Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

25/02/2009

Pouvoir non arbitraire

Le pouvoir de direction est inhérent à la nature même du contrat de travail et au rapport entre employeur et salarié. Comment définir autrement le rapport de subordination que par la possibilité pour l’employeur de fixer les résultats à atteindre par le salarié et les moyens à utiliser pour ce faire ? La qualité même d’employeur est définie par le pouvoir de direction : le travail salarié est juridiquement avant tout un travail prescrit.

Mais le dirigeant ne doit pas confondre pouvoir de direction et arbitraire. Le droit fixe un cadre de référence pour les pratiques manageriales qui ne sauraient relever du seul libre arbitre des dirigeants. Le pouvoir de direction n’est pas le pouvoir de tout faire sans condition.

 

17840_2_ARBITRAIRE 100X100 2008 acrilique sur toile.jpg

Hamed Ouattara - Arbitraire

C’est ce que vient de  rappeler la Cour de cassation dans une décision du 4 février 2009 : une entreprise refusait des tickets restaurants à une catégorie de salariés au motif que leurs horaires leur permettait de rentrer chez eux. La Cour constate que des salariés ayant les mêmes horaires bénéficient, eux, des tickets restaurants. Elle décide donc d’imposer à l’employeur de délivrer des tickets restaurant à tous les salariés, le motif avancé ne pouvant être retenu comme valide.

On peut retenir de cette décision que l’employeur peut être tenu de justifier ses décisions et que l’Etat de droit n’est pas de droit divin. Pour le dire plus directement, l’employeur fait sa loi sous le contrôle du juge qui a nécessairement le dernier mot.

24/02/2009

Le moine copiste et l'enluminure

Avant que la révolution technologique de l’imprimerie ne vienne supprimer leurs emplois, les moines copistes assuraient par leur minutieux labeur la reproduction des livres. Le travail de copiste nécessitait de la technique, mais lorsque le moine était également capable de réaliser des enluminures, et ainsi de donner une dimension toute autre au travail réalisé, il devenait moine enlumineur. Affaire de technique certes, mais également d’envie de donner à la fois du sens et de la dimension à son activité.

Il y a quelques années, je devais présenter, à l’invitation de Jean-Marie Luttringer, le système de formation professionnelle espagnol à de futurs inspecteurs du travail. Première collaboration avec le meilleur spécialiste de la formation professionnelle en France, je soignai la présentation technique, fouillée, précise, sur le fonctionnement de la formation et les dispositifs. A la fin de la matinée, Jean-Marie eu ce mot qui guide toujours mon travail : « C’était bien, mais vous devriez prendre plus de risques intellectuels dans vos interventions ». Cette invitation à passer du copiste à l’enlumineur est sans doute le meilleur conseil qui m’ait été donné.

opistehuguesdejumieges-fin11.jpg.jpg
Autoportrait d'un moine copiste bénédictin - Fin du 11ème siècle

Souhaitons que les conseillers techniques, fonctionnaires et députés qui auront à fabriquer la loi sur la formation professionnelle dans les semaines qui viennent ne s’en tiennent pas au travail de copiste de l’ANI du 7 janvier 2009. Si cet accord doit être préservé dans sa cohérence et son contenu, le Parlement doit jouer son rôle d’enlumineur et conforter le texte en lui offrant les ajouts qui le mettront en valeur. Souhaitons également qu’il ne soit pas oublié qu’il faut d’abord être copiste avant d’être enlumineur et que cette dernière fonction relève à la fois de la technique et de l’art. Souhaitons donc au final que les députés soient de bons artisans.

 

16/02/2009

Un quintette ou la trinité ?

Dans les discussions qu'ils viennent d'entamer sur le bilan d'étape professionnel, les partenaires sociaux envisagent que soient identifiés les savoir faire et les savoir être des salariés. Cette trilogie, savoir- savoir faire - savoir être, semble être devenue un incontournable de l'ingenierie de formation puis de l'ingenierie des compétences. A tel point qu'elle est utilisée pour construire des référentiels de compétences et qu'elle n'est guère remise en question. Devenue un dogme, la trilogie se fait Trinité. Elle pourrait pourtant être discutée. Tout d'abord au niveau du vocabulaire : plutôt que cet enchaînement de savoirs, parler de connaissances, capacités et comportements serait plus direct. Mais plus fondamentalement, on peut se demander si ce découpage est véritablement pertinent. Lorsque je prends une décision, est-ce que je fais appel à mes connaissances, à mes capacités ou à mes comportements ? les trois à la fois tant dans la manière de décider que dans les modalités de mise oeuvre. La compétence associe, elle ne divise pas. Et quitte à la découper, on verrait davantage un quintette plutôt que le fameux trio, occasion de proposer au lecteur l'écoute du quintette pour clarinette K. 581 de Mozart.

