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02/03/2010

Libre cours

Dans les rues de Grenade, elles accompagnent vos déambulations. Au détour d'une rue, d'un passage, d'un angle de mur les peintures murales s'amusent de votre surprise et vous proposent clins d'oeil et ouvertures de champs.

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Fatiguée de rencontrer des réponses, j'ai décidé de changer mes questions

Pourquoi Grenade ? autant qu'il m'en souvienne la ville a toujours été un théâtre ouvert et disponible aux graffeurs et les peintures font partie de l'identité de Grenade, comme un écho aux habitations trogoldytiques du Sacromonte. Juste pour se souvenir que peindre les murs est immémorial et profondément humain.
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Les mots se perdent irrémédiablement

Pourtant, la peinture murale fait débat à l'occasion de la condamnation d'un artiste qui a peint un mur sans autorisation municipale, car ici aussi il est des autorités qui considèrent que la liberté doit avoir ses espaces autorisés. En réponse, on voit chez les commerçants des affichettes "Ici nous soutenons les graffitis".
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En souvenir de Chimène peut être ? et parce que le rêve est ce qui rend la réalité possible. Rappelons qu'en France également la peinture murale est un délit.
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On connaît les termes classiques du débat : de la peinture murale artistique pourquoi pas dans les endroits qui s'y prêtent,  mais ces signatures graffitées qui envahissent l'espace et n'expriment aucun talent, non. Petit problème : la créativité ne s'exprime ni à jour ni à lieu fixe. Et le n'importe quoi peut être le chemin qui mène à l'oeuvre.
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Mais comme il fut un temps où les coquineries de Miss Van dérangeaient les autorités toulousaines, peut être cette liberté de laquelle tout peut surgir fait elle peur. Faut-il avoir perdu son âme d'enfant pour craindre qu'en laissant libre cours à leur imagination quelques peintres ne transforment le monde en une libre cour récréative.

Et les ressources humaines dans tout cela ? laisser libre cours à la créativité des salariés en prenant parfois le risque du n'importe quoi ? allons, allons, l'entreprise n'est pas une cour de recréation, retournez à vos petits dessins pendant que nous accomplirons, nous, le grand dessein. J'y cours !

26/01/2010

Effet Pygmalion

Pygmalion, roi de Chypre et sculpteur, devient fou d'amour pour une statue de femme à laquelle Aphrodite donne vie et qui recevra ultérieurement le nom de Galatée. Tirée de la mythologie, la fable permet d'illustrer le pouvoir du regard sur autrui : l'amour du sculpteur parvient ainsi à donner véritablement vie à la femme de marbre. En pédagogie, l'effet Pygmalion a fait l'objet de nombreuses expériences dont la première a été conduite par Rosenthal en 1964. Dans une classe, des élèves sont soumis à un test qui est censé désigner les élèves à fort potentiel. En réalité, le test est factice et les élèves sont désignés de manière aléatoire mais signalés aux enseignants. L'année suivante, les résultats de ces élèves sont supérieurs de 20 % en moyenne à ceux des autres élèves. Le regard de l'enseignant, comme celui de Pygmalion, a donc le pouvoir de produire un résultat spécifique.

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Paul Delvaux - Pygmalion

Lorsque le législateur élabore une norme, il cède parfois à la tentation de tenter de limiter les possibilités de détournement ou de mésusage. Ce faisant, il porte sur l'utilisateur potentiel un regard de défiance qui ne manquera pas de produire ses effets : devant tant d'efforts, comment résister à la tentation et au plaisir, ludique ou sportif au  choix, de trouver la faille d'une construction qui se veut forteresse et que l'on se plaira à rendre château de sable. Mais laissons le  législateur a ses turpitudes et souvenons nous simplement que la nature du regard porté a parfois le pouvoir de donner vie.

