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07/08/2013

En train

Le pays du train. Incontestablement, c'est au Japon que les amoureux du rail doivent s'établir. D'ailleurs, ils ne les quitteraient plus les trains : on peut y manger, dormir, s'émerveiller de la diversité des paysages, lire ou encore regarder passer les charmantes vendeuses de boissons dont le sourire vaut la contemplation du Mont-Fuji et qui saluent et remercient en entrant et sortant du wagon, y compris lorsque tout le monde dort et que leur voix comme un chant d'oiseau traverse vos rêves. Car le train au Japon c'est d'abord une poétique. Comme celle de ces improbables passages à niveau en plein coeur de Tokyo.

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Ou celle de ces gares où l'herbe pousse et qui sont les uniques lieux de croisement des trains sur ces voies uniques qui desservent les alentours de Kyoto.

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Les quais de gare sont comme les terrasses de café, des lieux d'observation inépuisables.

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Et si vous tournez la tête, vous découvrez au loin cette étrange procession d'un autre temps, celui où tout se faisait à pied.

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Mais bien vite le maître des lieux reprend possession de la voie, avec le renfort de la pluie pour chasser les importuns qui se mettent au travers de son passage.

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Lui-même devra s'écarter devant le roi absolu du rail : le Shinkanzen ou "Bullet train", dont l'esthétique est à l'unisson des performances, parmi lesquelles celle d'avoir un retard moyen toutes lignes confondues, de 20 secondes. Ce n'est ni une coquille, ni le saké, ni le décalage horaire, les centaines de Shinkanzen qui traversent le Japon chaque jour ont une précision moyenne inférieure à la minute. Comme quoi, c'est possible.

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Ce qui est possible également, c'est le confort absolu dans le train et une nourriture hors-pair : les ikaben ou bento, autrement dit des boîtes, vendus dans les gares, sont des assortiments de mets raffinés, différents selon les régions, que l'on déguste pendant le trajet avant de dormir et de regarder le paysage. Car le train est un rituel, et ce rituel est un plaisir. Allez, en train !

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06/08/2013

6 Août, 8h15

Hiroshima est une ville joyeuse. Provinciale mais affranchie, moderne mais avec des langueurs du temps d'avant, emplie d'écolières et de jeunes gens manifestement heureux de vivre, et de vivre ici. Curieux mélange des temps que celui que l'on peut rencontrer à Hiroshima. La douceur d'une soirée, le calme de l'eau, la musique, les lumières, la chaleur des soirs d'été, et ce curieux dôme sur la droite.

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Qui est l'un des rares immeubles a avoir résisté au blast de la bombe qui explosa 600 m au dessus du centre-ville. Car c'est sur une ville, pour mieux mesurer les effets destructeurs de l'engin et propager la terreur chez les soviets, que l'on choisit de faire exploser la première arme nucléaire de l'histoire. Faut-il rappeler qu'à peine descendu de l'Enola Gay, l'équipage fût décoré pour cela.

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Comme chaque année, la cérémonie anniversaire se tenait dans le parc de la Paix, délimitée au nord par la flamme qui ne s'éteindra que lorsqu'auront disparu les armes nucléaires, et au sud par le musée du mémorial.

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Et cette année encore on privilégia la parole officielle à celle des encore survivants.

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Le 1er Ministre Shinzo Abe, prononça un discours dans lequel il était question de paix puis retourna augmenter le très faible budget japonais consacré à la défense (moins de 1 % contre 1,6 % en France).

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Mais au-delà des discours, comment ne pas être pétrifié par le gong de la cloche qui retentit à 8h15. Le son vibre une minute, il fallût moins de temps pour semer la mort sur plus de 200 000 personnes.

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Aujourd'hui, la ville est emplie de lumières, son quartier chaud accueille les salary men en fin de journée, sa vie nocturne est intense, sa douceur sans pareille.

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Les écolières oublient sous le soleil qu'elles devront se soumettre à d'innombrables QCM au cours de leur scolarité. Elles rient si on leur parle de normalisation.

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Face au dôme, les baigneurs célèbrent à leur manière le 6 août.

