13/06/2014
Première sortie de route
Alors que j'avais salué, il y a quelques jours, les projets de décrets d'application de la loi du 5 mars 2014, en ce qu'ils respectaient parfaitement l'esprit et la lettre de la loi, voici une première entorse à ces principes dans une deuxième version de ces projets, après leur passage devant le CPNFTLV. Il s'agit de l'introduction d'une disposition relative au compte personnel de formation. La loi du 5 mars 2014 exclut formellement, et les débats étaient très clairs sur ce sujet, que les fonds collectés au titre du 0,20 % consacrés au CFP soient affectés à la rémunération des salariés. Toutes les ressources devaient être mobilisées pour les coûts pédagogiques et frais annexes. Et voilà qu'un décret rend possible ce que la loi interdit. Une sortie de route doublement malvenue.
Gohar Dashti - Mariage
Malvenue dans son principe, car il n'est jamais très sain de considérer que la loi importe peu et que l'exécutif à tout pouvoir et serait plus légitime que le Parlement. Malvenue dans ses modalités car le décret prévoit que c'est "un accord conclu entre les signataires de l'accord créant l'OPCA" qui peut prévoir cette possibilité de financer des rémunérations. Pourquoi ne pas simplement renvoyer au droit commun de la négociation collective ? En réalité, tout cela sent la logique de boutique (permettre aux OPCA de ne pas avoir trop d'excédents si le dispositif démarre mal...mieux aurait valu au contraire maintenir la pression pour que le dispositif démarre rapidement) et le lobbying de la dernière heure (car il s'agit d'une revendication du MEDEF que les députés avaient repoussé). Bref, de petits arrangements qui une fois de plus contribuent à déligitimer la règle.
Sur le fond, certains arguments sont pourtant recevables : la prise en charge des rémunérations peut permettre de contribuer à lancer le dispositif, permettre une appropriation plus facile par l'entreprise, faciliter les accords pour suivre la formation pendant le temps de travail...Mais en contrepartie, on favorise toutes les dérives : la formation comme moyen d'économiser les salaires, la déresponsabilisation de l'entreprise (alors que l'objectif de la loi était exactement l'inverse), le maintien de l'idée que la formation doit être gratuite (alors que la loi tentait d'installer la notion d'investissement), etc. Pas de doute, il s'agit bien d'une sortie de route.
00:05 Publié dans ACTUALITE DE LA FORMATION, DROIT DE LA FORMATION | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : formation, financement, décret, loi, réforme, économie, lobbying
Commentaires
Bonsoir Mr Willems
.. Et alors?.. Comment une formation opposable sur le temps de travail inciterait les salariés a utiliser le CPF si elle n'est pas accompagnée d'une prise en charge du salaire ?
Vous croyez franchement que (dans le cadre d'une formation opposable sur temps de travail) l'employeur va se substituer à l'OPCA (bras armé de l'Etat providence)?... Allons!
On peut, dans la même philosophie, s'offusquer que l'Allocation Formation (part salariale pour toute formation Hors temps de travail) ait bel et bien disparu avec la loi du 5 mars 2014. Mais ça... personne n'en parle.
Cordialement
Écrit par : Jacques | 13/06/2014
Bonjour Jacqueś,
Dans le cadre du droit opposable, l'employeur est obligé de maintenir le salaire. Le remboursement par l'OPCA diminue donc le coût pour l'employeur mais ne change rien pour les salariés. Quand a l'allocation formation, est il vraiment indispensable d'associer une indemnité au droit de suivre une formation gratuite ?
Cdlt.
Jpw
Écrit par : jpw | 13/06/2014
Oui j'ai bien compris, mais "La nécessité fait loi" disait Gabriel Garcia Marquez ; je suis pour ma part satisfait d'apprendre que le 0,2 sera aussi dédié à la prise en charge des salaires. Dans sa philosophie la loi est écrite pour faciliter l'accès à la formation pour les plus nécessiteux. Pourquoi s'en offusquer ? ... L'employeur sera indemnisé car son salarié part en formation longue certifiante, soit pour une reconversion soit pour un développement au poste. Autant dire que le salarié sera plus que tenté d'aller voir si l'herbe est plus verte ailleurs. N'est ce pas logique du coup, que l'employeur se voit rembourser le salaire alors même que le salarié lui impose une absence au poste de travail ? Dans l'esprit cela ne me choque pas.
Je m'interroge lorsque vous dites que "la loi importe peu et que l'exécutif a tout pouvoir" : comment peut il en être autrement? La loi donne l'esprit, les décrets traitent des détails.
Écrit par : Jacques | 15/06/2014
Le DIF était une idée généreuse et accessible à qui il a manqué quelques années et quelques ajustements pour produire ses effets (car il faut au moins 10 ans en France pour qu'une règlementation formation produise des effets, on l'a vu avec le CIF, les bilans de compétences ou même le plan de formation de 1971)
Le CPF n'était au final que de la communication gouvernementale: quand on se présente en défenseur du social il faut bien donner des gages et cette invention du CPF était un joli symbole.
Désormais on voit mieux l'ambition réelle du dispositif :
1) faire tomber le risque financier du DIF
2) reprendre le milliard d'heures de DIF capitalisé par les salariés (et bientôt les heures dans la fonction publique)
3) occuper les chômeurs
4) faire mine d'avancer alors qu'on a principalement cherché à détruire ce que le camp adverse avait construit
Bref c'est de la bouillie de chat, le CPF ne marchera pas avant très longtemps (2025 selon certains) car il n'est qu'une communication sociale du Medef et du gouvernement.
Il y aura beaucoup de victimes dans l'histoire à commencer par tous les salariés insuffisamment qualifiés qui ne risquent pas de partir durant des centaines d'heures en formation sans budget, avec des acteurs de la formation désorientés et un niveau de complexité des dispositifs jamais atteint (mais la prochaine loi fera peut être mieux)
A force de vouloir contenter tout le monde, de commission et de négociations tout azimut on rend les choses illisibles, sans queue ni tête.
Écrit par : cozin | 16/06/2014
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