12/01/2010

Les pieds dans le Tapie

Plusieurs lecteurs de ce blog m'ont signalé que la chronique intitulée "ordre et des ordres" était tronquée et peu lisible. Dans cette chronique il était question de Pierre Tapie et de ses considérables propos sur la sélection à l'entrée des grandes écoles. La chronique est reproduite ci-dessous. Pourquoi revenir sur Pierre Tapie ? parce qu'à l'occasion du discours prononcé par Nicolas Sarkozy a Supelec, il a bravement déclaré : "Je partage tout ce qu'à dit le Président de la République, tout son discours". S'il ne l'a déjà, cet homme mérite la Légion d'Honneur. Et enfonçant le clou de la rébellion, le même poursuit : "Il n'y a aucun tabou sur les concours, mais pour entrer dans une école de grammaire, il faut être bon en grammaire". En l'occurence, plutôt en Maths s'agissant des grandes écoles françaises. Cette remarque, qui pourrait fleurer le bon sens, est pourtant terrible. Elle symbolise le confort des grandes écoles qui par la sélection se protègent et s'évitent d'innover pour faire progresser ceux qui ont le plus besoin de l'école, elle justifie que la sélection par les maths soit le mode de production des hauts dirigeants qui n'auront jamais que du management à accomplir et elle acte que les grandes écoles entérinent une hiérarchie déjà établie et qu'elle ne se donne aucunement les moyens de bousculer. Comme les Ambassadeurs d'Holbein, Pierre Tapie engoncé dans la vérité de son statut ne voit pas qu'il appartient à un monde ancien dont la disparition s'affiche pourtant sous ses yeux.

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Hans Holbein - Les Ambassadeurs

A l'opposé de ce monde clos et fermé proné par Pierre Tapie, une nouvelle citation de Michel Serres, dangereux révolutionnaire  et grand subversif comme on le sait, extraite de son dernier opus : "Temps des crises" : "...toute hiérarchie se fondait sur la rétention de l'information, sur le verrouilage d'une rareté : sacrements, règles de droit, généalogie des familles, maniement des armes, expertis et tour de main, ....La hiérarchie, c'est ce vol. Tout au contraire, la démocratie advient dès la révélation des mystères, d'abord ; dès la divulgation des secrets par la suite ; enfin dès une vulgarisation universelle...La liberté c'est l'accès, non seulement l'accès possible, mais l'intervention active". Comment mieux définir la finalité de l'éducation et le sens même du métier de formateur ?
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Ordre et des ordres

Il y a quelques années, lors d'un colloque organisé à Toulouse et consacré à l'insertion professionnelle, un prestigieux intervenant, directeur de la prestigieuse école d'ingénieurs de Purpan, avait doctement énoncé qu'il était vain que des africains viennent faire des études longues et des thèses en France alors que leur pays manquait de techniciens. Et à ceux qui étaient ébahis de tels propos, il avança cet argument scientifique : il avait lui-même pris, en Afrique, un taxi conduit par un thésard qui n'avait pas trouvé d'autre emploi. Quelques années plus tard, le prestigieux personnage occupe un poste encore plus prestigieux puisqu'il est président de la Conférence des Grandes Ecoles (CGE) et qu'il se bat mordicus pour maintenir les concours, ne pas galvauder le niveau en accueillant plus de boursiers et, filant la métaphore et démontrant sa vision fine de la société française il déclare : "Imaginerait-on un quota de CSP++ dans l'équipe de France de foot ?  Ou un quota de boursiers dans l'équipe équestre de sauts d'obstacle ?". Voilà quelqu'un qui a manifestement intégré la notion de classe sociale. Pierre Tapie, puisque c'est de lui qu'il s'agit, aurait sans doute apprécié l'exposition qui se tient à la Pinacothèque de Paris consacré à l'âge d'or de la peinture hollandaise.

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Vermeer - La lettre d'amour

Ce n'est pas tant les peintures qui portent à croire que Pierre Tapie trouverait son plaisir chez les peintres hollandais, mais les textes empesés et pompeux qui accompagnent l'exposition et veulent voir dans toute trace de lumière présente sur la toile une manifestation divine, et non de la lumière, tout en proclamant de manière absurde que Rembrandt est le plus grand peintre de l'histoire. Ce goût de la hiérarchie plaira à Pierre Tapie et à ses correligionaires, et il me revient en mémoire cette DRH d'HEC expliquant que dans une grande école la VAE n'avait aucun sens. Et c'est chez ces humanistes proclamés que sont formées les élites de demain. Pour terminer, on peut estimer que Pierre Tapie n'aimerait pas la peinture de Clovis Trouille et le mélange des genres, raison suffisante pour vous offrir cette illustration. Une dernière chose : ne dites pas à Pierre Tapie qu'Albert Camus aimait le football, ni que Villepreux est un intellectuel, cela ferait désordre pour quelqu'un qui préfère les ordres.