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Des manifestants exigent des engagements fermes en matière de dénucléarisation.

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Et se font conspuer par quelques abrutis nationalistes, on en rencontre sous toutes les latitudes, qui tentent de masquer leurs frustrations derrière leurs drapeaux.

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Ombres et lumières de ce japon aux multiples reflets, comme le ciel d'Hiroshima qui restera à jamais un ciel de feu.

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04/08/2013

Soudain, Bacon

Soudain, car ce n'était pas prévu. Aucun indice préalable de cette première rétrospective de Francis Bacon en Asie depuis sa mort. Et soudain un prospectus, au musée de la photographie de Nara, indiquant qu'après avoir été présentées à Tokyo au printemps, les 33 toiles, dont 6 triptyques, étaient installées au Musée municipal d'art moderne de Toyota. Un coup de Shinkansen et de train suburbain, et nous y sommes. Bonheur des trains japonais qui vous téléportent en tout lieu avec le sourire. Et plaisir immense de pouvoir se pencher pendant des heures sur ces toiles disséminées aux quatre coins du monde et qui ne seront peut être plus jamais rassemblées.

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L'exposition a été un succès à Tokyo, où Bacon est une référence pour nombre d'étudiants des Beaux-Arts. A Toyota, le public est nombreux, exclusivement japonais...à deux exceptions près.

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Figure Study II

A l'émotion de découvrir les toiles et le mystère de la peinture de Bacon, y compris au plan technique, s'ajoute une interrogation particulière : de quoi Bacon parle-t-il aux japonais ? par exemple dans cette toile qui pourrait être japonisante avec le parapluie ombrelle, le vêtement couvrant aux motifs colorés, la rarissime présence de plantes, les touches de couleur de la partie basse à droite, que peut y voir un japonais qui découvre l'oeuvre pour la première fois ?

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Study for the human body

Voit-il dans cet homme seul qui semble quitter la scène une allégorie de l'isolement du Japon, qui tint longtemps lieu de politique, de sa singularité, plus fantasmée que réelle (mais un rêve partagé devient réalité), ou de sa pudeur ?

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Three figures and portrait

Car dans ce pays où le rapport au corps est si problématique, que peuvent susciter ces corps exposés, à la fois surexposés d'ailleurs et effacés par l'éponge ou le chiffon qui sont venus fondre traits et couleurs dans d'improbables mouvements que les commissaires de l'exposition ont rapproché, sans convaincre totalement, du Butho ? Et que pouvait penser cet homme en fauteuil, aux jambes atrophiées qui regardait ces figures aux membres martyrisés ?

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Sphinx III

Voici donc une nouvelle énigme pour le Sphinx. Comment l'oeuvre d'un occidental britannique, homosexuel, aimant la corrida, autodidacte, innovateur scandaleux, peintre de la chair incarnée, de la violence et de la solitude fondamentale peut-elle dialoguer avec la culture japonaise ? mon ignorance de la culture nippone ne me permet pas de répondre à la question mais le simple fait d'avoir pu me la poser m'a permis d'avoir, soudain, un autre regard sur les toiles de Bacon.

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03/08/2013

Bestiaire

De Tokyo la mégapole, à Kyoto la provinciale en passant par Nara la campagnarde, dans toutes les villes les animaux font partie non pas du décor mais de la vie même. Impossible, par exemple, d'échapper aux chants des grillons, que les japonais savent, paraît-il, différencier.

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Impossible également de ne pas subir les ricanements ironiques des corbeaux et corneilles qui traînent en tous lieux, plus efficaces surveillants de vos gestes que Big Brother.

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Les bassins des jardins accueillent les carpes en kimono, pour elles c'est tous les jours tenue de gala.

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A proximité, il n'est pas rare de surprendre le regard d'une tortue, qui vous scrute tel un vieux samourai suspicieux et belliqueux.

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Plus pacifiques, les hérons cendrés feignent l'indifférence mais leur regard en coin n'en perd pas une miette. Sachez-le, il y a toujours un animal qui vous regarde.

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Les biches de Nara guettent le chaland et lui feront sans vergogne, et même avec insistance, les poches (de gâteaux).

