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29/12/2009

VOYAGES A VENIR

A près de 80 ans, Michel Serres, que les honneurs multiples n'ont pas alourdi, garde la vivacité, le plaisir, la malice et la pétillance qui l'ont toujours caractérisé. Il conserve également cette plus rare foi dans la jeunesse avec la conviction que chaque génération a ses propres combats à mener et qu'elles ne sont pas concurrentes entre elles. Pas de conflit de générations avec Michel Serres, mais des témoins qui se transmettent sous forme de "voilà ce que je peux vous léguer, et je le fais avec plaisir non pour que vous y soyez fidèle en le statufiant, mais pour l'usage que vous jugerez bon". Mais plutôt que de le faire parler, donnons lui la parole :

"L'intelligence n'est pas de savoir axiomatiquement comment on déduit... Pour Montaigne, ce n'était plus "tête bien pleine", la diffusion de l'imprimerie détrônait cette mémorisation des voyages d'Ulysse, des contes..., qui servaient de supports aux connaissances de l'époque. Déjà Montaigne ne trouvait plus de sens à mémoriser une bibliothèque potentiellement illimitée. Mais sur Internet, faut-il encore une "tête bien faite"? Peut-être "surfera" mieux "pied bien démerdard". Voilà la définition de l'intelligence d'aujourd'hui. Celui qui courra le mieux avec ses deux pieds ne sera pas forcément polytechnicien agrégé de philosophie; ceux-là auront la tête trop lourde pour se débrouiller là-dedans... Par conséquent, il y aura des chances nouvelles pour des gens que l'ancien monde traitait de débiles. C'est un nouveau départ avec des chances également réparties.

L'homme se promènera dans le volume de l'information comme il se promène dans les forêts et les montagnes, pour explorer le monde physique. Jusqu'ici, le savoir était un lieu d'apprentissage de la déduction, de l'induction, de la mémoire. Il devient aujourd'hui un lieu de promenade. Cela n'est jamais arrivé."

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Watteau - L'embarquement pour Cythère

Cette invitation au voyage, dans la joie et le plaisir des sens, est celle que Watteau peignit avec la part de mystère qui habille ses toiles. L'invitation au voyage mérite d'être renouvelée, ce que fit Michel Serres encore, lors d'un récent passage à Toulouse, en ces termes : "Je pense que les mutations sont telles que l'avenir immédiat n'appartient pas aux grandes institutions mais aux initiatives individuelles mêmes minuscules mais toujours proche des individus. Il faut que chacun prenne conscience de cette nécessaire reconfiguration et se l'approprie. C'est à ce niveau-là que la mayonnaise doit prendre. Après seulement, dans un second temps, viendra le temps des institutions. J'aimerais avoir 18 ans et la jeunesse pour avoir devant moi le temps d'entreprendre, pour participer à cette grande mutation et la voir lever. On n'est pas qu'à l'aube de la deuxième décennie du vingt et unième siècle mais à l'aube de quelque chose.".  Entre le coucher de l'année en cours et le lever de l'année nouvelle, l'heure bleue, interstice temporel, permet de mieux apprécier la parole de Michel Serres.

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