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Clovis Trouille - Chez la princesse et le tzigane - 1962

09/12/2009

Formateur périphérique

« Vive les vacances ! Fini les pénitences ! Les cahiers au feu, la maîtresse au milieu ! ». On connait la comptine aux paroles cruelles, qui délecte d'autant plus les enfants. Elle marque le début des vacances et pourrait bien constituer le seul moment où l'enseignant se retrouve au centre. Les récurrents débats sur l'autorité du maître, le respect du à son savoir disciplinaire et sa fonction d'enseignant ramenée à celle de raconteur, avec plus ou moins de talent, à une assemblée muette qui doit faire son miel de l'interminable discours et avoir le plaisir de poser des questions qui font valoir le maître dans les quelques interstices qu'il veut bien laisser, ces débats donc devraient être dépassés. La place de l'enseignant ou du formateur n'est pas au centre, au milieu, mais à la périphérie. Tournant autour du groupe, il peut l'observer et voir chacun. Passant des commandes, engageant à produire, apportant des informations, livrant des connaissances, invitant à en découvrir d'autres, imaginant des apprentissages, réagissant aux initiatives, découvertes et productions, le formateur, le maître, le professeur ou l'enseignant, selon la terminologie qui vous convient, n'oublie pas qu'il est au service de chacun et de tous et qu'il est là pour développer l'autonomie et non apprendre à exécuter. Il sait qu'à chaque instant son savoir est relativement plus pauvre compte tenu de la production incessante des connaissances. Il sait qu'il ne peut  lutter avec la technologie et les bibliothèques pour les apports d'information. Il sait que son travail est pédagogie.

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Jacques Courtejoie - Sans titre

Jacques Courtejoie est un enseignant belge dans une école des Beaux-Arts. Il enseigne la photo. Ou plutôt enseignait. Car il consacre aujourd'hui l'essentiel de son temps à rephotographier en polaroïd des tirages multiples entreprosés qu'il retravaille ensuite à l'encre et à la peinture, puis qu'il épingle au fond du boîte noire tendue de velours. Tous ses fantasmes, tout son imaginaire et son visage également sont présents dans ses oeuvres à forte connotation autobiographique. Jacques Courtejoie s'est placé au centre de son oeuvre. Et même si ses travaux constituent des balises précieuses pour ses anciens étudiants, en se plaçant au milieu de manière logique et cohérente il a cessé d'être enseignant.

23/10/2009

Sérendipité

La trouvaille heureuse ou le hasard innovant, telle pourrait être la définition de la sérendipité. Même si le terme peut prendre des acceptions différentes selon les domaines, il traduit l'idée que l'on peut trouver ce que l'on ne cherche pas et que le hasard place parfois sur notre route des découvertes qu'il nous appartient de ne pas négliger. Il peut s'agir, par exemple, de diapositives qui ont supporté pluie, chaleur et froid dans un grenier et en ont profité pour offrir un festival de couleurs grace à une sarabande improbable de la gélatine.

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La loire à loisir - Photo jp willems

Ou encore d'une photographie errative de reflets dans un canal vénitien, par jeu dans un instant de disponibilité au temps, qui se transforme en tableau de Miro ouvrant des espaces poétiques inattendus.
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Les belles passantes - photo jp willems

Mais comment favoriser la sérendipité ? tout d'abord par l'action. Il n'y a de hasard que dans l'action. Ensuite par la disponibilité, encore faut-il voir et être prêt à voir ce que l'on n'attend pas. Enfin par la généralisation du singulier. Confronté à un évènement unique, il s'agit d'entrevoir la possibilité qu'il ait une portée autre qu'éphémère et de ne pas le réduire à l'instant de sa première production. Une action disponible et singulière, voilà qui est peut être l'explication de la phrase apparemment provocatrice de Picasso : "Je ne cherche pas, je trouve". A vous de jouer en profitant d'un week-end un peu plus long qu'habituellement. Une heure à perdre ? essayez la sérendipité.

07/09/2009

Faire confiance

Entendu ce matin l'angoisse d'une mère après la fermeture d'un lycée en région parisienne pour cause de grippe : "Les enfants on sait bien que s'ils n'ont personne derrière eux, ils n'apprennent pas. Cette semaine il va lire un peu mais c'est une semaine perdue....". Voici l'école ramenée à ce qu'elle demeure dans bien des esprits : une caserne où l'apprentissage ne s'effectue que sous contrainte. On s'étonnera ensuite que toutes les enquêtes démontrent que les enfants s'ennuient à l'école. La grippe et pourtant l'occasion de faire évoluer le modèle : mise à disposition de ressources, dialogue entre l'élève et l'enseignant, apprentissage par l'expérience, chemin vers l'autonomie...Mais tout ceci n'est possible que si dès le début l'autonomisation est au coeur du projet et des méthodes, sinon en plaçant en situation d'auto-apprentissage quelqu'un qui n'a jamais été confronté à cette situation, vous le conduisez  inévitablement à l'échec qui renforcera vos convictions que décidément, on ne peut faire confiance.

