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27/09/2010

Singularité

Vous avez le sentiment d'avoir déjà vu cela. Les moyens mis en oeuvre ne vous paraissent pas nouveau. Se prendre pour modèle cela fait tout de même des siècles que l'on en sort pas, que peut-il donc en sortir de nouveau ? et que pourrait créer une jeune fille qui est entrée dans l'adolescence très rapidement et n'en est sortie qu'en même temps qu'elle prenait congé de la vie ? la question la plus troublante demeure pourtant celle-ci : pourquoi ce qui n'arrive pas à prendre de dimension chez la plupart devient tout à coup un chef d'oeuvre ? quelle différence entre des milliers de photos ou de peintures qui ne vous procurent aucune émotion et celle qui  impose à vous sa singularité et vous trouble ?

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Francesca Woodman

Tandis que se montent et se démontent les estrades de la semaine de la mode, que  défilent de graciles jeunes filles qui ont appris à gommer leur sourire pour ne pas risquer de faire de l'ombre aux vêtements qu'elles doivent mettre en valeur, tandis que Milan s'offre aux projecteurs, dans le décrépi Palazzo de la Ragione se tient une rare exposition consacrée à Francesca Woodman.

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Il serait trop rapide, et faux, de croire que les oeuvres de Francesca Woodman sont promues par la légende d'une jeune adolescente suicidée à New-York le 19 janvier 1981 à l'âge de 23 ans. Ce n'est pas la biographie ni le mythe de la jeune fille en fleur qui produit la grâce et le trouble des photos de Francesca, même s'il est évident qu'elle est un ange.

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Ce qui produit inévitablement le chef d'oeuvre, c'est la singularité. Qui se construit dans la comparaison et la concurrence perd inévitablement de sa vérité. Celui, celle en l'occurence ici, qui ne s'en soucie guère a quelques chances de suivre son chemin propre. Voilà peut être pourquoi les mêmes actes produits par des individus différents ne produisent pas les mêmes effets.

Quant à Francesca, elle met plus d'élégance dans sa manière de s'effacer que ne pourront jamais en créer tous les couturiers milanais. L'exposition est présentée jusqu'au 26 octobre 2010.

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30/08/2010

Clefs et serrures

Dans un livre intitulé "Des clefs et des serrures", Michel Tournier écrit : "La serrure évoque une idée de fermeture, la clef un gest d'ouverture. Chacune constitue un appel, une vocation, mais dans des sens tout opposés. Une serrure sans clef, c'est un secret à percer, une obscurité à élucider, une inscription à déchiffrer. Il y a des hommes-serrures dont le caractère est fait de patience, d'obstination, de sédentarité. Ce sont des adultes qui jurent : "Nous ne partirons pas d'ici avant d'avoir compris !". Mais une clef sans serrure, c'est une invitation au voyage. Qui possède une clef sans serrure ne doit pas rester les deux pieds dans le même sabot. Il doit courir les continents et les mers, sa clef à la main, l'essayant sur tout ce qui a figure de serrure. A quoi cela sert-il ? demande à tout moment l'enfant persuadé que chaque objet est une clé que justifie une serrure".

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Tournier propose également une classification. Serrures : le visage humain, le livre, la femme, chaque pays étranger, chaque oeuvre d'art, les constellations, le ciel. On pourrait ajouter, tous les lieux, les organisations, les situations, etc. Clefs : les armes, l'argent, l'homme, les moyens de transport, les instruments de musique, les outils. Ajoutons : l'éducation, la formation, le jeu, la pédagogie, la compétence, tous les modes et moyens d'action en général.

Pour un lundi, de rentrée pour beaucoup de surcroît,  faisons l'inventaire des clés qui sont en notre possession et des serrures que nous comptons bien ouvrir. Dis moi quelles sont les clés que tu as accrochées à ton trousseau et les serrures qui t'obsèdent, je te dirai qui tu es. Une fois l'inventaire réalisé, nous constatons que le seul moyen de savoir si une clé est adaptée à une serrure est de la faire jouer. Bonne semaine.

