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18/03/2008

Enseigner ce que l'on ignore

EN 1818, Joseph Jacotot, révolutionnaire exilé devient lecteur à l'Université de Louvain et se retrouve chargé d'enseigner la littérature française à des étudiants flamands dont il ne parle pas la langue et qui manient bien mal le français. Jacotot trouve une édition bilingue de Télémaque qu'il fait remettre aux étudiants leur demandant d'apprendre le texte français en s'aidant de la traduction, puis de lire l'ensemble du livre pour être capable de le raconter en français. Le travail de rédaction demandé en évaluation de l'enseignement se révéla d'un niveau comparable à celui d'étudiants français. Joseph Jacotot découvrit ainsi qu'il était possible d'enseigner sans donner d'explications, par un travail de questionnement. Enseigner ce que l'on ignore c'est questionner sur tout ce qu'on ignore. Là où le maître savant explique et déverse son savoir, le maître ignorant questionne et oblige l'élève à s'enseigner lui-même. Pourquoi faire croire aux parents qu'ils ne peuvent aider leur enfant à préparer le bac puisqu'ils sont ignorants en mathématiques ? le questionnement permet deux vérifications : l'élève est-il capable de dire ce qu'il a compris, le travail qu'il a conduit a-t-il été fait avec suffisamment de sérieux et de rigueur. La vérification de la cohérence ne nécessite donc qu'attention et logique de la part du maître ignorant. Par contre, la vérification du résultat supposera effectivement une expertise. Je peux demander à un étudiant de m'expliquer ce qu'est la formule mathématique qu'il me montre, comment elle se décompose, pourquoi ce chiffre, que signifie ce symbole, comment s'exprime l'équation, à quoi correspond le résultat, comment est-il certain que ce résultat est juste, à partir de quoi peut-il le vérifier, etc. Le quoi et le pourquoi, issus du questionnement enfantin, n'ont plus à démontrer leur redoutable puissance et les parents savent bien que le "parce que" ou le "c'est comme cela" ou la fin de non recevoir  du "tu m'agaces avec tes questions" ne peut véritablement masquer la non-maîtrise du sujet abordé et le travail que nécessiterait de pouvoir répondre. L'enfant ignorant instruit ses parents par ses questions prétendûment naïves, pourquoi les parents ne pourraient-ils instruire leurs enfants lorsque ceux-ci sont plus savants ?

 

Sur le sujet, on lira avec profit : Jacques Rancière, Le maître ignorant, 10/18, sept. 2004. 

 

 

 

 

17/03/2008

La compétence, c'est choisir

 Bien sur, le serpent dans l'arbre pourrait être un indice. Mais pourquoi Adam s'en méfierait-il ? la nature autour de lui n'est pas hostile et les animaux sont tous bienveillants. Le lion cohabite avec l'agneau, les humains sont de manière évidente au milieu des animaux, la nature est luxuriante, nulle crainte, nulle menace, nul danger n'habite ce tableau. Il faut connaître la fin de l'histoire pour voir dans le serpent le messager du désastre.

 Pourtant, Adam semble pris d'un doute : l'interdit  est présent dans son esprit, le seul interdit du paradis. 

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Mais dans un contexte de bonheur, de paix, de tranquillité, l'interdit paraît bien anodin. S'agit-il vraiment de transgresser et de défier Dieu ? pas vraiment. Bercé par le contexte paradisiaque, Adam n'est plus en capacité de mesurer, d'imaginer, la conséquence de l'acte. Eve en sait-elle plus ? son regard pourrait le suggérer mais sans qu'il ne soit possible de trancher clairement : excès de confiance ? volonté de défier le pouvoir divin ? volonté de sortir de l'ennui du quotidien du paradis au risque de basculer dans l'inconnu ? goût du jeu ? difficile de prêter une véritable intention à Eve, par contre sa détermination est évidente au regard des hésitations d'Adam.
 
On connaît la suite : Adam croquera la pomme, déclenchant la colère divine. L'acte sera jugé comme une rébellion insupportable contre la soumpission requise à Dieu, sur un seul point certes, mais tout de même. Un acte, une seconde, et l'humanité toute entière se retrouve à jamais chassée du paradis.
 

Si l'on veut bien considérer que la compétence est une capacité à agir en situation ou, pour le dire autrement, qu'il n'y a de compétence que dans l'action, alors on admet qu'à un moment donné se pose la question fondamentale du choix. Que faire ?  l'expérience, les connaissances, la compétence in fine ramenées à une question binaire : faire ou ne pas faire. Ce choix constitue une mise sous tension de l'individu qui, lorsqu'il est confronté à une situation qu'il n'a jamais rencontrée et qu'il doit résoudre sans mode d'emploi préétabli, est, comme Adam, mis en demeure de choisir sans être certain de maîtriser tous les paramètres de la situation tant au niveau du diagnostic que des conséquences. Et pourtant il faut bien choisir, renoncer à le faire serait déjà un choix.

L'évolution des contenus des emplois, l'importance de la dimension relationnelle et comportementale, la rapidité des évolutions techniques et organisationnelles ont sans doute multiplié les confrontations de l'individu avec des situations inconnues. Sans doute faut-il chercher là une des causes de la montée du stress au travail. Cette évolution appelle deux remarques. La première est que l'organisation doit prendre sa part dans le traitement de ces situations en n'abordant pas la question de la compétence uniquement du point de vue individuel mais également du point de vue collectif et de l'agir ensemble. Une fois cette condition remplie, la deuxième remarque est qu'il serait paradoxal de s'offusquer d'avoir un prix à payer pour la liberté.

12/03/2008

Pas de débit d'office des compte épargne formation

La Cour de cassation a rendu le 16 janvier 2008 un arrêt qui pourrait sans grand peine être transposé au DIF. Dans une entreprise ayant mis en place, par accord d'entreprise, un compte épargne formation en complément des formations au poste de travail, l'employeur a décompté d'office les formations suivies par les salariés lors de la mise en place du progiciel SAP. La Cour a considéré que des comptes individuels ne peuvent être débités que pour des formations demandées par les salariés. Tout débit d'autorité constitue donc un trouble manifestement illicite (Cass. soc., 16 janvier 2008, n° 07-10.095).

 

La solution s'appliquerait bien évidemment  dans les mêmes termes pour le DIF : le DIF ne peut être consommé pour des formations déployées par l'entreprise en accompagnement de ses projets. De même, il ne saurait y avoir de débit d'office des compteurs DIF en l'absence de toute demande ou accord du salarié. 

 Précisions si nécessaire que l'accord du salarié ne peut être donné qu'avant le suivi de la formation et non après.

Si l'on voulait le formuler autrement, on pourrait indiquer que les formations qui sont imposées au salarié (soit par la réglementation, soit par l'employeur) ne peuvent relever du DIF. Et que d'une manière plus générale, le DIF supposant l'accord du salarié, aucun retrait d'office n'est légitime. Attention donc au retrait d'heures DIF du compteur alors que le salarié n'a pas formellement donné son accord pour le suivi de la formation dans le cadre du DIF.