 

Picasso_Clarinette.jpg
Picasso - L'homme à la clarinette

Pour travailler sur la compétence, on peut envisager de distinguer les cinq éléments suivants :
- la maîtrise des méthodes de travail (travailler seul ou en groupe)
- la maîtrise de techniques (boîte à outil disciplinaire)
- la capacité à décider (choisir c'est renoncer)
- les valeurs qui guident l'action (le sens donné à l'activité tant dans sa finalité que dans le rapport à autrui)
- la capacité à apprendre de ses activités (capacité réflexive)

Prenons le pari que si l'on organise le développement des compétences en prenant appui sur ces cinq piliers, l'édifice sera plus solide que s'il repose sur la trinité des savoir qu'il serait bon de ne pas perpétuer sans plus se poser de questions.

13/02/2009

Regard solaire sur la réforme

En 1929, une souris passe entre les jambes de Lee Miller, alors assistante de Man Ray. Elle allume la lumière du laboratoire, alors qu'une épreuve attend dans le bac de révélateur. L'image s'en trouve modifiée : les contours sont dotés d'un effet de halo donnant du relief à la photographie. La solarisation était née, qui permet l'inversion des ombres et des lumières et créé un effet d'irradiation. Avec la solarisation, négatif et positif se mêlent pour laisser place à une réalité nouvelle.

Sleeping Woman Man Ray - Solarisation- 1929.jpg
Femme endormie - Man Ray - 1929

Il est parfois bon de solariser le regard que l'on porte sur le droit : il arrive que le texte s'éclaire et que le positif prenne la place du négatif. On pourra penser que c'est ce regard qui justifie l'analyse de l'ANI du 7 janvier 2009 publiée par Entreprise et Carrières cette semaine (voir article ci-dessous). Si l'on préfère la version non solarisée et la mise en évidence du négatif, on peut se procurer la revue et consulter les autres analyses.

EntrepriseetCarrières001.pdf

 

12/02/2009

Paroles d'un fauteur de troubles

"Croix de ses supérieurs et fauteur de troubles", c'est ainsi que le supérieur général des jésuites qualifia Baltasar Gracian pour avoir publié ses livres sans l'aval de sa hiérarchie. Il en fut d'ailleurs sanctionné. Que trouvait-on dans ses livres ? cette phrase par exemple qui pourrait concourir avec la définition de la compétence par Pierre Villepreux placée en exergue de ce blog : "Quelque grand que soit le poste, celui qui le tient doit se montrer encore plus grand".

N'est-ce pas à celà que l'on reconnaît la compétence : la capacité à dominer son poste et non à être dominé par lui. L'exact inverse du principe de Peter en quelque sorte.

270px-Baltasar_Gracián_(retrato_de_Graus2).jpg
Baltasar Gracian - Retable de l'Eglise de Graus (Aragon)

C'est également ce qu'un jury de VAE doit rechercher : non pas si le candidat réalise correctement son travail ou non, mais s'il le domine suffisamment pour le réaliser dans un autre contexte. Cette phrase de Gracian, écrite au 17ème siècle, nous rappelle également que le poste n'existe pas indépendamment de l'individu qui l'occupe, et qu'il faut donc se méfier de la gestion "adéquationniste" des compétences qui voudrait que le salarié entre dans le cadre préétabli du poste, l'entreprise n'ayant qu'à mesurer l'écart entre les compétences requises et les compétences possédées pour faire de la gestion des compétences. Cette approche perd toute la dynamique entre l'individu et le poste, entre une personne et une situation de travail contextualisée.

