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07/08/2012

Welcome in Vienna (3)

Comme le chantait Bijou dans les années 80, à la guerre il y a parfois des vainqueurs mais jamais de gagnant. Les après guerre ont souvent un goût amer. Pour tout le monde. Lorsqu'il y a eu occupation, comme ce fut le cas en Autriche même si elle fût largement consentie, le noir et blanc devient l'exception. Le gris devient la norme : entre ceux qui tardent à choisir leur camp, ceux qui ne choisiront jamais, ceux qui changent de camp, dans le bon ou le mauvais sens, les trajectoires se croisent et finissent par rendre illisible le monde gris dans lequel certains pensaient se battre pour le bien et  contre le mal.

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Comme en France, les américains enrôlèrent très rapidement d'anciens nazis pour entamer la nouvelle guerre qui se préparait et durerait plus de quarante ans. La guerre froide a débuté bien avant le 8 mai 1945. Et les recyclages furent aussi rapides que les exécutions qui donnent l'impression d'avoir soldé des comptes qui seront en fait bien difficile à clôturer. Que reste-t-il à Freddy dans ce champ de ruines sur lequel même l'amour a du mal à trouver sa place ? qu'espérer rebâtir sur un tel carnage ? la fragilité du monde, et plus encore de sa beauté, n'est plus à démontrer. Les russes, la realpolitik, les pogroms qui reprennent dans les villages où l'on ne souhaitait pas voir revenir ceux qui pourraient rappeler un passé que l'on veut oublier ou tout simplément à qui on ne souhaitait guère remettre ce qu'ils avaient abandonné. Pour beaucoup, le monde est devenu incompréhensible.

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Toyen - L'heure dangereuse - 1942

Vivre bien sur, pour les mêmes raisons que celles pour lesquelles on a combattu, mais avec en soi un sentiment de défaite que rien ne pourra effacer. L'écriture ou la vie écrira Jorge Semprun qui n'oubliera pas de vivre. Primo Levi y parviendra longtemps et puis plus. L'enfer c'est là où il n'y a pas de pourquoi. La force de Welcome in Vienna est de montrer à quel point, en Europe, le pourquoi a disparu pendant de longues années.

 

Note: le coffret DVD avec les trois parties sera mis en vente le 5 septembre prochain.

06/08/2012

Welcome in Vienna (2)

Pendant que l'Europe se suicide, comme Stefan Sweig et Walter Benjamin, les bateaux de migrants accostent devant la statue de la Liberté à New-York. Frerry, le protagoniste principal de la première partie, perd la vie en tentant de porter secours à une rescapée de Berger-Belsen qui, muette, se noyait sans que quiconque ne lui vienne en aide. C'est que lorsqu'on a vu le diable, tout comme Moïse après avoir vu Dieu sur le Mont Sinaï, on ne peut plus parler.

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Dès lors nous suivons Freddy, juif viennois lui aussi, qui débarque sur ce qui n'est guère une terre promise mais un lieu d'exil et de passage. Pour la plupart des migrants, ce sera Ellis Island, la quarantaine, l'accueil suspicieux et la difficile immersion dans le nouveau monde. Pour le migrant, tout est à rebâtir et les repères anciens constituent des handicaps plus que des points d'appuis. Dans un monde différent, avec un statut différent et des codes inconnus, ce que l'on était n'est qu'un fardeau dont il faut se défaire pour pouvoir être de nouveau.

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Si vous n'avez pas vu le film, procurez-vous le livre d'Alain Garrigue "Le Cirque de Dieu" où les humains, comme les plantes, reçoivent leur part d'eau et de fumier pour grandir. Vous y verrez New-York, les juifs errants, la vie et la survie et le golem qui certains jours revêt le visage du destin. Vous y verrez aussi, utile contribution au débat actuel sur les conditions de naturalisation, des juifs allemands qui récitent Walt Whitman et sont traités comme des métèques pouilleux par les américains.

Et pour savoir ce qui s'est achevé là, ce qui s'est perdu à jamais, il suffit de lire "Le monde d'hier, souvenir d'un européen" de Stefan Sweig. On y côtoie les derniers représentants de cette mittleuropa qui fut liquidée par le terreau dans lequel elle avait grandi. L'eau et le fumier. Demain troisième partie.

