12/01/2014
Faire simple, c'est compliqué (le CPF 1)
Picasso, Matisse, Cézanne, les danseurs aussi, et les musiciens et d'autres sans doute, dont les écrivains à qui l'on conseille toujours de reprendre leur page et de dire la même chose en supprimant tous les mots inutiles, tous n'ont eu de cesse que de déstructurer, déconstruire, faire éclater les représentations habituelles pour aller vers l'épure, l'essentiel, le sujet même, ramené à quelques traits, quels mots ou quelques notes. Le Graal, c'est d'aller au plus simple pour dire l'indicible. En matière juridique il n'en est pas autrement, et tout l'art consiste à synthétiser, en quelques règles générales, tout le flot de l'inépuisable diversité de la réalité que l'on se propose de régir. Dans le projet de loi sur la formation, tout lecteur aura constaté que l'art fait défaut, et particulièrement en ce qui concerne les modalités d'acquisition du compte personnel de formation.
Femme nue couchée, la dormeuse - Picasso - 1932
Concentrons nous sur deux dispositions. La première sur les acquisitions : 20 heures pendant 6 ans puis 10 heures pendant trois ans. Soit neuf années à des taux différents, ce qui ouvre bien inutilement des tas de questions pratiques : 2015 est-elle la première année pour tout le monde ? faut-il partir de l'entrée sur le marché du travail ? comment compter les années de retrait de l'activité ? et les années de travail non salarié entre des années de travail salarié ? et une année complète de chômage vient-elle amputer les neufs ans ? autant de casse-têtes pour le gestionnaire du CPF alors qu'il aurait été plus simple de s'en tenir à 20 h par an plafonnées, et mieux encore, le compte étant personnel et non lié au statut selon la loi, à considérer que tout actif acquérait 20 heures quelle que soit sa situation, jusqu'à atteindre le plafond.
Et en passant, notons que si la loi se fait désormais fort de reprendre les ANI, elle devrait quand même prendre en compte le fait que lorsque la négociation se conclue par une séance de 26 heures, la qualité rédactionnelle ne peut être au rendez-vous et qu'il est sans doute préférable de transposer l'esprit plutôt que la lettre.
La deuxième disposition concerne la précision légale que les congés de maternité, paternité, adoption, parental ou de soutien familial sont pris en compte pour le CPF. Les non juristes, ou les juristes peu rigoureux, en concluront que tous les congés cités ne sont pas pris en compte dans le calcul. Et ils auront tort car le principe est que le CPF est alimenté à hauteur de 20h par année de travail à temps complet, ce qui exige la prise en compte de tous les congés assimilés au travail et créé une incertitude, compte tenu de la formule, sur les absences non assimilées à du temps de travail effectif. Moyennant quoi, on reproduit pour le CPF une des difficultés déjà identifiée pour le DIF. Là encore, établir le droit en fonction de la personne, et non du temps de travail, était logique, cohérent et simple. Mais apparemment, faire simple c'est vraiment compliqué.
16:00 Publié dans ACTUALITE DE LA FORMATION, DROIT DE LA FORMATION | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : compte, personnel, formation, réforme, éducation, travail, emploi, loi, droit
Commentaires
Bonjour Jean-Pierre
Merci d'avoir souligné l'incohérence de l'article L6323-11 qui me pose également problème dans ma lecture attentive du projet de loi.
Pensez-vous que cet article restera tant il mène à la confusion?
Un autre article me pose problème et concernant l'alimentation financière : L6323-12 sd alinéa
"« Art. L. 6323-12 – Dans les entreprises de 50 salariés et plus, lorsque le salarié n’a pas bénéficié durant les six ans précédant l’entretien prévu au II de l’article L. 6315-1 des entretiens et d’au moins deux des trois de mesures mentionnées aux 1°, 2° et 3° de cet article, son compte est crédité de 100 heures et l’entreprise verse à l'organisme paritaire agréé pour collecter sa contribution due au titre de L. 6331-9 une somme forfaitaire, dont le montant est fixé par décret en Conseil d’Etat, correspondant à ces 100 heures.
« A défaut, l'entreprise verse au Trésor public un montant équivalent à cette somme forfaitaire. Les dispositions des deux derniers alinéas de l'article L. 6331-30 s'appliquent à ce versement".
Je croyais que l'on sortait complètement de la fiscalité...
Auriez-vous un commentaire?
Merci
Bonne journée
Kristine
Écrit par : kristine | 13/01/2014
Le CPF mettra peut être 10 ans à fonctionner correctement pour chaque salarié, des solutions existent avant 2015, il faut juste un peu de créativité (goo.gl/6Xe8uJ)
Écrit par : cozin | 13/01/2014
En complément de mon post et pour en revenir aux partenaires sociaux on ne peut prétexter les 26 heures de négociations pour expliquer le bien peu réaliste CPF tel qu'il est inscrit dans l'ANI du 14 décembre. Plus de 10 ans ont passé depuis l'ANI de septembre 2003 et chacun a pu constater que les sommets sociaux n'étaient souvent que de la communication, de grandes messes sans la Foi (Dixit J. Delors). Désormais seuls les pouvoirs publics sont en mesure de prendre en compte l'intérêt général. S'ils reprenaient l'ANI du 14/12 tel quel nous courrions le risque de précipiter le pays dans le déclin social et économique.
Il faudra sans doute du courage pour ne pas aller totalement dans le sens des partenaires sociaux mais à quoi sert-il de gouverner si c'est pour ne rien faire, juste faire semblant d'être aux manettes ?
Écrit par : cozin | 13/01/2014
Merci Jean-Pierre pour cette rubrique qui pose effectivement question :
Ok : un salarié à temps plein acquiert 20h par an sur son CPF, et un salarié n’ayant pas travaillé à temps plein acquiert ces heures au prorata de son temps de travail.
Ok : un demandeur d’emploi acquiert 20h par an.
Mais…
Comment se calcule l’acquisition d’heures sur le CPF pour les demandeurs d’emploi qui ne seraient pas « à temps plein » ?
Qu’en est-il d’une personne qui travaillerait 6 mois à temps plein (803,5h) et serait ensuite demandeur d’emploi pendant 6 mois ? Elle disposerait de 20h pour l’année considérée ?
Mais alors une personne qui travaillerait 12 mois à temps partiel (par exemple un « mi temps » de 803,5h) ne disposerait que de 10h de CPF ?
Faut-il en conclure que pour l’acquisition d’heures sur le CPF, il vaut mieux être demandeur d’emploi que travailleur ?
Écrit par : ValérieC | 14/01/2014
Bonjour Valérie,
Attention, un demandeur d'emploi n'acquiert pas 20 heures par an, c'est bien là le pb pour la comptabilisation des années. Et quelqu'un qui travaille six mois aura 10 heures. Pour acquérir du CPF il faut être salarié, comme quoi le droit est bien lié au statut et non à la personne contrairement à ce que la loi de sécurisation indique.
jpw
Écrit par : jpw | 15/01/2014
Un salarié travaillant à mi-temps mettra au final 18 ans pour disposer de ses 150 heures de CPF.
A mi temps toujours un salarié pourra espérer faire 300 heures de formation via le CPF (en 2 fois). Sachant qu'il faudrait se former au moins 10 % de son temps travaillé (c'est ce qui sera bientôt prescrit dans l'Interim) on se rend compte que le CPF pourrait être un peau de chagrin si le législateur n'arrive pas à ouvrir les portes de la formation aux moins qualifiés/
Écrit par : cozin | 15/01/2014
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