Et s'il fallait vous persuader qu'il est important d'entendre Baltasar Gracian précisément en cette période de crise, cette seconde citation : "N'attendez rien d'un visage triste". En voici un qui avait déjà compris que le bonheur est un fabuleux facteur de performance. Oh oui !

le_oui_heureux_s_vallet_1.png
Le Oui heureux - Collage de Stephane Vallet


11/02/2009

Le chômage partiel au secours du DIF

Le DIF serait utilisé par 15 % environ des salariés, 5 ans après sa création. Démarrage lent, qui lui est d'ailleurs reproché, du à trois raisons principales :

1) Le dispositif laisse de la liberté, il n'est pas fourni avec un mode d'emploi, et l'appropriation suppose de la créativité dans l'utilisation que l'on peut en faire ;

2) La contrainte n'est pas excessive : en l'absence de droit du salarié à imposer son choix et d'obligation de provisionner, beaucoup d'entreprises jouent la montre voire l'indifférence ;

3) Le partage du pouvoir pose problème dans l'entreprise : négocier avec le salarié les objectifs de professionnalisation et le choix des formations correspondantes n'est pas, c'est le moins que l'on puisse dire, la culture manageriale dominante. Pas besoin d'expliquer aux dirigeants et managers la différence entre concertation et négociation...

Mais vive la crise ! grâce au chômage partiel le DIF pourrait connaître un succès innatendu.

Hallucinationpartielle.jpg
Salvador Dali - Hallucination partielle

Les salariés placés au chômage partiel, qui perçoivent 60 % de leur salaire brut, pourraient ainsi suivre des formations dans le cadre du DIF. En effet, s'il est interdit de travailler pendant le chômage partiel, il n'est pas interdit de se former en dehors du temps de travail dans le cadre du DIF, le temps n'étant pas du temps de travail mais du temps de formation. Dès lors le salarié pourra bénéficier de l'allocation de formation, soit 50 % de son salaire net. Au total, le salarié percevra donc plus que s'il travaillait. Hallucinant ? non, banal car tel est également le cas si le salarié se forme pendant ses congés payés ou pendant un autre congé indemnisé, voire une préretraite. Dommage qu'il ait fallu attendre les situations d'urgence pour penser à être créatif avec le DIF. Une autre idée ?

10/02/2009

Erreur de perspective sur le DIF

La grande odalisque a déjà illustré ce blog, mais pourquoi faudrait-il se priver de l'admirer encore  ce corps improbable doté de trop nombreuses vertèbres, de chairs trop abondantes, de volumes peu réels ou réalistes qui pourtant font une évidence de la beauté de l'odalisque. Picasso l'avait compris qui vint au moins trois fois dans sa jeunesse étudier les oeuvres d'Ingres à Montauban : présenté comme un classique, Ingres a en réalité fait exploser les frontières de la représentation et de la perspective et démontré de manière définitive que la vérité peut résulter d'un changement de perspective.

 

 

05ingres.jpg

Les négociateurs de l'ANI du 7 janvier 2009, et les nombreux experts donnant des avis autorisés sur la réforme de la formation professionnelle en cours, devraient essayer de changer de perspective sur le DIF, l'efficacité, sinon la vérité, s'en porterait mieux. De quoi s'agit-il ? l'ANI du 7 janvier 2009 a prévu une concertation, éventuellement suivie d'une négociation, pour mieux articuler le DIF et le CIF. Quelle logique à rapprocher le DIF du CIF : celle du droit du salarié. Mais dans un cas il s'agit d'une négociation avec l'employeur,dans l'autre d'un droit totalement opposable. Quel rapport entre les deux ? l'initiative du salarié ? elle ne caractérise pas le DIF qui trouve sa spécificité dans l'accord entre les parties et non dans la décision du salarié comme pour le CIF.

Ce n'est pas avec le CIF qu'il faut articuler le DIF mais avec le plan. La raison ? plan et DIF sont financés à 100 % par l'entreprise, alors que le CIF est financé par le salarié et les OPACIF. C'est ce financement à 100 % qui explique que l'entreprise doit être d'accord sur le DIF : le salarié ne peut disposer d'une créance illimitée sur son employeur.