Ah qui apaisera ces enfants fébriles ?

Qui justifiera ces explorations sans repos ?

Qui dira le secret de la terre impassible ?

05/08/2012

Welcome in Vienna (1)

Qu'est-ce qui vous a marqué dans votre vie ? quelles rencontres ? quelles personnes ? quel voyage ? quels livres ? quels tableaux ? quels évènements ? quelles phrases ? quelles situations ? quels films ? si l'on faisait totalement confiance à la mémoire et ne se préoccupait pas trop de l'inconscient, on pourrait dessiner un portrait chinois à partir de l'identification de ce qui a véritablement compté dans notre vie. Welcome in Vienna fait partie des rares films à la persistante présente tant il est impossible de se détacher de ces images en noir et blanc. Le film, en 3 parties, est reprojeté au Reflet Médicis. Aujourd'hui, première partie : "Dieu ne croit plus en nous". Devant vous ce n'est pas une histoire que vous raconte le film mais l'Histoire à travers des histoires. Celles de tous ceux qui furent jetés brutalement en pâture à la violence et à la folie nazie mais surtout à leur cortège de lâchetés, de collaborations et de compromissions qui au final les rendirent possibles.

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Si lel film est en noir et blanc, le propos ne l'est guère. Dans les nombreux personnages qui traversent cette fuite depuis l'Autriche à travers l'Europe pour l'obtention d'un improbable visa qui permettra de partir aux Etats-Unis, en Amérique du Sud ou plus loin encore, les portraits sont contrastés, moins ambigües que chargés de toutes les ambivalences qui font l'humanité. Et tout au long des deux heures de film, à travers les situations les plus banales qui sont également les plus dramatiques, l'on sent la peur permanente du traqué qui ne se soigne guère mais s'oublie par l'action, par l'humour désenchanté des juifs de la mittleuropa, par le chacun pour soi et parfois par la solidarité.

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A ceux qui ont trouvé à redire aux discours de Chirac et Hollande sur le Vel d'Hiv on conseillera de consacrer un peu de leur précieux temps à la vision du film, et de se souvenir que l'armée et la police française ont préféré livrer aux allemands non seulement des juifs mais également des allemands antinazis ou des républicains espagnols, soit une immense majorité d'hommes et de femmes qui ne souhaitaient que prendre les armes contre ceux auxquels ont les remis. On leur conseillera d'ailleurs tout particulièrement le passage ou des policiers français raflent des juifs parce qu'ils doivent atteindre leur quota mensuel.

La force du film se trouve partout : l'esthétique des images, le jeu extraordinaire des acteurs, le montage, le contenu minutieux de chaque scène, les dialogues écrits par Georg Stefan Troller dont la vie inspira largement le scénario du film. Elle se trouve également dans l'absence de toute grandiloquence ou de surcroît d'émotion qui serait mobilisée pour défendre une cause. Le plus terrible est qu'Axel Corti ne fait que montrer dans le détail et sans pathos ce que Hannah Arendt nommait la banalité du mal. Deuxième partie demain.

04/08/2012

Ce jour-là, cette année-là

Il y a tout juste cinquante ans, le 4 août était un samedi. Ce jour-là Norma Jeane Baker cessa d'être et Marilyn Monroe disparut avec elle. Restent les films, les photos, les écrits, les dessins, les témoignages et tout un fatras. Reste cette photo.

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Si vous pensez qu'il est impossible de s'installer sur une planche étroite pour lire Ulysse de Joyce et que tout cela sent le posé, vous pouvez revoir Les hommes préfèrent les blondes, vous ne serez pas déçu. Vous pouvez aussi imaginer qu'elle vient de lire ceci  :

"Il est peut-être moins douloureux d'être tiré du ventre maternel que d'être tiré d'un rêve. Tout objet considéré avec intensité est une porte d'accès possible à l'incorruptible éon des dieux."

Et que le désir de ne pas quitter le rêve fût peut être plus fort que tout autre le 4 août 1962. Le lendemain matin, et les autres jours, personne ne l'a tirée du rêve.

