20/03/2013
Le loup n'y était pas
On le voyait venir de loin (voir ici) : lorsque l'on mélange le droit, la morale, la religion, la laïcité et divers autres ingrédients, dont les fantasmes ou obsessions pour ceux qui n'ont de vision que raciale ou ethnique de la société, on va droit dans le mur. C'est ce que la Cour de cassation vient de rappeler en tranchant le conflit de la crèche Baby-Loup. Pour les magistrats, une entreprise privée ne peut imposer de manière générale à ses salariés un principe général de laïcité. Elle doit s'en tenir aux dispositions du Code du travail qui permettent de restreindre les libertés individuelles, dont la liberté religieuse fait partie, uniquement pour des raisons liées à la nature de l'activité. Soulignons que le juge ne répond pas à la question de savoir si le travail avec des enfants justifie ou non une telle interdiction. Il constate que la clause du règlement intérieur en vertu de laquelle la salariée a été licenciée était formulée de manière générale et imprécise et donc nulle, d'où la nullité corrélative du licenciement.
Jean-Louis Forain - Femme au loup
Et déjà l'on voit Manuel Valls regretter la décision de la Cour de cassation au nom de la laïcité et l'extrême droite vilipender ces juges de gauche qui se couchent devant l'islamisme symbolisé par le voile. Si jamais les uns et les autres venaient à retrouver un peu de sérénité, ils pourraient peut être constater que le jugement rendu par la Cour de cassation a propos du voile est de même nature que ceux déjà rendus à propos de piercings, de moustaches ou de boucles d'oreille. Mais pour cela, il faudrait juste faire du droit.
00:12 Publié dans DROIT DU TRAVAIL | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : baby-loup, cour de cassation, licenciement, voile, islam, liberté, religion, discrimination, travail
Commentaires
Quand même...
Il faut quand remarquer le rôle que joue la notion de service public dans cette affaire (à ce propos il y a eu un autre arrêt du même jour) .
(rappelons le chapeau : "Attendu que le principe de
laïcité instauré par l’article 1er de la Constitution n’est pas
applicable aux salariés des employeurs de droit privé qui ne gèrent pas un service public"...)
Le Conseil d'Etat, à propos des crèches municipales juge au contraire que l'on est bien en présence d'un service public...( http://bit.ly/Xp69ST )
Or, on sait que cette notion n'est pas liée nécessairement au statut juridique de la personne morale qui gère ce service public...
De toute façon cette affaire n'est pas terminée puisqu'il y a renvoi devant la Cour d'Appel de Paris, laquelle peut résister et on aura droit (peut-être) à un second arrêt.
Écrit par : bcallens | 20/03/2013
Bonjour,
La décision et le communiqué répondent à votre question : une mission d'intérêt général ce n'est pas un service public.
Cela créé deux régimes : au guichet d'une mairie votre interlocutrice ne peut porter le voile, par contre au guichet d'une banque ce n'est pas un problème de principe.
Cela pourrait paraître deux poids deux mesures, surtout entre crèches privées et publiques, mais cela permet aussi de considérer que privé et public ce n'est pas exactement la même chose.
cordialement
jpw
Écrit par : jpw | 20/03/2013
Le Conseil d'Etat est plus précis...
Dans l'arrêt cité, il est expressément affirmé que l'activité d'une crèche correspond à une activité de service public (et service public administratif qui plus est...).
Il faut lire l'arrêt Baby loup avec l'autre arrêt concernant la Caisse primaire d’assurance maladie de la Seine Saint-Denis :
"Mais attendu que la cour d’appel a retenu exactement que les principes de neutralité et de laïcité du service public sont applicables à l’ensemble des services publics, y compris lorsque ceux-ci sont assurés par des organismes de droit privé et que, si les dispositions du code du travail ont vocation à s’appliquer aux agents des caisses primaires d’assurance maladie, ces derniers sont toutefois soumis à des contraintes spécifiques résultant du fait qu’ils participent à une mission de service public, lesquelles leur interdisent notamment de manifester leurs croyances religieuses par des signes extérieurs, en particulier vestimentaires ;"...
Donc il y a bien conflit avec le Conseil d'Etat...
Écrit par : bcallens | 20/03/2013
Pour dire les choses autrement, il y a bien conflit avec le Conseil d'Etat sur la question de savoir si l'activité d'une crèche correspond ou non à une activité de service public.
Si on répond oui, peu importe que la crèche soit gérée une association ou une municipalité puisque c'est la nature de l'activité qui compte.
Écrit par : bcallens | 20/03/2013
Il n'y a pas de conflit dans la mesure où le Conseil d'Etat n'aura pas à connaître de la question pour une crèche associative et que la Cour de cassation n'aura pas à se prononcer sur les crèches municipales.
Par ailleurs, la coexistence, pour une même activité, d'un service public et d'une activité marchande n'est pas un problème : voyez le secteur de la santé avec les hôpitaux et les cliniques (où l'on pourra interdire le voile au personnel hospitalier mais pas à la clinique).
jpw
Écrit par : jpw | 20/03/2013
Cela c'est autre chose...
Ici, il y a une divergence d'appréciation ou plutôt de qualification sur une situation donnée qui est ici de savoir si une crèche relève d'une activité de service public.
Vous ne pouvez pas dire que parce que l'affaire relevait de la compétence des juridictions judiciaires que la Cour de Cassation a nécessairement raison et que le Conseil d'Etat a nécessairement tort.
C'est l'activité en elle-même en fonction de ses caractéristiques qui doit être analysée pour savoir si oui ou non la gestion d'une crèche peut être regardée comme relevant d'un service public. Or, le sort du litige en dépend.
Il ne faut pas non plus perdre de vue que la Cour de Cassation pourra peut-être être amenée dans l'avenir à revoir sa position si jamais la Cour d'appel de Paris résiste...Ce qui est fort possible.
Car à la vérité la Cour de Cassation ne dit pas vraiment pourquoi elle considère qu'une crèche ne remplit pas une mission de service public alors que la Cour d'appel de Versailles s'était expliquée sur sa propre prise de position contraire en reprenant dans sa motivation les termes mêmes des statuts de l'Association gérante :
"Considérant que les statuts de l'Association précisent que celle-ci a pour but de développer une action orientée vers la petite enfance en milieu défavorisé et d’œuvrer pour l'insertion sociale et professionnelle des femmes du quartier ; qu'elle s'efforce de répondre à l'ensemble des besoins collectifs émanant des familles avec comme objectif la revalorisation de la vie locale sur le plan professionnel, social et culturel sans distinction d'opinion politique ou confessionnelle...").
Ces buts relèvent du service public à n'en pas douter.
Par ailleurs et de manière plus générale , on pourrait aussi faire valoir qu'une crèche ne remplit pas seulement une fonction de garderie mais aussi une fonction éducative...
L'affaire n'est probablement pas terminée...
Écrit par : bcallens | 20/03/2013
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