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28/03/2013

Trop plein de vide

Que des approximatifs ou des incompétents répètent à tout va que le droit n'est qu'un immense gruyère plein de vides, on commence à s'y habituer. Mais voilà que la petite musique s'étend et gagne les plus hauts sommets de l'Etat. Manuel Valls, tout d'abord, qui déclare mardi à l'Assemblée à propos de l'affaire Baby Loup que s'il y a un vide juridique, il faudra une initiative législative. François Fillon ensuite, qui dans une tribune publiée dans Le Monde mercredi (voir ici) appelle à combler le vide législatif et juridique. Il est curieux d'avoir à rappeler la loi à ceux qui ont, ou ont eu, en charge de l'élaborer ou de la faire respecter. Dans le meilleur des cas, il s'agit d'une méconnaissance. Sinon, il s'agirait soit de mauvaise foi soit de calcul politicien.

Rappelons donc la règle à nos gouvernants et à ceux qui aspirent à l'être : elle figure à l'article L. 1121-1 du Code du travail et postule que l'on ne peut apporter aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnée au but recherché. En application de ce texte, il ne peut être édicté un principe général de neutralité par rapport à la religion, mais uniquement si c'est incompatible avec l'activité exercée. Faute d'avoir dit en quoi porter un foulard empêche de travailler dans une crèche, la décision de la Cour d'appel ne pouvait être que censurée par la Cour de cassation (pour un rappel plus complet du droit existant, voir ici).

Clovis Trouille - Religieuse italienne.jpg

Cet épisode m'a rappelé deux bons souvenirs. Le premier est la naissance du fiston à la maternité Sainte-Félicité. Il y avait des soeurs infirmières dans cette clinique privée qui gère ce qui peut être assimilé sinon à un service public du moins à un service de santé d'intérêt général. Faudra-t-il imposer le retrait du voile aux religieuses qui participent à des activités privées ou leur demander de cesser d'y participer ? Le second bon souvenir est celui d'un déplacement à la Réunion à la demande d'une banque. Devra-t-elle interdire à ses guichetiers et conseillers de s'habiller comme leurs clients ? Dans une société largement multiconfessionnelle et où la diversité n'est pas qu'un mot ou un étendard, la question pourra paraître saugrenue.

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Et tant que l'on est à la Réunion, anecdote de voyage. Comme c'était la journée du Patrimoine, je me suis rendu à la Grande Mosquée qui est au centre de Saint-Denis. Il y avait des panneaux d'interdiction de photographier partout. Passant outre, je pris quelques photos, quand je vis deux barbus accourir vers moi. Je m'attendais à un rappel à l'ordre, quand le plus petit me dit : "Viens avec moi, je vais te montrer le meilleur endroit pour prendre une photo du minaret". Du coup, il fût photographié lui aussi, presque aussi raide que le minaret mais avec plus de rondeurs, ce qui le fît rigoler.

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Conseillons donc à Valls et Fillon un petit détour par les provinces françaises, ils s'apercevront que les vides qui les effraient tant sont comblés depuis longtemps. Et s'ils trouvent le temps, ils pourront réfléchir à la seule question qui se pose en droit aujourd'hui : en quoi porter un foulard est un problème pour s'occuper des enfants ou exercer d'autres activités.

Commentaires

Bonjour,

Je suis en désaccord avec votre approche à propos de l'arrêt "Baby Loup"...

Cela peut s'expliquer peut-être par le fait que les "privatistes" ont souvent une vision un peu...disons...tronquée du droit (le contraire peut être vrai aussi : je suis même à peu près certain que vous vous faites la même réflexion en ce qui me concerne).

En réalité, la notion de "service public" est centrale dans cet arrêt et les magistrats de la Cour de Cassation ont été amenés à manipuler une notion qui relève à l'évidence du droit public et qu'ils ne "maîtrisent" pas vraiment (à supposer que l'on puisse maîtriser une notion comme celle-là).

A la vérité, la décision de la Cour de Cassation aurait pu aller dans les deux sens...

La question centrale, dans l'état actuel du droit, est celle de savoir si la gestion d'une crèche est susceptible de relever ou non d'une mission de service public sachant qu'il est a priori indifférent que le gestionnaire soit une personne morale de droit public ou au contraire une personne morale de droit privé (comme c'était le cas en l'espèce s'agissant d'une crèche associative).

Bien évidemment, s'il s'était agi d'une crèche municipale, elle aurait été d'emblée cataloguée comme un service public (Le Conseil d'Etat a déjà eu l'occasion de le faire en 1989).

Mais s'il s'agit d'une crèche associative (et donc un organisme privé comme l'écrit la Cour de Cassation) , le choix est ouvert : Sa mission peut relever ou non d'une mission de service public.

Si la Cour de Cassation avait considéré que la gestion d'une crèche relevait par "nature" d'une mission de service public, fût-elle exercée par un "organisme privé", le principe de laïcité s'appliquait.

Le problème est qu'elle ne l'a pas fait, sans s'expliquer sur les raisons de sa prise de position alors que par ailleurs, si je ne m'abuse elle admet qu'il s'agit d'une activité "d'intérêt général".