25/07/2012

Double regard

Il est toujours possible de voir une ville à la manière dont Yann Arthus-Bertrand voit le monde : de haut, en couleur, avec effet spectacultaire garanti et en guise de commentaire quelques statistiques qui achèvent de faire disparaître l'humain du paysage. Ici par exemple, vous êtes monté en 40 secondes au 94ème étage et vous pouvez apercevoir l'ancienne plus haute tour du monde, avant que la Chine et le Moyen-Orient n'entrent dans la compétition, sachant que vous êtes vous même au sommet de la plus haute tour du monde d'appartements.

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Une fois redescendu, le spectacle est un peu différent. Vous pourrez par exemple constater qu'en 2012 il y a toujours des noirs avec des chapeaux coloniaux qui chargent les valises des blancs et ferment pour eux la portière.

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Vous pouvez également être frappé par le nombre d'obèses dans les rues, de tous âges y compris très jeunes. Dans ce temple de la consommation qu'est Chicago, et plus globalement les Etats-Unis, l'obésité est un symbole facile mais bien réel de ce trop plein de tout qui finit par vous déposséder de vous même et devient un handicap.

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Dans le dernier film de Leos Carax, Holy Motors, Michel Piccoli prononce cette phrase : "On dit que la beauté est dans l'oeil de celui qui regarde" à laquelle Denis Lavant répond : "Mais alors s'il n'y a plus personne pour voir ?".

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Rashid Johnson, exposé au Musée d'Art Contemporain de Chicago, y voit. Double. Parce que l'on se voit aussi à travers le regard des autres. Je vous fais face, mais mon côté droit est le gauche pour vous. Lequel est le vrai ? Le plus troublant est que ses doubles portraits sont parfois ceux d'une même personne, parfois pas. Une autre manière d'exprimer le Je est un autre de Rimbaud et de créer un lien entre un jeune français de province du 19ème siècle et un citadin noir américain. Comme quoi la singularité n'est pas fondamentalement incompatible avec la mondialisation. Il s'agit juste de savoir depuis où et sous quel angle on souhaite aller y voir.

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03/03/2012

Enigme du monde d'avant

En 1966, Jean-Luc Godard tourne Masculin/Féminin, avec Chantal Goya et Jean-Pierre Léaud. Aux deux tiers du film, trois cartons apparaissent à la manière de films muets avec ces textes : Ce film pourrait s’appeler/Les enfants de Marx et de Coca-Cola/Comprenne qui voudra.

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Peut-on, comme cette peinture cubaine, en  conclure que si Che Guevara et Marylin avaient eu un enfant, il aurait été Andy Wharol ?

Comprenne qui voudra (un indice : sur la peinture, Marylin a un petit côté Thatcher).

06/01/2012

De la liberté syndicale

Les partenaires sociaux viennent de tenir la 17ème séance de négociation sur la modernisation du paritarisme. Il en reste 2. Au terme de 19 réunions, peut être sera-t-il possible de fixer quelques principes qui pourront s'appliquer aux organismes paritaires qui ont en charge la gestion d'une activité d'intérêt général. Dans les quelques points d'achoppement subsistant, figure le recours à des audits externes pour évaluer l'action des organismes paritaires. Pour certaines organisations, cette évaluation externe manque de légitimité et ne saurait remettre en cause des choix politiques. Circulez, rien à évaluer. On peut penser que c'est l'une des raisons majeures qui ont conduit au recul du paritarisme dans notre pays ces dernières années : l'incapacité des partenaires sociaux à s'imposer la transparence et l'évaluation, le recours permanent à l'argument du "politique" pour s'affranchir de toute exigence d'efficacité et au final la conviction que disposant d'une légitimité naturelle, les organisations représentatives d'employeurs et de salariés n'auraient pas à se légitimer par leurs résultats. C'est cette conviction qui constitue le somnifère qui anesthésie le paritarisme pendant que l'Etat procède à sa lente mais certaine liquidation. Suggérons aux responsables syndicaux de bien regarder cette image.