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Dado - L'école - 1960

Cette suspicion a priori ne s'arrête pas à l'école. Elle a également cours dans l'entreprise : la France est un des pays occidentaux où le travail à distance est le moins développé et le peu de confiance placé dans le salarié n'y est sans doute pas étranger, pas plus que le besoin de contrôle. Saluons à cette occasion l'accord signé chez Alstom au mois de juillet dernier sur l'articulation entre la vie privée et la vie professionnelle. Un accord qui vise à responsabiliser et non à infantiliser mérite d'être salué : l'entreprise met en place des outils pour un meilleur confort de travail. Managers et salariés, il reste à vous faire confiance et à ne pas en démériter.

04/09/2009

Prendre sans attendre

Courte chronique de soir de déplacement, tenant en un principe : l'instruction comme la liberté ne se donne pas, elle se prend. Si vous avez reconnu Jacques Rancière, il s'agit pour vous d'une évidence, et si vous ne l'avez pas reconnu, cela peut ne rien enlever à l'évidence.

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Coldplay - Liberté guidant le peuple

Veillez donc à prendre, vous pourrez vous surprendre à vous éprendre !

03/09/2009

Eloge du mouvement

L'hyperactivité est considérée comme une qualité chez les présidents de la République et comme un défaut, voire une pathologie, chez les enfants. Sans doute faut-il distinguer le bougisme, la trépidation et la trépignation du véritable mouvement, celui dans lequel on peut s'établir et qui nous donne la satisfaction de la beauté du geste. Dans "La Montagne de l'âme", cette phrase de Xao Xingjian : "La vie n'a, à l'origine, aucun but : il suffit d'avancer. C'est tout !". Perdus dans la forêt, les frères du Petit Poucet sont condamnés à périr par immobilisme. La décision d'avancer les sortira d'affaire.

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Johannes De Flandres - Délivrance - 2009

Loin de moi l'idée de penser que celui qui n'avance pas recule. Comme le dit Jean-Marie Luttringer, faire demi-tour c'est déjà aller quelque part ! Les chercheurs pourraient nous enseigner que la découverte suppose que l'on ne sache pas précisément où l'on veut aller, sinon il ne s'agirait que de vérifier mais pas de découvrir. La véritable innovation suppose une certaine part d'errance. Voilà qui permet peut être de comprendre cette phrase de Rousseau dans Emile ou de l'Education : "Oserais-je exposer ici la plus grande, la plus importante, la plus utile règle de toute l'éducation ? ce n'est pas de gagner du temps mais d'en perdre". Si cette phrase vous demeure obscure ou vous paraît paradoxale, prenez le temps d'en perdre pour en trouver le sens.

25/08/2009

Le myope voyant

Lucien Clergue présente à Arles, à l’Abbaye de Montmajour dans le cadre des Rencontres de la Photographie, qu’il a fondées il y a 40 ans, des photos de corrida et de nus superposées à des peintures, souvent religieuses. La double exposition du film n’aboutit pas à la fusion des images, comme le ferait l’informatique, mais à une image unique porteuse de ses propres émotions, références et lumières. Une photo est-elle autre chose que de la lumière projetée et le regard du photographe une manière personnelle d’éclairer le monde ?

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Lucien Clergue - La chute des anges

Lucien Clergue est myope. Très myope. Il porte de lourdes et peu esthétiques lunettes. Il y voit donc mal. Voilà pourquoi il nous aide à voir et nous dévoile.

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Jocaste ensorcelée                        La passion de Saint-Martin

L’invitation de Lucien Clergue, au-delà de la promenade esthétique, corporelle et fantasmatique à laquelle il nous convie avec ses photos en devient plus profonde : utiliser nos limites pour bousculer nos limites, faire de nos handicaps des atouts ou encore refuser de subir pour mieux s’approprier. Le plaisir, avec Lucien Clergue, est aussi pédagogique.

19/08/2009

Vive l'école moderne !

Il y a tout juste 100 ans, Francisco Ferrer était fusillé, debout et non à genoux comme le voulait l’usage, pour avoir participé à l’insurrection de Barcelone. Ses derniers mots furent : « Vive l’école moderne ».

Inspiré des idées d’Elisée Reclus et de Paul Robin, son projet pédagogique visait à introduire des méthodes actives d’enseignement basées sur la découverte et le lien étroit entre l’enseignement et les activités extérieures. Des écoles furent ouvertes en Espagne, aux Etats-Unis, ou encore en Suisse, à Lausanne où l’école Ferrer affichait le projet suivant : « L’instituteur de l’Ecole Ferrer a pour principe de constamment faire appel à la bonne volonté, à l’énergie, à l’attention, à la recherche, à l’observation même de l’enfant. Nous ne donnons pas de résultats tout faits. Nous ne présentons jamais une science parfaite, mise au point par les devanciers et devant être ingurgitée telle quelle. Nous faisons si possible tout trouver ». C’est qu’il s’agit de ne pas habituer à toujours croire et ne jamais rien savoir, comme le disait Rousseau, et ne pas faire de l’école le lieu d’un seul apprentissage, celui de la docilité.

