06/12/2014
Et le concours continue...
Avis à ceux qui recherchent avec obstination un vide juridique. La Cour de cassation vient encore de rappeler qu'il n'y a pas plus de vide dans le droit que dans les ciels de Thomas Lamadieu. Il suffit de savoir regarder. Dans une décision rendue le 26 novembre dernier, la chambre criminelle de la Cour de cassation a relaxé une femme verbalisée pour avoir fumé une cigarette électronique dans une gare. Sommés de se prononcer sur cette innovation technologique, les juges n'ont eu aucune difficulté à décider que l'interdiction de fumer dans les lieux publics étant une loi pénale, elle ne s'appliquait pas au vapotage et que la cigarette électronique n'était pas assimilable à la cigarette traditionnelle. Comme la vache au pré qui devient boeuf dans l'assiette, la cigarette électronique devient donc vapoteuse à l'usage (vaporeuse aurait d'ailleurs été plus poétique, plus adapté et plus marketing : rendez vous la fumée heureuse avec la vaporeuse...ça fait trop année 60 ?).
Roots Art - Thomas Lamadieu
Alors plus possible d'empêcher son voisin de train, d'avion ou de bus d'envoyer la fumée ? impossible de demander à son collègue de bureau ou d'atelier d'éviter de sortir sa machine à vapeur dès le matin ? que nenni. Car la loi applicable n'est pas la même. Il ne s'agit pas ici de loi pénale mais des textes relatifs à la protection de la santé au travail qui imposent à l'employeur de prévenir les risques professionnels. Et tant que l'inocuité totale des rejets vaporeux ne sera pas scientifiquement établie, l'employeur aura toujours l'obligation de ne pas y exposer ses salariés. Plus problématique par contre pour les salariés exposés non pas aux vapeurs de leurs collègues mais à celles de leurs clients, à qui on ne peut plus reprocher leurs émissions vaporeuses. Ce qui donne un peu de sens à la loi spéciale que nous prépare Marisol Touraine : non pas pour combler un vide, mais pour interdire ce qui ne l'est pas aujourd'hui, l'usage de la vapoteuse dans les lieux publics. Mais décidément, on préfèrerait modifier cette appellation, cela permettrait à l'avenir de traquer la vaporeuse. Sinon, pour ce qui est de traquer le vide juridique, le concours continue...
16:40 Publié dans DROIT DU TRAVAIL | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : vide juridique, vaporeuse, fumée, tabac, gare, sncf, santé, droit, travail
23/05/2012
Il n'y a pas de silence de la loi
Avec la décision inattendue, sauf peut être par ceux qui l'avaient demandé, du Conseil Constitutionnel d'abroger l'article du Code Pénal consacré au harcèlement sexuel, on a vu refleurir à foison les commentaires scandant qu'il y avait dorénavant un vide juridique, gouffre sans fond dans lequel seraient plongées les victimes de harcèlement. Répétons-le donc encore une fois : s'il y a une loi du silence, notamment en affaire de harcèlement, il n'y a jamais de silence de la loi. Autrement dit, toute situation ou tout comportement peut recevoir une qualification juridique. Si les vieillards chuchotent leur abject chantage à l'oreille de Suzanne dont ils convoitent le corps (puisqu'en ces matières mieux vaut éviter les périphrases et l'on suggèrera au législateur futur d'en terminer avec le terme "faveurs" s'il redéfinit le harcèlement) et s'ils assortissent leur parole d'une demande de silence à celle qu'ils veulent contraindre, constatons que la loi n'a jamais été silencieuse : elle a d'abord condamné Suzanne puis, une fois les faux témoignages d'adultère établis par l'intervention du prophète Daniel, reconnu son innocence. Mais jamais de vide il n'y eut et il n'y aura.
Artemisia Gentileschi - Suzanne et les vieillards
Notons tout d'abord que la décision du Conseil Constitutionnel ne concerne que le Code pénal et que les dispositions des articles L. 1153-1 et suivants du Code du travail demeurent applicables. Pas d'impact de fait pour les comportements au sein des entreprises privées. Par ailleurs, le droit pénal lui-même recèle d'autres qualifications à commencer par le harcèlement moral, dont les éléments seront parfois réunis, mais aussi l'aggression sexuelle ou la tentative, l'abus de faiblesse ou dans le secteur public l'abus de pouvoir. Bref, si le retrait du harcèlement sexuel du code pénal met en cause les actions intentées sur cette base, par contre il ne délivre pas, comme on a pu l'entendre ou le lire, un permis de harceler et ne créé pas un vide juridique comme le titrait hier encore Libération qui n'hésitait pas à reprendre à plusieurs reprises une formule manifestement destinée à marquer les esprits, au prix de l'approximation pour ne pas dire de l'erreur. La journaliste sera condamnée à se rendre avant le 14 juillet au Musée Maillol pour voir l'expositions Artemisia et réviser ainsi ses classiques.
12:37 Publié dans DROIT DU TRAVAIL | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : harcèlement, harcèlement sexuel, artemisia, libération, libé, vide juridique, code pénal, travail
01/10/2008
Il n'y a pas de vide juridique
On entend régulièrement l’expression : « vide juridique ». Malgré l’inflation de textes, nos codes toujours plus volumineux et les milliers de pages du journal officiel publiées chaque année, il subsisterait donc des terrae incognitae dans lesquelles ni le droit ni les juristes ne se sont aventurés.
Il est pourtant aisé de démontrer que si la nature a horreur du vide, le droit également : près de 200 000 actions nouvelles sont introduites chaque année devant les Conseils de prud’hommes. On attend encore qu’un juge explique aux parties que « Désolé mais le droit ne prévoit rien dans votre cas, le jugement ne peut être rendu ». Quelle que soit la question posée, si elle a trait au contrat de travail ou à son exécution, le juge se doit de rendre une décision. S’il ne dispose pas d’une règle spéciale qui lui permet de traiter spécifiquement le cas (ce qui est l’exception puisque la réalité a plus d’imagination que le législateur qui ne peut envisager toutes les situations qui se présenteront devant le juge), alors le juge choisira d’appliquer une règle plus générale, voire un principe qui, par sa généralité, sera plus englobant et permettra de traiter davantage de situations. De manière apparemment paradoxale, plus la question posée est précise et plus la règle qui permet de la résoudre est générale. Ainsi, comme l’indiquait la chronique d’hier, faute d’Internet dans le code du travail, on applique les règles relatives à l’outil professionnel et à la correspondance. Mais de vide juridique point.
S’il fallait un argument supplémentaire à la démonstration, on pourrait se référer à l’article 5 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen selon lequel « Tout ce qui n'est pas défendu par la Loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pas ». Voilà comment toute conduite trouve sa place au sein d’un ordre juridique. Pour terminer et illustrer le tableau de Roland Cat, une citation de Lao-Tseu : « Ma maison ce n'est pas les murs, ce n'est pas le toit c'est le vide entre les éléments parce que c'est là que j'habite. »
00:05 Publié dans DROIT DU TRAVAIL | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : vide juridique, droit du travail, lao-tseu, prud'hommes