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Anna Karina est une femme libre. Elle peut donc faire face, avoir le regard direct et assumer pleinement ce qu'elle fait, en toute liberté. Libre et donc responsable, libre parce que responsable. Et pour avoir le regard de la liberté il ne faut pas craindre le regard d'autrui.

La liberté  des organisations patronales et syndicales ne se trouve pas dans l’opacité ou dans le dogme de la légitimité naturelle qui ne s’évaluerait que lors des élections sur le modèle politique. La démocratie sociale, ce n’est pas une forme bis de la démocratie politique, ce sont d’autres pratiques et d’autres responsabilités. Car rendre des comptes c’est être responsable, être responsable c’est exercer sa liberté.

06/11/2011

Du temps au travail (1)

En cette période où les jours fériés viennent briser le rythme du temps reproductible que le passage à l’heure d’hiver avait déjà malmené, les repères temporels s’estompent dans les brumes d’un automne attentif à demeurer une saison de transition. Les chroniques de la semaine seront donc consacrées au temps, qui est tellement lové au cœur du travail que toute réponse sur votre rapport au temps vous apprendra autant sur votre rapport au travail.

 Prenons comme point de départ le Lion d’Or de la biennale de Venise attribué à Christian Marclay pour son film « The Clock ». Composé de plus de 3000 extraits de films, The Clock dure 24 heures égrénées minute par minute. Vous pouvez régler votre montre sur toutes celles qui défilent dans le film ainsi que les horloges, réveils, minuteurs, pendules qui tous marquent une minute différente…d’un jour fait de 1440 minutes.


Ce film ne raconte pas d’histoire, il enchaîne des séquences où les regards se portent sur l’heure, dans l’attente le plus souvent d’un évènement qui serait sur le point d’advenir et dont le surgissement a été programmé par le calcul, le hasard, la manipulation ou le destin. Le spectateur est tenu dans la main du réalisateur et ne peut s’arracher à cette fuite en avant dans laquelle chaque minute est une histoire à l’intérieur de l’histoire faite de toutes les minutes de la journée.

Qui s’installe devant le film devient la victime volontaire du piège de l’attente de la minute d’après. Savoir qu’elle aboutira à  la minute suivante avant que son énigme ne soit résolue ne décourage personne. Nul ne veut descendre de la grande roue du temps qui jamais n’aura tourné de manière aussi visible.

Il n’est pas exclu que le temps restitué par Marclay soit celui de l’enfance, celui où chaque seconde est vécue comme un temps autonome et long. Ceux qui ont su préserver ce temps, même sous couvert de sérieux comme Joyce dans Ulysse par exemple, auront un rapport au temps mêlant le jeu, l’exigence, la curiosité, le désir et l’envie. On leur souhaite d'avoir le même rapport au travail.

NB : Il est conseillé de visionner la vidéo à 12h04

16/08/2011

Paresse de la comparaison (1)

Les rapprochements improbables sont souvent source de connaissance nouvelle. Le mariage de la machine à coudre et du parapluie, célébré par Lautréamont, a ouvert à la poésie, c'est à dire à la vérité, d'innombrables voies vers des terrae incognitae.

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Man Ray - 1935

Pour autant, il est des comparaisons qui loin d'enrichir le propos le réduisent à une superficialité qui fait perdre le sens des mots et donc des choses.

Ainsi, le vocabulaire informatique est utilisé pour décrire à moindre frais la nature humaine : "Ce souvenir est resté gravé sur mon disque dur", "Il faut qu'il change de logiciel parce qu'il ne comprend rien à ce genre de situations", "Il a buggé, il ne sait plus ce qu'il raconte", "J'ai beau répéter les choses, il ne connecte pas", "Lui, je l'ai scanné, j'oublierai pas sa tête". C'est à l'univers de Métropolis que de telles expressions nous ramènent.

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La mémoire n'est évidemment pas un disque dur, pas plus que l'inconscient. Et le cerveau est l'exact opposé d'un logiciel. Pourquoi ? en vrac parce qu'aucun élément n'est inerte, parce que la mémoire, l'inconscient et le cerveau vivent, évoluent, se transforment, se modifient. Le souvenir fluctue avec le temps, se perd ou se créé, les modes de penser, de raisonner, d'agir sont façonnés par le temps et les évènements. Bref, du vivant et non de la machine.