07/05/2008

De la meilleure manière de travailler

« Plutôt que de dresser un modèle qui serve de norme à son action, le sage chinois est porté à concentrer son attention sur le cours des choses pour en déceler la cohérence et profiter de leur évolution..bref, au lieu d’imposer son plan au monde, il s’appuie sur le potentiel de la situation »

La citation est de François Jullien, extraite du Traité de l’efficacité.

S’agit-il d’un énième conflit entre le réaliste et l’idéaliste ? entre le pragmatique et l’idéologue ? pas vraiment. Il s’agit plutôt d’une question de méthode, les objectifs pouvant être identiques. 

D’un côté, le modèle dont sont issus le Concorde, le char Leclerc ou le Rafale. Sur le papier des produits sans équivalents techniques, à l’arrivée trois bides commerciaux absolus. Au départ, l’idée que si le produit est idéal, son succès est assuré. La preuve est faite que non. Soyons juste, ce même raisonnement a également produit le TGV ou l’A380.

D’autre part, l’adaptation permanente à la demande : le modèle Benetton. Zéro stock, une flexibilité absolue de la production, des capacités de réaction rapides, le suivi de la demande au jour le jour.

 

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Zao Wou-ki - 1968 

 

Dans un autre domaine, la qualité, on pourrait également opposer la qualité issue des bureaux d’études qui fixent des processus qu’il faut impérativement respecter, héritage de Taylor et de l’approche scientifique du travail avec son « one best way », et cette autre manière de faire qui part du terrain, des boîtes à idées, des cercles qualités ou réunions d’équipes qui, par capillarité, conduisent à une progression générale par « petits pas ». Deux manières de faire que l’on pourrait peut être essayer de concilier plutôt que de les opposer. Car contrairement à ce que défend François Jullien, la Chine n'est pas notre miroir opposé que la mondialisation nous permet de découvrir : Alexandre le Grand et Marco Polo vivaient déjà à l'heure de la mondialisation et le dialogue des cultures n'a jamais vraiment cessé.

22/04/2008

Former avec Villepreux

 Une leçon pédagogique de Pierre Villepreux, à propos de l'entraînement des joueurs de rugby (toulousains, mais c'est un plénonasme) :

 Le but, c’est de s’adapter aux contraintes et exigences de la situation en recherchant le résultat le plus efficace possible puisque la réussite dépend, pour le joueur, de ses ressources disponibles et de leurs qualités mais aussi de sa capacité à les mobiliser au moment voulu.

 

 La différence est claire ici entre les ressources, ou capital compétences, et la capacité à les mobiliser, ou encore le passage à l'acte.

L’adaptation pour être efficace doit être active. La lecture du jeu n’est pas une banale prise d’information passive mais bien un moyen pour donner du sens à son action grâce à l’acquisition de repères et indices toujours plus nombreux et précis, conduisant à un référentiel commun à tous. Il s’agit bien donc de former les joueurs à lire le jeu en les plaçant dans des situations problèmes qui soient à la mesure de leur niveau de jeu.

 

 Deux idées ici : la première est que l'équipe parvient à la compétence collective en acquérant des repères communs, une culture commune et la capacité à combiner ensemble. Lorsqu'il y a 14 partenaires et 15 adversaires, et l'arbitre !, les probabilités de placement sur le terrain sont infinies ou presque. Or, la prise de décision ne doit durer que quelques centièmes de seconde, faute de recevoir quelques paquets de muscles comme récompense à l'indécision. Et pour que la prise de décision soit efficace, il faut que les partenaires aient anticipé sur ce que cette décision allait être. D'où les repères communs.


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La deuxième idée en langage pédagogique s'appellerait : zone proximale d'apprentissage ou de développement. Il s'agit en partant du niveau de compétence actuel, d'identifier le prochain niveau de compétence atteignable. Car si qui ne progresse pas stagne, qui veut progresser trop rapidement régresse. Tout le travail des pédagogues est d'identifier le bon niveau sur lequel faire travailler.