Si l'on veut que le DIF devienne véritablement un outil de dialogue sur la formation dans l'entreprise, c'est donc avec le plan de formation qu'il faut l'articuler. Un dernier argument : le DIF concerne potentiellement 16 millions de salariés, chaque année près de 5 millions se forment dans le cadre du plan et 35 000 dans le cadre du CIF. Avec quel dispositif y a-t-il intérêt, et réalisme, à articuler le DIF ?

09/02/2009

L'intellectuel et le charnel

Il ne paie pas de mine avec son crâne dégarni, ses lunettes cerclées, son costume pied de poule ou ses débardeurs ternes, sa silhouette un peu épaisse, un peu voûté, mal à l’aise manifestement avec son corps, l’air toujours absent, s’excusant d’être-là, et d’ailleurs y est-il vraiment ?
le regard exprime davantage l’irréalité que l’incarnation. Mark Rothko, sur les quelques photos que l’on connaît de lui, est un absent surpris par l’objectif qu’il semble ne pas comprendre. Cet homme a-t-il véritablement existé ? ses toiles le prouveraient, quelques écrits aussi, pour le reste, l’homme qui nous regarde ou regarde ses toiles est très improbable. Lui-même semble tellement douter de son existence qu’il nous est difficile de nous en convaincre.

 

mark-rothko.1224237025.jpg
Rothko - Rouge sur brun -

 

Et pourtant…La Tate Gallery, à Londres, a présenté une exceptionnelle exposition Rothko qui s’est achevé le 2 février dernier. Les œuvres présentées étaient celles de la dernière période : couleurs mates, sombres, pleines de brun, de marron, de noir, de mauve et de pourpre. Et pourtant que de lumière, et pourtant que de vibrations, et pourtant quelle autre exposition ou peinture pourrait à ce point bouleverser le corps d’émotions inconnues ? quel peintre peut vous faire autant ressentir de manière immédiate, vous émouvoir aux larmes sans que vous ne compreniez vous-même pourquoi ? Le calme revenu, on se dit que Rothko le désincarné, Rothko l’intellectuel a du mener un combat physique extraordinaire avec un courage exemplaire pour parvenir à peindre ces grandes toiles qui vous absorbent et vous portent au-delà de vous-même. Ce combat physique, auquel nul n’a assisté, est le témoignage le plus évident que Rothko était avant tout un corps au travail, une incarnation magnifique et une faille dans l’espace-temps. Contrairement à toute apparence, Rothko était un athlète de la peinture qui jouait sa vie sur chaque toile. On sait ce qu’il advint mais toute une vie ne peut être relue à l’aune du dernier geste.

 

Rothko-+Seagram+Mural-+Maroon+and+Orange.jpg
Rothko - Sans titre - (Seagram murals)

En regardant Rothko et ses toiles, souvenons-nous vraiment que l’apparence ne dit rien de la vérité d’un être, mais surtout que tout individu porte en lui des contraires et que sa vérité est moins dans le choix qu’il fait entre ses contraires que dans la dynamique qu’il sait créer entre eux. Le recruteur et le manager se rappelleront que les potentialités inverses existent chez tout individu et qu’il importe moins de repérer ces potentialités que d’envisager la manière dont elles se relancent entre elles. La pensée et le geste ne s’opposaient pas chez Rothko mais se dynamisaient l’un l’autre. Cherchons et préservons cette dynamique.

06/02/2009

Nouveau regard

"L'oeil existe à l'état sauvage", cette formule d'André Breton témoigne du constant souci des surréalistes de défaire le regard des présupposés, lourdeurs et répétitions qui l'encombrent. Perdre le regard d'habitude pour chausser le regard neuf qui seul transcende le quotidien. L'exercice est sans doute difficile, il n'en est pas moins salutaire. André Breton encore dans Nadja : "J'ai vu ses yeux de fougère s'ouvrir le matin sur un monde où les battements d'aile de l'espoir immense se distinguent à peine des autres bruits qui sont ceux de la terreur et, sur ce monde, je n'avais vu encore que des yeux se fermer ".