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Non seulement le vocabulaire informatique ne nous apprend rien de l'humain mais il nous en éloigne et nous fait perdre en compréhension. L'homme n'est programmé que pour apprendre : comme on ne se baigne jamais dans le même fleuve, on est jamais exactement le même tous les jours. Votre ordinateru a beau avoir une mémoire vive, il n'en a pas de vivante.

10/05/2011

La meilleure formation

A l'entrée de la superbe exposition que la Cinémathèque consacre au monstre Stanley Kubrick, une phrase vous accueille : "La meilleure formation, pour faire un film, c'est d'en faire un". Pour qui aime les lumineuses synthèses, la phrase est comme un éclair dans un ciel bleu. Certes, on pourrait moquer la sentence et lui trouver un côté bidasse : "La meilleure façon d'marcher, c'est encore la noooootreeeeuuuu ! c'est de mettre un pied d'vant l'ooooootre et d'recommencer !". Ou encore le côté ricain agaçant sans complexe et dans l'action jusqu'au cou : "Just do it". On pourrait, sauf que l'on ne peut pas compte tenu des films que Kubrick a fait et de la manière dont il les a fait.

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La manière, c'est essentiellement deux choses. Les films de Kubrick sont tous différents, empruntent tous à des genres différents, mais les thèmes kubrikiens y sont constamment présents sans jamais être répétés. La fidélité et la constance dans le mouvement permanent.

La deuxième chose c'est le souci de la technique, c'est la maîtrise mathématique du story-board, du script, de la prise de vue, le bricolage des optiques, l'invention d'effets spéciaux, la fabrication d'images avec la rigueur et la précision d'un travail de titan. Et cette maîtrise technique exceptionnelle, cet ouvrage sans cesse remis sur le métier, conduit à la plus grande liberté, à une éblouissante créativité et à l'innovation permanente. Kubrick ou le méthodique en liberté. Les grands peintres ne disent pas autre chose, ne font pas autre chose : peindre, peindre, peindre. Pour arriver à se libérer de la peinture et peindre enfin.

Voilà pourquoi, la meilleure formation pour faire, c'est de faire, avec la fidélité dans le mouvement et la liberté dans la rigueur.

L'exposition se visite et s'apprécie jusqu'au 31 juillet.

28/01/2011

Acteur dirigé

L'exposition Basquiat, initialement présentée à Bale, est visible au Musée d'art moderne  de Paris jusqu'au lundi 30 janvier. On peut y apprécier la redoutable créativité d'un jeune homme qui fut un véritable citoyen du monde tant la mixité culturelle lui est naturelle. Aux frelatés de l'identité nationale on conseillera de réserver une paire d'heures ce week-end pour s'ouvrir les chakras.

La visite de chaque toile est un voyage dans les couleurs, le mouvement, les symboles, les associations, comme l'on avancerait dans un livre avec le plaisir d'en parcourir les pages et le désir qu'il ne finisse jamais.

Parmi les surprises qui ne manquent jamais de surgir en de telles occasions, celle-ci. Au détour d'une toile une caméra qui filme un "subject". La surprise vient du fait que la caméra doit plutôt filmer des acteurs, mais voici que le dit acteur est ici réduit au rang de sujet.

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Jean-Michel Basquiat - Zydeco - 1984

Cette position de l'acteur devenu marionnette-sujet sous le pinceau de Basquiat interroge alors que depuis 2003-2004, il n'est question dans les textes législatifs ou conventionnels consacrés à la formation que de "salarié acteur". Que fait l'acteur dans un film ? ce que lui demande le metteur en scène, qu'en anglais on nomme le Directeur d'acteurs. Etre acteur c'est évidemment être dirigé et jouer un rôle. Pour ceux qui pensaient qu'être acteur renvoyait à plus d'autonomie traduite par une prise en compte des motivations personnelles et la reconnaissance de chacun, il est vraiment nécessaire de faire un détour par l'exposition Basquiat avant lundi pour apprécier le lapsus sémantique qui se cache derrière la notion de salarié acteur.

