27/02/2011
Chronique de week-end : l'énigme de Gilles
Chronique de week-end consacrée à l'énigme d'un des tableaux que l'histoire de l'art retient comme l'un des plus mystérieux qui soit.
Que regarde le Gilles de Watteau ? que vous dit l'oeil de l'âne ? pourquoi les quatre personnages ont-ils tous une expression différente ? d'où vient cette profondeur de Gilles dont le visage tout entier a la qualité du sourire de la Joconde ? Si vous passez par le Louvre, oubliez la Joconde, mais visitez la Belle Ferronière puis dirigez-vous vers le Gilles, vous ne serez pas dérangé. Le tableau exprime tout l'art du 18ème siècle et des Lumières : de la peinture, du théâtre, de la philosophie, du roman, tout ceci est présent dans ce tableau tragique et joueur, profond et léger, lumineux et obscur. Ce tableau qui réunit tous les contraires en un éclat de génie bouleversant.
Antoine Watteau - Gilles - 1718
Gilles est un crucifié, il en a la lucidité. Gilles est un clandestin. Il s'habille de blanc, paraît au premier plan, capte toute la lumière, s'offre à vous et pourtant vous ne le voyez pas, ne le percevez pas, ne savez rien de lui. Pas de roman social et familial chez Gilles. Une présence absence qui lui offre toute liberté. Que lui diriez-vous si, croisant son chemin, il vous apparaissait dans son costume à la fois trop grand et trop court ? le corps lourd, les mains épaisses laissent un visage hébété. Pourtant, au léger, sourire, vous vous demandez si le Gilles ne se fout pas de vous. Et vous avez bien raison. Vous vous trouvez devant un hybride, c'est-à-dire littéralement un monstre. Et l'on ne cause guère au monstre. Passez votre chemin, voici le Gilles qui exprime toute la folie des hommes et n'en laisse rien paraître. Gilles, mon frère, mon ami, mon double, mon meurtrier.
10:41 Publié dans CHRONIQUE DE WEEK-END | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : peinture, énigme, watteau, gilles, week-end, chronique
Commentaires
Le Pierrot tout de blanc vêtu, représenté par Watteau est une variation du Pierrot italien "le Brighella". Ferrarais d’origine, il joignait à l’esprit de ruse une grossière insolence. Qu'est-ce qui marque les esprits, en France, lorsque Watteau entreprit de peindre ce tableau ? On ne peut s'empêcher de penser au système de Law qui recommandait l'utilisation de papier monnaie plutôt que de celle de la monnaie métallique. Ceci suscita des polémiques qui impliquèrent les plus grands personnages de l'Etat, ainsi que le parlement. Ce Pierrot de Watteau, que l'on trouve si mystérieux n'est-il pas une allégorie du système de Law ? Le voleur ne symbolise t-il pas tous ceux qui allaient profiter du système et voler leurs semblables en spéculant ? L'âne ne symbolise-t-il pas tous ceux qui ont cru pouvour s'enrichir facilement et qui furent ruinés? La statue à droite ne symbolise t-elle pas celle du Commandeur, prêt à déclencher les foudres divines sur ceux qui ont "péché" par cupidité ? Le Pierrot "gonflé" comme une baudruche ne symbolise-t-il pas l'inflation ? Comme cela nous paraît tristement d'actualité, près de 400 ans plus tard !
Écrit par : ddp | 28/02/2011
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