Il faut, hélas, en convenir, les magistrats de la Cour des comptes n'ont pas dans l'oeil la vivacité qu'exigerait leur fonction. Pour la deuxième fois en quelques mois, cette fois-ci à l'occasion de la publication du rapport annuel de la Cour, ils n'ont pas de mots assez durs pour condamner le DIF et son coût exorbitant. Ce faisant, les magistrats commettent deux erreurs : celle de considérer que le DIF est un dispositif supplémentaire qui s'ajoute aux autres dispositifs, et celle de comptabilser les coûts du DIF à la mode fiscale, oubliant qu'il s'agit d'un dispositif social négocié.

critiques-aboient-andre-breton-passe-L-1.jpeg
André Breton - Francis Picabia

La Cour des comptes fait une distinction entre le DIF et les autres dispositifs et notamment le plan : l'erreur est totale. Le DIF n'est pas un dispositif supplémentaire qui s'ajoute au plan et au CIF, il est une manière de décider, conjointement, de l'accès en formation. Il pourrait avoir vocation à se substituer entièrement au plan et au CIF si les projets du salarié et de l'entreprise coincidaient. Non seulement il n'y aurait pas là de détournement mais au contraire pleine réussite : à deux modes de décisions unilatéraux on substitue l'accord des parties. La deuxième erreur est financière : si le DIF n'est pas provisionnable c'est bien parce qu'il s'agit de négociation sociale. Envisage-t-on de demander aux entreprises de provisionner des salaires parce que chaque année il faut mener une négociation obligatoire sur ce sujet ? la Cour des comptes s'affole-t-elle parce que les entreprises n'auront pas les moyens de faire face aux augmentations résultant des NAO ? non évidemment. Pourquoi alors faire comme si tous les salariés devaient tous les ans consommer leur DIF, alors qu'il ne s'agit que de mettre à disposition un crédit en vue d'une négociation dont personne ne peut, à l'avance, présumer du résultat ? le DIF est décidément un dispositif inconnu...surtout pour la Cour des comptes. Encore un effort pour ouvrir les yeux et retrouver la fraîcheur du regard neuf...et une fleur pour encourager les valeureux magistrats à sortir du Palais Cambon.
La_fleur_des_amants.jpg
Nadja - La fleur des amants

05/02/2009

Liberté et responsabilité

La date avait été choisie symboliquement : la loi Auroux du 4 août 1982 souhaitait règlementer les libertés dans l’entreprise, comme la loi du 4 août 1792 avait aboli les privilièges. Il s’agissait, moins que de privilèges, de réglementer l’arbitraire patronal et de faire du salarié un citoyen dans l’entreprise. Il en est résulte cette formule, dont la tournure littéraire nous ramène au 18ème siècle dont l’esprit nous manque tant : un règlement intérieur ne peut contenir de dispositions apportant aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché.

La Cour de cassation a de plus en plus recours à cette formule, notamment pour établir la frontière entre la vie personnelle et la vie professionnelle. Le 12 novembre dernier, elle a jugé que les clauses de résidence, qui obligent le salarié à fixer son domicile dans une zone prédéterminée, n’avaient de validité que si la nature de l’activité imposait une telle sujétion (Cass. soc., 12 novembre 2008, n° 07-42.61). Elle vient plus récemment de décider qu’un règlement intérieur peut prévoir l’interdiction pour un éducateur spécialisé de recevoir à son domicile personnel les enfants dont il s’occupe à titre professionnel (Cass. Soc., 13 janvier 2009, n° 07-43.282). Cette restriction est justifiée par la nature de l’activité.

 

Regnault_-_Liberteoulamort1795.JPG
Regnault - La liberté ou la mort - 1794

La question des libertés est toujours problématique, et l’on oublie parfois que le rôle premier du droit est d’en être le garant et non de contraindre. Contrairement à l’image qu’il a parfois, le juriste n’est pas celui qui empêche de faire, il est celui qui garantit que les libertés pourront s’exercer. Rappelons ces principes de base de la déclaration des droits de l’homme : la liberté est le premier des droits de l’homme (article 2) et tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché (article 5).


Pour en revenir à la décision de la Cour de cassation du 13 janvier 2009, le juge ne devrait pas oublier qu’en tant que gardien des libertés, il lui appartient de ne pas présumer la culpabilité de l’éducateur qui reçoit à son domicile et que cette restriction à l’entretien de relations personnelles au-delà de la vie professionnelle nous paraît problématique en ce qu’elle sanctionne un risque et non des faits. Et que le risque en question sonne comme une condamnation a priori. Soit l’exact inverse de la liberté qui seule permet que s’exprime pleinement la responsabilité. Sous couvert de bon sens, le juge nous paraît ici aller à contresens.

