Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

03/06/2016

Des textes au double visage

Pas de procès d'intention, c'est un principe et en droit la bonne foi est présumée. Mais force est de constater que les décrets censés mettre en musique les lois novatrices peinent parfois à prolonger l'innovation et s'enlisent dans un conservatisme consternant. Dernière illustration : le projet de décret qui vient préciser les informations sociales à communiquer au comité d'entreprise, suite aux trois réformes de 2013 (loi de sécurisation de l'emploi), 2014 (formation) et 2015 (dialogue social). La réforme n'était pourtant pas mineure : suppression des consultations spécifiques sur la formation, articulation de la formation à la stratégie et à la politique RH, mise en place de la base de données économique et sociale, passage d'une information quantitative à une information qualitative, recentrage sur la politique et les objectifs et moins de place donnée aux moyens. Une révolution. Sauf que...

IMG_3373.jpg

Sauf que le projet de décret préparé par le Ministère du Travail reprend quasi mot à mot les dispositions antérieures, sauf que l'occasion d'enfin réformer le bilan social (qui est totalement obsolète sur la partie formation articulée à la règlementation de....1972 !) n'est pas saisie et sauf que toutes les nouveautés en matière d'investissements, d'élargissement du champ de la formation au développement de compétences et du glissement de la formation vers la compétence ne sont en rien prises en compte. Alors conservatisme ? négligence ? réflexion insuffisante dans l'urgence ? incompétence ? je laisse à d'autres le pourquoi et me contente du triste constat de textes incohérents (le projet de décret est en décalage profond avec les dispositions légales) et le travail qui en résulte pour les responsables formation : expliquer aux représentants du personnel qu'il vaut mieux s'inscrire dans les dispositions légales, se détacher de la lettre des textes règlementaires et centrer son action sur les objectifs et les résultats. Pour peu que l'on ait des interlocuteurs qui peinent à quitter le monde ancien de peur de perdre leurs repères, on mesure le service rendu par ces textes indigents. 

ProjetDecretIRP.pdf

tableau_comparatif_relatif_au_projet_de_-399450.pdf

05/03/2014

Une circulaire peu inspirée

La loi de sécurisation de l'emploi était porteuse de multiples innovations, depuis la création du compte personnel de formation, jusqu'aux accords sur l'emploi ou la mobilité. Mais la mesure phare était sans conteste la mise en place de la Base de données unique, destinée à l'information des représentants du personnel : la nature des informations était revue dans une logique moins quantitative et plus qualitative, avec, pour la première fois depuis la création des comités d'entreprise en 1945, l'obligation pour l'employeur de donner une information prospective. Bref, la loi était plutôt inspirée. Le problème est que l'administration ne l'est guère. 

tanguy.jpg

Tanguy - L'inspiration 

Dans un projet (sic) de circulaire publié le 26 février, le Ministère du Travail nous livre deux recommandations qui mettent à mal les objectifs de la loi. La première consiste à préconiser aux entreprises de remplir la base de données avec les informations déjà existantes, notamment celles du bilan social, dont la majeure partie (notamment celle qui concerne la formation) est totalement obsolète et non pertinente. Que l'on en juge sur la partie formation : alors que la loi nouvelle demande à l'entreprise de définir le montant de son investissement formation, ce qui pourrait ouvrir un utile débat sur la définition de cet investissement, la circulaire préconise de reprendre les données du bilan social, moyennant quoi l'investissement sera exprimé par un % de la masse salariale consacré à la formation, pourcentage dans lequel sont inclus les salaires qui n'ont jamais constitué un investissement.  La deuxième recommandation est une mise en garde : la circulaire indique que tous les représentants du personnel qui ont accès à la base de données sont tenus à une stricte obligation de discrétion. Rappelons à l'administration que le propre d'un représentant du personnel est de représenter le personnel. Et que dans ce cadre là, il n'est jamais qu'un relais de l'information qu'il doit, c'est sa mission première pour exercer ses fonctions, répercuter auprès des salariés. Et que si les représentants du personnel sont soumis à une obligation de confidentialité pour les informations présentées comme confidentielles, il est hors de question de les empêcher de communiquer avec les salariés sur les informations reçues et les projets qu'elles sous-tendent, sauf à réduire le dialogue social à un échange entre personnes autorisées dont serait exclus les salariés. On peut difficilement avoir une approche plus institutionnelle et plus éloignée du fondement même du droit des salariés à la représentation. Une fois de plus donc, l'administration par une libre interprétation défait ce que la loi avait fait et pose les bases non pas de l'innovation et du développement d'un dialogue social qui ait du sens, mais de la perpétuation de tous les conservatismes. Comme on le sait, il est plus facile de changer les textes que les mentalités. 