Le joueur doit être mis en situation d’incertitude ,on peut dire d’instabilité qui doit l’amener à fonctionner par prédiction et anticipation donc, à connaître et comprendre de plus en plus finement les mécanismes de jeu dans les situations successives et évolutives.

La formation, ce n'est pas que du plaisir. C'est aussi être placé en situation d'instabilité : on apprend pas uniquement par la reproduction, mais au contraire en étant confronté à des situations jamais rencontrées. Le risque et l'échec font partie de l'apprentissage.

02/03/2008

Alice et les manipulateurs de symboles

Alice découvre qu'il vaudrait mieux fêter les ananniversaires plutôt que les anniversaires. 364 fêtes plutôt qu'une. Heumpty-Deumpty la fécilite en ces termes : 

 

"Heumpty-Deumpty : Voilà de la gloire pour vous !
-Je ne sais pas ce que vous entendez par gloire, dit Alice ;
-Bien sûr que vous ne le savez pas, puisque je ne vous l’ai pas expliqué. J’entendais par là : voilà pour vous un bel argument sans réplique !
-Mais « gloire » ne signifie pas « bel argument sans réplique » objecta Alice ;
-Lorsque moi j’emploie un mot, il signifie exactement ce qu’il me plaît qu’il signifie…ni plus, ni moins.
-La question est de savoir si vous avez le pouvoir de faire que les mots signifient autre chose que ce qu’ils veulent dire ;
-La question, riposta Heumpty Deumpty est de savoir qui sera le  maître….un point c’est tout."
(Lewis Caroll - Alice au pays des merveilles) 

 

Qui possède la clé du langage dispose de toutes les autres. Depuis la Bible -"au commencement était le Verbe"- jusqu'aux lacaniens -"l'insonscient est structuré comme un langage"- en passant par le magnifique texte d'Heidegger "Acheminement vers la parole", nous ne manquons pas de référence pour reconnaître au langage un pouvoir quasi sans limite.

Ce texte fait écho aux thèses de Robert Reich sur les manipulateurs de symboles, qui sont selon lui les véritables gagnants du passage à l'économie  du savoir (Robert Reich : "L'économie mondialisée"). 

 Peut être qu'avant même la fracture sociale (basée sur les revenus) ou la fracture numérique (basée sur la technique), dans un monde complexe et toujours plus difficile à appréhender dans sa globalité, la véritable fracture est entre ceux qui sont en capacité d'utiliser un langage non exclusivement trivial et ceux pour qui le langage s'arrête à l'utilitaire.

 Quel que soit le domaine d'éducation ou de formation dans lesquels ils interviennent, nul doute que les pédagogues ont l'impérieuse exigence de ne jamais oublier les deux niveaux.

 

Terminons sur une citation radicale de Heidegger : "Aucune chose n'est, ou manque le mot". 

 

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Nietzsche et la pluridisciplinarité

« Notre enseignement accable l’étudiant sous une masse d’informations non reliées entre elles ce qui évite :
-Toute liaison entre les disciplines ;
-De laisser le temps de la réflexion ;
- De laisser le temps de découvrir la culture non-officielle". 
 
Cette phrase est-elle tirée d'un des multiples rapports sur l'Education nationale dont nous sommes si friands ? Non. Ecrite en 1871 par Nietzsche,
elle s'applique à l'enseignement allemand. Rien de nouveau sous le soleil donc, preuve que le diagnostic n'est pas remède.
La culture disciplinaire, au sens de spécialité, a de beaux jours devant elle et si l'industrie a été pionnière en matière de travail en mode projet
associant dès la conception du produit l'ensemble des fonctions (commercialisation, production, bureaux d'études, fabrication, fonctions supports...)
force est de constater qu'un tel mode de fonctionnement demeure très marginal dans nos systèmes d'enseignement. Qui veut faire carrière à
l'Université a plutôt intérêt à continuer le sillon disciplinaire tracé par les mandarins qui adouberont l'impétrant, plutôt que de s'aventurer à travers
champs pour voir si l'herbe y est plus verte.
Le travail collectif n'est pas la culture majoritaire des enseignants. Il est pourtant nécessaire à l'établissement de liens entre les savoirs qui seuls
permettent de traiter des situations qui se présentent rarement à nous par domaine de spécialité.
 