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Man Ray - Juliet et Margaret

Rappelons que Man Ray fut élève de l’école moderne de New-York, le Ferrer Social Center. Faut-il faire un lien avec la liberté d’esprit, le jeu, l’envie d’expérimentation et de découverte qui anime toute son œuvre ? En tout cas, le centenaire est l’occasion de constater que le programme de Ferrer reste à mettre en œuvre : « un enseignement concret, pratique, vivant ; la coéducation des sexes ; pas de devoirs à la maison ; ni religion, ni politique dans les leçons, ni morale en préceptes ; ni punitions, ni récompenses ; appel constant à l’énergie propre de l’enfant ; consultation des parents ; collaboration des gens de métier ». Etudiants, lisez Ferrer pendant vos cours magistraux.

28/07/2009

Naïveté créative

Ils surgissent de la brume sans prévenir, processionnaires venant de la mer du Saint-Laurent pour aller où ? le grand rassemblement de Marcel Gagnon s'opère sur une plage de Gaspésie au pied de la maison de Marcel Gagnon qui emprunte aux inspirés du bord des routes, ceux qui laissent aller leur désir et lui donnent formes.

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Marcel Gagnon - Le grand rassemblement

Marcel Gagnon écrit des poésies, sculpte des personnages énigmatiques, recouvre sa maison de figures improbables et peint des motifs naïfs. La naïveté est présente dans ses textes et dans ses peintures, elle confine parfois à la guimauve et la qualité fait souvent défaut aux productions. Pour autant, elle est porteuse de désinhibition et source de créativité. Qu'importe que le chef d'oeuvre ne soit pas au rendez-vous, partageons le plaisir que s'est autorisé Marcel Gagnon de ne jamais cesser de faire des pâtés de sable.
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Marcel Gagnon - Le grand rassemblement

Par différentes associations, le chemin de Marcel Gagnon m'a mené à Marc Tessier, bédéiste Québecois qui va publier  "A la brunante sur une plage d'agates", roman-photo racontant le trajet d'Alfred Pellan et Paul-Emile Borduas en 1944 pour aller rencontrer André Breton en Gaspésie. Une image du livre :
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Marc Tessier 2009

Autre rassemblement, autres pâtés de sable : où sont les votres ?
Pour ceux que le travail de Marc Tessier intéresserait : http://likeanacidtrip.blogspot.com/

Quand à la rencontre d'André Breton et de la Gaspésie à l'aune du Rocher Percé, elle fera l'objet d'une prochaine chronique.

07/07/2009

La racine de la leçon

Dialogue entendu dans un magasin : "Et ta fille, ça marche l'école ?  oh en ce moment pas trop, surtout en maths...je l'ai envoyée voir son père, moi les racines carrées je suis nulle, je peux pas l'aider". En une phrase, deux hérésies. La première est de considérer que l'on ne peut s'intéresser à l'apprentissage de l'enfant que si l'on sait soi même. Depuis  Philippe Jacottot qui enseigna le français à des flamands sans connaître leur langue, on sait qu'il n'en est rien et que l'on peut aider autrui à apprendre ce que l'on ne sait pas par le jeu de questions.

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Johannes Vermeer - La leçon de musique - 1664

Cette mère aurait pu demander à sa fille de lui raconter l'histoire des racines carrées, comment elles fonctionnent, de quoi elles parlent, pourquoi elles sont carrées, que veut dire racine, etc. Et la seconde hérésie découle de la première : enseigner ce n'est pas s'intéresser à la matière enseignée ou pire à soi même,  c'est d'abord s'intéresser à celui qui apprend . Mais le schéma selon lequel donner la leçon est transmettre, ou plutôt "dire", un savoir est encore largement pregnante. Pour enseigner, mieux vaut le jeu, la joie, l'intérêt associés à la rigueur et à la méthode sans lesquelles tout ceci ne tient pas ensemble.
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Balthus - La leçon de musique - 1934

Il n'y a pas qu'une manière d'enseigner. Il serait temps, en ce domaine comme d'autres, de se débarasser des anciens modèles pour gambader dans des champs de liberté dépoussiérés.

22/05/2009

Comment vous formez-vous ?