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Dans les temples, le boeuf offre sa bienveillance comme le japonais sa courtoisie. Au point que vous le laissez décider lui-même du voeu qui sera le vôtre.

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Il y aurait encore les chats de rue, les hirondelles de fil et surtout le mythique lapin japonais qui tient plus du lapin blanc d'Alice au pays des merveilles que du Bugs Bunny macheur de chewing-gum.

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Et puis il y a, évidemment, les papillons.

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02/08/2013

Un chemin sans fin

A l'ouest de Kyoto, au pied des collines, bordant un ruisseau d'eau claire, serpente le chemin des philosophes. La voie fût ainsi nommée en hommage à Nishida Tikaro qui s'y promenait, et donc y travaillait, rejoignant la cohorte des philosophes marcheurs (Aristote qui se promenait avec ses élèves, Kant et ses marches quotidiennes, Rousseau au bord des lacs d'Annecy et de Genève, Heidegger dans les Monts de Bavière, Nietzsche, dans l'Engadine, ...). Mais les poètes les plus inspirés étaient également de grands marcheurs, Rimbaud ou Holderlin par exemple. Et tout marcheur qui se respecte se surprend à être à la fois philosophe et poète. Ce qui accroît son champ de vision.

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Tous ceux qui marchent reviennent à la nature première de l'homme : le nomadisme. Car l'homme sédentaire est une création moderne qui trouve son aboutissement dans l'homme assis à son bureau. Heureusement pour les toqués de la technologie, et ils ne sont pas rares au Japon, la technologie est redevenue mobile ce qui permet au moins de prendre l'air. Conseillons Montaigne à ces salary men : "Mes pensées dorment si je les assis".

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Suivons donc Montaigne et revenons au chemin des philosophes : "Philosopher c'est être en route" disait Karl Jaspers. Une fois la route prise, le rêve vient plus facilement au marcheur qu'au dormeur.

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Le rêve est-il prémonitoire, explicatif, illustratif, dépourvu de sens, fantasme, inconséquence, refoulement, défoulement, exutoire, envie, plaisir...? Mais nous sommes au Japon, ne l'oublions pas, pays non pas des contraires mais de la dialectique, de la synthèse et de ses belles créations. On voudrait qu'il ne finisse jamais le chemin des philosophes.

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01/08/2013

Ne pas oublier d'oublier

Au détour d'un corridor, d'un tatami, d'une porte coulissante, d'un bosquet, d'un chemin que les arbres, mousses et rochers accueillent, la surprise vous guette. Car si les temples japonais sont lieux de méditation, ils sont également conçus pour dérégler vos repères, perturber vos habitudes et au sens premier de l'expression, vous faire perdre la raison. Car il faut se perdre, mais se perdre vraiment pour se retrouver.

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Comme partout ici, c'est le dialogue entre les éléments qui importe, plus que les parties ou le tout. Ainsi, devant le Pavillon d'or on repense à Mishima pour qui le temple puise sa force dans la sensualité de l'étang. Comment dire plus simplement que l'individu est indétachable de l'environnement dans lequel il vit ?

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Ce matin je lisais Christian Garcin à propos du jardin zen de Ryôan-ji : dans ce jardin 15 rocs, mais où que l'on soit assis, on ne peut jamais en voir que 14. Garcin racontait le sentiment de honte qu'il éprouvât à se mettre sur la pointe des pieds, en bout de jardin, pour apercevoir les 15 : "...honte de m'être conduit comme un Occidental sceptique et raisonneur, un petit malin qui veut à toute force démontrer qu'il peut avoir raison face à une règle ancienne, traditionnelle, établie". Il est vrai que pour prendre plaisir à la règle, il faut mettre son ego dans sa poche, et pour apprécier les jardins zen aussi.

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Plus que l'ego d'ailleurs, ce sont les trois humiliations de Freud qu'il nous faut oublier avant de plonger dans les jardins zen : l'homme n'est pas le centre de l'univers, l'homme est un animal et sa volonté est incapable de gouverner chacun de ses actes. Une fois dépassé tout ça, cela va tout de suite mieux.

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