral composé de cages qui enferment le visiteur et ouvrent sur des espaces sombres dans lesquels un drapeau noir isolé claque au vent. Le titre "Le grand soir" laisse à penser que ce dernier ne viendra guère où qu'il y a beaucoup de chaînes à briser pour que sa simple possibilité puisse s'établir.

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Claude Levêque - Le grand soir (partie) - Photo jp willems

L'atmosphère n'est pas différente, et l'on pourrait porter crédit de ce témoignage aux artistes si l'on ne jugeait un peu court ce seul apport, de celle que l'on peut trouver dans le monde de l'entreprise : licenciements, chômage, restructurations, suicides, souffrance au travail, stress, individualisme, cynisme, etc. Dans cet univers noir pourtant, des couleurs apparaissent. Si l'on veut bien porter son regard sur la foule des visiteurs, et non sur les oeuvres, on s'aperçoit qu'elle est plutôt joyeuse, qu'elle joue avec les oeuvres, qu'elle les réinvente en les photographiant, en posant autour, en s'amusant avec lorsqu'il est possible de toucher. Là où les artistes n'ont guère mis de sourire et de jeu, les visiteurs en apportent. Dès lors, Venise peut prendre d'autres couleurs.
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Nikola Uzunovski - My sunshine - photo jp willems

L'invitation étant faite de porter son regard au-delà, il est possible de découvrir, après être sorti de la biennale, que la ville dispose de couleurs mystérieuses et volatiles qui jouent au creux de l'eau.
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Instants colorés vénitiens - Photo jp willems

Au début du siècle, après avoir connu la première guerre mondiale, les artistes recherchaient des modes d'expression nouveaux ouvrant sur le rêve, la poésie, l'onirisme, les capacités inconnues, les correspondances magnétiques, le hasard objectif. Manifestement, empêtrés dans leur nombril et la dénonciation grave et parfois lourdement pédagogique, les artistes de ce début de siècle manquent à la fois de légèreté, d'Umour à la Jarry et de vision à partager. Croire que seul le grave est sérieux est non seulement mortifère mais une erreur. Comme le dit Pierre Peuchmaurd  à propos de Cioran : "Il ne suffit pas d'être un ronchon insomniaque pour avoir raison. Celui qui s'endort dans les fleurs n'a pas tort non plus".  Aucun rapport avec les ressources humaines ? cherchez bien, nous ne sommes que lundi.