Je ne vais jamais en formation...sauf pour être formateur. Au cours du séminaire organisé jeudi 14 mai 2009 par Jean-Marie Luttringer sur l'apport de la jurisprudence au droit de la formation, je songeai soudainement que je n'allai jamais en formation. Mais que j'avais plaisir à avoir un échange avec Marie-Laure Morin, toulousaine et conseillère à la Cour de cassation (l'usage à la Cour est de dire conseiller même pour les femmes, mais bon, les usages en ce domaine...) et que cet échange excitait ma réflexion et mon désir de découverte, et qu'au final après quelques heures de débat, j'avais l'agréable sentiment d'avoir appris énormément et surtout de m'être ouvert de nouveaux champs de réflexion, avec de nouvelles et bien belles clés des champs. Echanges entre pairs, travail de réflexion, recherche et lecture des bons auteurs (ce qui est une autre manière d'échanger), travail de conceptualisation, mise en situation de production, analyse des productions réalisées....les manières de se former ne manquent pas et la conversation socratique comme mode pédagogique n'est pas vraiment une nouveauté. Ecire, ou peindre, c'est aussi une manière d'apprendre.

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Francis Moreeuw - Peinture pédagogique n° 10

Avant de programmer des actions de formation et de les organiser et plutôt que d'enquêter sur de présupposés besoins de formation, il faudrait peut être commencer par poser la question : et vous comment vous formez-vous ? comment avez-vous acquis les compétences qui sont les votres ? quand éprouvez-vous le plaisir d'apprendre ?

Quel meilleur guide pour l'action que d'avoir des réponses à ces questions. Au fait, et vous ?

11/05/2009

Apprendre à désapprendre

Dans la chronique du 6 mai, Proust nous invitait à prendre du recul à partir de l’Odalisque d’Ingres et de l’Olympia de Manet, d’abord opposées par la critique avant de devenir sœurs dans l’excellence. Il constatait également que l’expérience sert rarement de leçon. Une découverte de ce week-end permet de se reposer la question : voyez-vous dans l'Odalisque et l'Olympia ci-dessous des horreurs ou des banalités ou bien de nouveaux chef d'oeuvres qui prendront place aux côtés des précédents ?

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Julieth MARS TOUSSAINT - Odalisque - 2008

Julieth Mars Toussaint expose à la Galerie Guigon à Paris des toiles inspirées de chefs d’œuvre de la peinture que l’artiste se réapproprie avec une grande liberté qui n’exclut pas une totale fidélité. Manifestement, chez lui les leçons du passé sont assimilées. Elles ne conduisent ni à la reproduction ni à l’inhibition mais au contraire favorisent une liberté extrême qui s’exprime avec une force et une vigueur incroyables.

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Julieth MARS TOUSSAINT - Olympia - 2006

Julieth MARS TOUSSAINT dispose d'une solide formation historique et académique. Pour aller sur sa propre voie il a du apprendre à désapprendre ce qu'il savait.

Construction/Déconstruction/Reconstruction, voilà un chemin fécond pour la création. Dans les cursus de formation, on peut construire, c'est bien. Déconstruire est nécessaire mais s'en tenir à cela est désastreux. Reconstruire n'est pas possible si les deux étapes précédentes n'ont pas été respectées. Proust aurait aimé Julieth MARS TOUSSAINT.

Un détail pour conclure : le prénom de Julieth lui a été donnée par sa mère après qu'elle eut déjà perdu deux garçons avant ou à leur naissance. Un ancien consulté lui avait dit : donne à ton futur garçon un nom de fille, il ne mourra pas. Sa peinture est là pour nous prouver que Julieth MARS TOUSSAINT est vivant et bien vivant.

06/05/2009

Proust au Parlement !

Une bande cagoulée et armée pénètre dans un collège : on fera une loi contre la cagoule, les bandes armées et les participants non armés aux bandes armées. Des étudiants bloquent des universités : on fera une loi contre le blocage des universités par les étudiants. Ainsi va la production Parlementaire dans notre pays : à chaque évènement sa loi, signe de l'étroitesse des temps. Pour redonner du coeur à l'ouvrage à nos députés, un petit détour par Proust : "Pourtant les plus vieux auraient pu se dire qu'au cours de leur vie ils avaient vu, au fur et à mesure que les années les en éloignaient, la distance infranchissable entre ce qu'ils jugeaient un chef d'oeuvre d'Ingres et ce qu'ils croyaient devoir rester à jamais une horreur (par exemple l'Olympia de Manet) diminuer jusqu'à ce que les deux toiles eussent l'air jumelles.