03/02/2009

Le droit et la morale

Le droit est une technique, pas une morale. Il n'est bien évidemment pas dépourvu d'intention, mais son utilisation peut donner lieu à de telles variantes, que l'on cherchera plutôt la morale dans l'intention de l'utilisateur du droit que dans la règle elle-même. Ne pas confondre droit et morale c'est à la fois éviter de vouloir faire parler une règle qui souvent n'en peut mais, et s'obliger à prendre la responsabilité de son comportement sans se défausser sur la règle.

Le Conseil d'Etat vient de nous rappeler ce principe à l'occasion d'une décision adoptée le 17 décembre dernier : un salarié protégé rompt son contrat de travail en prenant acte de la rupture du contrat du fait de l'employeur. Il saisit ensuite les prud'hommes pour obtenir des dommages et intérêts pour faute de l'employeur (modification du contrat de travail sans l'accord du salarié). L'employeur saisit l'inspecteur du travail pour licencier le salarié : incompétent répond à juste titre celui-ci. Le contrat de travail est rompu par la prise d'acte, autoriser le licenciement n'aurait pas de sens. Le Conseil d'Etat confirme. Dès lors il est évident que les entreprises et salariés protégés qui veulent se séparer sans passer par l'inspecteur du travail pour valider un licenciement ou une rupture conventionnelle ont la marche à suivre : demande de résiliation judiciaire par le salarié ou prise d'acte, avec transaction à la clé....parfois signée avant la rupture du contrat de travail et antidatée. Le droit est une technique disions-nous, la morale l'affaire des parties.

verrou.jpg
Fragonard - Le verrou - 1784

Comme le droit, le verrou ici a bon dos. Ce n'est évidemment pas le verrou qui tient la porte fermée, ni même le bras du jeune homme, mais plutôt le plaisir des deux amants qui n'aspirent qu'à croquer la pomme abandonnée par le peintre sans pour autant quitter le paradis. L'intention fait l'action, pas la technique. Humilité du verrou et du droit, responsabilité de ceux qui en font usage.

02/02/2009

Primum vivere, deinde philosophari

Par deux décisions sans lien apparent entre elles rendues le même jour, la Cour de cassation fait un peu de pédagogie sur l’application du droit. Dans une première affaire, elle considère qu’un cadre dirigeant ne peut avoir cette qualité du seul fait qu’il est désigné comme tel par un accord collectif : il faut vérifier si ses conditions réelles d’emploi remplissent les conditions de la définition légale du cadre dirigeant à savoir un large pouvoir, une rémunération parmi les plus élevées et une liberté quasi-totale d’organisation de son temps (Cass. soc., 13 janv. 2009, n° 06-46.208). Dans la deuxième affaire, un administrateur de société avait conclu un contrat de travail avec cette même entreprise. Contrat nul dit la Cour d’appel car conclu avant la création de la société. Erreur répond la Cour de cassation, l’existence d’un contrat de travail dépend uniquement des conditions dans lesquelles se réalise la prestation et non de la dénomination donnée à la convention ou de la date de signature du contrat (Cass. soc., 13 janv. 2009, n° 07-40.077). On pourrait appeler cela un retour à la réalité. Dans les deux cas, la Cour de cassation nous rappelle que le fait prime et que faire du droit c’est d’abord observer la réalité avant d’aller se perdre dans les règles.

delaunay_b.jpg
Sonia Delaunay - Blaise Cendrars - Prose du Transsibérien


Blaise Cendrars aimait la réalité, et c’est en elle qu’il allait se perdre avant d’écrire livres et poèmes. Etre capable de côtoyer toutes les classes sociales avec le même plaisir, de voyager en cabine de luxe sur un transatlantique ou de bourlinguer en fond de cale sur un cargo, être à la fois un gentlemen et un voyou, un poète et un engagé de la première heure dans la première guerre mondiale…bref éprouver le plaisir total de la vie n’a jamais empêché la pensée de se développer, bien au contraire. Vivre c’est penser à condition, comme le rappelle la Cour de cassation, de le faire dans le bon ordre : primum vivere, deinde philosophari.