21/01/2011

Les jeunes à la niche, mais pas tous

On pensait que le Harry Potter Gouvernemental, je veux parler de François Baroin, traquait sans répit les niches fiscales et les vidait systématiquement de leur contenu. Après la suppression de l'exonération des intérêts d'emprunts et des avantages fiscaux des jeunes mariés, on se demandait à qui le tour ? et bien pas aux jeunes qui peuvent tranquillement continuer à occuper leur niche et à visionner, par exemple, les films de Marco Ferreri.

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Une instruction fiscale du 6 janvier 2011 vient confirmer deux avantages fiscaux réservés aux jeunes. En premier lieu, les salaires des apprentis sont exonérés d'impôt dans la limite d'un SMIC brut, soit 16 125 euros par an, ce qui est particulièrement intéressant quand on se souvient que le salaire de l'apprenti est net de cotisations salariales. Un apprenti peut donc être payé plus que le SMIC sans payer d'impôt ce qui est une bonne nouvelle pour lui...ou pour ses parents. Sont également exonérés, dans une moindre mesure puisque la limite est fixée à 4031 euros par an, les étudiants qui exercent des emplois salariés pendant leurs études. Encore faut-il être jeune,  c'est à dire avoir moins de 26 ans puisque telle est la limite officielle de la jeunesse.

Et remarquons que les jeunes titulaires d'un contrat de professionnalisation, bien que jeunes, ne bénéficient d'aucune exonération et paieront leurs impôts sans avoir droit à la niche, ce qu'ils regretteront encore plus en visionnant les films de Marco Ferreri.

12/01/2011

Liberté d'Emmanuelle

Tirée des Essais, cette phrase de Montaigne : "C'est exister, ce n'est pas vivre que de se tenir attaché et lié nécessairement à une seule façon d'être". Et de compléter : "Les plus belles âmes sont celles qui ont le plus de variété et de souplesse...ce n'est pas être maître de soi, c'est en être esclave, que de se suivre sans cesse et d'être prisonnier de ses inclinations au point qu'on ne puisse s'en écarter, qu'on ne puisse les tordre pour les modifier."

Dans son film intitulé "Sylvia Kristel - Paris", Manon de Boer met en scène l'actrice néerlandaise pour un portrait qui évoque, de manière parcellaire et un peu décousue, avec des blancs à l'écran, l'arrivée à Paris de celle qui fut, à la fin des trente glorieuses, un des symboles de la liberté sexuelle. Trente ans plus tard, une femme nous regarde, parle, fume une cigarette, évoque une époque bien lointaine.

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Manon de Boer - "Sylvia Kristel - Paris" - 2003

"Une expérience vécue n'est jamais stable" nous dit Marion de Boer. Et de fait tout portrait est toujours "a work in progress". Pas linéaire, comme le portrait de Sylvia Kristel avec son récit subjectif, ses blancs, ses silences, ses trous de mémoire, et ainsi se poursuit sans fin l'histoire vécue. Le film est l'histoire d'une impossibilité à rendre compte de la totalité d'une personne, même si le portrait réalisé par Irina Ionesco s'approche de ce que pourrait être, à un instant, la vérité de l'être.

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Irina Ionesco - Sylvia Kristel - 1978

La liberté de Sylvia Kristel, et la notre, ce n'est pas la liberté de moeurs d'Emmanuelle, c'est la liberté de rester Sylvia Kristel et de n'entretenir que de lointains rapports avec Emmanuelle tout en restant définitivement celle qui devint un mythe. Montaigne à nouveau pour terminer, qui aimait citer et qui nous propose cette phrase de Caton l'Ancien : "Il avait l'esprit si souple pour se plier également à toutes occupations que, quelle que fût celle qu'il prît, on aurait dit qu'il était né uniquement pour elle".

06/01/2011

Intensité

La scène est une des plus belles du cinéma. Plus mythologique encore que mythique : la femme qui fait croquer la pomme, l’envol des oiseaux, le bruissement du vent dans les arbres, le burlesque qui devient tragédie, le rire, l’amour, la mort. En deux minutes de cinéma, la tragédie grecque, l’amour romanesque et le polar hitchcockien vous sont livrés pour votre plus grande stupéfaction. Arthur Penn ou l’art de la synthèse, qui est un art de la beauté et de la vitesse. Allez y voir vous-même si vous ne me croyez pas.
 