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Ingres - La Grande Odalisque - 1814
Mais on ne profite d'aucune leçon parce qu'on ne sait pas descendre jusqu'au général et qu'on se figure toujours se trouver en présence d'une expérience qui n'a pas de précédents dans le passé". Proust, Du côté de Guermantes.
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Manet - Olympia - 1863
La formule peut étonner : descendre jusqu'au général. Notre enseignement sait descendre du général au particulier et nos députés de la loi générale au cas particulier. Mais descendre du particulier jusqu'au général, partir de la situation pour en déduire le concept, voilà qui est moins naturel. Observer puis réfléchir n'est pourtant pas une méthode compliquée, c'est ce que fit Proust pour écrire A la recherche du temps perdu. Et avoir l'humilité de penser que le cas particulier a déjà existé, sous d'autres formes peut être, mais sans aucun doute, ce n'est pas seulement expérimenter l'éternel retour de Nietzsche, c'est constater que la connaissance historique est nécessaire pour donner du sens à l'expérience. Remise en perspective et conceptualisation : nous sommes bien plus près que l'on peut le penser des bandes cagoulées et des blocages d'université. Vite, Proust au Parlement !

30/04/2009

Apprendre par soi-même

Eduquer fait partie, avec gouverner et soigner, des trois métiers impossibles selon Freud. Pourquoi ? parce qu'il est impossible d'éduquer, de gouverner ou de soigner quelqu'un qui ne veut pas l'être. Ces trois métiers requièrent l'assentiment de celui vers lequel est tourné l'action. Je ne peux pas vous former, vous seul pouvez le faire. Vous seul ? chiche !

En 1923, Yves Tanguy voyage sur la plateforme d'un autobus. Il aperçoit un tableau dans la vitrine d'une galerie : il saute de l'autobus et va découvrir le Cerveau de l'enfant de Chirico. C'est décidé il sera peintre, autodidacte et définitivement. Le travail, le regard sur les oeuvres des peintres et l'émulation collective seront ses maîtres choisis. On connaît le résultat.

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Chirico - Le cerveau de l'enfant -

Apprendre par soi-même, et non attendre d'être enseigné. Chercher pour comprendre et non chercher à comprendre l'explication. Tel était le credo de Joseph Jacotot, inventeur de la méthode d'enseignement universel qui postule que l'intelligence du maître n'est pas supérieure à celle de l'élève. Ecoutons le "Si l'on faisait ce que je dis ... la nation serait bientôt émancipée, non pas de l'émancipation que les savants donnent par leurs explications à la portée des intelligences du peuple, mais de l'émancipation qu'on prend, même contre les savants, lorsqu'on s'instruit soi-même.". S'instruire soi-même, voilà un beau programme pour ces trois jours de week-end.

22/12/2008

Girondin

La crise de l'autorité dont l'on nous reparle régulièrement n'est sans doute qu'un enième avatar d'un conflit ancestral entre l'horizontal et le vertical. Quelques mots d'explication. Ceux de Jean-Marie Rausch tout d'abord déclarant devant le Sénat : "La société verticale et hiérarchique va probablement être remplacée par une société beaucoup plus transversale sous forme de réseaux : la nouvelle société va s'administrer de par la volonté, l'espoir et l'esprit des gens....or l'Etat, le gouvernement et l'état d'esprit français restent complètement ou presque basés sur le système de la société industrielle qui est pyramidal, c'est à dire hiérarchique et vertical". Peut-être ne faut-il chercher plus loin, et pas nécessairement dans la génération Y, la nature des actuels conflits de génération. Le débat n'est pas nouveau, déjà lors de la Révolution les décentralisateurs Girondins s'opposaient aux centralisateurs Montagnards qui, hélas, l'ont emporté malgré la beauté, la fougue et la détermination de Charlotte Corday.

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Weerts - L'assassinat de Marat - 1880

Continuons par les propos de Pierre Forthomme, anthropologue, à propos de l'enseignement en Suède: "l'écolier apprend que l'instituteur n'a pas le monopole du savoir et est encouragé à s'appuyer sur ses camarades pour apprendre et progresser. Dans un tel système, le citoyen fait très tôt l'expérience qu'il est naturellement en capacité d'avoir une influence sur le cours des choses. Certes, son influence est partielle, effective seulement si elle s'agrège intelligemment avec celle des autres, mais en aucun cas elle ne dépend du bon vouloir d'une autorité qui se situerait au-dessus". Ne pas tout attendre de l'autorité tutélaire, connaître sa liberté et l'éprouver, apprendre par soi-même : autonomie, liberté et curiosité du savoir, voilà un programme girondin qui parle même à un toulousain !