Projet_de_circulaire_BDU-delais.pdf

14/09/2011

Quand le juge fait la leçon

....le Parlement ferait bien d'en tirer profit. Le TGI d'Orléans vient de faire preuve de pédagogie en jugeant que l'article L. 2324-2 du Code du travail était contraire à la Convention Européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CESDH). De quoi s'agit-il ? L'article en question, issu de la loi du 20 août 2008, prévoit qu'une organisation syndicale ne peut désigner de représentants syndicaux au comité d'entreprise, dans les entreprises de plus de 300 salariés, que si cette organisation y compte au moins deux élus. Lors du vote de la loi, cet article paraissait absurde : la capacité de désigner des représentants syndicaux au comité d'entreprise appartenait jusque-là à toute organisation syndicale, pourquoi la limiter à celles qui ont des élus, et qui disposent déjà à ce titre de toute l'information du comité, alors qu'un syndicat peut désormais être représentatif (avec 10 % des voix aux élections) sans avoir d'élu au comité ? les parlementaires ont fait valoir qu'il s'agissait de légitimer la présence des représentants syndicaux en limitant la possibilité de désignation en fonction de la représentativité. Les juges de province, contrairement à la Cour de cassation, ne se sont pas laissés abuser par le raisonnement : ils connaissent la musique et administrent une leçon au législateur dont l'objectif était manifestement uniquement de diminuer le nombre de représentants du personnel.

La leçon de piano - Matisse.jpg

Matisse - La leçon de piano

La leçon est en trois temps. En premier lieu, il est rappelé que la CEDSH garantit l'égalité de traitement des organisations syndicales. En second lieu, le législateur est placé devant ses contradictions : si la finalité est de conforter la représentativité, toutes les organisations représentatives, et pas seulement celles qui ont deux élus, doivent pouvoir désigner un représentant syndical. Troisièmement, compte tenu du rôle du représentant syndical, qui participe au CE pour que son organisation soit informée et avec uniquement voix consultative, il est logique que tout syndicat représentatif puisse désigner un représentant, y compris et même surtout, s'il n'a pas d'élu. Exit donc l'article L. 2324-2 qui constitue une discrimination syndicale, l'inégalité de traitement des organisations n'étant pas justifiée.

Et voici le législateur renvoyé à ses incohérences. On souhaite que la Cour d'Appel et la Cour de cassation, si elles sont saisies, apprécient la finesse du raisonnement du juge des bords de Loire et confortent sa position o combien justifiée et légitime. Envoyez la musique !

 TGI Orleans.pdf

21/01/2010

Petit Poucet

On connait la morale de l'histoire, mais au cas où, la voici :

On ne s'afflige point d'avoir beaucoup d'enfants,
Quand ils sont tous beaux, bien faits et bien grands,
Et d'un extérieur qui brille ;
Mais si l'un d'eux est faible ou ne dit mot,
On le méprise, on le raille, on le pille ;
Quelquefois cependant c'est ce petit marmot
Qui fera le bonheur de toute la famille.

Ce sont peut être les petites entreprises qui, sous l'égide de l'Union Professionnelle Artisanale (UPA) feront le bonheur du dialogue social. Le MEDEF et la CGPME se sont en effet retirés de la négociation sur la représentation du personnel dans les petites entreprises. L'occasion était pourtant belle d'innover alors que s'engage un travail plus général sur la représentation du personnel dans toutes les entreprises. Mais force est de constater que les modernes appels vibrants au dialogue social se muent rapidement en une classique assimilation de la négociation collective à une charge trop lourde pour les entreprises. Négocier est, en France, considéré comme une contrainte ou un passage obligé plus souvent qu'un mode d'action efficace. Reste que l'UPA n'a pas renoncé et qu'avec les organisations syndicales elle vient de demander au Ministre du Travail de mettre en place des commissions paritaires territoriales chargées de missions d'appui au dialogue social, d'information et de sensibilisation des chefs d'entreprise au droit du travail et de suivi de l'application des accords collectifs. Les artisans sont bien les petits poucets du dialogue social.

DSC03853.JPG
Alain Garrigues - Le Petit Poucet - 1999
J'avais déjà rappelé que les artisans du Tarn, sous l'égide de l'USAT (Union syndicale des artisans du Tarn), avaient innové en créant, dans la foulée des 35 heures, une commission paritaire territoriale de conciliation et d'arbitrage des litiges du travail, chargé également d'informer et de conseiller. L'accord conclu par l'UPA en 2001 sur la négociation collective territoriale s'inscrivait dans la lignée de cette expérimentation. En cette période de recentralisation forcenée, la mise en place de structures décentralisées qui peuvent être autant de lieux de régulation, d'action, d'expérimentation, d'innovation et d'invention mérite d'être saluée. Et tant pis pour ceux qui demeurent engoncés dans des réflexes anciens et produisent plus de discours que d'actes véritables. Small is beautiful est passé de mode, vive les petits poucets et tant pis pour la mode.