 

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29/02/2008

Développer ses compétences avec Pierre Villepreux

Pierre Villepreux, joueur, entraîneur et théoricien du rugby (Le jeu de mouvement et la disponibilité du joueur, Mémoire INSEP 1987, plus récemment : Envoyez du jeu ! : le management du changement à l'école du rugby avec Vincent Lafon, éd. Village mondial, 2004) a conceptualisé les conditions du développement des compétences du rugbmymen. Ecoutons ce qu'il nous dit :

"Le but, c’est de s’adapter aux contraintes et exigences de la situation en recherchant le résultat le plus efficace possible puisque la réussite dépend, pour le joueur, de ses ressources disponibles et de leurs qualités mais aussi de sa capacité à les mobiliser au moment voulu."

Cette première distinction entre les reccources et la capacité à les mobiliser fait toute la différence entre le capital personnel acquis par l'expérience ou la formation et la compétence, définie comme la capacité à savoir utiliser ces ressources à bon escient. 

 

"L’adaptation pour être efficace doit être active. La lecture du jeu n’est pas une banale prise d’information passive mais bien un moyen pour donner du sens à son action grâce à l’acquisition de repères et indices toujours plus nombreux et précis, conduisant à un référentiel commun à tous. Il s’agit bien donc de former les joueurs à lire le jeu en les plaçant dans des situations problèmes qui soient à la mesure de leur niveau de jeu."

L'action est rarement individuelle. En entreprise elle ne l'est jamais, au rugby non plus. S'il est impossible de modéliser le comportement de 30 acteurs autonomes sur un terrain, il est indispensable de disposer de références collectives. Le plus simple dans ce domaine consiste à élaborer des combinaisons et à les multiplier lors d'entraînements. Nécessaire mais insuffisant. Car le joueur sera toujours confronté en cours de match à des situations qu'il n'aura pu répéter à l'entraînement et qui lui présenteront des configurations inédites de positionnement, de timing, d'options à prendre. Et il faudra faire un choix. Plutôt rapidement d'ailleurs faute de subir la percussion de quelques furieux de 100 kgs avec qui on sera partenaire de comptoir plus tard mais qui sur l'instant ne pensent qu'à vous enfoncer dans la pelouse. L'option la plus pertinente sera celle qui est partagée par les quatorze équipiers qui pourront anticiper sur le choix du joueur, sans que cette anticipation ne soit prévisible par les adversaires. Pour cela il faut à la fois de solides bases communes sur le jeu et les principes de l'équipe, mais aussi une capacité d'innovation partagée afin que le porteur du ballon ne se retrouve pas isolé, et donc condamné à subir quelques châtiments corporels, faute de compréhension de son choix par ses partenaires.

 

"Le joueur doit être mis en situation d’incertitude ,on peut dire d’instabilité qui doit l’amener à fonctionner par prédiction et anticipation donc, à connaître et comprendre de plus en plus finement les mécanismes de jeu dans les situations successives et évolutives."

 Placer les jouers en situation d'instabilité, confrontés à des situations inconnues qu'ils doivent résoudre, est une condition nécessaire de la progression. Les consultants savent bien qu'ils progressent lorsqu'ils acceptent de prendre des missions qu'ils ne maîtrisent pas totalement. Et les étudiants doivent accepter dêtre évalués sur des sujets qu'ils n'ont jamais traité plutôt que sur la répétition de ce qu'ils ont déjà effectué des dizaines de fois. La vie repasse rarement les plats.

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