04/12/2008

Parler ou être parlé

Il est de bon ton de se plaindre de l’excès d’individualisme de notre époque et de la perte des solidarités et repères collectifs. Et si nous souffrions moins d’un excès que d’un manque d’individualisme, ici défini non pas comme le comportement qui fait systématiquement primer l’individu sur le collectif mais comme l’individuation véritable de chacun, c’est-à-dire l’autonomie qui permet à chacun d’être totalement personnel au sens de singulier.

Cette question peut se ramener à une autre : parler ou être parlé. Lorsque j’exprime une pensée ou une émotion que j’ai créé, je parle. Lorsque je répète des émotions, des phrases, des idées sans appropriation et personnalisation, je suis parlé.

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Sans parole


Toute l’éducation et la formation ont pour finalité l’autonomie de l’individu, l’accès à sa parole propre. On comprendra aisément la différence entre l’éducation qui conduit les étudiants à être parlés parce qu’il est exigé d’eux une restitution conforme de l’enseignement reçu, et l’éducation qui conduit les étudiants à construire et à exprimer une parole singulière, non pas qu’elle recherche l’originalité pour elle-même mais parce qu’elle procède d’un travail personnel de pensée. Encore un effort d’individualisme pour véritablement parler.

24/11/2008

L'envol des apprentis

L’observation inopinée faite à l’accueil donnait un premier enseignement : au jeune garçon timide venu demander s’il était possible de s’inscrire dans une formation, il avait été répondu qu’il fallait qu’il aille d’abord chercher un employeur, qu’il trouve une entreprise, ensuite on pourrait s’occuper de son inscription.

Le consultant chargé d’auditer le centre de formation d’apprentis (CFA) qui attend que la responsable pédagogique avec qui il a rendez-vous vienne le chercher se dit que, décidément, les actes les plus simples sont porteurs de sens. Entretien donc avec la responsable pédagogique et question : « les enseignants du CFA considèrent-ils que leur mission première est de permettre aux apprentis l’accès au diplôme ou bien l’accès à l’emploi ? » surprise de la réponse spontanée qui ne figurait pas dans les hypothèses retenues à priori : « pour un enseignant sa mission première est l’enseignement, c’est dans la transmission qu’il trouve le sens de ce qu’il fait ».

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L'envol

Il ne restait plus à vérifier que cette option était véritablement partagée par les enseignants pour conclure que les chartes et systèmes qualité envisagés, les engagements de résultats et contrats de progrès seraient sans doute établis en vain. L’enseignant centré sur son savoir qui ne s’intéresse guère à ce qui se passe au-delà de la salle de cours et de la formation n’est sans doute pas, et le consultant assume le jugement de valeur, le modèle le plus performant pour permettre à des jeunes de prendre leur envol. L’humilité et l’ambition d’accompagner les jeunes vers l’inconnu, comme les oiseaux migrateurs acquièrent lors de leur premier voyage les repères des voyages futurs, est peut être une posture plus adaptée. L’enseignement conçu comme un voyage en commun plutôt que comme le récit de ses propres voyages.

12/11/2008

Autonome et dépendant

La compétence c’est l’accès à l’autonomie, à la maîtrise des situations professionnelles. Cette autonomie ne doit pas être confondue avec l’indépendance. On est rarement, pour ne pas dire jamais, compétent seul. Subsiste de manière permanente une dépendance à l’environnement, aux conditions de production de l’activité et…aux autres. De ce fait, le travail sur la compétence individuelle devient à un moment donné une impasse, car il repose sur l’idée que l’individu peut être indépendant alors qu’il s’agit de le rendre avant tout autonome, c’est-à-dire à la fois certain de son savoir et de ses capacités et conscient de la nécessité de la coopération. Le travail sur la compétence collective et les interdépendances est donc une étape indispensable de la construction de la compétence individuelle, c’est-à-dire de la véritable autonomie.

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Ingres - Raphaël et la Fornarina -
L'interdépendance du peintre et du modèle

Le peintre est autonome dans sa technique, dans la maîtrise de son œuvre, dans la production du tableau. Il est pourtant dans une dépendance mure, choisie et mesurée, pour peu que la passion ne s'en mêle, vis-à-vis du modèle. Cette interdépendance assumée est une véritable source de créativité, de la même manière que Picasso travaille longuement à partir d’Ingres, de Velazquez ou de Poussin pour produire des chefs d’œuvre uniques. Picasso n’est pas indépendant, il est sacrément autonome et a construit son autonomie dans une interdépendance librement choisie. Si personne ne doute de la compétence individuelle de Picasso, il est bon de se souvenir qu’elle a été construite et s’est exercée dans un dialogue permanent avec d’autres compétences.