Et pourtant on ne manque pas d'arguments pour essayer de démontrer que la qualification "service public" pouvait être admise en l'espèce : mission d'intérêt général qui ne se réduit pas à une mission de garderie mais qui peut s'élargir à une mission éducative (l'apprentissage de la sociabilité par exemple , important contrôle administratif (j'imagine qu'il faut un agrément) etc.

La Cour d'appel de Versailles avait pourtant d'ailleurs particulièrement motivé sur ce point. Elle a été désavouée pour des raisons assez obscures en fait.

Maintenant l'affaire n'est pas terminée car la Cour d'appel de Paris a été saisie et comme je l'ai dit, elle pourrait résister.

Pour terminer, en l'espèce, en partant du postulat qu'il ne s'agissait pas d'une activité relevant du service public, l'article 1121-1 du code du travail aurait pû être utilisé pour motiver une (légère) atteinte à la liberté individuelle en considérant que la "nature de la tâche à accomplir" l'imposait s'agissant d'enfants en bas âge.

Voila, vous m'avez donné une nouvelle occasion de m'expliquer sur ma précédente intervention qui n'a peut-être pas été comprise.

Écrit par : bcallens | 28/03/2013

Bonjour,

Dans ce cas, qu'est-ce que vous faites des établissements privés d'éducation confessionnels, de la religieuse infirmière et de toutes les activités sociales assimilables de près ou de loin à des services d'intérêt général voire publics ?

Et vous n'expliquez toujours pas en quoi porter un foulard pose un problème pour exercer ces activités. Faudra-t-il imposer aux nounous d'enlever leur foulard pendant qu'elles gardent les enfants (sauf l'hiver s'il fait froid ?). Bon courage aux rédacteurs du texte, c'est pour cette raison que je leur proposai un voyage exploratoire à la Réunion pour faciliter leur réflexion, mais ils peuvent aussi faire le tour des parcs et jardins ou les sorties d'école, ils mesureront peut être plus directement pourquoi l'actuelle rédaction du code du travail est parfaitement adaptée.

Cordialement


jpw

Écrit par : jpw | 28/03/2013

C'est une question qu'il faudrait surtout poser à la Cour de Cassation...

Il faut je pense citer l'autre arrêt qui a été rendu le même jour et mettre les deux formulations en parallèle :

Dans l'arrêt "Caisse primaire d’assurance maladie de Seine-Saint-Denis", elle s'exprime en ces termes :

"Mais attendu que la cour d’appel a retenu exactement que les principes de neutralité et de laïcité du service public sont applicables à l’ensemble des services publics, y compris lorsque ceux-ci sont assurés par des organismes de droit privé et que, si les dispositions du code du travail ont vocation à s’appliquer aux agents des caisses primaires d’assurance maladie, ces derniers sont toutefois soumis à des contraintes spécifiques résultant du fait qu’ils participent à une mission de service public, lesquelles leur interdisent notamment de manifester leurs croyances religieuses par des signes extérieurs, en particulier vestimentaires".

Dans l'arrêt, Baby Loup, c'est un peu plus "rapide" :

"Attendu que le principe de laïcité instauré par l’article 1er de la Constitution n’est pas applicable aux salariés des employeurs de droit privé qui ne gèrent pas un service public", chapeau que l'on peut reformuler a contrario :

"(...) que le principe de laïcité instauré par l’article 1er de la Constitution est applicable aux salariés des employeurs de droit privé qui gèrent un service public."

Donc, c'est bien l'activité qui consiste à gérer une crèche qui doit, en elle-même, être qualifiée...Et cela doit se faire selon les critères (souvent nébuleux, j'en conviens) que manipulent quasiment tous les jours les membres du Conseil d'Etat.

Et normalement, la gestion d'une crèche aurait dû être regardée comme un "service public".

Maintenant, dans un certain nombre de cas que vous citez, cela peut être fâcheux.

Remarquons que la Cour de Cassation ne s'explique pas du tout sur les raisons qui l'ont poussée à dénier le caractère de "service public" à l'activité de gestion d'une crèche. Peut-être que sa décision est une tout simplement une décision d' opportunité (ou par non-opportunité...c'est selon).

Écrit par : bcallens | 28/03/2013

Une petite évocation des deux arrêts qui vient de paraître aujourd'hui :

http://bit.ly/10mx17O

Cela montre surtout que la notion de service public est centrale. En réalité, la Cour de Cassation n'a pas respecté le principe qu'elle a elle-même énoncée en déniant le caractère de service public à la gestion d'une crèche.

A ce propos, je suis sûr qu'un certain nombre de crèches privées en France sont liées par un contrat de délégation de service public, ce qui n'aurait rien d'étonnant compte tenu du fait que pour le Conseil d'Etat, lui (voir l'arrêt de 1989), il ne fait aucun doute que la gestion d'une crèche participe d'une mission de service public :

http://bit.ly/Xp69ST déjà cité.

Vous ne pensez pas qu'il y a une grosse contradiction entre les conceptions des deux cours suprêmes ? ...Mais je sais que vou allez me ressortir la formule de Pascal : vérité en deça des pyrénées erreur au delà...

Écrit par : bcallens | 29/03/2013

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