Juste avant que le rideau ne soit tiré, l’échange de regards entre Bonnie and Clyde. Difficile de donner plus d’intensité et plus de vie qu’à ces regards. Regardez mieux, Faye Dunaway sourit. Il faut se méfier des généralités mais souvent en amour le tragique n’est pas du côté de la femme comme on voudrait le faire croire.

Est-il possible d’avoir cette intensité en d’autres occasions ? est-il possible d’éprouver aussi fortement la vie qu’au moment de la perdre ? le quotidien, la banalité des jours et des nuits ne sont ils pas d’insurmontables obstacles ? l'intensité peut-elle avoir raison du temps ? la réponse est aussi dans la scène, et doublement. Il n’est d’intensité sans une certaine clandestinité. La complicité avec soi, et avec l’autre, garantit la complicité dans le monde. Et puis la pomme. Croquer  tous les matins une pomme en riant, et mieux encore la partager ouvre, contrairement à la légende, les portes du paradis.

 Quel rapport avec la formation ou  le travail ? à votre avis…

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12/09/2010

Il n'est jamais trop tard

Non ce n'est pas une chronique sur la réforme des retraites, quoi que, mais sur la manière de qualifier. Le prétexte en est fourni par le buzz musical et cinématographique de la rentrée : BENDA BILILI  ou comment des polyomyélites congolais dormant sur des cartons à Kinshasa et répétant dans un zoo deviennent un groupe musical qui fait des tournées mondiales. Cela pourrait avoir des allures de conte de fées ou d'illustration facile du "Tout est possible" ou du "Qui veut peut". Il n'en est rien. La même histoire est rêvée tous les jours par des milliers d'individus qui ne parviendront jamais à faire entrer leurs rêves dans le monde extérieur. Sans pour autant avoir moins de talent ou de détermination que le Staff Benda Bilili. Quelle différence ? une rencontre improbable à un moment donné entre des musiciens paumés et deux réalisateurs de films qui ne le sont pas moins. Une certaine manière de saisir le hasard donc. Mais surtout cette forme d'énergie si particulière qui ne se rencontre que chez ceux qui n'ont pas peur, ni du quotidien, ni de la vie, ni d'autrui, ni d'eux-mêmes, et qui entreprennent sans penser à ce qu'ils pourraient perdre mais uniquement à ce qui peut leur arriver de meilleur. Avec comme slogan cette phrase qui donne une des meilleures chansons de l'album et du filme : "Dans la vie il n'est jamais trop tard".

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Parmi les nombreuses scènes d'anthologie du film, on retiendra particulièrement :

- Un enfant qui bricole un santonge, instrument de musique associant boîte de conserve, fil et bout de bois courbe, et quitte l'école dès le premier jour en expliquant à ses parent que ce n'est pas l'école qui le mènera en Europe mais sa boîte à musique ;

- Le même qui écoute le discours moralisant et culpabilisant de sa famille avant sont départ pour l'Europe et les quitte d'un "Je vous remercie de vos conseils" ;

- Le responsable du groupe qui, depuis son fauteuil, prend à partie un moqueur en lui expliquant qu'il ne fait rien de sa vie et n'a donc pas de leçon à lui donner ;

- Le sentiment partagé par tous que tout est tragique et que c'est une bonne raison pour traverser la vie avec une certaine insouciance puisqu'on y peut rien. Ou comment un certain sentiment de fatalité est la clé de la liberté.

 

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Et si vous n'avez pas complètement oublié pendant le film que vous vous occupez de ressources humaines, vous pourrez vous demander après coup si, pour parler des BENDA BILILI, vous utilisez prioritairement l'expression "Groupe de handicapés", "Groupe de congolais" ou "Groupe de musiciens". Et si vous choisissez une combinaison, reste à déterminer l'ordre et le nombre de qualificatifs : "Groupe de handicapés congolais musiciens" est possible mais "Groupe intergénérationnel de passionnés" également. La manière de qualifier autrui peut ainsi en dire plus sur soi-même que sur les autres.